MERLEAU-PONTY, PENSEUR DE L`INVENTION POLITIQUE

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Journal
tion intellectuelle et affective contre tout
ce qui était donné à moi pour recommandé, et que je n’avais fait nulle difficulté d’accepter comme tel (II, 326).
MERLEAU-PONTY,
PENSEUR
DE L’INVENTION
POLITIQUE
La littérature est la source et le modèle
du quant-à-soi, un espace privé d’opinion et de jouissance, impossible à forcer dans les conditions ordinaires de la
vie. Mais ce goût du quant-à-soi n’est
pas si rare ; on peut même y voir un
trait du caractère national, du moins
dans le moment assez long de son histoire où il a pu s’identifier à la position
d’un petit propriétaire indépendant.
Pour le dire en d’autres termes, juste
assez vulgaires, Gracq était quelqu’un
à qui « on ne la fait pas » – à qui, par
exemple, on ne fait pas « la littérature
à l’estomac ». Cela est-il sans intérêt
pour nous, ou obsolète ? Sans doute
non : pensons aux résistances que suscite la fabrication de l’opinion
publique.
Comme écrivain autant que comme
personne, Gracq était solitaire, mais
bien socialisé, de bon jugement et
cohérent dans ses actes : un homme de
préférences, qui n’oublie pas d’être un
homme de désir. La littérature permet
l’un et l’autre. À cette réserve près, ce
pourrait être, et ce devrait être, vous ou
moi.
Pour marquer un centenaire
Le 14 mars 1908, à Rochefort-surMer, est né Maurice Merleau-Ponty.
Arrivant à Paris et entrant en classe de
philosophie, découvrant la politique
pendant la guerre et apparaissant aussitôt dans l’espace public, se séparant
de ses anciens amis pour en trouver de
nouveaux en même temps que son
regard sur le monde se transformait, sa
vie prit à chaque fois un sens qui
n’était ni absolument nouveau, ni seulement préparé ou déterminé. Il ne
concevait pas la philosophie autrement.
Merleau-Ponty disait de Edmund
Husserl, dont il avait commencé à étudier la philosophie phénoménologique
avant la guerre, que ses livres et
manuscrits sont des témoignages et des
traces d’une méditation continuée,
d’une recherche qui se savait infinie et
qui inaugurait des chemins que d’autres pourraient emprunter après lui.
Ce sont de pareilles traces que Merleau-Ponty nous a laissées : elles sont
ce qu’il nous reste de lui. Comme
celles qu’il voyait parfois seulement
esquissées par les philosophes du
passé, ses textes et notes sont autant
d’incursions dans notre propre monde,
d’ouvertures possibles pour notre
propre vie.
C’est que notre rapport au monde et
aux autres est fait selon Merleau-Ponty
de mélanges et d’écarts. Ceux-ci se
retrouvent jusque dans sa pratique et
dans ses rapports à ses contemporains.
Loin de répondre à ses critiques par
la polémique, il choisit d’enrichir sa
pensée : mieux vaut, rappelait-il dans
Michel Murat*
* Ce texte a été prononcé lors d’une soirée
d’hommage à Julien Gracq à l’École normale
supérieure, le 5 février 2008. Les références sont
données à l’édition des Œuvres complètes dans
la coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
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