QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC? 349
En fêtant l’anniversaire avec du vin
«Un sac cho
Muriel Schaller*, Peter Vollenweider, Selin Tusgul*
Service de médecine interne, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, Lausanne; * Co-auteurs ayant participé en égale mesure à la rédaction de l’article
Présentation du cas
Ce patient de ans est retrouvé inconscient à terre
dans le sous-sol d’un bar. Sur site, les ambulanciers
notent un score de
Glasgow Coma Scale
(GCS) à en
raison d’une ouverture des yeux à la demande et de ré-
ponses incohérentes, le reste des paratres vitaux
ainsi que la glymie sont dans la norme.
A son arrie aux urgences, l’état du patient s’aggrave
rapidement: il est hypotherme à , °C, hypotendu à
/ mm Hg sytriquement aux deux membres
su rieurs, sature à% à l’air ambiant et présente
un GCS à (ouvre les yeux aux stimulis douloureux,
sons incompréhensibles et localise la douleur). Il est
par ailleurs normocarde à /minutes avec des pouls
palpables et symétriques, et eupnéique à /minutes.
Cliniquement, le patient est en surpoids, il n’y a pas
demarbrures, le temps de recoloration capillaire est
inrieur à  secondes, les extrémités sont bien per-
fues et un important fœtor alcoolique est mis en
évidence. Une hypo ventilation de la base pulmonaire
droite, une ab sence de turgescence jugulaire et
d’œdèmes des mem bres inférieurs, une dermabrasion
frontale gauche et un érytme maculaire non urtica-
rien du tronc et des bras sont reles au status. Un exa-
men neuro logique basique montre des pupilles iso-
cores isoréactives, l’absence de méningisme, pas
d’évidence de latéralisation et un exe cutané plan-
taire enexion desdeux s. Le reste de l’examen cli-
nique est non contributif.
Le patient vit seul et n’a pas de famille proche. Il a é
hospitalisé dans notre hôpitalans auparavant pour
un épisode d’éthylisation aig sans complications.
Question 1: Quel traitement d’urgence vous semble
le plus approprié?
a) Administration de naloxone et/ou flumazénil
b) Administration d’amines
c) Réanimation liquidienne
d) Antibiothérapie à large spectre
e) Corticothérapie
Un remplissage vasculaire par NaCl,% est init, la
tension arrielle s’aliore à /mm Hg. L’introduc-
tion d’amines ne nous semble pas à ce stade justiée.
L’administration de% d’oxygène permet de remon-
ter sa saturation artérielle à %. Sa fréquence respira-
toire reste à /minutes. Une gazométrie arrielle met
en évidence une acidose taboliqueavec lactatémie
(tab. ).
Le patient ayant des pupilles isocores isoréactives et ne
présentant pas de stigmates physiques d’utilisation de
produits toxiques, une intoxication mixte avec une
substance illicite et prise d’éthanol est jue impro-
bable. Les antidotes de type
naloxone
ou de
umazénil
ne sont pas administs.
L’éventualité d’un choc septique est évoquée, le patient
remplit actuellement uniquement un crire de SIRS
(systemic inammatory response syndrome)
: l’hypo-
thermie. Néanmoins à ce stade, la présence d’une leu-
cocytose n’est pas connue. Si cette dernière est p-
sente chez un patient présentant une hypo ventilation
basale droite pouvant faire soupçonner un foyer pul-
monaire, il présente alors les critères d’un sepsis -
re, voire d’un choc septique débutant en raison d’une
tension arrielle systolique basse. Dans l’attente des
sultats de la prise de sang et le patient pondant au
Tableau 1: Gazotrie artérielle.
valeur à l’admission contrôle à 1heure contrôle norme
pH 7,29 7,27 7,32 7,35–7,45
HCO319mmol/l17mmol/l18mmol/l22–26 mmol/l
pO245mm Hg69mm71mm Hg73–103 mm Hg
pCO240mm Hg38mm Hg35mm Hg35–45 mm Hg
carboxyhémo globine0,8%0–0,8%
hémoglobine134g/l 127g/l 136g/l 133–177 g/l
glycémie 9,2mmol/l3,7–5,6 mmol/l
potassium 3,9mmol/l3,5–4,6 mmol/l
calcium ionisé 1,14mmol/l
lactates 2,3mmol/l2,1mmol/l1,7mmol/l0,63–2,0 mmol/l
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remplissage initial, il est ci de ne pas introduire
d’antibiothérapie pour le moment.
Un choc anaphylactique est évoqué, mais pas retenu.
Présence d’un érytme disparaissant à la vitropres-
sion sur les bras et le torse, ne touchant pas les autres
parties du corps et ne semblant pas progresser. Le
patie nt nécessite certes une oxygénothérapie impor-
tante, mais avec de bons bruits transmis sytrique-
ment à l’auscultation pulmonaire et sans évidence de
bronchospasmes. En raison d’une suspicion faible, il
est ci de ne pas donner de corticothérapie ni d’anti-
histaminique intraveineux.
Question 2: Lequel des diagnostics suivants vous semble
le plus probable à ce stade?
a) Choc septique
b) Choc hémorragique
c) Choc cardiogénique
d) Accident vasculaire cérébral
e) Intoxication alcoolique
Le choc septique, comme expliqué ci-dessus, fait partie
du diagnostic diérentiel à évoquer à ce stade.
Le patient psente un trouble de l’état de conscience se
jorant, une dermabrasion frontale et l’absence de
visualisation d’une éventuelle chute par témoin dans
le bar. Le status neurologique ne montre pas de signes
focaux, anmoins le diagnostic d’une atteinte -
brale doit faire partie du diagnostic diérentiel. Une
morragie intracrânienne ne psente qu’une faible
perte de volume circulant et n’explique pas une hypo-
tension arrielle systolique, dans les cas d’atteinte -
brale primaire, la tension artérielle s’élève souvent et
la fquence cardiaque s’abaisse.
Le patient ne présente pas de signes cliniques pour un
choc hémorragique. D’un point de vue hémodyna-
mique, l’absence de tachycardie réexe pourrait être
expliquée par la prise d’un traitement bêta-bloquant,
le taux normal d’hémoglobine initial ne permet pas
d’exclure une morragie, anmoins l’hypotension
est un indicateur tardif du choc hémorragique et té-
moigne d’une perte de plus de –% du volume san-
guin, qui serait déjà visible sur l’hémogramme initial.
Pour ce qui est du choc cardionique, il n’est pas re-
trou de signes de compensation cardiaque: pas
d’œdèmes des membres inférieurs, pas de turgescence
jugulaire et pas de les pulmonaires. Ce diagnostic
n’est pas retenu.
Le status reste inchan. Les tensions arrielles se
stabilisent entre  et mm Hg de tension arrielle
systolique après litre de remplissage au total, la satu-
ration remonte à % sous litres d’oxyne, le reste
des paratres vitaux restent comparables. Après la
pose d’une sonde urinaire, la diurèse horaire est à envi-
ron cc/heure. Le contle gazométrique arriel à
heure est presenté dans le tableau. La radiographie
de thorax eecte au lit du patient se révèle sans par-
ticulari.
Les sultats de la prise de sang sont à disposition. Il n’y
a pas de troubles électrolytiques; la troponine hs et la
créatinine kinase sont dans la norme, de même que les
tests patiques, les tests pancatiqueset l’INR; la c-ré-
active proine (CRP) est inférieure à mg/l (n: <mg/l),
les leucocytes à ,G/l (n: –), l’hémoglobine à g/l
(n:–) et les thrombocytes àG/l (n:–).
Présence d’une alcoomie quantiée à mmol/l
(,‰) et d’une créatinine à µmol/l (n:–) avec
une urée à ,mmol/l (n:,–,). Le stix urinaire est sans
particularité hormis des corps cétoniques positifs.
L’un des diagnostics les plus probables semble être
l’intoxication à l’éthanol. L’hypotension peut être le ré-
sultat d’une vasodilatation périprique induite par
l’éthanol et l’acidose le sultat d’une acido-cétose al-
coolique.
Question 3: Quel examen paraclinique vous semble
le moins pertinent?
a) Scanner cérébral
b) Electrocardiogramme (ECG)
c) D-dires
d) Echographie FAST (échographie d’évaluation urgente)
e) Ponction lombaire
Un ECG montre un rythme sinusal gulier à/min,
un complexe QRS limite à ms, par contre une image
de bloc de branche droit (BBD) nouveau par rapport au
comparatif de  et un hémibloc anrieur gauche
connu et des troubles de la repolarisation du seg-
ment ST dans tous les territoires. Une embolie pulmo-
naire massive est évoquée, pouvant expliquer l’insta-
bili hémodynamique, la désaturation soudaine et le
BBD nouveau, le dosage des D-dires est inférieur
à  ng/ml, rendant peu probable ce diagnostic. Le
scanner cervico-cérébral natif ne montre pas de saigne-
ment intra-parenchymateux, pas d’eet de masse
etpas de sions traumatiques osseuses. A ce stade, une
échographie FAST semble peu indiquée, en eet la
clini que ne met pas en évidence de signes inquiétant
quant au thorax ou à l’abdomen, la radiographie tho-
racique a pu raisonnablement exclure un important
épanchement pleural et à ce stade, un choc cardio-
nique n’est pas retenu.
Une ponction lombaire semble prématurée, le patient
ne présentant pas d’état brile, pas de signes focaux, ni
de méningisme.
Aps ,litre de remplissage intravasculaire, les ten-
sions arrielles du patient se maintiennent entre
etmm Hg de systole. La saturation se maintient à
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% à l’air ambiant avec le reste des paramètres dans la
norme. Le patient reprend un état de conscience normal
avec un GSC à. Une nouvelle gazotrie artérielle a
été faite (tab.).
Question 4: A ce stade, la démarche qui vous semble
la plus pertinente?
a) Reprise de l’anamnèse
b) Status neurologique complet
c) Nouvel ECG
d) Echocardiographie
e) Coronarographie
L’anamnèse est prioritaire à ce stade. Le patient n’a au-
cune plainte, il n’est pas connu pour des antécédents
notables. Il vit seul, est divorcé et a une lle avec qui il
n’a plus de contact. Il a présen des ies suicidaires
ces derniers mois, sans intention de passage à l’acte.
Ilest suivi par un spécialiste en addiction et alcoologie
en ambulatoire qui lui a prescrit un traitement de
disulram (Antabu). Ce soir, ilêtait son anniversaire
et a reconsommé de l’alcool (environ litre de vin). Le
patient ne peut dire s’il prend d’autres médicaments à
ce stade, notamment un éventuel béta-bloquantpou-
vant expliquer le manque de tachycardie réexe.
Quand l’état du patient le permet, un complément de
l’examen clinique, notamment neurologique, doit être
obtenu. Celui-ci est dans la norme chez le patient.
D’un point de vue cardiaque, au vu de l’amélioration
hémodynamique, un électrocardiogramme de contrôle
peut être refait. Par contre, en l’absence de clinique,
signes de compensation cardiaque, d’évation des
enzymes cardiaques, l’échocardiographie et la corona-
rographie semblent peu indiquées. Les électrocardio-
grammes ultérieurs restent superposables.
Une action dicamenteuse du disulram (Anta-
bu) à l’alcool est retenue comme diagnosticnal.
Discussion
Le disulram (tetraethylthiuram disulde) ou Antabu
est utilisé depuis les années  pour le traitement de
la dépendance alcoolique. L’ingestion concomitante de
disulram et d’alcool provoque une action appelée
Disulram Ethanol Reaction (DER) ou Acetaldehyde syn-
drome
. Cette action provoque les symptômes suivants:
érytme cutané, sudations, tremor, nausées, vomis-
sements, tachycardie, hypotension arrielle, dyspnée,
confusion, céphaes et possiblement agitation []. Ces
symptômes sont dans la majori des cas auto-réso-
lutifs et ont pour but d’induire un comportement d’évi-
tement de la consommation d’alcool par les patients
trais qui sont avertis de cette réaction et qui l’ont
également parfois exrimentée. Mais des cas sévères
d’hypotension, d’infarctus du myocarde (STEMI et NS-
TEMI), d’hémorragie cérébrale, d’AIT ou d’AVC, de convul-
sion, de bronchospasmes et même de décès ont é
crits [, , ].
Le disulram inhibe fortement et de façon irréversible
l’acétalhyde déshydrogénase qui est responsable de
la dégradation de l’acétalhyde (g.). L’hypotension
arrielle est caue principalement par une vasodila-
tation secondaire à la libération d’histamine qui suit
l’accumulation d’acétalhyde et à la relaxation des
muscles lisses dans la paroi des vaisseaux due à l’acé-
taldéhyde.
De plus, le diéthyldithiocarbamate, qui est un méta-
bolite du disulram, abolit la ponse adrénergique
eninhibant la dopamine β-hydroxylase, l’enzyme qui
convertit la dopamine en noradrénaline, ce qui pro-
voque une déption en noradnaline (g.). Voi pour-
quoi l’administration d’adrénaline ou de noradrénaline
est le traitement de choix de l’hypotension dans cette
situation. L’administration d’antihistaminiques aaussi
été crite, mais surtout an de contrer le ush cutané.
La sévérité et la due de la action pend de la quan-
tid’alcool consommée, de la dose et de la due du
traitement de disulram ainsi que de la sensibili in-
Figure 1: tabolisme hépatique de l’alcool (éthanol). Le disulfiram inhibe de fon
irversible l’acétaldéhyde déshydrogénase qui est responsable de la dégradation
de l’ataldéhyde. Le fomépizole, un inhibiteur de l’alcool déshydrogénase, bloque
l’oxydation initiale d’éthanol en ataldéhyde.
Ethanol
CH3CH2OH
Acétalhyde
CH3CHO
Acétate
CH3COO
Alcool déshydrogénase Fopizole
Disulfiram
Aldéhyde déshydrogénase
Figure 2: Métabolisme de la dopamine. Le dthyldithiocarbamate, qui est un métabolite
du disulfiram, inhibe la dopamine β-hydroxylase qui convertit la dopamine en noradré-
naline.
Dopamine
Noradrénaline
Adnaline
Dopamine β-hydroxylase
Diéthyldithiocarbamate
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QUEL EST VOTRE DIAGNOSTIC? 352
dividuelle du patient []. Les symptômes apparaissent
–minutes après l’ingestion d’alcool et leur due
persiste aussi longtemps que l’alcool est taboli. Il
est important de connaître que le disulram agit dans
l’heure et son action dure jusqu’à deux semaines après
la dernière prise.
Des modications ECG réversibles sont fréquentes du-
rant les réactions disulram-alcool. Il s’agit habituelle-
ment de QTc long et de sus/sous-décalages du segment
ST. Mais des réactions sévères telles des arythmies et
des arrêts cardiaques ont été crites. Dans notre cas,
le bloc de branche droit semble de découverte fortuite.
Les infarctus du myocarde (STEMI et NSTEMI) secon-
daires à la action disulram-alcool sont attribués
auvasospasme coronarien induit par l’accumulation
d’acétalhyde et à l’hypotension sysmique. Une
toxici mitochondriale spécique due à l’accumula-
tion d’acétalhyde peut induire une acidose lactique
et une dysfonction myocardique transitoires.
La toxicité des métabolites à fonction alhyde peut
également s’exercer sur le sysme nerveux central par
une dépression du centre respiratoire, ce qui pourrait
expliquer la fréquence respiratoire normale malg
l’acidose dans le cas de notre patient. Curieusement la
fréquence cardiaque de notre patient reste dans la
norme, nous n’avons pas connaissance qu’il ait pris un
traitement de bêta-bloquant pouvant expliquer ce fait.
Les autres eets secondaires décrits du disulram
comprennent: patites, psychoses, neuropathie. Les
patites fulminantes sont une complication poten-
tiellement fatale et les patients avec une atteinte hépa-
tique préexistante sont particulièrement à risque.
Le fomépizole, un inhibiteur de l’alcool déshydrogénase,
a également été crit comme traitement des actions
sévères car il bloque l’oxydation initiale d’éthanol en
acétalhyde et bloque ainsi la progression de la ac-
tion (g.).
Conclusion
Cette vignette clinique montre que le disulram doit
être utili avec prudence dans les cas de dépendance
alcoolique chez les patients non compliants. Il n’a pas
été mont que ce traitement change le devenir à
long terme des patients alcooliques, mais psente seu-
lement un ce dans le traitement à court terme et
doit être utilisé avec d’autres approches psychosociales,
ainsi qu’un suivi rapprocmultidisciplinaire.
Il est important d’évoquer cette réaction chez un patient
alcoolique chronique qui se présente aux urgences
avec des symptômes de choc (hypotension, tachycardie)
en sachant qu’elle peut provoquer des signes d’atteinte
majeur d’organes vitaux tels un infarctus de myocarde
ou un AVC.
Disclosure statement
Les auteurs n’ont pas déclarés des obligations nancières ou per-
sonnelles en rapport avec l’article soumis.
Références
Ellenhorn MJ. Disulram. Ellenhorh’s Medical Toxicology. Vol.
Lippincott William and Wilkins ;–.
Moreels S, Neyrinck A, Desmet W. Intractable hypotension
andmyocardial ischaemia induced by co-ingestion of ethanol and
disulram. Acta Cardiol. ;():–.
Milne H, Parke T. Hypotension and ST depression as a result of
disulram ethanol reaction. Lippincott William and Wilkins .
Prancheva M, Krasteva S, Tuova S, Karaivanova T, Nizamova V,
Iliev Y. Severe hypotension and ischemic stroke aer disulram-
ethanol reaction. Folia Medica ;():–.
Diaz-Alcala JE. Toxicity, disulram.
http://emedicine.com
Correspondance:
Selin Tusgul
Service de médecine interne
CHUV
CH- Lausanne
selin.tusgul[at]chuv.ch
ponses aux questions
Question 1: c. Question 2: e. Question 3: e. Question 4: a.
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