PARCOURS DE SOINS DR Dossier coordonné par Brigitte Némirovsky Conseiller scientifique Pr Michel Krempf Hôpital Nord Laennec Nantes Surpoids et obésité de l’adulte recours Pr Michel Krempf 1 2 3 3 191. Premier recours : les missions du médecin généraliste Dr Philippe Zerr 197. Le deuxième recours : élément charnière de la filière de soins régionale Dr Ana Estrade, Pr Patrick Ritz 201. Troisième recours : des centres spécialisés organisant aussi la filière de soins* tome 136 | n° 3 | MARS 2014 203. Les étapes de la prise en charge intra-muros dans un centre spécialisé de l’obésité* 213. Étape « suivi sur le long terme au sortir de l’hôpital »* * Pr Olivier Ziegler, Dr Marie-Aude Sirveaux, Dr Pierrette Witkowski, Dr Nicolas Reibel, Pr Laurent Brunaud, Pr Didier Quilliot { recours recours { 190. Le plan d’action n’attend plus que davantage de cohésion suite L’interactivité des trois niveaux de recours est essentielle 216. Les multiples facettes de l’activité physique Entretien avec le Pr Chantal Simon 218. Les troubles du comportement alimentaire au premier plan Entretien avec le Dr Bernard Waysfeld 220. Exploiter tout le potentiel des NTIC Entretien avec le Pr Monique Romon Tous droits reservés - Le Concours médical LE CONCOURS MéDICAL | 189 { PARCOURS DE SOINS Surpoids et obésité de l’adulte Le plan d’action n’attend plus que davantage de cohésion Pr Michel Krempf ([email protected]), service d’endocrinologie, maladies métaboliques et nutrition, hôpital Nord Laennec, Nantes L’obésité est une maladie complexe, multifactorielle, dont la fréquence croît de manière inquiétante, avec son cortège de comorbidités. La recherche et les sciences fondamentales ont beaucoup progressé pour mieux comprendre l’origine de cette maladie, mais il reste encore beaucoup à faire avant d’observer leur impact sur la prévention et le soin. Nos anciens outils, la diététique, l’activité physique et l’accompagnement comportemental, restent toujours d’actualité, mais ils peuvent et doivent être mieux employés. L L’auteur déclare des liens d’intérêts avec BMS, MSD, Astra Zeneca, Sanofi. 190 | LE CONCOURS MéDICAL e schéma d’organisation du soin qui se met en place aujourd’hui s’articule sur trois niveaux de recours décrits dans ce dossier, mais n’oublions pas que la prévention du surpoids reste le meilleur des traitements. Cet objectif de prévention, véritable enjeu sociétal, doit s’organiser à partir des agences régionales de santé et des collectivités territoriales, impliquant plus de partenaires de terrain et de politiques que de médecins. Certaines régions ont entrepris ce travail, et il est aussi de notre responsabilité médicale d’identifier ces actions et de les promouvoir auprès des patients qui pourraient en bénéficier. • Quand la pathologie est installée, le médecin de premier recours est sollicité. Son rôle est bien décrit dans les recommandations récemment produites par la Haute Autorité de santé, mais n’oublions pas de tenir compte de l’environnement des patients : l’implication de la famille, la mise en contact avec des associations de patients, l’identification de recours pour l’activité physique font partie intégrante du soin. • En cas d’échec pour des objectifs réalistes, le deuxième recours doit être sollicité : ses missions sont claires, mais les moyens nécessaires doivent être mieux identifiés ou installés dans beaucoup de régions. L’articulation public/privé, l’ouverture de centres de moyen séjour spécialisés (SSR) seront probablement un élément important du succès en permettant d’élargir l’offre et les circuits pertinents. Ce deuxième niveau ne doit pas être considéré comme un élément cloisonné, mais s’insérer, comme le troisième recours d’ailleurs, dans une continuité des soins en impliquant tous les acteurs concernés. Cette articulation n’est probablement pas facile à réaliser ; telle était la vocation des réseaux de soins, mais leur efficacité n’est plus reconnue par beaucoup de tutelles. Des modèles plus simples et moins contraignants pourraient prendre le relais en s’adaptant aux conditions et aux potentiels locaux pour lesquels l’échelle régionale représente probablement le bon maillage. La fluidité de l’information pour l’accompagnement des patients est également un enjeu important auquel les nouveaux médias peuvent contribuer. La télémédecine et ses dérivés vont représenter une avancée majeure en multipliant les contacts avec les patients dont il n’est plus à prouver que l’accompagnement est un facteur clé du succès. L’organisation de coopérations interprofessionnelles impliquant fortement le personnel paramédical dans des missions dépassant le cadre légal actuel pourrait être également une stratégie de renforcement de l’accompagnement et faire face à l’ampleur de la demande. • Le troisième recours, très centré aujourd’hui sur la chirurgie bariatrique, va évoluer à partir de la création des centres spécialisés de l’obésité pour organiser les filières de soins chirurgicales ou médicales et étendre son activité aux cas complexes ou réfractaires. Ces centres font appel aux techniques modernes et adaptées d’exploration et aux traitements novateurs dans le cadre d’essais thérapeutiques ou de médicaments plus anciens, dont les indications pourraient être repensées et restaurées dans une perspective personnalisée. Les programmes d’éducation thérapeutique issus de ces centres devront impliquer l’ensemble des acteurs et représentent le lien principal entre les différents niveaux de recours. Un autre facteur de cohésion, avec la formation continue (DPC), sera l’organisation d’une recherche clinique. L’essai thérapeutique n’est en effet pas seulement un facteur de progrès mais aussi un vecteur de la qualité des soins et de l’amélioration de la qualité de vie des patients. Le plan d’action est donc clair, et son organisation est en route pour que chacun y trouve sa juste place, dans un souci d’efficacité pour les patients et d’épargne de notre précieux temps médical. • Tous droits reservés - Le Concours médical tome 136 | n° 3 | mars 2014 recours 1 Surpoids et obésité de l’adulte Premier recours : les missions du médecin généraliste Dr Philippe Zerr ([email protected]), médecin généraliste, Levallois-Perret, maître de conférences associé à l’université Paris-Diderot, département de médecine générale, université Paris-Diderot, Sorbonne-Paris-Cité Environ 32 % des Français présentent un surpoids et 15 % sont atteints d’obésité. Ces patients en excès de poids (surpoids ou obésité), qui représentent environ la moitié des patients d’un médecin généraliste, le consultent cependant rarement pour ce motif. Pourtant, dans le parcours de soins, le médecin généraliste, médecin du premier recours, est souvent le médecin traitant. Le médecin traitant peut, grâce à l’approche globale(1), s’intéresser à un problème que le patient n’exprime pas forcément. C’est notamment le cas des patients en excès de poids. D’autres acteurs de santé, médecins du travail, pharmaciens, etc., peuvent encourager les patients à aller vers les soins primaires. La récente recommandation de la HAS (Surpoids et obésité de l’adulte : prise en charge médicale de premiers recours. Recommandation pour la pratique clinique, publiée par la Haute Autorité de santé en septembre 2011)(2) représente un guide pratique. P ourquoi repérer l’excès de poids ? Comment repérer et quantifier l’excès de poids, puis proposer et expliquer les objectifs et une prise en charge adaptée ? Comment évaluer le retentissement de l’excès de poids ? Comment aider efficacement le patient atteint d’obésité sur le long terme ? Ces questions pratiques intéressent le médecin généraliste pour les patients dont il est le médecin traitant. Pourquoi repérer l’excès de poids ? Le médecin traitant doit permettre au patient de bénéficier le plus rapidement possible d’une prise en charge efficiente au vu des risques encourus à plus ou moins long terme du fait de l’excès de poids : – d’abord ne pas nuire. Le patient présentant un surpoids (indice de masse corporelle [IMC] entre 25 et 29,9 kg/m2) souhaite souvent maigrir et « faire un régime », alors qu’une telle attitude risque de l’entraîner vers l’obésité. Le conseil de ne pas maigrir est alors important. Et il faut être particulièrement attentif pour la tranche d’âge 25-34 ans (homme ou femme), car ces personnes, souvent en surpoids, souhaitent modifier leur poids à mauvais escient ; – ensuite, ne pas sous-estimer l’aide que peut apporter le médecin généraliste. Le patient atteint d’obésité (IMC ≥ 30 kg/m2) doit bénéficier d’une prise en charge spécifique, avec l’aide de son médecin traitant, adaptée à son cas et sur le long terme. Au minimum, le médecin traitant est le coordinateur des soins. tome 136 | n° 3 | mars 2014 Des données, pour la plupart issues d’études de cohortes prospectives ou de méta-analyses de ces études, reprises dans l’argumentaire de la Recommandation pour la pratique clinique sur la prise en charge médicale de premiers recours du surpoids et de l’obésité de l’adulte(2), montrent que les personnes en excès de poids sont plus susceptibles de présenter un certain nombre de maladies et de problèmes de santé (encadré 1). En particulier, il faut souligner l’intérêt de la perte de poids chez des personnes avec obésité pour réduire les comorbidités associées (encadré 2, p. 192 ) Par ailleurs, les personnes ayant une obésité ont souvent une qualité de vie médiocre, dont le niveau 1. Excès de poids et association à des comorbidités • Troubles respiratoires du sommeil • Diabète de type 2 • Dépression • Maladies cardiovasculaires • Hépatopathie non alcoolique • Cancer (œsophage, pancréas, côlon-rectum, sein, endomètre, rein) • Maladie rénale • Arthrose • Incontinence urinaire • Lithiase vésiculaire, • Troubles de la reproduction reflux gastro-œsophagien (niveau de preuve 2) • Asthme L a mortalité totale des adultes apparaît comme une fonction de leur corpulence représentée par une courbe en forme de J. La mortalité est nettement augmentée pour un IMC < 18,5 kg/m2 ou ≥ 30 kg/m2 (niveau de preuve 2) Tous droits reservés - Le Concours médical LE CONCOURS MéDICAL | 191 1 2 3 { PARCOURS DE SOINS Surpoids et obésité de l’adulte 2. Effets d’une perte de poids sur les comorbidités Une perte de poids de 5 à 10 % maintenue : – améliore le profil glucidique et lipidique ; – diminue le risque d’apparition du diabète de type 2 ; – réduit le handicap lié à l’arthrose ; – réduit la mortalité toutes causes confondues, la mortalité par cancer et la mortalité par diabète dans certains groupes de patients ; – diminue la pression artérielle ; – améliore les capacités respiratoires des patients avec ou sans asthme est comparable à celui des personnes atteintes d’un cancer ou gravement handicapées. L’obésité peut également être associée à plus d’absentéisme professionnel ou de handicaps. La personne en surpoids ou ayant une obésité doit faire face à une stigmatisation croissante à tous les échelons de la société. Ces stigmatisations récurrentes, parfois inconscientes, accroissent la désocialisation et isolent de plus en plus tôt. La stigmatisation repose sur un inconscient collectif qui présuppose que la personne en surpoids ou ayant une obésité est moins intelligente, manque de volonté, est incapable de se contrôler. Cet effet a des conséquences économiques notables. Une étude réalisée sur la population active canadienne, à partir de données d’enquêtes nationales, a montré qu’il existait une relation entre l’obésité et un niveau élevé de stress au travail, du fait de plus fortes tensions et contraintes au travail. Ces personnes ayant une obésité recevaient par ailleurs un moins bon soutien de la part de leurs collègues(2). Dès cette étape du repérage, le médecin traitant peut évaluer l’impact des retentissements de l’excès de poids et prendre en compte les préoccu- Figure. Mesure du tour de taille Elle s’effectue à mi-distance entre le bord inférieur de la dernière côte palpable et le sommet de la crête iliaque, avec un mètre ruban placé à l’horizontale, à la fin d’une expiration normale. D’après la Belgian Association for the Study of Obesity (BASO), 2002. Tour de taille (cm) DR Bas 192 | LE CONCOURS MéDICAL Haut Hommes < 94 Hommes ≥ 94 Femmes < 80 Femmes ≥ 80 pations du patient liées à l’image corporelle, l’estime de soi et la représentation de la maladie. D’emblée, il convient de mettre en garde le patient contre les régimes successifs, à l’origine de fluctuations de poids qui peuvent être dangereuses pour la santé, et contre l’utilisation des traitements médicamenteux. Repérer et quantifier l’excès de poids, proposer et expliquer les objectifs et la prise en charge adaptée Pour repérer l’excès de poids, il faut avoir équipé son cabinet d’une toise, d’une balance, si possible pesant jusqu’à 150 kg, et d’un mètreruban pour mesurer le tour de taille. Afin d’accueillir des patients atteints d’obésité, le mieux est d’avoir prévu, y compris dans la salle d’attente, des sièges adaptés, larges et solides, de posséder un brassard tensionnel utilisable pour les gros bras et une table d’examen supportant le poids d’un patient atteint d’obésité importante. Le diagnostic d’excès de poids repose sur l’indice de masse corporelle (poids divisé par la taille au carré [IMC en kg/m2]). Il faut systématiquement calculer l’IMC lors la première consultation, quel que soit le motif avancé par le patient (et donc le peser et le mesurer). C’est le seul moyen pour le médecin généraliste de diagnostiquer un surpoids ou une obésité chez son patient, la prise en charge étant différente selon la situation. Pour le suivi sur le long terme, l’IMC doit être inscrit dans le dossier. Un patient est en surpoids si son IMC est compris entre 25 et 29,9 kg/m2. Il est atteint d’obésité si son IMC est égal à au moins 30 kg/m2. En cas de surpoids (25 kg/m2 ≤ IMC < 30 kg/m2), il est nécessaire de mesurer le tour de taille du patient (figure), la valeur de ce paramètre conditionnant la prise en charge (tableau 1). Si le patient est en surpoids avec un tour de taille normal, c’est un surpoids simple. Son risque cardiovasculaire ou son risque de diabète de type 2 n’est pas augmenté ; il ne doit ni maigrir ni grossir, mais garder un poids stable (et un IMC stable) sans changer son mode de vie. Alors que s’il s’engage dans un régime, l’effet « yoyo » (amaigrissements et prises de poids successifs, qui peuvent se produire du fait de régimes récurrents), peut entraîner des fluctuations du poids vers l’obésité. Le patient doit rester stable sur le plan pondéral. Les objectifs pour ce patient vont être de prévenir une prise de poids supplémentaire et Tous droits reservés - Le Concours médical tome 136 | n° 3 | mars 2014