Source : Agence Europe 23 April 2014
Bibliothèque européenne N° 1045
*** CHRISTOPHE DEGRYSE (sous la dir. de) : 1973-2013 : 40 ans d’histoire de la
Confédération européenne des syndicats. Institut syndical européen (5 bd du Roi
Albert II, B-1210 Bruxelles. Tél. : (32-2) 2240470 fax : 2240502 Courriel :
[email protected] Internet : www.etui.org). 2013, 251 p., 25 €. ISBN 978-2-87452-
303-8.
Resté journaliste dans l’âme, Christophe Degryse a bénéficié du soutien
de Pierre Rilly et des avis et souvenirs éclairés d’anciens acteurs de premier plan tels
qu’Emilio Gabaglio, Jean Lapeyre ou John Monks pour raconter de manière vivante et
fiable l’histoire longue de quarante ans de la Confédération européenne des syndicats. Ce
regard rétrospectif sur le chemin parcouru par le monde syndical européen et par
l’Europe, sous l’impulsion de ce dernier ou parce qu’elle n’a pas assez écouté celui-ci… –
dévoile, sur la base d’une approche à la fois scientifique et politique, une logique d’action
et le fil conducteur d’une histoire improbable qui, faite de succès et d’échecs, reste
porteuse d’une promesse : en ces temps de « délégitimation de l’action collective », une
structure pluraliste (on trouve en son sein des organisations d’inspiration sociale-
démocrate, communiste et sociale-chrétienne) représentant plus de 16% de toutes les
personnes actives dans l’Union, réunissant quatre-vingt-cinq organisations membres, dix
fédérations syndicales sectorielles et, en tout, la bagatelle de 45 millions d’affiliés, reste
plus que jamais déterminée à poursuivre le combat pour « éviter la discordance d’une
structure de société dans laquelle l’économie serait par nature transnationale, la
politique nationale ou régionale, et le monde du travail confiné à l’entreprise ».
Le crédo de ce livre, c’est donc, sans surprise, que le syndicalisme
européen est tout sauf une « relique du passé ». La crise qui n’en finit plus de frapper de
trop nombreux citoyens des pays membres de l’Union ne va pas sans avoir tendance à
accréditer ce point de vue. Pour autant, la vie du mouvement syndical européen a tout été
sauf un long fleuve tranquille, et rien ne permet d’augurer qu’il en ira autrement à
l’avenir. En tout cas, dès le premier chapitre, l’auteur ne cache pas toute la difficulté qu’il
y a eu à créer une organisation régionale européenne qui transcende les clivages
idéologiques de l’après-Seconde Guerre mondiale. Christophe Degryse raconte ensuite le
travail d’élaboration d’une « doctrine sociale communautaire » et décrit quarante années
de « combats syndicaux européens » à travers l’évolution des revendications de la
Confédération, ses congrès et les relations qu’elle a nouées avec les institutions
européennes. Il présente aussi le fonctionnement de la CES, passant en revue ses rouages,
ses acteurs, ses capacités de décision et d’actions, son élargissement aussi au gré des
élargissements successifs de l’Union. Cinq autres chapitres sont consacrés à la description
des orientations politiques de l’organisation à la lumière de son action comme « acteur du
dialogue social européen » dans ses phases pour le moins contrastées (et avec des
résultats mitigés, même s’ils ont tous contribué à améliorer la vie quotidienne des
travailleurs), de ses réflexions en vue d’élaborer « sa propre conception de ce que devrait
être la gouvernance économique européenne » et une forme de démocratie économique
(suite, entre autres, aux leçons à tirer des restructurations brutales qu’ont été les affaires
Michelin ou Renault-Vilvorde), de sa position aussi dans le contexte de la
mondialisation…
Les enseignements à tirer de cette aventure sont multiples et souvent
complexes. Il n’en demeure pas moins que, comme le relève Christophe Degryse dans ses
conclusions, le besoin d’une organisation telle que la Confédération européenne des
syndicats relève de l’évidence, sachant que, hormis quelques exceptions du type Delors,
« la plupart de ceux qui font vivre les institutions européennes se montrent rarement
préoccupés par le destin des travailleurs, sauf à faire croire erronément qu’il suffirait de
rendre l’économie plus compétitive pour améliorer automatiquement les conditions de vie
et de travail de l’ensemble des Européens ». Sans doute serait-il excessif d’affirmer que
l’Union est indifférente au sort de ses travailleurs, mais est-il déplacé d’oser se demander
« ce qu’aurait pu être l’Europe aujourd’hui sans l’action menée par la CES, ses affiliés et
ses alliés politiques depuis quarante ans » ? La réponse semble évidente. Dans sa préface,
Bernadette Ségol, l’actuelle Secrétaire générale de la Confédération, en tire en tout cas
« la certitude que le syndicalisme européen ne s’est pas fourvoyé », mais aussi ce doute
de nature quasiment existentielle : avec « les débordements du capitalisme casino et la
crise profonde que ce capitalisme fou a engendrée », n’est-ce pas l’Union européenne
elle-même qui se révélerait parjure par rapport à ses engagements originels ?
Michel Theys
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