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Le traitement de l’insomnie – Les possibilités pharmacologiques et leurs limites.
Jean COSTENTIN
Membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie
RESUME
Les plaintes exprimées sur l’insuffisance du sommeil sont très au-delà de ce qui doit être considéré
comme une insomnie vraie, qui justifierait le recours à un hypnotique. Les hypnotiques disponibles
ont vu leur nombre se réduire notablement. De nombreuses structures cérébrales, de nombreux
médiateurs et leurs cepteurs, sont impliqués dans le sommeil. Les principaux hypnotiques actuels
(des benzodiazépines et les « 4 Z » : Zolpidem, Zopiclone, Eszopiclone, Zaleplon) agissent en
intensifiant la transmission GABAergique en agissant à proximité des récepteurs GABAA, sur des
éléments constitutifs du canal aux ions chlorure des membranes neuronales, accroissant la
conductance de ces ions qui, pénétrant dans ces neurones les hyperpolarise. Cette prééminence de
la transmission GABAergique ne doit pas occulter l’intervention de divers autres médiateurs et de
leurs récepteurs, qui constituent d’attrayantes pistes pour le développement de nouveaux
hypnotiques : l’histamine et ses cepteurs H1, la dopamine (D1 et D2), la noradrénaline (α1), la
sérotonine (5HT2), le glutamate (NMDA), l’acétylcholine (nicotiniques), l’hypocrétine (OX1 et
OX2), la mélatonine (MLT1 et MLT2), la prostaglandine E2 (EP) et la prostaglandine D2 (DP1), les
endocannabinoïdes (CB1). La connaissance des caractéristiques pharmacodynamiques,
pharmacocinétique et de pharmacologie clinique des hypnotiques actuels a permis d’élaborer une
sorte de « cahier des charges » de l’hypnotique idéal, vers lequel devraient tendre les molécules
innovantes à venir.
INTRODUCTION
L’adulte passe environ un tiers de sa vie (250.000 heures) à dormir, dont 20% de ce temps à
rêver (sommeil paradoxal). De la qualité et de la quantité de ce sommeil dépend la qualité de
l’éveil diurne et, partant, la disponibilité, avec une réactivité optimale, aux évènements de la
vie. Certes, les besoins individuels varient d’un individu à l’autre et, pour un même individu,
d’une période à une autre. Trop dormir réduit la période d’activité et peut constituer un
handicap avec des conséquences sociales. M. Jouvet [1] a imaginé que la consommation de
plantes à caféine, aux effets éveillants, aurait pu être déterminante pour la prééminence de
certains hominiens ; plus longtemps disponibles de ce fait pour concevoir, apprendre, bâtir,
surprendre leurs adversaires dans leur sommeil. Une mauvaise nuit est payée en retour d’une
sédation diurne, qui peut avoir des conséquences fatales sur la route. Il a été estimé que 30 %
des accidents de la circulation pourraient être reliés à un accès de sommeil [2]
Le recours à des hypnotiques ou à des agents facilitant le sommeil, pour n’être pas galvaudé,
doit s’appuyer sur des critères précis pour définir l’insomnie, tels ceux du DSM-IV. Ils
stipulent que le patient doit présenter au moins un trouble du sommeil tel : un
endormissement différé, des réveils spontanés, un réveil précoce / une réduction de la durée
totale du sommeil ; avec un retentissement sur le fonctionnement diurne, et ce au moins trois
fois par semaine, depuis au moins un mois. Avec ces critères, il est constaté dans la
population générale que si des plaintes portant sur le sommeil émanent de près de 70% des
individus, seuls 20% d’entre eux, à l’aune de ces critère, seraient effectivement des
insomniaques [3].
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Les hypnotiques ont été plus nombreux sur le marché qu’ils ne sont actuellement. Leur
toxicité a été, pour beaucoup d’entre eux, à l’origine de leur invalidation. Récemment [4],
l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a annoncé le retrait
du marché du Noctran® (association d’une benzodiazépine et de deux phénothiazines ; l’une
antagoniste des récepteurs D2 de la dopamine, et toutes deux antihistaminiques H1,
anticholinergiques muscariniques et adrénolytiques α1) et de la Mépronizine® (association
de méprobamate et d’une phénothiazine antihistaminique H1). Le constat fréquent d’abus,
avec installation d’une dépendance, incite à être plus avare de la prescription des hypnotiques
et à limiter la durée de ces traitements (4 semaines, incluant la période de réduction finale de
la posologie).
Parmi les hypnotiques du passé on citera divers uréides, certains à chaine ouverte (Adaline®,
Bromural®, Sédormid®), d’autres à chaine fermée ; certains barbituriques, d’autres étant
utilisés comme anesthésiques généraux. (le seul survivant, le phénobarbital, n’est plus utilisé
qu’à doses infra-hypnotiques, comme antiépileptique dans le grand mal) ; divers alcools
(Rectanol®, Dormisone®, N-Oblivon®) ; des carbamates (Merinax®, Valmid®) ; des
aldéhydes (l’hydrate de chloral, le chloralose α, le paraldéhyde) ; des dérivés pipéridiniques
(Doridéne®, Noludar®) ; des dérivés de la quinazolone (Toraflon®, Nubaréne®) ; des
phénothiazines antihistaminiques H1 (Dorévane®, Nuital® et le Nozinan®, qui ne survit que
comme neuroleptique sédatif). Les vertus sédatives de divers gétaux (valériane, tilleul,
lavande, aubépine, cimifuga, ballote, camomille, mélisse, passiflore, kawa-kawa,
eschscholtzia…) aux confins de l’effet placebo, conservent les faveurs de certains patients
[5]. Ces phytothérapies ne sont plus remboursées par la sécurité sociale.
Il ne sera question ici que des traitements symptomatiques de l’insomnie essentielle ; les
insomnies relevant de pathologies somatiques ou psychiatriques, ou encore d’origine iatreuse
doivent bénéficier d’une thérapeutique étiologique.
LES MEDIATEURS DU SOMMEIL ET LES STRUCTURES IMPLIQUEES
Les états d’éveil ou de sommeil sont la résultante d’influences contradictoires qui
s’exercent en faveur de chacun de ces états. Parmi les principales structures cérébrales
impliquées on peut mettre en exergue [6] :
Dans le tronc cérébral : la formation réticulée (point de départ de neurones
glutamatergiques), le noyau du raphé antérieur (origine de neurones
sérotonergiques), le locus cœruleus (origine de neurones noradrénergiques), les
noyaux mésopontins (origine de neurones cholinergiques).
Dans le diencéphale :
- l’hypothalamus, avec dans sa partie postérieure le tubercule
mammillaire (origine des neurones histaminergiques) ; et dans sa partie antérieure
l’aire préoptique (dont la destruction crée une insomnie durable, corrigée par
l’administration in situ du précurseur immédiat de la sérotonine) ; le noyau
suprachiasmatique, sorte d’horloge du rythme veille / sommeil au cours du nycthémère
- le thalamus et ses noyaux réticulaires, dont l’activité est
inhibée lors de l’éveil, sous l’influence d’afférences cholinergiques, histaminergiques,
noradrénergiques, sérotonergiques
Dans le télencéphale :
- le noyau basal de Meynert, (d’où partent des neurones cholinergiques
projetant sur le cortex) et l’hippocampe,
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- le cortex, tant dans ses régions supérieures que dans ses aires basales.
Ces structures sont reliées entre elles : - par une voie dorsale : réticulo-thalamo-corticale ; et
par une voie ventrale : réticulo-hypothalamo-corticale.
Le pharmacologue, à défaut de pouvoir cibler une structure cérébrale particulière, n’est pas
inféodé à ces aspects anatomiques. Par contre, sont déterminants pour ses actions les
neuromédiateurs et neuromodulateurs impliqués qui dans l’éveil, qui dans le sommeil, et plus
encore les types de récepteurs qu’ils mettent en jeu. Ces récepteurs correspondent aux cibles
pour lesquelles il va sélectionner des ligands, agonistes ou antagonistes, afin d’influer sur les
fonctions qu’ils contrôlent.
Quand certains de ces médiateurs développent des effets contradictoires, selon la structure
dans laquelle ils opèrent, s’ils agissent ce faisant par l’entremise de mêmes types de
récepteurs on ne pourra prendre appui sur ceux-ci pour manipuler une seule de ces fonctions.
Tableau I : Principales cibles biologiques affectant le sommeil
MEDIATEURS
RECEPTEURS
EVEIL (+) SOMMEIL (-)
Histamine
H 1
(+)
Dopamine
D1 D2
(+)
Noradrénaline
α1
(+)
Glutamate
NMDA
(+)
Acétylcholine
Nicotinique
(+)
Sérotonine
5HT2
(+)
Hypocrétine
Ox1 et Ox2
(+)
Mélatonine
MLT1 et MLT2
( - )
Prostaglandine E2
Prostaglandine D2
EP
DP1
(+)
( - )
Ac.GammaAminoButyrique
GABA A
( - )
Adénosine
A2a
( - )
HYPNOTIQUES INFLUANT SUR LA TRANSMISSION GABAERGIQUE
L’acide Gamma Amino Butyrique (GABA) est un médiateur ubiquiste, dont les effets
s’expriment par la stimulation de deux types de récepteurs : GABAA et GABAB.
Sa participation à la physiologie du sommeil implique essentiellement les récepteurs GABAA
qui, ainsi, sont la cible de la majorité des hypnotiques actuellement utilisés ; à savoir
certaines benzodiazépines et les « 4 Z » (zolpidem, zopiclone, zaleplon, eszopiclone). Les
différences d’actions, entre ces molécules sont quantitatives mais aussi qualitatives,
soulignant qu’elles n’affectent pas les mêmes sous-types (nombreux) des récepteurs
GABAA.
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Ce récepteur ionotrope constitue un canal pour les ions chlorure. Sa stimulation accroit leur
entrée dans les neurones porteurs de ces récepteurs, ce qui aboutit à l’hyperpolarisation de
leur membrane et à l’inhibition de leur activité électrique.
Le récepteur GABAA est constitué de 5 sous unités protéiques des types α, β, γ, δ, ε, π, θ, qui
circonscrivent le canal aux ions Cl-. On connait pour ces sous unités de nombreuses
isoformes e.g. α1, α2, α3, α4, α5, α6 ; γ1, γ2, γ3 ; ce qui aboutit à une
vingtaine de sous types de récepteurs GABAA [7], diversement exprimés par différents types
neuronaux et desservant des fonctions différentes dans des structures cérébrales différentes.
Ces récepteurs sont composés de 2 sous unités α, 2 sous unités β et 1 sous unité γ.
Le site de liaison des benzodiazépines se situe à l’union des sous unités γ2 et α1 (ou 2 ou 3
ou 5).
La liaison n’ouvre le canal aux Cl- que pour autant que deux molécules de GABA occupent
leurs propres sites de liaison (situés sur les sous unité β).
L’association α1- β2 γ2 est trouvée dans la plupart des aires cérébrales, associée
particulièrement à des interneurones de l’hippocampe, du cortex, des cellules de Purkinje du
cervelet.
A la sous unité α1 : un effet sédatif / hypnotique
des effets amnésiants
un potentiel addictif
un effet anticonvulsivant
A la sous unité α2 sont associés ; une anxiolyse
une myorelaxation
un effet antihyperalgésique
α3 un effet anticonvulsivant
une myorelaxation
un effet antihyperalgésique
α5 une ataxie
des troubles cognitifs [8]
Les benzodiazépines hypnotiques (triazolam, témazepam.) n’ont pas de spécificité marquée
pour une isoforme et de ce fait recrutent, à des degrés divers, les différents effets précités.
Leur choix tient à leur action développée sous leur forme native (ce ne sont donc pas des
promédicaments), à leur demi-vie brève, à leur affinité prédominante pour les récepteurs
GABAA ayant une sous unité α1.
Les «4 Z» (Zolpidem, Zopiclone; Zaleplon, Eszopiclone) ont une assez bonne spécificité
pour les récepteurs GABAA ayant une sous unité α1
Ils sont hypnotiques et amnésiants mais n’ont pas d’effet anxiolytique, myorelaxant, ni
ataxiant.
Le Gamma hydroxy butyrate sodique = Oxybat® = γOH
Formule chimique : HO-CH2-CH2-CH2-COO-. Na+. C’.est un métabolite du GABA (dans
lequel la fonction amine - NH2 est remplacée par une fonction alcool -OH). Ce γOH pourrait
être un neuromédiateur à part entière [9]; il est présent dans différentes aires cérébrales, au
sein de vésicules neuronales, d’où il est libéré par dépolarisation. Il peut être recapturé par les
boutons synaptiques qui l’ont libéré. Il se lie aux récepteurs GABA-B, ainsi qu’à d’autres
récepteurs qui lui seraient propres. Son administration systémique à doses très élevées
(supérieures à 5 g) induit un sommeil privilégiant les stades III et IV du sommeil à ondes
lentes (phase la plus réparatrice de celui-ci. Il inhibe la libération de dopamine, suivie d’un
accès de libération en toute fin d’effet du γOH. Ce phénomène pourrait expliquer des usages
abusifs, ayant justifié son classement comme stupéfiant en 1999. Il a une A.M.M.
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européenne (2005) pour le traitement des patients narcoleptiques. Il est actif sur : les attaques
de cataplexie, les accès d’endormissement diurnes et les perturbations du sommeil nocturne.
Il a un effet dépresseur ventilatoire avec coma en cas de surdoses ; Il fait l’objet de
détournement comme agent de soumission chimique.
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