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crise. Par rapport au lieu commun d'après lequel Heidegger serait allé
plus loin que Husserl, nous ne voudrions surtout pas laisser croire un
seul instant que Patočka devrait être situé à mi-chemin! Comme chacun,
c'est lui qui va le plus loin, dans son sens !
Ainsi, pour Patočka, la crise dont souffre l'humanité européenne
n'est pas simplement une crise des sciences européennes, et si on ne doit
pas s'enfermer dans des présupposés intellectualistes ou idéalistes qui
envisageraient le drame moderne comme relevant d'abord d'un problème
théorique, c'est, plus profondément, parce que l’incapacité des sciences
objectives à comprendre la subjectivité, qui fait le noyau de la crise, doit
être recomprise en faisant l'économie de la subjectivité. La crise que
Patočka examine est une crise de la vie, qui affecte ce monde de la vie,
dont Husserl a établi l'importance primordiale, mais qu’il n’a pas réussi
à dégager en toute sa concrétude (5), peut-être faute d'avoir assez élucidé
la subjectivité. En effet, le monde de la vie, qui est le monde de l'attitude
naturelle, est pensé par la phénoménologie husserlienne à partir d'une
suspension de l'attitude naturelle, ce qui renvoie à une subjectivité
transcendantale, qui demeure plus radicale encore (6). C'est sur ce point
précis, croyons-nous, que Patočka s'explique avec Husserl (7). Si donc
Patočka se tourne vers la Grèce, ce n'est pas parce que cette terre est le
lieu de naissance de la rationalité et des méthodes qui en assureront le
déploiement, mais, plus largement et plus radicalement, c'est pour aller
plus loin que Husserl, selon un sens qui ne coïncide pas entièrement
avec l'activité de la conscience, parce que ce sol a vu apparaître la clarté
même dans laquelle nous vivons et questionnons, clarté qui ne saurait se
limiter à son déploiement subjectif. L'enjeu, ici, n'est pas tellement de
récuser une réduction du monde de la vie à la clarté théorique, réduction
qui ne se trouve en rien chez Husserl, mais de voir que ce que Patočka
oppose à Husserl, dans cette région d'apparition de la clarté, c'est sa
conjonction avec la détresse, indice de l'existence. Ce que révèle un
questionnement radical, c'est la source de la crise, comment sont
présents, au cœur de la clarté et de l'apparition, l'errance et la détresse.La
Grèce est alors comprise comme «un projet de vie» (8). Et s'il faut à
nouveau se tourner vers elle, c'est parce que cette vie, la nôtre, nous
plonge dans la détresse, parce que nous éprouvons que nous ne sommes