Découverte d`anneaux autour d`un astéroïde

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Découverte d'anneaux autour d'un astéroïde
23/05/14
Des anneaux ont été observés par hasard autour de l'astéroïde de glace Chariklo qui orbite entre Saturne et
Uranus. Une découverte qui en fait un objet unique, et qui ouvre un nouveau pan dans l'étude des petits corps
du système solaire. Les chercheurs du projet TRAPPIST, un télescope de l'Université de Liège basé au Chili,
ont participé à cette observation. Ils comptent bien attarder leur regard sur Chariklo pour mieux comprendre
les caractéristiques de cet astre hors du commun, à mi-chemin entre astéroïde et comète. Un petit objet de
roche et de glace d'à peine 250 km de diamètre qui peut nous éclairer sur des questions aussi variées que
la composition chimique du système solaire originel, la formation de la lune, la stabilité dans le temps des
anneaux planétaires, et la frontière de plus en plus ténues entre comètes et astéroïdes.
La nuit du 3 juin 2013, c'est une observation
sans précédent à laquelle a contribué Emmanuël Jehin, astrophysicien de l'Université de Liège et chercheur
qualifié F.R.S-FNRS, alors aux commandes - avec la doctorante Cyrielle Opitom - de TRAPPIST, un télescope
robotique de 60 cm de diamètre installé dans le désert de l'Atacama au Chili (lire Des astrophysiciens
liégeois au septième ciel). Pour la première fois, des anneaux gravitant autour d'un astéroïde ont été
découverts. Ils font l'objet d'une publication dans Nature (1). « On savait qu'il y avait des anneaux autour
des planètes géantes, explique le chercheur. Ceux de Saturne sont connus depuis le XVIIe siècle et en sont
les plus beaux exemples. Ceux de Jupiter, d'Uranus et de Neptune, plus petits, ont été découverts bien plus
récemment, grâce notamment aux images des sondes Voyager à la fin des années 70. Mais on n'aurait jamais
imaginé qu'un anneau pouvait se former autour d'un objet aussi petit qu'un astéroïde et rester stable. Et ici, on
découvre un double anneau. » La surprise est de taille, puisque l'observation de l'astéroïde Chariklo avait été
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orchestrée pour une toute autre raison. « Avec 250 kilomètres de diamètre, Chariklo est le plus gros astéroïde
de la famille des centaures, et donc un candidat idéal pour l'observation. Et nous voulions connaître
davantage sa taille, de manière plus précise. »
Chariklo évolue entre Saturne et Uranus, et se trouve suivant sa période orbitale entre 2 et 2,8 milliards de
kilomètres de la Terre. À cette distance, il n'est qu'un point lumineux parmi d'autres. Même avec les plus
grands télescopes, l'astéroïde est trop petit et trop éloigné pour mesurer sa taille et apercevoir sa surface en
observation directe. Pour en apprendre davantage sur ses caractéristiques, il faut user de méthodes indirectes,
comme la technique de l'occultation.
« Nous savions que le 3 juin 2013, Chariklo allait occulter une étoile assez brillante pour les observateurs situés
dans une bande passant par l'Amérique du Sud, se souvient l'astrophysicien. C'était donc une aubaine car
cette étoile est visible même par des télescopes de taille modeste. D'habitude, les occultations, qui nécessitent
un alignement parfait entre l'astéroïde et l'étoile, se font devant des étoiles peu brillantes, car elles sont plus
nombreuses. Il est impossible pour des télescopes peu sensibles de les observer. Dans le cas présent, nous
avons pu réquisitionner toute une série d'appareils au Brésil, en Argentine, au Chili, et recouper toutes les
données, pour être certains de ne pas rater l'événement. » Et l'occultation était bien au rendez-vous. Mais
au lieu d'une simple disparition de l'étoile pendant quelques secondes suite au passage de l'astéroïde juste
devant elle, plusieurs brèves éclipses ont également été observées.
« Ce qui nous a permis de déduire la présence des deux anneaux. Le temps
d'occultation nous en a même donné la taille. Le plus éloigné a une largeur de 3
kilomètres, l'autre de 7, pour un diamètre de 800 kilomètres. Leur épaisseur optique
est différente également. Ils ne bloquent pas la lumière de la même manière. L'un est
plus opaque que l'autre, ce qui signifie qu'il a une plus grande densité, et peut-être
des particules de nature différente. Mais pour établir cela, il nous faudra davantage
de mesures plus précises, notamment par spectroscopie. »
Origine et stabilité
Il est peu probable qu'un tel système ait une longue stabilité dans le temps. Contrairement aux anneaux
de Saturne, ceux de Chariklo ne devraient être là que depuis quelques dizaines voir centaines de milliers
d'années. « Ce qui est très peu, à l'échelle du système solaire, relativise Emmanuël Jehin. C'est une aubaine
d'avoir pu les découvrir. En même temps, on n'observe les occultations par ces objets que depuis quelques
années seulement, et voilà déjà qu'on trouve un tel système ! Soit on a eu beaucoup de chance, soit ce
phénomène est plus courant qu'on ne le croit et pourra être observé pour d'autres astéroïdes. Disons qu'avant,
nous ne savions pas que cela pouvait exister, nous ne les cherchions pas. Maintenant, nous allons tenter de
les débusquer et si c'est relativement courant, nous devrions en observer d'autres »
L'origine de ces anneaux est inconnue. La cause la plus probable serait une collision entre Chariklo et un objet
plus petit qui aurait arraché de la matière en surface. Cette matière, propulsée lors du choc, mais toujours
sous l'attraction de l'astéroïde, se serait mise en orbite. « Ces anneaux sont constitués de petits morceaux de
glace assez sombres, et sont semblables à ceux d'Uranus. Mais l'échelle est très différente. Les anneaux de
Saturne font 140 000 kilomètres de diamètre, contre 800 seulement pour ceux de Chariklo. »
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Cette différence d'échelle interroge sur la stabilité dans le temps de ce système. L'étude des anneaux de
Saturne leur avait déjà attribué un caractère instable, une tendance à se déformer. Suite à de nombreux
calculs, les chercheurs de l'époque avaient imaginé la présence de petits satellites orbitant entre les anneaux,
les confinant autour de leur planète. « Ces satellites, on les appelle les satellites bergers. Ce n'était au départ
qu'une hypothèse. Mais quand les sondes Voyager se sont rapprochées des planètes géantes, on a bien
découvert toute une série de petites lunes de quelques kilomètres de diamètre à peine. De la même manière,
on peut imaginer que de tels satellites bergers d'un diamètre de l'ordre du kilomètre pourraient maintenir les
deux anneaux autour de Chariklo. »
Une perte d'éclat surprenante
Chariklo a été observé pour la première fois en 1997. Fait surprenant, sa luminosité a baissé de près de
40% jusqu'en 2008 avant de remonter. « C'était une observation que nous ne parvenions pas à expliquer »,
développe le chercheur. Mais la présence d'anneaux éclaircit cette zone d'ombre. « À l'époque, les anneaux
étaient visibles de face, et, sans que nous ne puissions les discerner distinctement, ils contribuaient fortement
à la brillance de Chariklo. Ils ont ensuite changé d'inclinaison par rapport à nous. On les a progressivement vus
par la tranche, très fine. Nous n'avions donc plus la luminosité qu'ils fournissaient à l'époque de la découverte
de l'astéroïde. »
Proportionnellement à ces variations, les chercheurs avaient également noté une disparition progressive des
traces de glace d'eau détectées lors de l'analyse des spectres lumineux de Chariklo. On pensait à l'époque
que cette glace se trouvait à la surface de Chariklo. Or ces traces sont aujourd'hui à nouveau détectables, ce
qui donne à penser que ce sont les anneaux qui produisent cette signature et qu'ils sont donc principalement
composés de glace. « Il faut savoir, rappelle le chercheur, qu'au-delà de Jupiter, et plus précisément au-delà
de ce qu'on appelle « la ligne des glaces », le système solaire abonde d'eau sous forme de glace. Entre
cette ligne et le soleil la température est trop élevée et la glace s'est sublimée et a disparu, mais au-delà,
c'est une molécule fortement représentée. Les satellites de Jupiter, par exemple, ainsi que les anneaux de
Saturne, sont principalement constitués de glace, ce qui explique leur densité assez faible et leur brillance
parfois importante. »
Chariklo, entre comète et astéroïde
Chariklo est un objet un peu particulier, il fait partie de la famille des centaures. C'est un objet hybride
entre comète et astéroïde, et comme ses semblables il est très éloigné dans le système solaire, entre Saturne
et Uranus, et il contient une grande proportion de glace. Or, les astéroïdes, principalement rassemblés entre
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Mars et Jupiter, n'ont pas ou très peu d'eau. C'est une propriété que se gardent les comètes, qui viennent
des confins du système solaire, dans les régions les plus froides où la glace a pu être conservée. Mais les
comètes, elles, sont plus petites. Les plus grosses comètes connues ont un noyau de l'ordre de 30 kilomètres
de diamètre.
Pour bien comprendre la différence entre comète et astéroïde, un petit saut dans le passé s'impose. Au
moment de la formation du système solaire, une grande nébuleuse de gaz et de poussière s'est contractée
pour former un gigantesque disque autour du soleil, le disque protoplanétaire. Cette poussière s'est agglutinée
jusqu'à former des planetésimaux, des astéroïdes allant de quelques mètres à plusieurs centaines de
kilomètres de diamètres. En continuant de s'entrechoquer, ces astéroïdes ont fini par former les planètes que
nous connaissons aujourd'hui. « Il reste de cette époque la ceinture d'astéroïdes, qui en compte des millions qui
ne se sont pas agglutinés, et qui sont en orbite relativement stable entre Mars et Jupiter. Ils sont principalement
constitués de roche. Les astronomes en ont découvert environ 400 000 de plus de 100 mètres de diamètre,
et nous pensons qu'il doit y en avoir plus de un million. Mais beaucoup plus encore ont une taille inférieure. »
A cette époque a également été formée la ceinture de Kuiper, une zone située au-delà de Neptune, dans des
régions bien plus froides et qui regroupe des astéroides de glace qu'on appelle « les objets transneptuniens ».
« A cette distance, nous ne pouvons observer que les plus gros spécimens. Les astronomes en ont découvert
un bon millier depuis 1992 grâce a des télescopes toujours plus performants. Tous ont un diamètre de plus de
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100 kilomètres et nous pensons que des millions de comètes plus petites s'y trouvent également mais elles
sont trop petites pour être vues directement. De temps en temps, suite à une instabilité, l'une d'entre elles « se
décroche » de son orbite et passe dans notre ciel. Sa proximité soudaine avec le soleil fait sublimer sa glace en
surface, ce qui donne sa chevelure et sa queue. Bien au-delà de la ceinture de Kuiper, à une année-lumière,
se trouve enfin le nuage d'Oort, un réservoir sphérique centré sur le Soleil qui serait constitué de milliards de
comètes, qui orbitaient il y a bien longtemps entre les planètes géantes. » Mais il y a un peu plus de 4 milliards
d'années, une instabilité gravitationnelle créée par une résonance entre Jupiter et Saturne a réagencé les
planètes, éjectant ces milliards de comètes aux confins du système solaire, créant ce fameux nuage.
Et si l'origine des anneaux était ailleurs ?
Les petits corps du système solaire sont donc bien des résidus de la formation du système solaire. « Et de
plus en plus, explique l'astrophysicien, la différence catégorique entre comètes et astéroïdes est nuancée.
Des astronomes ont découvert des comètes dans la ceinture d'astéroïdes, d'autres affirment que certains
astéroïdes contiennent encore de l'eau, il y aurait un continuum entre les deux types d'objets. »
Pour encore davantage brouiller les pistes, entre les deux viennent se loger les centaures, comme Chariklo,
mi-astéroïdes, mi-comètes. Ces objets, évoluant entre les planètes géantes et constamment perturbés par
leur attraction, ont généralement une orbite plus instable, et se feront probablement éjecter de leur trajectoire
d'ici quelques milliers d'années. Ce qui laisse tout de même aux chercheurs un peu de temps pour les scruter
sous tous les angles.
« En attendant, le caractère hybride de Chariklo me pousse à imaginer une autre hypothèse pour expliquer
l'origine de ses anneaux, revient Emmanuel Jehin. Certains centaures présents dans la même région ont une
activité cométaire et, de temps en temps, une queue similaire à la queue des comètes. Sur Chariklo, ça n'a
jamais été observé. Mais je me demande s'il n'y aurait pas eu dans le passé une activité cométaire, une forme
d'explosion en surface qui aurait dégagé de la matière. Une partie de cette matière aurait pu être piégée et
maintenue en orbite. Chariklo est tout de même un astéroïde assez massif. »
Des similitudes avec la lune
En outre, cette collision créatrice d'anneaux rappelle l'hypothèse la plus probable expliquant la formation de la
lune. Il a effectivement pu y avoir une collision entre une petite planète et la Terre au moment de sa formation.
De la matière aurait été arrachée, se mettant à orbiter sous forme d'un anneau autour de notre planète. Ce
disque se serait ensuite aggloméré pour donner naissance à la lune. « Cependant, les anneaux de Chariklo
ne vont pas former un satellite, pas plus que les anneaux de Saturne, tempère le chercheur. Au moment de
la formation de la lune, la matière dans le système solaire était encore très chaude, et les roches, malléables.
Aujourd'hui, la matière est trop froide. D'ailleurs, la plupart des astéroïdes ne sont pas très compacts. On
pourrait presque les voir comme des gros tas de cailloux. »
L'œil sur l'anneau
Ce double anneau est donc une véritable découverte, que personne n'attendait. Comme toute découverte,
elle ouvre un tout nouveau pan dans l'étude des petits corps du système solaire. Quelle est la stabilité de
ces anneaux, comment sont-ils apparus, de quelle matière sont-ils composés, y a-t-il des satellites bergers
les confinant, ou faut-il revoir toute la théorie expliquant la stabilité gravitationnelle des anneaux, même
planétaires, y a-t-il d'autres petits corps pourvus d'anneaux de ce type ? « Avant, on ne les cherchait pas
spécialement, maintenant, on va le faire, se réjouit le chercheur. C'étaient des observations difficiles à réaliser,
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notamment parce qu'il n'est pas évident de prédire les occultations. Encore aujourd'hui, la plupart d'entre
elles, on les rate, on ne peut même pas les observer, parce que l'éclipse ne passe pas au-dessus de nos
télescopes. Mais maintenant, on sait quoi chercher et on va s'y atteler. Pour les autres astéroïdes, mais aussi
pour Chariklo. »
C'est une véritable sucess story pour TRAPPIST, tellement importante que les chercheurs de l'ULg ont
demandé des fonds pour construire son petit frère dans l'hémisphère nord, et s'offrir la capacité de couvrir
tout le ciel depuis la Terre. Pourtant, le télescope n'a pas été conçu pour observer ces occultations. Ses
missions premières sont la détection d'exoplanètes et l'étude de la composition chimique des comètes et des
astéroïdes, pour lesquels les chercheurs consacrent la majeure partie du temps du télescope. L'observation de
Chariklo n'est pas pour autant un coup d'essai. Des occultations, ils tentent d'en détecter environ une tous les
mois, et c'est la troisième fois que l'une d'elles est déterminante dans le domaine et fait l'objet d'un article dans
la revue Nature et Science. TRAPPIST avait déjà ainsi permis de mesurer précisément la taille de celle qui
fut un temps la possible dixième planète, Eris (lire l'article Éris, la lointaine jumelle de Pluton). Aujourd'hui,
Emmanuël Jehin et ses collaborateurs comptent bien intensifier leur programme autour de ce type d'objet. Une
fois par semaine, TRAPPIST va observer Chariklo, notamment pour détecter une possible activité cométaire.
Pas besoin de l'occultation d'une étoile, la lumière directe de l'astéroïde suffit pour ce type d'observation.
Et le télescope liégeois n'est pas le seul à pointer son regard sur le centaure. Initialement tout à fait banal, il est
devenu en moins d'un an la coqueluche des astrophysiciens, et jouit aujourd'hui d'un tel intérêt que les plus
gros télescopes du monde, réquisitionnés pour les missions de premier ordre, pourraient daigner y jeter un
petit coup d'œil. « Chariklo est devenu un objet unique dans le système solaire, presque mythique, se targue
le chercheur. Les informations que cet objet unique va dévoiler, notamment sur sa composition chimique,
sur son activité, sur sa stabilité, sont cruciales. Depuis la découverte de ces deux anneaux, plusieurs projets
d'étude ont été déposés un peu partout. Une demande de temps d'observation a par exemple été introduite
pour utiliser le télescope spatial Hubble de la NASA. Avec un instrument d'une telle sensibilité, et avec la
netteté des observations à partir de l'espace, sans l'atmosphère terrestre, il pourrait être possible d'observer
les anneaux en direct. Ce système, nous l'avons trouvé, nous n'allons plus le lâcher ».
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(1) "A ring system detected around the Centaur (10199) Chariklo", by F. Braga-Ribas et al., online in the
journal Nature on 26 March 2014.
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