Chirurgie ambulatoire, chirurgie de demain. Structurer la coordination Hôpital-Ville La France accuse un retard important en matière de prise en charge ambulatoire des actes chirurgicaux. Nul doute pourtant qu’elle rejoindra la plupart des pays du Nord et de l’Ouest, car elle constitue la voie inexorable à court et moyen terme pour répondre aux enjeux tant sanitaires qu’économiques, tout en améliorant la qualité des soins rendus aux patients. La chirurgie ambulatoire est en effet amenée à assurer, à moyen terme, la plus grande partie des actes chirurgicaux, seulement 10% des patients présentent des contreindications absolues. Aujourd’hui, sur 7,2 millions d’actes chirurgicaux pratiqués en France chaque année, 1,8 millions le sont dans le cadre de la chirurgie ambulatoire. Les enjeux financiers sont colossaux : les économies pour l’Assurance maladie atteindraient 500 millions €. Par une dédramatisation du geste chirurgical, un meilleur confort à domicile, cette chirurgie répond à la satisfaction des patients avec un taux de 90%, largement supérieur à ceux observés en hospitalisation traditionnelle (enquête Cnam). Les bénéfices pour le patient sont également sanitaires : des risques très réduits d’infections nosocomiales : 6 fois moins d'infections nosocomiales en chirurgie ambulatoire, une mortalité à 7 jours réduite par deux, et plus de deux fois de risques d'une réhospitalisation. La chirurgie ambulatoire apporte une réponse commune à des problématiques partagées par de nombreux pays, à savoir un accroissement de la demande et des listes d’attente, le vieillissement de la population, la nécessité de maîtriser les dépenses de soins et le développement de nouvelles techniques chirurgicales. Et pourtant, lorsqu’une mission est consacrée à l’hôpital, la commission Larcher, la CA fait œuvre de grande absente. Comment dans ce contexte expliquer le retard français ? Quels sont les freins qui ralentissent aujourd’hui le développement de la chirurgie ambulatoire et les moyens de les lever : Quelle(s) politique(s) incitative(s) pourrait être mise en œuvre ? Pourquoi n'y a-t-il pas encore de démarche contractualisée avec la médecine de ville qui devra être impliquée dans le retour à domicile, les soins post opératoires et le suivi, la surveillance ou l’adaptation du protocole antalgique ? Les freins au développement de la chirurgie ambulatoire sont essentiellement culturels Guy Bazin, président fondateur de l’Association française de chirurgie ambulatoire, voit 2 raisons principales au retard de la France sur ce dossier : dues aux acteurs et aux institutionnels. « La chirurgie ambulatoire perturbe considérablement les acteurs médicaux qui perdent le pouvoir. Deuxièmement, l’État n’a pas compris tout de suite la façon dont on pouvait l’organiser et a voulu préserver la main mise sur l’ensemble de l’organisation. Or, la CA ne peut se développer dans une logique administrative de régulation mais dans une logique économique. Il y a eu un conflit d’intérêts ou de pouvoirs qui a surement bloqué l’ensemble. Je pense aujourd’hui qu’on a compris cela et le futur décret de chirurgie met la priorité sur l’ambulatoire. Il ne sera plus accordé d’autorisation à une activité de chirurgie si l’établissement ne pratique pas la chirurgie ambulatoire. » Une vision partagée dans ses grandes lignes par Gilles Bontemps, chargé de mission auprès des négociations à la Cnam, directeur de l’observatoire national de la chirurgie ambulatoire à la Cnam. « Notre culture française n’est pas basée sur le patient au cœur du dispositif et c’est pour bien pour moi le principal frein culturel et organisationnel. Le pouvoir à l’hôpital n’est pas financier mais d’abord culturel et organisationnel. Il faudra accompagner les acteurs pour faire évoluer ce système, les infirmiers peuvent être des moteurs car ils sont déjà dans cette logique. » Un rôle infirmier : marginal ou déterminant Les infirmiers libéraux peuvent être moteurs du développement par leur rôle de « prescripteur » - un rôle d’information, de communication « Les infirmiers libéraux peuvent apporter des informations, dédramatiser le geste chirurgical. En tant qu’infirmier, vous êtes la personne la plus proche des personnes qui vont être opérées », constate Gilles Bontemps, ajoutant que « les infirmiers peuvent faire émerger une demande des patients à l’ambulatoire. » - un rôle de présélection du patient en pré opératoire Guy Bazin estime qu’ « En tant qu’infirmière libérale, vous êtes infirmière de première ligne et vous connaissez parfaitement bien l’état psychosocial du patient. » Les infirmières libérales ont un rôle majeur dans la définition et la sélection de ces patients éligibles à l’ambulatoire. C’est, selon lui, à ce niveau que l’infirmière libérale et le médecin généraliste interviennent, car « qui mieux que vous connaissez le patient et son environnement. » En théorie... aucun besoin spécifique généré par la chirurgie ambulatoire, voire même une restriction de certains actes de soins Dans le paysage de la chirurgie ambulatoire, « les paramédicaux sont des spectateurs obligés », décrit Alain Zirn, chirurgien (chirurgie générale et viscérale) à l’unité ambulatoire du centre hospitalier de Noyon (Oise), pionnier en secteur hospitalier public. « Les soins postopératoires sont exactement les mêmes que ceux de la chirurgie traditionnelle, rien de plus rien de moins. Si la douleur est bien prise en charge au départ, aucun rôle n’est dévolu aux paramédicaux pour l’instant. Votre rôle incitatif est marginal sauf le bouche à oreille vis à vis des patients. » Au centre hospitalier de Noyon (60), au sein duquel le docteur Zirn officie, « pour l’instant les actes de chirurgie ambulatoire ne réclament aucune spécificité libérale en post opératoire, voire même conduisent à une diminution des actes infirmiers. Sur d’autres actes, la prise en charge infirmière pourrait être différente. » Guy Bazin confirme ce positionnement, estimant que l’infirmière libérale n’est absolument pas concernée par les sorties de chirurgie ambulatoire, sauf dans les cas très particuliers d’échecs de cette chirurgie. « Lorsque le patient arrive au domicile, s’il y a un problème, ce n’est pas à l’infirmière de première ligne à s’en occuper. S’il y a problème, c’est un défaut de prise en charge de la structure ambulatoire qui n’a pas prévu toute la thérapeutique nécessaire. » En réalité… des infirmiers qui pallient les défaillances du système « Effectivement, on peut mettre des pansements qui tombent au bout de 8 jours. Mais nous voyons des patients qui ont perdu un peu d’autonomie. Ils n’ont pas bien lu tous les documents qui leur étaient destinés. Et, parfois, quand nous arrivons chez eux, nous, infirmiers libéraux, c’est la catastrophe. Il y a une économie à faire si on prévoit ce suivi, que nous allions au moins une fois chez le patient. » A l’image de cette réaction, dans la salle, les témoignages des congressistes fusent et ne manquent pas pour faire remonter toutes les défaillances constatées tous les jours et le rôle des infirmiers pour y pallier. Ainsi, Marie Odile guillon, infirmière libérale dans l’Oise, témoigne : « Nous avons constaté à Compiègne des problèmes sur les retours à domicile, et nous avons créé une association RSS 60 relais santé soins 60 pour prendre en charge les personnes qui rentrent à domicile. » « Par le réseau aussi, les libéraux pallient aux défaillances du système, et ce sans financement», ajoute Stéfane Fauran. De la même manière qu’en théorie, les critères d’inclusion des patients dans l’hospitalisation à domicile sont clairs et précis, la réalité ne correspond pas aux textes et aux principes en vigueur et la crainte des infirmiers est que la solution « structure » soit recherchée et prônée au détriment de l’offre libérale. Exemple ce témoignage dans la salle d’une infirmière vendéenne qui relate la facturation d’un Hallux Valgus en Had. Ce n’est pas par hasard si les Québécois ont définitivement enterré l’hospitalisation à domicile : « on s’est vite rendu compte que ça coutait très cher et que cela ne servait à rien. Soit vous êtes hospitalisés, soit vous pouvez retourner chez vous», a signalé la présidente de l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec. Des infirmiers libéraux qui rendent possible la sortie hospitalière des patients « On ne peut pas envisager le développement de la chirurgie ambulatoire sans prendre en charge le développement de la prise en charge de la douleur post opératoire » : Stéfane Fauran, réseau SOS Douleur domicile En chirurgie ambulatoire ou traditionnelle, c’est la présence du réseau territorial d’infirmiers libéraux qui rend possible la sortie des patients à leur domicile dans de bonnes conditions et permettant la réduction des durées de séjour. Dans le cadre spécifique de la chirurgie ambulatoire, les infirmiers peuvent avoir un rôle crucial dans son développement en rendant possible l’extension des actes réalisés vers des actes plus lourds. Illustration : l’expérience du réseau charentais SOS Douleur Domicile. Il a permis de réduire la durée des hospitalisations, tout en supprimant les douleurs postopératoires. En 4 ans, ce réseau a assuré 16 000 journées de maintien à domicile avec les cathéter périnerveux. « Tous les acteurs sont convaincus par notre expérience, et nous sommes la seule expérience au monde à avoir autant de données », explique Stéfane Fauran. Le réseau repose sur une méthode innovante appliquée aux patients : poser un cathéter périnerveux, utilisé habituellement en milieu hospitalier, permettant de recourir à des anesthésiques locaux pour soulager toutes les douleurs. Le réseau s’est créé suite à l’impossibilité pour l’unité de chirurgie vasculaire en Charentes de soulager leurs patients et de les laisser sortir. « Nous répondons avant tout à la demande du patient qui souhaite qu’on puisse soulager sa douleur. » 60% des infirmières du département ont été formées à la technique des cathéter périnerveux et aujourd’hui les données PMSI attestent, au plus grand étonnement des administratifs, que les durée d’hospitalisation sont inférieures de 20% aux références. Les infirmiers libéraux du réseau prennent en charge des patients en post opératoire immédiat après la Chirurgie ambulatoire sur Angoulême, des Hallux Valgus à J zéro à domicile avec un cathéter périnerveux et la chirurgie ambualtoire fait partie intégrante de l’activité du réseau. L’objectif qui reste poursuivi par Stéfane Fauran est de faire reconnaître ces actes à la nomenclature, ce qui ne viendra pas tant que la Haute autorité de santé n’aura pas validé des protocoles avec les cathé périnerveux. 10% des actes de chirurgie ambulatoire pourraient potentiellement nécessiter des soins post opératoires spécifiques dans le cadre de protocoles antalgiques. Cela concernerait tout de même près d’1 million d’actes. « Dès lors que nous allons étendre les indications de la chirurgie ambulatoire à des indications plus lourdes, je pense que l’expérience du réseau SOS Douleur domicile pourrait être très intéressante. Car elle permet de remettre le patient au cœur du système et re travailler la frontière entre l’hôpital et la ville. On voit bien au travers de cette expérience que c’est le patient qui est au centre du dispositif », commente Gilles Bontemps. Les infirmiers libéraux en phase avec leur temps… une révolution culturelle pour les autres acteurs Les infirmiers sont les seuls acteurs à être dans la logique organisationnelle de la chirurgie ambulatoire, à savoir un dispositif centré sur le patient. C’est Gilles Bontemps qui l’affirme, suite à une large enquête menée par la Cnam auprès de tous les établissements publics et privés. « Les infirmiers sont les acteurs qui ont le mieux perçu les enjeux de la chirurgie ambulatoire. La logique infirmière qui est une logique d’organisation, qui place le patient au cœur du dispositif alors que les médecins demeurent dans une logique de moyens. » Travailler en réseau… quand on ne peut pas faire autrement « Le réseau n’est certes par la panacée », reconnaît Stéfane Fauran qui partage avec Gilles Bontemps l’idée selon laquelle la problématique des réseaux repose sur des personnes convaincues et militantes avec des inconvénients connus quand on veut généraliser ce type de prise en charge au niveau national. Il vaudrait mieux faire évoluer la pratique et la nomenclature… En guise de synthèse… le point de vue de Philippe Tisserand, président de la FNI « ne pas complexifier le système » « On entend le besoin du réseautage qui est nécessaire dans certains cas très ciblés, par exemple sur le paramètre de la douleur. Mais on observe aussi que les discours s’affrontent. On nous dit parallèlement que la chirurgie ambulatoire ne va rien changer à nos prises en charge… et on se retrouve dans une situation bien connue, à savoir que les sorties hospitalières se font grâce à un réseau d’infirmiers libéraux de proximité assez transparent, sans liste d’attente, un réseau qui prend tous les patients sans anticipation. C’est ce réseau de proximité, ouvert 24h24, qui a permis la réduction des durées d’hospitalisation en France. La performance de ce système libéral constitue la valeur ajoutée du système de soin qui fonctionne tellement bien qu’on oublie qu’il existe. Le réseautage oui, dans certains cas, mais il ne faut pas non plus céder à une espèce de complexification du système pour aboutir à un fantasme qui laisse croire qu’il faut toujours créer des structures. Sinon, on peut craindre de retomber dans des formes de dérive qu’on connaît pour l’Hospitalisation à domicile avec des critères d’inclusion qui se rapprochent d’une nomenclature des actes professionnels infirmiers. Ce phénomène s’est accentué avec la T2A qui a fait apparaître dans les tarifications de l’HAD les « pansements complexes », c’est à dire exactement même chose dans notre nomenclature, mais pas même prix ! La Chirurgie ambulatoire est un concept simple ; il faut y mettre dans certaines conditions de la coordination, mais ne complexifions pas trop. »