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La dysplasie sur endobrachyœsophage :
définition, histoire naturelle, autres marqueurs
potentiels du risque de cancer
● J.F. Fléjou*
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■ Le diagnostic de dysplasie sur endobrachyœsophage
(EBO) est difficile et de reproductibilité médiocre. La suspicion de dysplasie doit être confirmée par l’interprétation
d’un anatomopathologiste différent et par une série de
nouvelles biopsies.
■ La dysplasie de bas grade peut rester stable de nombreuses années et même régresser. L’évolution vers un
haut grade concerne moins d’un tiers des cas.
■ La dysplasie de haut grade focalisée évolue vers le cancer dans moins d’un quart des cas dans les 3 ans qui suivent sa découverte. Cependant, plus de la moitié de ces
dysplasies deviennent étendues, avec un risque de dégénérescence accrue.
■ La détection de la protéine p53 par immunomarquage
pourrait compléter l’histologie standard en identifiant les
patients à risque de cancer.
quence augmente rapidement dans de nombreux pays occidentaux (1). Il s’agit d’un cancer dont le pronostic global est mauvais, mais peut être amélioré par un diagnostic précoce. Ce diagnostic est alors effectué dans le cadre de la surveillance de
malades porteurs d’un EBO. Ces programmes de surveillance ont
permis de montrer que le cancer se développe avec une incidence
située entre 1 cas pour 50 et 1 cas pour 200 malades-années de
suivi. Ils ont également montré que les cancers n’apparaissent pas
“de novo”, mais qu’ils se développent selon une séquence d’altérations morphologiques allant de la muqueuse métaplasique
“spécialisée” en métaplasie intestinale incomplète jusqu’au cancer, en passant par des stades croissants de dysplasie, considérée
comme la lésion précancéreuse (2). En l’absence de marqueurs
épidémiologiques, cliniques ou endoscopiques permettant de restreindre la population à surveiller, si une surveillance est décidée,
elle est à l’heure actuelle fondée sur l’inclusion des malades porteurs d’un EBO dans un programme d’endoscopies régulières,
avec biopsies étagées systématiques à la recherche d’une dysplasie, seul marqueur de risque élevé de cancer reconnu à l’heure
actuelle.
DÉFINITIONS
EBO, ou œsophage de Barrett, est une entité anatomoclinique, définie par le remplacement de la
muqueuse malpighienne du bas œsophage par une
muqueuse glandulaire métaplasique. Il s’agit d’une lésion fréquente, puisqu’elle s’observe chez environ 1 % des sujets ayant
une endoscopie digestive haute, et chez environ 10 % de ceux qui
ont cette endoscopie pour des symptômes de reflux gastro-œsophagien. La principale complication évolutive de l’EBO est la
transformation maligne en adénocarcinome, cancer dont la fré-
L’
* Service d’anatomie pathologique, hôpital Saint-Antoine, Paris.
● L’EBO était défini classiquement par la présence de muqueuse
métaplasique sur plus de 3 cm au-dessus de la jonction œsogastrique (ligne “Z”). Cette métaplasie pouvait être de trois types :
fundique, cardiale, ou intestinale. Cette dernière, encore appelée
muqueuse spécialisée, est la seule qui soit caractéristique de la
muqueuse de Barrett (figure 1) ; c’est en outre à son niveau qu’est
susceptible de se développer un cancer. La définition des EBO a
récemment changé. En effet, l’existence d’EBO courts (en languettes ou circulaires) est maintenant bien admise, mais ce diagnostic exige d’être confirmé par la présence de métaplasie intestinale (3). Le problème de la découverte de zones de métaplasie
intestinale sur des biopsies systématiques d’une jonction œso-gastrique normale en endoscopie, correspondant à ce que certains
appellent les EBO “ultracourts”, ne sera pas abordé dans cet article.
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ASPECTS ANATOMOPATHOLOGIQUES
ET CLASSIFICATIONS
● La classification simple de Riddell en deux grades (dysplasie
de bas grade et dysplasie de haut grade) est présentée dans le
tableau ci-dessous. Les lésions dysplasiques étant parfois difficiles à distinguer de modifications tissulaires d’origine dystrophique, inflammatoire ou régénérative, la catégorie de “lésions
douteuses ou indéfinies pour la dysplasie” (indefinite for dysplasia) a été introduite dans cette classification. Les critères morphologiques des différents grades ont été récemment précisés (4).
Ils décrivent en particulier bien l’aspect “indéfini pour la dysplasie” : le critère principal pour porter ce diagnostic, outre l’absence ou le caractère très minime des anomalies architecturales,
Figure 1. Muqueuse spécialisée caractéristique de la muqueuse de
Barrett d’un EBO. L’aspect est celui d’une métaplasie intestinale incomplète. Il n’y a pas de dysplasie.
Tableau. Critères histologiques de la classification de Riddell
de la dysplasie sur EBO.
● La dysplasie désigne des troubles du développement des tissus
et des organes. Ce terme était initialement employé pour décrire
des lésions malformatives congénitales ou des lésions acquises
d’origine réactionnelle ou néoplasique. En pathologie digestive,
le terme de dysplasie n’est actuellement plus employé sinon pour
désigner un état précancéreux développé au sein de l’épithélium
muqueux. Selon Riddell, la dysplasie est une altération néoplasique indiscutable, non invasive, c’est-à-dire strictement limitée
à l’épithélium. Il s’agit donc d’un synonyme du terme de néoplasie intraépithéliale. Le diagnostic de dysplasie est fondé sur
la reconnaissance, à partir de biopsies colorées par des techniques
standard (H-E), d’un ensemble d’anomalies architecturales et
d’altérations cytonucléaires, témoignant de troubles de la différenciation et de la prolifération (figure 2).
Muqueuse non dysplasique
– architecture normale ;
– noyaux réguliers situés au pôle basal des cellules. (Des
anomalies cytologiques minimes peuvent être présentes en
cas d’inflammation).
Lésions douteuses ou “indéfinies
pour la dysplasie”
– minimes anomalies architecturales ;
– anomalies cytologiques au niveau des glandes, similaires à
celles d’une dysplasie, mais absentes au niveau de l’épithélium de surface.
Dysplasie de bas grade
– anomalies architecturales modérées ;
– anomalies cytologiques modérées, sans stratification
nucléaire.
Les anomalies sont identiques en surface et en profondeur.
En cas d’inflammation aiguë, la présence de ces lésions ne
permet pas d’affirmer la dysplasie mais doit faire rester au
stade de lésion “indéfinie pour la dysplasie”.
Dysplasie de haut grade
Figure 2. Muqueuse spécialisée en dysplasie de haut grade, avec importantes anomalies cytologiques et architecturales. Il n’y a pas d’infiltration du chorion.
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– anomalies architecturales marquées ;
– anomalies cytologiques modérées ou sévères. En cas
d’anomalies cytologiques sévères, les anomalies architecturales peuvent être moins intenses.
Les anomalies sont identiques en surface et en profondeur.
L’inflammation est en général minime.
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est la disparition des anomalies cytologiques au niveau de l’épithélium de surface, témoignant d’une maturation et d’une différenciation épithéliale conservées. La présence de phénomènes
inflammatoires importants doit conduire à exiger des anomalies
cytologiques et architecturales plus importantes pour affirmer la
dysplasie.
● Un autre problème difficile est celui de la distinction entre dysplasie de haut grade et carcinome in situ, certains auteurs utilisant
indifféremment les deux termes pour caractériser la même lésion.
Le terme de carcinome intramuqueux est, lui, différent puisqu’il
désigne une lésion dans laquelle les cellules tumorales ont franchi la membrane basale pour infiltrer le chorion muqueux (ou
lamina propria). Le carcinome intramuqueux fait partie des cancers superficiels ; il comporte un risque de métastase ganglionnaire, absent des lésions dysplasiques et du carcinome in situ.
● La dysplasie est une lésion de diagnostic difficile. Plusieurs
études ont montré que la reproductibilité diagnostique intra- et
surtout interobservateur était médiocre, en particulier pour le diagnostic de lésion de bas grade (dysplasie indéfinie et dysplasie
de bas grade). Il s’agit à la fois d’études “classiques”, mais un
peu artificielles, enrôlant des pathologistes experts dans l’examen de lames, souvent sélectionnées pour leur difficulté et examinées sans renseignements cliniques, mais aussi de travaux plus
proches de la pratique quotidienne, c’est-à-dire de l’examen par
des pathologistes non spécialisées de lames de routine (5). Parmi
les études “classiques”, un travail récent a comparé les diagnostics portés par douze pathologistes spécialisés en pathologie digestive sur 125 biopsies (4) : lorsqu’une classification en quatre
grades était appliquée (non dysplasique/indéfini et bas grade/haut
grade/cancer), la concordance interobservateur était moyenne
(indice k 0,43) ; elle s’améliorait beaucoup (k 0,66) si une classification très simplifiée (non dysplasique, indéfini et bas
grade/haut grade et cancer) était employée. Dans un autre travail étudiant les diagnostics faits en routine par vingt pathologistes non spécialisés, les diagnostics portés sur des cas de
muqueuse non dysplasique, en dysplasie de bas grade et en dysplasie de haut grade étaient très variables, amenant à remettre en
cause la validité des résultats obtenus dans les programmes de
surveillance (5).
● Ces différences sont à l’origine de la proposition d’une nouvelle classification en cinq catégories, dite de Vienne, allant de
la muqueuse non dysplasique au cancer invasif (6). Il faut noter
dans cette classification la réapparition du carcinome in situ, placé
cependant dans la même grande catégorie que la dysplasie de haut
grade, et l’apparition, toujours dans cette catégorie, de l’aspect
“suspect de carcinome invasif”.
Une autre difficulté posée par la reconnaissance de la dysplasie
sur EBO est l’absence, dans la majorité des cas, d’anomalie endoscopique évocatrice, qui permettrait de suspecter le diagnostic et
de diriger les prélèvements. Dans quelques cas cependant, il existe
un aspect polypoïde en endoscopie, interprété comme un adé-
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nome, ou plutôt, par analogie avec les lésions de dysplasie sur
colite, comme une “masse dysplasique” (ou DALM pour dysplasia associated lesion or mass). Mais le plus souvent, ce sont
les biopsies étagées systématiques qui permettent de faire le diagnostic, l’efficacité des programmes de surveillance étant fonction de la qualité de l’échantillonnage biopsique.
Compte tenu de ces difficultés, il est admis que le diagnostic de
dysplasie sur EBO doit être confirmé (7), si possible à la fois par
une relecture des biopsies par un deuxième anatomopathologiste
et par l’examen de nouvelles biopsies. Celles-ci auront également
pour but de rechercher un éventuel carcinome associé, situation
particulièrement fréquente en cas de dysplasie de haut grade sur
EBO.
HISTOIRE NATURELLE
S’il est bien établi qu’à l’échelle d’une cohorte de patients porteurs d’un EBO, la présence d’une dysplasie indique un risque
plus élevé de développer un adénocarcinome, l’histoire naturelle
de cette lésion reste très mal connue à l’échelon individuel. Cela
est dû notamment au faible nombre de malades présentant une
dysplasie dans les différents protocoles de surveillance qui ont
été publiés. La présence d’une dysplasie avérée indique qu’un
processus néoplasique est enclenché, ce qui suggère une évolution irréversible vers l’aggravation. Plusieurs études prospectives
ont cependant montré, en particulier en cas de dysplasie de bas
grade, que les lésions pouvaient rester stables pendant de très
longues périodes, ou même, dans un pourcentage élevé de cas,
“régresser”, la muqueuse redevenant non dysplasique sur les biopsies de contrôle. Ces données doivent cependant être interprétées
avec prudence, car leur explication n’est sans doute pas univoque :
il peut s’agir, dans certains cas, d’un diagnostic initial inexact de
dysplasie, souvent dans un contexte inflammatoire ; dans d’autres
cas, d’un problème d’échantillonnage, ignorant les foyers de dysplasie lors de contrôles ; il est cependant probable que, parfois,
il s’agit bien d’une régression, voire d’une disparition, de la dysplasie, favorisée par la suppression thérapeutique du stimulus à
l’origine de l’accélération de la prolifération cellulaire observée
dans la muqueuse de Barrett, le reflux acide gastro-œsophagien.
Un travail récent à partir d’un recrutement anatomopathologique
multicentrique (8) a montré que parmi 22 cas “indéfinis pour la
dysplasie”, 4 présentaient une dysplasie de bas grade après un
suivi médian de 20 mois, et 4 un cancer après 19 à 62 mois de
surveillance. Parmi 26 cas présentant une dysplasie de bas grade,
4 développaient une dysplasie de haut grade après 2 à 7 mois, et
4 un adénocarcinome après 9 à 65 mois. Dans une autre étude
(7), 7 malades parmi 25 (28 %) ayant une dysplasie de bas grade
présentaient une lésion plus sévère (5 dysplasies de haut grade et
2 cancers) après un suivi moyen de 26 mois. Il faut noter que,
dans cette même étude, ce risque était nettement plus élevé quand
le diagnostic de dysplasie de bas grade avait été confirmé par trois
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observateurs différents (4 sur 5), montrant l’intérêt d’une confirmation du diagnostic de dysplasie par plusieurs pathologistes.
Pour la dysplasie de haut grade, les cas de régression semblent
rares. Mais même dans ce cadre, l’histoire naturelle reste mal
connue. Deux problèmes se posent, celui du risque de cancer associé, et celui du délai d’évolution vers un cancer. Le risque qu’un
cancer soit présent dès que le diagnostic de dysplasie de haut
grade est porté reste diversement apprécié dans la littérature. La
plupart des équipes estiment que ce risque est élevé, voisin de
50 %. Ce pourcentage est un fort argument poussant à traiter efficacement la dysplasie de haut grade, par chirurgie ou par traitement endoscopique d’exérèse ou de destruction. Cependant, si le
diagnostic de dysplasie de haut grade est porté dans le cadre d’un
protocole très rigoureux de surveillance biopsique, tel que celui
que pratique le groupe de Seattle, le risque de cancer associé serait
pratiquement inexistant, et la surveillance est pour ces auteurs
une des options thérapeutiques (9). Deux séries ont étudié, sur un
nombre de malades assez élevé, l’évolution de la dysplasie de
haut grade et permettent de mieux connaître l’histoire naturelle
de cette lésion (10, 11). Elles montrent sur un total de 145 malades
que, si le risque de progression rapide vers l’adénocarcinome est
important, cette évolution n’est cependant pas inéluctable à brève
échéance ; ainsi, une progression vers l’adénocarcinome n’a été
constatée que chez un quart des malades dans la série de Levine
et al. (10) et un sixième dans celle de Schnell et al.(11) ; la surveillance endoscopique n’a pas détecté de cancer chez les autres
malades avec 2,5 et 7,3 ans de recul moyen, respectivement. Dans
un travail récent, Weston et al. (12) insistent sur l’aggravation
progressive des lésions de dysplasie de haut grade, initialement
unifocales, puis plurifocales et éventuellement en relief (DALM)
avant le cancer. Le risque d’évolution vers le cancer est 3,7 fois
plus élevé en cas de lésions de dysplasie de haut grade étendues
par rapport aux lésions focales.
AUTRES MÉTHODES MORPHOLOGIQUES
DE SURVEILLANCE
L’utilisation de la dysplasie comme marqueur unique de risque
de cancer sur EBO pose de nombreux problèmes. Ces difficultés
expliquent la multiplication des travaux visant à trouver de nouveaux outils de caractérisation de la muqueuse de Barrett. Il s’agit
en particulier de la mise en évidence, sur les biopsies, d’anomalies biologiques et/ou morphologiques indiquant un risque accru
de dégénérescence, et qui ne seraient pas exposées aux mêmes
problèmes que la dysplasie. La reconnaissance de la plupart de
ces marqueurs est une conséquence des progrès importants qui
ont été réalisés dans la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent la cancérogenèse de la
muqueuse de Barrett et accompagnent, ou parfois précèdent, les
modifications morphologiques qui sont à la base du diagnostic
de dysplasie. Il s’agit en particulier de la mise en évidence d’ano296
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malies de la prolifération cellulaire qui sont secondaires à la présence de phénomènes d’instabilité génétique, avec apparition de
clones cellulaires à contenu anormal en ADN, au sein desquels
les anomalies génétiques s’accumulent, mettant en jeu des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeur.
Marqueurs de prolifération : PCNA (Proliferating Cell
Nuclear Antigen) et Ki67
La simplicité d’utilisation de nouveaux marqueurs de la prolifération cellulaire a permis la réalisation de différents travaux ; il
s’agit du PCNA, exprimé fortement par les cellules en phase S,
et de l’antigène Ki67, exprimé par les cellules engagées dans le
cycle cellulaire (phases G1, G2, S et M), mais pas par les cellules
quiescentes (en phase G0).
Les principaux travaux publiés sont rétrospectifs. Ils montrent
globalement une augmentation de l’index de prolifération, parallèle à l’intensité des anomalies morphologiques (13). Les chevauchements entre les différents groupes sont cependant importants et rendent difficile leur utilisation pour un malade donné.
La présence anormale d’une positivité au niveau de l’épithélium
de surface pourrait toutefois représenter un argument important
pour affirmer la dysplasie devant un aspect histologique de
muqueuse “indéfinie pour la dysplasie”.
Gène et protéine p53
Parmi les gènes impliqués dans la transformation néoplasique de
la muqueuse de Barrett, c’est le gène p53 et la protéine pour
laquelle il code dont l’étude est potentiellement la plus intéressante dans la surveillance des EBO. Le gène p 53, situé sur le bras
court du chromosome 17, code pour la protéine p53, qui joue à
l’état normal un rôle central dans le contrôle de la différenciation
et surtout de la prolifération cellulaire, dans celui de la réplication et de la réparation de l’ADN, dans celui de la stabilité génétique des cellules, et dans l’induction du phénomène d’apoptose.
Les altérations du gène p53 ont été montrées par de nombreuses
études comme particulièrement fréquentes dans le cancer sur EBO
(50 à 85 % des cas selon les séries). L’immunohistochimie est
une technique simple pouvant être utilisée pour mettre en évidence la plupart des mutations du gène p53. De nombreux travaux rétrospectifs ont étudié l’expression de la protéine p53 dans
la muqueuse de Barrett cancéreuse, dysplasique et non dysplasique. Ils montrent que les cancers surexpriment la protéine p53
dans 60 à 70 % des cas, et surtout que la protéine p53 est exprimée en moyenne dans 5 à 9 % des muqueuses spécialisées non
dysplasiques, 16 à 18 % des dysplasies de bas grade, et 62 à 83 %
des dysplasies de haut grade (13). Ces constatations suggèrent
fortement que cette expression est un événement précoce au cours
de la cancérogenèse de la muqueuse de Barrett, dont la fréquence
croît avec l’intensité des anomalies morphologiques, et qui peut
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même, dans certains cas, apparaître avant la dysplasie. Deux
études prospectives ont surveillé des cohortes de malades porteurs d’un EBO, d’une part, par l’histologie, d’autre part, par l’immunohistochimie de la protéine p53 (14, 15). Les résultats de ces
deux études montrent que, sur un total de 97 malades, 9 dysplasies de haut grade ou cancers sont apparus, chez 8 des 13 malades
qui ont eu au moins une biopsie p53 positive, et chez seulement
un des 84 malades dont toutes les biopsies étaient p53 négatives.
Ces deux séries aboutissent aux performances suivantes de l’immunomarquage p53 dans la prédiction de l’apparition d’une dysplasie de haut grade ou d’un cancer chez un malade porteur d’un
EBO : sensibilité 75 et 100 %, spécificité 97 et 93 %, respectivement ; ces résultats suggèrent que l’immunomarquage p53
pourrait être un complément utile à l’histologie standard ; ils
doivent cependant être confirmés par d’autres séries portant sur
un plus grand nombre de malades.
CONCLUSION
La surveillance des malades porteurs d’un EBO repose à l’heure
actuelle sur l’endoscopie avec biopsies étagées (“cartographie”),
à la recherche d’une dysplasie, seul marqueur reconnu d’un risque
élevé de cancer. Ce marqueur pose cependant un certain nombre
de problèmes, dont celui de sa reproductibilité diagnostique et
celui de son histoire naturelle très mal connue à l’échelon individuel. C’est pour cette raison qu’ont été effectués de nombreux
travaux visant à trouver de nouveaux marqueurs du risque de cancer, en tirant parti des avancées majeures qui ont été faites récemment dans la compréhension des mécanismes de cancérisation de
la muqueuse de Barrett. Parmi les marqueurs potentiels, la mutation du gène p53 est fréquente et précoce au cours de la séquence
d’altérations morphologiques et génétiques, qui va de la métaplasie au cancer. La détection indirecte de ces mutations par
l’étude immunohistochimique de l’expression de la protéine p53
est une voie de recherche clinique prometteuse. Elle pourrait permettre de reconnaître très précocement les malades à risque de
cancer, et également de conforter la reconnaissance chez un
malade d’un véritable processus néoplasique au sein de la
muqueuse de Barrett. Son intérêt doit cependant encore être validé
par des séries prospectives incluant un grand nombre de malades.
En pratique, la surveillance des malades ayant un EBO continue
de reposer sur la pratique de biopsies à la recherche d’une dys-
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plasie. Il faut cependant noter l’apparition de méthodes endoscopiques telles que la détection de l’autofluorescence ou la tomographie de cohérence optique, qui pourraient permettre à terme
la détection d’états précancéreux sans avoir à pratiquer l’analyse
histologique de biopsies endoscopiques.
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Mots clés. Endobrachyœsophage – Dysplasie – p53 –
Adénocarcinome de l’œsophage.
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B I B L I O G R A P H I Q U E S
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