LES ÉCO AFRIQUE - MARDI 7 MAI 2013 AFRIQUE ZOOM Les exportateurs prennent les choses en main. p.15 CAHIER DE L’INTÉGRATION La BAD décline sa stratégie 2013-2022. p.16 LE MARCHÉ DE LA SEMAINE Bissau… La Guinée de tous les paradoxes. p.17 VUE DU CAMEROUN Le casse-tête des logements sociaux. UEMOA, tout sur la monétique ! ● Tendances d’usage, degrés de maturité du marché, le mobile-banking : solution miracle à la bancarisation du continent, l’apport des investissements marocains dans le secteur des banques… Blaise Ahouantchédé, directeur général du Groupement interbancaire et monétique de l’UEMOA, basé au Sénégal, se livre sans concessions. Entretien. P. 18 p.19 LES ÉCO AFRIQUE - MARDI 7 MAI 2013 14 Les échos du continent 1,8 MMdh BILLET C’est le chiffre d’affaires global du groupe Maroc Telecom à l’international (Mali, Mauritanie, Gabon,Burkina Faso), à fin mars 2013. Ce revenu global est en progression de 7%, impulsé notamment par le segment du Mobile. Safall Fall [email protected] Riche et «mal nourrie» C’ est le paradoxe qui saute aux yeux dès la première lecture du 13e rapport annuel des «Indicateurs sur le genre, la pauvreté et l’environnement sur les pays Africains 2013», publié par le Département des statistiques du groupe Banque africaine de développement. Ce rapprochement entre insécurité alimentaire et production globale de richesses est d’autant plus pertinent, dans un contexte de confirmation par le FMI, du maintien de l’exception africaine dans sa dynamique économique. Il permet de mettre le doigt sur le fait que derrière les chiffres et autres calculs d’économétrie, aux résultats fort enthousiasmants, se cache parfois une forêt de déséquilibres socio-économiques. Eh oui ! L’Afrique traîne ses casseroles. Et les stéréotypes n’en sont que plus renforcés : si l’obésité trône au sommet des maux urbains du siècle dans les pays avancés, la malnutrition continue de prévaloir dans nos frontières. Dans le rapport de la BAD, qui prend en compte la période 2010-2012, ce fléau est surtout circonscrit dans les pays dits «États fragiles». C’est en effet le cas de la République démocratique du Congo (37% de la population), de l’archipel des Comores (70%) et du Burundi (73%), qui détient d’ailleurs le triste record continental. Des contrastes frappants existent aussi. L’Angola en est une excellente illustration. Classé dans le cercle encore très restreint des pays exportateurs de pétrole – qui regroupe la plupart des économies VIP (Very Important Productivity) du continent avec une croissance de 6,7% attendue en 2013 – 27% de sa population souffre de malnutrition. Ce chiffre est de 33% au Tchad, une autre grande économie exportatrice d’or noir et à fort taux de croissance. Seuls les pays du Maghreb parviennent jusque-là - et à coup de subventions parfois suicidaires pour les budgets publics - à aligner croissance respectable et suffisance alimentaire. Le taux de prévalence de la malnutrition ne dépasse pas les 5% sur la période étudiée. ● Tourisme. l’Afrique australe sonne l’offensive Stratégie. OBG «applaudit» la coopération Sud-Sud du Maroc Le cabinet international d'intelligence économique, Oxford Business Group (OBG), approuve les efforts consentis par le royaume dans le renforcement de la coopération Sud-Sud. Selon OBG, ces efforts interviennent dans un contexte où la récession économique mondiale continue de peser sur les échanges commerciaux avec la zone euro, premier partenaire commercial du pays. Rappelant les accords signés en mars dernier par le Maroc, notamment avec le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Gabon, le cabinet britannique note que ces accords contribueront à renforcer les liens économiques du royaume avec l'Afrique centrale et de l'ouest. Ces accords viennent soutenir les orientations de la politique d’exportation du Maroc dans le but de développer ses échanges commerciaux et renforcer sa présence sur le continent africain. Les défis restent entiers, toutefois OBG observe qu’en dépit de la signature de près de 500 accords avec plus de 40 pays dans plusieurs secteurs économiques au cours des dix dernières années, les échanges avec les pays africains ne représentent que près de 5% du commerce extérieur du royaume. Dans le sillage de l'Afrique du Sud en plein boom touristique, les autres pays de la région veulent aussi attirer davantage de visiteurs, mais leur union pour se vendre à l'international masque mal une concurrence avivée par la crise économique. «La région a beaucoup à offrir», assure Kwakye Donkor, le responsable marketing de l'Organisation régionale du tourisme d'Afrique australe (Retosa), un organisme intergouvernemental basé à Johannesburg, cité par l’AFP «Chaque pays est unique en soi. Chaque pays a quelque chose de très spécial à offrir. Quand les gens viennent dans la région, ils devraient essayer de voir au moins deux ou trois pays !». La Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), qui comprend aussi des pays comme la Répu- Banques. Société Générale blique démocratique du Congo, la Tanzanie, Maurice s’intéresse aux petits revenus groupe français Société Générale vient d’annoncer la création et les Seychelles, représente, selon Retos, 2% du mar- Le d’une nouvelle institution financière destinée à la bancarisation des ché mondial du tourisme, soit environ 20 millions de populations à revenus modestes. Le Sénégal sera le premier marchévisiteurs par an, dont plus de 9 millions vont en cible de cette structure. Baptisée «Manko», sa mise en place s’inscrit dans le cadre d’un nouveau concept bancaire, entre micro-finance et Afrique du Sud. banque traditionnelle, qui a pour ambition de bancariser les popula- Industries. le Gabon met le paquet tions disposant de revenus modestes mais réguliers et n'ayant encore pas accès au système bancaire traditionnel. Filiale à 100% du groupe Société Générale, Manko a signé une convention avec la Société Générale de banques au Sénégal (SGBS), filiale à 63,28% du groupe, lui permettant de distribuer une offre de produits et de services bancaires adaptés aux populations visées. Ce statut a été pleinement validé par les autorités réglementaires compétentes. Manko s'appuie sur Yoban'tel, un service de paiement par téléphone mobile déployé par SGBS. En partenariat avec les opérateurs privés, le Gabon ambitionne d’investir 17.000 milliards FCFA (26 milliards €) au cours des 12 prochaines années afin de réaliser les objectifs de la Stratégie nationale d’industrialisation (SNI), de sources de presse. Cette stratégie devrait reposer sur la valorisation des filières hydrocarbure, Télécoms. croissance ralentie mine, métallurgie, pêche, aquaculture, agriculture, au Mali pour IAM agro-industrie, forêt, bois et matériaux de construction. c’est la croissance du revenu généré par Maroc Telecom à partir Elle a d’ailleurs fait l’objet du premier Forum national 4,5%, des activivités de sa filiale malienne, Sotelma, à la fin du dernier tride l’industrie, tenu du 26 au 28 avril derniers à Libre- mestre. En dépit des perturbations politiques que traverse ce pays, la ville. L’accent sera ainsi mis sur la création massive rentabilité est toujours au rendez-vous au Mali, même si elle beaucoup avec 37,2% de progression du chiffre d’affaires d’emplois et une profonde transformation de la struc- contraste au premier trimestre 2012. Cette année, ce chiffre d’affaires est de ture productive de l’économie, qui est aujourd’hui dé- 640 millions dirhams. Au niveau des autres filiales subsahariennes pendante des hydrocarbures à hauteur de 40% du PIB du groupe, les performances sont autant maintenues. Au Gabon, le et de 60%, des recettes de l’État. La mise en œuvre des chiffre d’affaires de la filiale du groupe s’est établi à 342 millions de dirhams au premier trimestre 2013, en hausse de 13,5%, malgré une principaux projets de la nouvelle politique industrielle base de comparaison défavorable du fait de l’impact positif de l’orgadu Gabon devrait permettre de faire passer la contribu- nisation de la Coupe d’Afrique des Nations en début 2012. En Maurition du secteur secondaire de 8% du PIB à plus de 35% tanie, le chiffre d’affaires du groupe est en progression de 6,5% pour à 346 millions de dirhams à fin mars. La progression est à l'horizon 2025 et de générer par an 3.350 milliards s’établir aussi de 6,8% au Burkina Faso, avec un chiffre d’affaires de 535 milFCFA (5,11 milliards €) de valeur ajoutée. lions de dirhams. LES ÉCO AFRIQUE - MARDI 7 MAI 2013 15 Zoom Les exportateurs prennent les choses en main ● Maroc-Cameroun. L’Asmex négocie un projet de représentation commerciale à Douala. Il devrait être réalisé en partenariat avec les exportateurs camerounais. Objectif : disposer d’une plateforme de mise en relation et d’échanges d’informations sur les opportunités d’affaires dans les deux pays. L e business a encore devancé le politique de plusieurs pas, vendredi, dans la dynamique commerciale entre le royaume et l’un des géants économiques de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), le Cameroun. Les opérateurs à l’export des deux pays se sont en effet engagés à porter plus loin leur partenariat afin de donner le tremplin qu’il faut aux échanges commerciaux. Cet engagement a été pris en marge d’une réunion de travail restreinte tenue entre les deux parties au siège de l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX).L’une des principales retombées de cette rencontre est concrète : l’Asmex compte ouvrir très prochainement une représentation sur le marché camerounais. «Il s’agira d’une structure qui nous permettra de marquer notre présence commerciale sur ce marché par une mise en relation directe ainsi que le partage d’informations entre les exportateurs des deux pays», commente Hassan Sentissi, le président de l’ASMEX. Si le statut et les contours juridiques de cette future entité ne sont pas encore bien définis à l’état initial du projet, ses missions sont d'ores et déjà connues. Elle devrait jouer le rôle d’une véritable passerelle de promotions commerciales et de mise en avant des opportunités d’exportation, mais aussi d’investissements, sur chacun des ● Les exportations du Maroc vers le Cameroun ont progressé de 32 % entre 2010 et 2011. deux marchés. «Le degré relativement important de méconnaissance mutuelle de ces opportunités, en plus d’autres facteurs liés Les produits les plus exportés, du côté marocain, sont les engrais et les lubrifiants . à la fiscalité des échanges et aux contraintes logistiques, pèsent beaucoup sur l’exploitation à plein régime des possi- bilités commerciales existant de part et d’autre», nous explique Hervé Mbarga, homme d’affaires camerounais et président de l’African Pineapples and Bananas Association (APIBANA), qui regroupe les producteurs et/ou exportateurs africains des filières «bananes et ananas». En dépit, effectivement, d’une tendance très marquée à la croissance, ces échanges sont bien loin de refléter ces possibilités. Les exportations du royaume vers ce marché ont progressé de 32% entre 2010 et 2011, selon les chiffres les plus actualisés de l’Office des changes. Ces exportations ont totalisé une valeur de quelque 282 MDH en 2011, contre 123 MDH pour des importations en amélioration, sur la même échéance, de 43%. Les produits les plus ●●● Si le statut juridique de cette future entité n’est pas encore bien défini, ses missions sont déjà fixées : elle jouera un rôle de passerelle et de promotion commerciale. échangés sont l’engrais, les lubrifiants et divers produits alimentaires du côté marocain, là où le Cameroun fournit le royaume en bois, bananes fraîches et café, principalement. Relance Il faut savoir que cette volonté de rapprochement commercial entre les opérateurs des deux marchés, ne date pas d’aujourd’hui. En 2010 déjà, en marge du passage de la Caravane de l’export à Douala, la capitale économique camerounaise, un projet quasi identique avait été mis sur pied entre l’Asmex et le Mouvement des entreprises du Cameroun (CAMC). L’initiative portait en effet sur la création d’un Centre d’affaires Maroc-Cameroun (CAMC), avec deux antennes à Casablanca et à Douala, dont la mission était de «répondre aux besoins des opérateurs économiques souhaitant promouvoir leurs produits et services», selon les explications des initiateurs du projet. Ce dernier avait d’ailleurs reçu le plein soutien des autorités publiques des deux pays. Celles-ci devaient d’ailleurs contribuer au financement de la concrétisation de l’initiative. La création de la CAMC devait ainsi doter les opérateurs des deux pays d’un point d’ancrage sur leurs marchés ainsi que sur leurs sous-régions respectives (CEMAC, UMA et pays arabes, etc..). En détail, cet objectif se décline en une dizaine de missions concrètes. L’une des plus importantes est d’organiser la représentation et la commercialisation des produits et services à travers un showroom d’exposition permanent et constamment actualisé, au niveau de chacun des deux marchés. Le projet prend également en compte la création d’entrepôts de stockage de marchandises liés au CAMC, pour concrétiser des opérations réalisées par les entreprises et par le biais du centre d’affaires. Le CAMC devrait de fait, gérer ce service d’entreposage, lequel pourrait constituer ultérieurement la base du projet d’un véritable ● comptoir commercial. LES ÉCO AFRIQUE - MARDI 7 MAI 2013 16 Cahier de l’intégration Analyse La BAD décline sa stratégie 2013-2022 ● La Banque africaine de développement dispose d’une nouvelle feuille de route pour la période 2013-2022. L’institution panafricaine ambitionne d’accompagner la «transformation» structurelle des économies africaines. Objectifs : promouvoir une croissance plus inclusive et homogène et aider le continent à s’engager dans une véritable «croissance verte». Détails. Objectifs La BAD s’est d’ailleurs donné deux grands objectifs à atteindre via la mise en œuvre de sa nouvelle stratégie décennale. Le pre- LES INVESTISSEMENTS DE LA BANQUE DANS LES INFRASTRUCTURES APPUIENT LA CHAÎNE DE VALEUR DANS L’AGRICULTURE ET RENFORCENT LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE DE L’EXPLOITATION AGRICOLE À LA BOUCHE Intrants/R&D Production Transformation Logistique Commercialisation Irrigation Unités communautaires Rôle de la Banque Stockage Marchés ruraux ROUTES RURALES PRODUCTION ET DISTRIBUTION D’ÉLECTRICITÉ Résultats Accès amélioré aux semences et engrais Productivité accrue Ajout de valeur Vulnérabilité aux chocs climatiques réduite Pertes post-récoltes réduites Accès accru aux Sécurité alimentaire renforcée Revenus agricoles renforcés SOURCE : BAD mier porte sur «la croissance inclusive» et consiste à réaliser une dynamique économique se traduisant non pas seulement par l’égalité de traitement et d’opportunités, mais aussi par des réductions profondes de la pauvreté et un accroissement massif et correspondant des emplois. «En permettant d’exploiter le vaste potentiel du continent - et en améliorant ses chances de tirer parti du dividende démographique - la croissance inclusive induira la prospérité par un élargissement de la base économique qui transcende les obstacles liés à l’âge, au sexe et à la situation géographique», explique-ton dans le même rapport. La BAD promet ainsi d’investir davantage dans une infrastructure qui libère le potentiel du secteur privé, favorisant l’égalité des sexes et la participation communautaire. Quant au se- MISE EN ŒUVRE DE LA STRATÉGIE À TROIS NIVEAUX Niveau institutionnel Mise en œuvre de la stratégie Niveau national et régional • Plan triennal glissant • Budget annuel • Stratégies pays • Stratégie régionale SOURCE : BAD «C ette vision, qui couvre une décennie, peut faire de ce continent, en l’espace d’une génération, le pôle de croissance mondial que nous savons qu’il peut être et qu’il veut devenir». C’est en ces mots que Donald Kaberuka, le président du groupe de la Banque africaine de développement (BAD), résume la toute nouvelle stratégie décennale (2013-2022) de l’institution financière panafricaine. Les ambitions sont importantes, à la hauteur de la dynamique du continent. «Cette stratégie est conçue pour placer la banque au centre de la transformation de l’Afrique et améliorer la croissance du continent», explique-t-on auprès des responsables de la BAD, dans le communiqué annonçant l’implémentation de cette vision stratégique. Sa conception et sa mise en œuvre partent du constat selon lequel le continent s’est engagé dans un véritable processus de transformation économique. Cette stratégie vise ainsi à élargir et approfondir ce processus de transformation, essentiellement en faisant en sorte que la croissance soit partagée et non isolée. «Cette croissance doit maintenant se traduire en une véritable transformation économique qui créera des emplois et offrira des opportunités aux populations. C’est pour cette raison que la prochaine décennie sera si déterminante et que la stratégie de la BAD pour la période 2013-2022 revêt une si grande importance». Cette nouvelle feuille de route de la banque panafricaine vise aussi à favoriser une croissance qui ne soit pas simplement durable au plan écologique, mais aussi habilitante au plan économique. Niveau sectoriel • Stratégies sectorielles • Plans d’action sectoriels cond grand objectif de la stratégie, elle concerne la «transition vers la croissance verte». La BAD ambitionne d’aider les économies du continent à rendre leur croissance «durable», en l’aidant à se mettre sur la voie d’une transition progressive vers la «croissance verte». Le but, ici, est de maintenir la tendance économique actuelle du continent tout en protégeant les moyens de subsistance en améliorant la sécurité hydrique, énergétique et alimentaire. Il s’agit également de favoriser l’utilisation durable des ressources naturelles et de stimuler l’innovation, la création d’emplois et le développement économique. Pour la BAD, les priorités de l’heure et pour les économies africaines afin d'aller dans le sens de la croissance verte, sont «le renforcement de la résilience face aux chocs climatiques, la mise en place des infrastructures durables, ainsi que la création de services d’écosystème». L’exploitation rationnelle des ressources naturelles – en particulier l’eau – sont aussi dans cette liste de priorités. 5 secteurs opérationnels Concrètement, tout cela devrait se matérialiser à travers cinq grands axes d’intervention sur lesquels la BAD axera désormais ses activités. Il s’agit notamment du développement de l’infrastructure, de l’intégration économique régionale, du développement du secteur privé, de la gouvernance et de la responsabilisation, du développement des compétences et de la technologie. Ce nouveau programme propose également, en seconde priorité, de «rechercher des modalités nouvelles et innovantes de mobilisation des ressources pour accompagner la transformation de l’Afrique, notamment en utilisant de façon optimale ses propres ressources», relève-t-on auprès de la BAD. Par ailleurs, une part belle est également accordée, dans la même feuille de route 2013-2022, au recours aux partenariats public-privés, «aux arrangements de cofinancement» ainsi qu’aux instruments d’atténuation des risques qui devraient attirer de nouveaux investisseurs pour le continent. ● Les freins «immatériels» à l’intégration économique L’intégration régionale est l’une des principales problématiques que la BAD cherchera à adresser sur les vingt prochaines années, aux gouvernements africains. Selon l’institution financière, cet obstacle ne pourrait être définitivement aplati que si les économies africaines décident de s’attaquer directement aux facteurs «immatériels» de la désintégration régionale. Ces aspects sont liés aux impératifs de simplification et d’harmonisation des procédures et réglementations commerciales et douanières complexes et fastidieuses, de rationaliser les règles d’origine restrictives et d'éliminer la corruption ainsi que d’autres obstacles informels au commerce. La BAD «favorisera les cadres juridiques et réglementaires qui facilitent la circulation de la main-d’œuvre et des capitaux, en inscrivant ses interventions dans une perspective régionaliste». Concrètement, elle compte «investir dans les postes-frontières à guichet unique» et les «services nationaux d’immigration dotés d’agents bien formés et motivés». La Banque assistera également les économies africaines dans l’acquisition des compétences nécessaires pour tirer parti d’économies plus intégrées. Il faut en effet savoir que l’Afrique ne commerce pas assez avec elle-même. D’après les statistiques de l’Organisation mondiale du commerce, la valeur des exportations africaines a augmenté de 11,3% par an entre 2000 et 2009, contre une moyenne mondiale de 7,6%. Cependant, seule une part relativement limitée de 12% de ce commerce est intrarégionale, «soit le niveau le plus faible au monde», selon les commentaires de la BAD. LES ÉCO AFRIQUE - MARDI 7 MAI 2013 17 Cahier de l’intégration Le marché de la semaine FICHE PAYS GUINÉE-BISSAU ÉVOLUTION DES ÉCHANGES COMMERCIAUX ENTRE LE MAROC ET LA GUINÉE-BISSAU (EN MILLIERS DH) 2008 2009 2010 2011 Importations 0 0 0 2347 % Part dans les importations globales(%) 0 0 0 0 19899 29607 41520 52113 Exportations Part dans les exportations globales(%) Solde Taux de couverture (%) ÉVOL.MOY.08/11 JAN.JUIN.11 JAN.JUIN.12 ÉVOL.12/11 0 29 % - 0 0 - 38,18% 26958 6559 -75,67% 0 0 0 0 - 0 0 - 19899 29607 41520 49766 36,29% 26958 6530 -75,78% 0 0 0 2220 - 0 22774 SOURCE : OFFICE DES CHANGES Bissau… La Guinée de tous les paradoxes ● L’instabilité politique a plongé l’économie du pays dans de grandes incertitudes en 2012. En dépit de perspectives de reprise cette année - 3,5% - le pays fait encore face à de nombreux défis. La production économique est peu diversifiée. L’agriculture emploie, à elle seule, 80% de la population active. Découverte de l’une des économies les moins avancées du continent. P endant longtemps dans l’ombre du Sénégal et de l’autre Guinée (Conakry), deux géants économiques de l’Ouest continental, la Guinée Bissau est un autre exemple de ces micro-économies africaines aux potentiels incommensurables, mais mal mis à profit. Le pays traîne également les boulets de l’insécurité et une instabilité politique auxquelles la dynamique économique s’est habituée, comme en témoignent les évolutions en dents de scie du taux de croissance du PIB. Le pays, classé dans la catégorie des économies à «faibles revenus» par le FMI, a bouclé 2011 avec une croissance de 5,6%, avant retomber à -2,8% en 2012 ! Cette récession est tributaire de la suspension des activités de production dans tous les secteurs , suite au coup d’État d’avril 2012 (voir encadré ). Toutefois, un semblant de rétablissement est annoncé par le FMI, qui voit le PIB du pays croître de 3,5% à fin 2013, des chiffres honorables pour une économie qui a du mal à s’assurer une stabilité prompte à séduire les investisseurs du privé, étrangers ou locaux. La confirmation de ces perspectives est évidemment assujettie à d’innombrables conditions. Notamment, la reprise, avec un volume relativement plus soutenu , des exportations du pays en noix de cajou, accompagnées d’un léger raffermissement des cours de ce produit sur les marchés internationaux, ainsi que par la relance de projets d’investissements publics mis en stand-by par les perturbations politiques. Le FMI soumet également la reprise de la croissance à un maintien de la stabilité politique. Au bord de l'asphyxie Les autorités font face, par ailleurs, à une inflation grandissante. Le pays importe en effet une bonne partie de ses biens de consommation, ce qui rend l’économie vulnérable aux chocs exogènes conjoncturels Taille 1,6 million de consommateurs potentiels (2011) Monnaie Franc CFA PIB 967,8 millions de dollars US (2011) Croissance PIB -2,8% en 2012, 5,7% en 2013 (FMI) Région économique Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) Doing Business 2013 179e mondial sur 185 pays (178e au DB2012) comme les flambées des cours des matières premières alimentaires. Cette situation n’arrange évidemment pas le développement humain : le pays enregistre un taux de pauvreté très élevé. En 2012, la Guinée-Bissau a fini à la 176e place sur un total de 186 pays dans le dernier index annuel de développement humain des Nations Unies. De plus, en mal de diversification, l’économie continue de reposer son avenir sur l’agriculture et la pêche, qui constituent à elles seules 44% du Produit national brut. Le secteur agricole, emploie 80% de la population active et représente 90% des exportations. Un important déficit en infrastructures publics vient assombrir davantage ce tableau, mais laisse entrouvertes d’importantes opportunités d’investissements. ● «Paradis» du narcotrafic Chez Coface, la Guinée Bissau figure dans la liste de la douzaine de pays «interdits au titre du risque exportateur caution et préfinancement», diffusée début février. Rien de vraiment étonnant : il faut savoir que le pays semble tout faire pour collectionner les mauvaises notes. En avril 2012, l’armée renverse le pouvoir civil en place mais ne resteront pas longtemps au pouvoir. L’intervention des autorités de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest a permis de rétablir l’ordre constitutionnel. Un président - Serifo Nhamadjo - est nommé pour diriger un gouvernement de transition et relever une économie mise à genou, avec toutes les compétences et pouvoirs d’un chef d’État élu. Dans cet imbroglio politique où tout est permis, le pays est devenu au fil des ans et des instabilités, un des «paradis» mondiaux du narcotrafic et du narcoterrorisme. LES ÉCO AFRIQUE - MARDI 7 MAI 2013 18 Entretien Blaise AHOUANTCHÉDÉ Directeur général du Groupement interbancaire monétique de l’UEMOA (GIM-UEMOA). «Le défi, réduire l’usage du cash» Les ÉCO : Quel bilan faites-vous des interventions du GIM dans la région et de sa contribution au développement du secteur bancaire? Blaise Ahouantchédé : Les huit économies de l’UEMOA ont pris l’option de promouvoir le secteur bancaire en mettant l’accent sur l’amélioration de l’interopérabilité, depuis 2003. Cela a mené à la création de la GIM, pour répondre à des enjeux structurels concernant le développement de ce secteur. Sachez que nous parlons là d’une région à faible taux de bancarisation et qui se caractérise également par un environnement socioculturel, avec des rapports au «cash» plus ou moins marqués en fonction des marchés concernés et un taux d’analphabétisme important. C’est une région qui a aussi connu les répercussions de la dernière crise financière, laquelle a provoqué une sorte de défiance du public vis-à-vis de l’offre bancaire. Cela ne favorise pas l’expansion des services bancaires. Nous avons donc senti, à partir de tous ces constats, la nécessité d’offrir des solutions de proximité, en relation avec la perception des utilisateurs et de leurs rapports quotidiens avec les finances. C’est une question de modèle économique, tout simplement. Lorsqu’on analyse notre schéma d’actions, structurellement, vous remarquerez que nous nous efforçons de faire en sorte que tous les acteurs du secteur s’y retrouvent. Nous avons mis en place des tarifs d’interopérabilité bancaire fixés collégialement et par consensus avec les structures membres du réseau GIM. Notre défi a donc surtout été de parvenir à bâtir, à partir d’un environnement bancaire extrêmement hétérogène, une véritable offre compétitive de services interbancaires. En chiffres le GIM, c’est aujourd’hui 91 institutions bancaires interconnectées, plus de 2,5 millions de transactions traitées en 2012, soit 150 milliards de Francs CFA en flux de capitaux. Ce sont des chiffres très encourageants, mais qui restent encore assez limités vis-à-vis du potentiel… Oui, en effet. Mais si je pense que nous sommes arrivés à mettre en place une plateforme d’offres complètes pour gérer ces opérations interbancaires, à partir de cartes prépayées, de crédits, de débits, et du mobile banking, entre autres moyens de paiement, le défi pour les années à venir est d’asseoir une vaste stratégie de marketing commercial. Nous comptons apporter de la vraie valeur aux utilisateurs, en fonction des segments d’usage les plus développés sur les marchés ouest-africains. . Dans la monétique, les technologies évoluent à une vitesse fulgurante dans le monde. Mais, l’Afrique est à la traîne... En Afrique, nous avons nos propres problématiques qui pèsent sur le décollage du secteur de la monétique. L’une d’elles est liée à nos capacités d’appropriation et de disponibilité de compétences locales aptes à faciliter cette appropriation. Nous avons un grand déficit en ressources humaines spécialisées dans ce secteur. pas les avancées C’est pourquoi nous avons mis en place un programme de formation : GIM Academy. Cette structure offre des modules adaptés Nous sommes conscients qu’il faut gérer les questions d’interopérabilité et de sécurité des opérations sur ce segment. Nous sommes également sensibles aux conditions d’accessibilité de ce type de services, en réduisant les prix et en développant une vraie proximité avec les utilisateurs. aux contraintes et défis actuels du secteur bancaire dans sa globalité. Cette offre de formation a d’ailleurs toujours existé dans le projet global de GIM. Cette structure interviendra-t-elle également dans l’éducation financière ? Oui bien sûr. Au-delà de la nécessité de former les acteurs, il faudrait effectivement aussi éduquer et sensibiliser les clients. GIM Academy prend en compte cette dimension, en vulgarisant davantage les services financiers. Le défi est double : gagner la confiance des utilisateurs et développer les usages dans une société encore hautement orientée vers le cash. Est-ce que «mobile-banking» est une solution à l’inclusion financière en Afrique ? Les acteurs considèrent de plus en plus le mobile-banking comme un probable canal pour véhiculer des informations et opérations bancaires, mais si ces informations et opérations ne sont pas assez maîtrisées et protégées, cette solution n’aura aucun effet. C’est pour cette raison qu’au niveau du GIM, nous avons estimé important de développer des solutions fiables pour gagner progressivement et conserver la confiance des utilisateurs. ●●● GIM Academy vise à former des RH spécialisées dans les métiers de la monétique. Que pensez-vous de l’expansion des banques marocaines sur les marchés subsahariens ? Mon point de vue est fondé sur deux angles. D’abord, nous sommes dans un monde de libre concurrence et d’ouverture économique. Je salue donc l’arrivée des banques marocaines dans la région, car elles développent du business, créent des emplois et contribuent au développement de la bancarisation. Le second angle de mon analyse est un peu plus critique. Je pense que le désengagement massif des opérateurs subsahariens dans les investissements bancaires, aujourd’hui sous contrôle maghrébin et en l’occurrence marocain, risque d’influer sur les intérêts des acteurs du développement du secteur bancaire. Je pense donc que les shareholders locaux doivent se maintenir dans ce secteur pour en promouvoir les investissements. ● PROPOS RECCUEILLIS PAR SAFALL FALL [email protected] Bon à savoir ! C’est en 1999 que la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) a initié un projet d'envergure régionale visant à la modernisation des systèmes de paiement dans les huit pays de l'UEMOA. Cette réforme des systèmes de paiement dans cette zone économique s'inscrivait dans le cadre général de l'assainissement du système financier et de l'accélération du processus d'intégration économique régional. L’un des volets principaux de cette réforme est la mise en place d’un système interbancaire de paiement et de retrait par carte au sein des huit pays. Une structure de gouvernance de la monétique régionale créée en février 2003, sous forme de GIE et dénommée le «Groupement interbancaire monétique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine» (GIM-UEMOA), chargée notamment d’assurer la réglementation et la normalisation du système monétique interbancaire. À ce jour, le GIM-UEMOA regroupe déjà une centaine de banques, d'établissements financiers et postaux de l’UEMOA. LES ÉCO AFRIQUE - MARDI 7 MAI 2013 19 Vue du Cameroun BILLET Thierry Ekouti Dir.pub-Le Quotidien de l’Économie (Cameroun) Une bonne loi... et après ? Le casse-tête des logements sociaux ● Sur les 10.000 logements annoncés par l’État à l’horizon 2015, à peine 1.675 sont déjà disponibles. Alors que les délais se raccourcissent, les entreprises étrangères sont de plus en plus sollicitées pour la réalisation de cette promesse qui date de 2004. U ne loi fixant les incitations à l’investissement privé a été votée par l’Assemblée nationale camerounaise et promulguée le 18 avril dernier. Elle prévoit un nombre considérable de faveurs aux opérateurs économiques nouveaux ou anciens dans le pays. Cette loi vient satisfaire l’une des nombreuses attentes exprimées pendant longtemps par les acteurs du secteur privé à chacune de leurs rencontres avec les pouvoirs publics. Et André Fotso, le président du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam), principal mouvement patronal du pays, n’a d’ailleurs pas caché sa satisfaction. Il estime que pour une fois, les pouvoirs publics ont réellement pris en compte les observations des chefs d’entreprise et des investisseurs. Sauf que le tout n’est pas d’avoir une bonne loi. Il faut encore que son application soit, elle aussi, bonne. Les juristes sont souvent montés au créneau pour dire qu’au Cameroun, le problème se pose surtout au niveau de la mise en œuvre au quotidien des textes adoptés, qui sont généralement de bonne qualité. Car, il est régulièrement reproché aux fonctionnaires de retarder volontairement la signature ou la délivrance d’un document pour amener le demandeur à leur verser un bakchich. Il est aussi fréquent qu’une pièce gratuite dans les textes soit vendue dans les faits par l’agent responsable de sa délivrance ; ou qu’un document revienne plus cher que ce qu’il devrait. Et des études ont montré que cette corruption généralisée n’épargne aucun secteur de la société. Il est donc indispensable pour les pouvoirs publics d’agir aussi sur le levier de la lutte anticorruption. N’ayant qu’une force de dénonciation, une institution comme la CONAC (Commission nationale anticorruption) se révèle encore inefficace. Et malgré ses nombreux rapports mettant en cause plusieurs administrations, le problème reste entier. Il faut donc aller plus loin… ● ● Le Cameroun affiche un déficit d’un million de logements. I l sera procédé, dès le mois de juin prochain à la commercialisation de la première vague des logements sociaux promis par le gouvernement camerounais depuis 2004 et mis en œuvre dès 2009. Cette première livraison concerne un total de 1.675 logements dont la construction est terminée au quartier Olémbé, une banlieue de la capitale Yaoundé. Une commission vient ainsi d’être mise sur pied au ministère de l’Habitat et du développement urbain (MINHDU) pour arrêter et proposer au gouvernement les modalités d’éligibilité et de vente de ces premiers logements. D’après certaines sources dans l’administration camerounaise, la commercialisation de ces logements-témoins devrait rapporter près de 33,5 milliards (51 millions d’euros) de FCFA à l’État. Néanmoins, des voix s’élèvent dans les rangs de la population pour dénoncer la valeur «élitiste» de ces logements pourtant dits sociaux car, apprend-on, le citoyen devra débourser à partir de 10 millions de FCFA (15.245 euros) pour acquérir le plus modeste d'entre eux. Une barre bien haute pour l’écrasante majorité de la population d’un pays où le taux moyen de pauvreté qui est de l’ordre de 40% dépasse 60% dans certaines régions. Ces habitations font partie d’un programme de construction de loge- La corruption retarde la délivrance des autorisations de construction. ments sociaux lancé par le gouvernement camerounais en 2009. Il était alors question de livrer un total de 10.000 logements sociaux à l’horizon 2015 dans les principales villes du pays, dont Douala et Yaoundé. Seulement, les choses ne se sont pas passées comme prévues et en janvier 2013, Jean Claude Mbwentchou, le ministre de l’Habitat constatait que les chantiers de ●●● L’État devait réaliser 10.000 logements, à Douala et Yaoundé, à l’horizon 2015. Mais le retard pris sur les chantiers devrait reporter la livraison d’au moins deux ans. la première vague accusaient déjà plus de 22 mois de retard dans leur livraison. Un retard qui n’est pas sans conséquence quand on sait, à en croire l’agence Chine nouvelle, que leur commercialisation devait permettre «la constitution d'un matelas financier pour le financement des autres logements du programme.» Parmi les raisons alors recensées pour expliquer ce retard, il y avait le choix jugé «complaisant» des entreprises devant exécuter ces travaux. Lesquelles entreprises ne disposent pas des capacités financières suffisantes. De leur côté, ces entreprises, toutes camerounaises, soulèvent deux griefs : d’un côté, les financements de l’État qui arrivent au compte-gouttes et de l’autre, les études préalables qui n’avaient pas été bien faites, entraînant des surcoûts. Quoi qu’il en soit, alors que l’on est à deux ans seulement de l’échéance, l’État a décidé d’en tirer les leçons et de se tourner vers des opérateurs étrangers pour la suite du programme. C’est ainsi que des entreprises espagnoles et chinoises sont d’ores déjà à pied d’œuvre sur certains chantiers, alors que des Turcs et des Qataris se sont déjà manifestés. Auparavant, d’autres investisseurs avaient spontanément exprimé leur intérêt pour ce programme. À l’exemple du nigérian Dangote et du marocain Addoha qui terminent actuellement la construction de leurs usines de ciment à Douala, pour une production annuelle prévue entre 500.000 et un million de tonnes car, Cimencam, filiale du français Lafarge et seul producteur actuel, ne satisfait pas la demande. Avec une population estimée à plus de 20 millions d’habitants, le Cameroun compte à ce jour moins de deux millions de logements décents et affiche, selon les statistiques officielles, un déficit de l’ordre d’un million de logements. Les instruments mis en place par l’État depuis plusieurs décennies pour financer, aménager des espaces et construire des logements n’ayant produit jusqu’ici que des résultats limités : à peine 10.000 parcelles aménagées et environ 11.000 logements construits. ● PAR JULIEN CHONGWANG Le Quotidien de l’Économie – Douala – Cameroun