5.1 ÉTUDE DU POTENTIEL SISMIQUE et de l’enracinement de la faille de la Moyenne Durance Edward Marc CUSHING, Stéphane BAIZE, Stéphane NECHTSCHEIN, Pierre DERVIN , Philippe VOLANT Bureau d'évaluation des risques sismiques pour la sûreté des installations Le Sud-Est de la France est fréquemment cité comme étant une des régions françaises (hors territoires d’outre-mer) présentant un niveau d’aléa sismique certes modéré, mais non négligeable si l’on en juge à partir des données de sismicité historique (figure 1). Deux séismes ont ainsi eu des conséquences sévères sur les vies humaines et les constructions : le séisme du 23 février 1887 en région Ligure, au sud-est de Nice, et celui du 11 juin 1909 dans les chaînons calcaires de la région de Lambesc et de Salon-de-Provence. Ce dernier a provoqué la mort d’environ 40 personnes. Outre ces deux séismes d’intensité exceptionnelle, une sismicité régulière de plus faible niveau se produit ; elle s’exprime principalement dans l’arrière-pays niçois et le long d’un axe reliant la région aixoise aux confins des Alpes-de-Haute-Provence et s’étendant jusqu’à la région de la Motte-du-Caire. Sur ce dernier axe, qui correspond à la trace d’une faille très ancienne (300 millions d’années), les séismes modérés se sont produits presque régulièrement depuis le XVIe siècle. Cette faille, ou plutôt cet ensemble de failles, est dénommée par les géologues « faille de la Moyenne Durance » (FMD). Si la magnitude des séismes destructeurs de Ligurie et du pays niçois est estimée à environ 6, celles des séismes de la FMD sont plus faibles, inférieures à 5,3. Le système de failles est par ailleurs caractérisé par une microsismicité régulière. Depuis le début des années 90, les géologues ont également mis en évidence, à l’échelle régionale et sur la FMD en particulier, des traces de séismes préhistoriques qui auraient pu atteindre ou dépasser les magnitudes des séismes de Lambesc et de la région Ligure. Bien que la région du Sud-Est de la France ait déjà été beaucoup étudiée par les sismologues et les géologues, la connaissance des failles et la quantification de leur « potentialité » à générer des séismes restent encore insuffisantes pour définir précisément l’aléa sismique qui leur est associé. Des études approfondies sont actuellement en cours dans la communauté scientifique nationale. L’IRSN y contribue largement depuis une quinzaine d’années, dans le cadre de ses activités de recherche. L’effort a jusqu’à présent été focalisé sur le système de failles de la Moyenne Durance en tant que cas d’étude typique d’une « faille lente en contexte intracontinental ». L’IRSN a installé depuis une dizaine d’années un réseau de mesures sismiques et un ensemble de stations équipées de récepteurs GPS (de façon permanente ou temporaire). Cette instrumentation a pour but de caractériser l’activité des différents segments constituant le système de failles de la FMD. En participant aux réseaux nationaux (géodésique et sismologique) et en développant des réseaux locaux, l’IRSN contribue ainsi à la recherche en tectonique à différentes échelles, tout en poursuivant son objectif principal : l’estimation de l’aléa sismique pour la sûreté des installations à risque. 206 Rapport scientifique et technique 2007 - IRSN Les études de sûreté et de sécurité des installations 4°30' 5°00' . sF n e 1873 6°00' Tricastin Swarm 1866 F. 1873 6°30' 1773 ith 50° 50° Cé n ve 5°30' 1952 VLFZ me 15° Baronnies Ve r 5° 44°30' 0° 1927 43°30' 44° 44° Tr é v 43° 6° ares 2.5 - 3 3-4 4-5 se Sismicité historique (Base de données SisFrance) AIX-EN-PROVENCE BERRE-L'ÉTANG 7° MARSEILLE B TOULON MER MÉDITERRANÉE Altitude 1 500 m 1 300 m 20 km 4°30' 5°00' IX VIII - IX VIII VII - VIII VII VI - VII VI V - VI Site de paléosismicité ou de déformation quaternaire documentée 5°30' 6°00' Plis actifs Modèle de vitesse 3D 0m Figure 1 1855 1951 Sismicité instrumentale (MI) (CEA/LDG 1962-2004) 43° A 5° AFZ ARLES 1913 MANOSQUE . 1812 1812 1909 4° 1708 1506 eF NÎMES Alpilles 45° 45° Lubéron nc 6° Panneau provençal AVIGNON ra 6° 1769 Du 44°00' 15° F. 44°00' 5° t en m he uc va e e lan he n l te as C 4° 5° es ig 40° C D 40° 0° m Nî Carte générale de la sismicité régionale et des principales failles. Caractérisation de l’aléa sismique : les questions posées La pratique actuelle d’évaluation de l’aléa sismique en France pour les installations à risque (installations nucléaires et chimiques, barrages) est une approche déterministe. Cette approche estime le Parmi les missions de l’IRSN concernant la sûreté des installations niveau d’accélération qui serait produit par le plus fort séisme nucléaires, l’une d’elles consiste à évaluer le niveau de protection historique ramené au plus près du site, augmenté d’une marge de vis-à-vis de « l’agression externe » que peuvent constituer les sécurité. Cette marge est définie en augmentant d’un demi-degré séismes. Le risque sismique résulte de la combinaison de l’aléa la magnitude du séisme retenu. (mouvement du sol généré par un séisme) et de la vulnérabilité du D’une manière générale, pour évaluer l’aléa, il est nécessaire d’iden- bâti ou des infrastructures. La pratique réglementaire prévoit que tifier les « sources » capables de produire les séismes agresseurs et le maintien des fonctions importantes de sûreté d’une installation de caractériser leur potentialité. Généralement, dans les zones de nucléaire de base en surface, notamment et selon ses caractéristi- faible sismicité où les failles sont mal connues, l’approche déter- ques précises, l’arrêt sûr, le refroidissement et le confinement des ministe revient à considérer des régions comme sources possibles produits radioactifs, puisse être assuré pendant et/ou à la suite de de séismes. Ces zones sont définies sur la base de leur homogé- séismes plausibles pouvant affecter le site de l’installation consi- néité en termes de géologie et de sismicité. Dans les régions un dérée. peu plus actives comme la Provence, l’Alsace et les Pyrénées par exemple, les failles sont souvent mieux connues et, surtout, des IRSN - Rapport scientifique et technique 2007 207 5.1 5.1 séismes importants peuvent être associés (par leur position carto- leur orientation par rapport à la direction de raccourcissement de graphique) à ces failles-sources. la croûte. Des études de paléosismicité (étude des traces des séismes Il reste qu’estimer l’aléa relève d’une démarche plus large qui « préhistoriques » dans les couches géologiques récentes) ont nécessite d’apporter des réponses aux questions suivantes : révélé une déformation qui a été interprétée comme la preuve d’un quelle est la taille des failles qui peuvent générer des séismes ? paléoséisme près de Manosque. D’après les auteurs [Sébrier et al., La magnitude d’un séisme, et donc sa dangerosité, est directement 1997], un déplacement vertical métrique aurait pu se produire liée à ce paramètre. La taille et l’extension d’une faille active peu- pendant un événement sismique entre 27 000 ans BP et 9 000 ans vent être déterminées par la cartographie en surface et la localisa- BP. La FMD aurait donc été capable de produire un séisme important, tion des microséismes, ainsi que par l’imagerie en profondeur. La dont la magnitude est estimée entre 6,0 et 6,5 en s’appuyant sur caractérisation de séismes majeurs « préhistoriques » permet des relations empiriques reliant dimension de la faille et énergie du également d’évaluer ce paramètre ; séisme. Une telle magnitude conduit à admettre que la faille a avec quelle vitesse se déforme la région affectée par les failles affecté, lors de ce séisme majeur, non seulement la série sédimen- en question ? Il s’agit d’un critère important pour savoir avec taire superficielle (entre 0 et 5 km), mais aussi une partie profonde quelle périodicité reviendront les séismes majeurs. En plus de la jusqu’à 10-15 km. Ceci implique que la FMD serait une faille datation des marqueurs géologiques, les mesures géodésiques « enracinée » dans le socle cristallin. apportent des données utiles pour évaluer cette vitesse. Les interprétations des déformations superficielles sont souvent Évaluer l’aléa sismique associé à un système de failles actives ténues et leur signification en termes de paléoséismes (surtout de consiste à répondre aux questions précédentes grâce à la mise en magnitude) est délicate et parfois sujette à caution. Si les défor- œuvre d’études. Les principaux résultats de celles menées par mations observées près de Manosque ne correspondaient pas à une l’IRSN sur la FMD sont présentés ci-après, avec la description et trace de paléoséisme, aucune autre preuve de rupture impliquant l’analyse des données récentes concernant la microsismicité, la largement la croûte n’existerait pour la FMD. géométrie en profondeur de la faille, la vitesse de déformation. Dans ce contexte, les seules données qui permettent de déterminer L’approche correspondante est complémentaire de l’approche les caractéristiques des séismes maximaux sont les observations réglementaire mentionnée ci-avant et permet d’appréhender l’aléa historiques (1509, 1708, 1812, 1913). Elles conduisent à des magni- spécifique d’une faille lente active, pour laquelle la sismicité histo- tudes voisines de 5 et à des séismes de faible profondeur. Dans ce rique donne accès à une période trop courte pour être représenta- cas, seule la partie supérieure de la croûte (couverture sédimentaire) tive de l’historique complet de son activité. serait active. La levée de l’indétermination entre ces deux hypothèses d’activité superficielle ou profonde sur l’enracinement est importante en Taille des failles du système FMD pouvant produire les séismes termes d’aléa sismique puisqu’elle conditionne, in fine, le choix des caractéristiques des séismes à prendre en compte pour la FMD. Deux approches complémentaires ont été mises en œuvre afin Potentialité de séismes majeurs liée à la connaissance de l’enracinement des failles d’évaluer les dimensions des sources sismogéniques : d’une part, La FMD n’est pas une structure unique et continue. Il s’agit d’un en profondeur, d’autre part, l’étude de l’activité microsismique système complexe de failles plutôt discontinues, pour la plupart pour bien localiser en profondeur les zones actives des segments héritées d’épisodes tectoniques anciens, qui s’étend sur 70 km et de faille. l’examen des lignes sismiques disponibles pour imager les failles qui affecte vraisemblablement toute l’épaisseur de la croûte jusqu’à rôle majeur pendant l’ère Mésozoïque (250 à 65 Ma), puis à l’Oligo- Connaissance de la structure (3D) de la FMD à partir de l’imagerie géophysique (dont données pétrolières) Miocène (35 à 15 Ma) lors de la formation des bassins sédimentaires Les dimensions des sources sont conditionnées par la répartition de Manosque-Forcalquier et d’Aix-en-Provence, puis du bassin de spatiale des « segments » de faille. Décrire cette segmentation Valensole (de 10 Ma à maintenant). À ces époques, les failles ont revient donc, dans un premier temps, à détailler les traces des joué en étirement pendant la formation de la Méditerranée. Par la branches de faille qui peuvent être cartographiées en surface. Dans suite, ces mêmes failles ont joué en raccourcissement pendant les un deuxième temps, il faut évaluer l’extension en profondeur des épisodes alpins (Mio-Pliocène, entre 15 et 2 Ma). Elles ont donc été différents segments de faille qui constituent autant de zones pos- récemment remobilisées en failles inverses ou décrochantes, suivant sibles de rupture individuelle. L’aire de chacun de ces segments une trentaine de km de profondeur. Ce système de failles a joué un 208 Rapport scientifique et technique 2007 - IRSN Les études de sûreté et de sécurité des installations X N 60000 0 40000 7 Y 20000 0 20000 6 40000 5 8 10 12 Figure 2 60000 9 2 13 MDFZ 3 11 Trévaresse 4 1 Aix Fault 10000 Z N Lubéron 80000 10 km 0 Segmentation de la FMD (détail de la région de Manosque). Segmentation simplifiée en vues 2D & 3D. conditionne la taille des séismes maximaux susceptibles de se après leur acquisition selon la loi). Jusque dans les années 1980, produire sur la faille. On dispose de relations empiriques reliant la représentation de la structure de la FMD a reposé sur l’hypo- certains paramètres géométriques tels que la surface de la rupture thèse d’une faille à fort pendage, s’ancrant profondément dans la instantanée lors d’un séisme, la longueur de la trace de la faille en croûte cristalline, affectant de concert le socle pré-Mésozoïque surface pendant cette rupture, à l’énergie du séisme exprimée par et sa couverture sédimentaire. Cette interprétation reposait sur sa magnitude. Ces relations ont été établies à partir d’observations les données de forages et les campagnes de sismique des années géologiques et sismologiques, pendant les trente dernières années, 1970 (société Elf). lors de séismes survenus en différentes régions de la planète. Depuis la fin des années 50, les compagnies pétrolières se sont L’analyse des données de sismique-réflexion acquises par la société intéressées aux réserves en hydrocarbures sur le territoire natio- Total en 1985-1986 a permis à Benedicto-Esteban (1996) de nal et, dès 1960, un certain nombre de forages d’exploration ont proposer une nouvelle interprétation structurale de la FMD entre été réalisés dans le sous-sol provençal, notamment dans la région Saint-Paul-lez-Durance et Peyruis. Par rapport à l’interprétation de la Durance. On dispose ainsi aujourd’hui de données géologi- initiale, cette nouvelle représentation décrit un système de failles ques détaillées sur les séries sédimentaires qui constituent cette inclinées s’aplatissant vers la base de la série sédimentaire dans les région. Ces forages ont localement atteint le « substratum cris- niveaux ductiles de gypses et de sel du Trias (faciès parfois qualifiés tallin » de la série sédimentaire, en particulier à l’est de la vallée de « couches-savons »), réputés pour favoriser le glissement en de la Durance. En plus de l’étude de la géométrie des couches masse de la pile sédimentaire sus-jacente. Dans l’interprétation de sédimentaires, preuve a été apportée de la forte dissymétrie Benedicto-Esteban (1996), ces failles dites listriques surplombent géologique entre la couverture sédimentaire épaisse à l’ouest de d’autres failles qui provoquent l’enfoncement vers l’ouest du socle la FMD (bassin de Forcalquier) et une couverture plus mince cristallin. (1 à 2 km) à l’est (figure 2). Les recherches pétrolières ont ensuite été poursuivies par des L’IRSN a également interprété quelques autres lignes sismiques. Le campagnes exhaustives de sismique-réflexion, visant à imager les CEA a fourni quatre lignes de 1971, tandis que la société Coparex premiers kilomètres des séries sédimentaires. Ces campagnes, en a fourni trois (campagne Total de 1985-1986). Sur la base de réalisées dans les années 1970 et 1980, ont amélioré significati- ces sept profils et de sa connaissance géologique de la région, vement la connaissance structurale régionale. Si les données l’IRSN a lui aussi identifié deux ensembles de failles superposées. interprétées sont toujours non publiques, les données brutes sont, Ainsi, sur la base de l’ensemble des données précédentes, l’exis- en revanche, disponibles et peuvent être « déstockées » (dix ans tence de failles profondes ne peut pas être écartée et la question IRSN - Rapport scientifique et technique 2007 209 5.1 5.1 de leur activité reste en suspens. C’est pour répondre à ces incertitudes que l’IRSN a décidé de tirer également parti des données instrumentales disponibles depuis l’installation dans les années 1990 de son réseau sismométrique. Vélocimétrie Accélérométrie GPS N Utilisation par l’IRSN de la microsismicité pour connaître la géométrie de la faille et le mécanisme de déformation MLY BLA Moyens mis en œuvre OBS L’IRSN étudie la sismicité de la FMD afin d’améliorer la compré- BLV hension de sa structure et de son fonctionnement. C’est en 1992 VAL que l’IRSN a entrepris la conception et la mise en place de son réseau de surveillance sismique, constitué alors de six points de BST mesure et centré sur le village de Beaumont-de-Pertuis (Vaucluse). GRX L’objectif de ce dispositif était de pouvoir localiser les séismes se ESC produisant sur la FMD et d’en calculer la magnitude afin de connaî- GIN tre le plus finement possible le fonctionnement de cette faille CAD active. JOU Le réseau sismique IRSN de la Durance est actuellement composé MEY de 12 vélocimètres et de 18 accéléromètres (figure 3). Les stations ART vélocimétriques comprennent des capteurs « L4 » de fréquence de résonance 1 Hz, associés à des chaînes d’acquisition « M88/MC » 10 km de fabrication Lennartz. Le parc accélérométrique est composé d’instruments « Etna » et « K2 » fabriqués par Kinemetrics. Toutes ces stations sont à trois composantes (deux composantes horizontales, une composante verticale). L’ensemble des vélocimètres, ainsi Figure 3 Réseaux instrumentaux de la FMD (accélérométrie, vélocimétrie, GPS). que les accéléromètres de Cadarache, Pierrevert, Manosque, Jouques, Saint-Michel-l’Observatoire et la Vigie sont télémétrés. La combi- tique, mais il est plus adapté pour la localisation de la microsismicité naison de ces deux types d’instrument permet, d’une part, de que le modèle « 1D » utilisé auparavant. surveiller la sismicité locale avec une très haute sensibilité grâce La localisation des séismes a été obtenue en utilisant ce modèle de aux vélocimètres, d’autre part, d’avoir des signaux non saturés en vitesse 3D et le programme d’inversion « NonLinLoc » développé par cas de mouvement fort grâce aux accéléromètres. A. Lomax [Volant et al., 2003]. La méthode utilisée permet de minimiser les incertitudes sur la localisation en trois dimensions. Ainsi, Premiers résultats 155 événements ont été localisés. Leur magnitude de moment a été Les premiers résultats sur la microsismicité de la FMD ont été publiés calculée à partir des spectres de déplacement [Nechtschein, 2003 ; par Volant [Volant et al., 2000 et 2003]. Un travail plus exhaustif Volant et al., 2003] : elle est comprise entre 1 et 3. Pour réaliser une sur l’activité sismique enregistrée de 1999 à 2006 a été réalisé en interprétation sismotectonique, seuls les « meilleurs » séismes rem- 2006. Cette étude a permis de localiser la microsismicité plus plissant les deux conditions suivantes ont été retenus : ils ont été finement et de préciser les modalités de répartition des contraintes enregistrés par au moins cinq stations et ils ont été suffisamment autour de la FMD (Cushing et al., 2008). Auparavant, il a été néces- bien localisés (incertitude inférieure ou égale à 2 km). Ces critères ont saire de réaliser une synthèse des données géologiques et géophy- conduit à ne conserver que 59 événements localisés correspondant siques disponibles afin d’établir, d’une part, un modèle à petite à des séismes « tectoniques ». Il n’a été possible de calculer des échelle de la segmentation de la FMD [Cushing et Bellier, 2003] et, mécanismes au foyer(1), décrivant la cinématique du déplacement de d’autre part, un modèle de vitesse « 3D » (des ondes P) à l’échelle la faille mobilisée pendant le séisme, que pour 27 d’entre eux, en régionale. Ce modèle s’attache à décrire la géométrie de la croûte utilisant le code « FPFIT » [Reasenberg & Oppenheimer, 1985]. terrestre en termes de superposition et de juxtaposition de couches de propriétés différentes (notamment en termes de vitesse de pro- Répartition de la sismicité pagation des ondes sismiques). Compte tenu du faible nombre de La distribution des épicentres (figure 4) montre une image moins lignes sismiques et de forages disponibles, ce modèle reste schéma- diffuse que celle de la microsismicité décrite par les réseaux nationaux 210 Rapport scientifique et technique 2007 - IRSN Les études de sûreté et de sécurité des installations ce secteur, comme l’atteste le sondage de Jouques (socle à 2 km). X (km) 0 20 40 Z (km) 0 5 60 Des événements profonds (entre 8 et 15 km) ont été localisés au 10 15 nord du plateau de Valensole. Ils pourraient attester le fonction- 80 80 nement de failles profondes, non localisées car n’émergeant pas à la surface, situées sous les plis de Mirabeau et Lambruissier. 60 60 Processus de déformation La majorité des 27 mécanismes au foyer associés aux événements enregistrés montre des axes en compression subméridiens, induisant 40 40 pour l’essentiel des cinématiques en coulissage (figure 5). Ceci est cohérent avec le régime tectonique en décrochement senestre de la FMD, déduit des données géologiques qui indiquent un raccourcis- 20 20 sement méridien. Quelques mécanismes correspondent toutefois à 0 0 5 10 15 inverses sont localisés sur l’ensemble du secteur d’étude, alors que les jeux normaux se trouvent uniquement près de l’extrémité méri- 0 0 dionale de la FMD. Cette particularité peut résulter d’une modifica- 5 5 tion locale du régime des contraintes à la terminaison de faille. 10 10 15 15 0 X (km) 20 40 Z (km) Z (km) 0 Y (km) Y (km) des cinématiques en failles inverses ou en failles normales. Les jeux 60 L’analyse de la distribution des axes de contrainte conduit à proposer une direction moyenne de compression N-S à NNO-SSE autour de la faille. La forte proportion de séismes localisés dans la couverture suggère l’existence d’un découplage mécanique situé au niveau des évaporites triasiques. Par ailleurs, la différence de distribution des Figure 4 Localisation 3D de la microsismicité enregistrée par le réseau IRSN. axes de compression entre le socle (NE) et sa couverture (NNO) pourrait indiquer l’existence d’un découplage des régimes tectoniques entre le substratum et le panneau provençal chevauchant. L’étude (Renass, CEA/LDG). L’activité microsismique est quasi nulle sous le des mécanismes au foyer déduits de l’analyse de la microsismicité panneau provençal (à l’ouest de la FMD), sous la montagne de Lure conduit à caractériser une contrainte maximale horizontale et le Lubéron. La majorité des événements se produit dans une bande moyenne orientée N165°E, c’est-à-dire SSE. de 5 km de large environ, tout au long des 50 km des branches du système de failles entre Peyruis et Meyrargues. Une densité plus marquée est notée entre Saint-Paul-Lez-Durance et Oraison. Évaluation de la vitesse de glissement de la FMD La grande majorité des événements se situe à une profondeur inférieure à 4 km ; l’activité microsismique se produit donc majo- Vitesse de la faille et période de retour ritairement dans la couverture sédimentaire, au-dessus du subs- Les séismes de magnitude importante (M > 6,0) peuvent produire tratum antétriasique. Un essaim de sismicité est localisé au une rupture en surface. La taille de cette rupture reflète le déplacement sud-est du secteur, dans les environs du chevauchement à ver- instantané des lèvres de la faille. Plus la magnitude est élevée, plus gence sud du Mont Major. La sismicité y est très superficielle et le déplacement (ou « dislocation ») est important. Par exemple, un traduit vraisemblablement l’activité du décollement de cette séisme de magnitude 6,0 provoquera un déplacement en surface de structure au-dessus du trias salifère peu profond à cet endroit. l’ordre de 20 à 50 cm, un séisme de magnitude 6,5 provoquera un Quelques événements sont situés dans le prolongement méridional déplacement de 0,5 à 1 m. Après un tel séisme, il est possible que la de la FMD (au niveau de la faille de Jouques), entre 4 et 9 km de faille se « bloque » et que les contraintes s’accumulent sans provo- profondeur. Ils se sont vraisemblablement produits dans le socle quer de glissement ultérieur. C’est au déclenchement du séisme antétriasique, puisque le toit du socle est assez superficiel dans suivant que les contraintes sont libérées par le glissement de la faille. Ce processus est appelé cycle sismique. (1) Un mécanisme au foyer consiste en la détermination de l'orientation de la faille qui glisse lors du séisme, ainsi que de la direction de glissement relative des blocs le long de cette faille. Le déplacement cumulé intégrant plusieurs cycles sismiques peut être déterminé directement en mesurant le déplacement de mar- IRSN - Rapport scientifique et technique 2007 211 5.1 5.1 a b Evénements sismiques les mieux localisés position par rapport au toit du socle (profondeur en km par rapport au niveau de la mer) Z > 2 km en-dessous du toit du socle Z compris entre 2 km en-dessous ou au-dessus du toit du socle Z < 2 km au-dessus du toit du socle Profondeur des microséismes -3,9 -6,8 FMD Faille de la Moyenne Durance 0-3 3 -6 6 -9 tracé de la faille en surface Iso-contour (profondeur) du toit du socle (par rapport au niveau de la mer) N 0 00 -6 Nature des solutions focales -8,8 10,5 Décrochantes Inverses Normales -8,1 -7,8 N -4,4 -9 -13,7 -70 00 -6000 -8,5 -100 0 -4,5 00 -6,2 -20 -3,7 10 km -3000 00 -5,7 -40 -50 00 -8,7 10 km Figure 5 a : Localisation des événements sismiques vis-à-vis de la position de la segmentation et du socle cristallin. La profondeur du toit du socle cristallin est indiquée par des courbes isobathes en pointillés (altitude de référence = niveau de la mer). b : direction des axes principaux des contraintes déduites des mécanismes au foyer des séismes. queurs géologiques assez anciens et datés. Les vitesses de glissement concrétisées par une thèse [Baroux, 2000] et par une étude de des failles peuvent également être estimées à partir de mesures quantification cinématique [Siame et al., 2004]. Ces travaux, fondés indirectes de plus court terme, issues des méthodes géodésiques. sur la quantification du déplacement de marqueurs géologiques Compte tenu des déplacements unitaires associés à chaque classe datés (utilisation de cosmonucléides), conduisent à proposer un de magnitude, on peut calculer une période de retour pour la taux de glissement à long terme de la FMD inférieur au millimètre classe de séismes correspondante, et ainsi évaluer la durée du cycle par an. sismique. Géodésie spatiale (GPS) Cette démarche est appliquée aux failles rapides des contextes très La géodésie spatiale, mise en œuvre pour l’étude de la tectonique actifs (Californie par exemple), mais reste discutable pour un active depuis le début des années 1990 en France, constitue une contexte intra-plaque où le cycle sismique peut être très long. Faute approche complémentaire des études géologiques et permet d’ac- de disposer de méthode spécifique pour évaluer des périodes de céder aux champs de déplacement « instantanés ». Elle fait l’objet retour pour les failles lentes, les paramètres du cycle sismique sont de recherches à l’IRSN depuis de nombreuses années. L’Institut a évalués à partir d’estimations de la vitesse de glissement à long ainsi procédé à l’installation d’un réseau de mesures temporaires terme de la faille et de la taille unitaire des dislocations sismiques (dans les Pyrénées-Orientales), semi-permanentes et permanentes maximales possibles. (dans le Jura et en Provence). Grâce aux mesures continues des stations Gina (Ginasservis, Var) et Mich (observatoire de Saint- Décalage de marqueurs géologiques Michel-de-Provence, Alpes-de-Haute-Provence), il dispose Depuis le milieu des années 1990, l’IRSN collabore avec les insti- aujourd’hui d’environ sept années et demie d’observations à proxi- tutions universitaires Orsay-Terre puis Cerege pour caractériser le mité de la FMD, de part et d’autre de celle-ci. Cette longue série contexte géologique et cinématique de la FMD. Ces études ont été temporelle, l’une des plus longues d’Europe, permet d’évaluer la 212 Rapport scientifique et technique 2007 - IRSN Les études de sûreté et de sécurité des installations vitesse de rapprochement relatif des deux points concernés à simultanément plusieurs segments de faille ; dans cette configura- - 0,1 ± 0,6 mm/a à 2 σ compte tenu du modèle de bruit utilisé. tion, la magnitude maximale sera plus importante. L’extrapolation de ces vitesses « géodésiques » au glissement montre cependant que la tendance est très faible, mais cohérente Au sujet de la période de retour des événements maximaux avec les vitesses de glissement long terme. Par ailleurs, l’analyse en Différentes approches géologiques ou géomorphologiques conver- tenseur de déformation sur différentes paires de stations en Provence gent vers une vitesse de glissement « long terme » inférieure au donne toujours la même direction de raccourcissement Nord- millimètre de la FMD entre 0,01 et 0,07 [Baroux, 2000 ; Siame et Sud. al., 2004]. L’analyse des données GPS aboutit aussi à une vitesse Concernant cette instrumentation géodésique, l’IRSN a installé, en de glissement « très court terme » inférieure à 0,1 mm/an. collaboration avec l’UMR Géosciences Azur (université de Sophia- Les périodes de retour de séismes peuvent être estimées à l’aide Antipolis, Alpes-Maritimes), un réseau de sites semi-permanents de relations empiriques reliant dislocation co-sismique et surface régulièrement implantés autour du segment de Manosque. Ce réseau des failles mobilisées. Ces estimations conduisent à proposer des permettra, en cas de séisme majeur sur la FMD, de mesurer préci- scénarios impliquant un ou plusieurs segments de faille, avec des sément les déplacements induits et ainsi de mieux comprendre la périodes de retour comprises entre 5 000 et 10 000 ans pour des cinématique des failles associée aux événements sismiques magnitudes comprises entre 5,8 et 6,5 respectivement, cette der- locaux. nière valeur étant considérée comme une borne supérieure, « long terme » reste pour le moment délicate. Le résultat obtenu puisqu’elle correspond à la dislocation de la totalité des segments identifiés. Premières réponses apportées en termes d’aléa sismique L’utilisation des relations empiriques mentionnées précédemment reste toutefois délicate pour des failles « lentes », notamment à cause de la méconnaissance de leur comportement. De plus, aucun Concernant la magnitude maximale des séismes élément ne permet d’inclure ou d’exclure une part de glissement Toutes les études et travaux mentionnés précédemment, combinés asismique (glissement continu d’une faille sans séisme). Malgré avec la connaissance géologique de la région, permettent de pro- toutes ces incertitudes, l’utilisation de relations empiriques permet poser un modèle géométrique de segmentation 3D du système de au moins de donner un ordre de grandeur majorant de la magni- failles de la Durance. Sur la base de ce modèle, il est possible tude et de la période de retour des séismes attendus sur la FMD. d’évaluer l’aléa sismique associé à la FMD. À la suite des travaux de Baroux [Baroux, 2000] et de l’interprétation susmentionnée des lignes sismiques par l’IRSN [Aochi et al., 2006] a été estimé la Conclusion potentialité maximale de la FMD à une magnitude de 6,9. Cette estimation est en accord avec celles obtenues par d’autres études La localisation fine de la microsismicité à l’aide du réseau IRSN académiques [voir par exemple Sébrier et al., 1997]. Dans tous les permet de considérer aujourd’hui que l’activité actuelle de la cas, l’estimation repose sur l’hypothèse de failles actives profon- faille est principalement localisée dans la partie supérieure de la dément enracinées dans le substratum cristallin. croûte (dans la pile sédimentaire), impliquant une dimension L’étude de la microsismicité montre qu’au niveau de la FMD, réduite des segments de faille actifs du fait de leur faible profon- l’activité réside, pour l’essentiel, dans la couverture sédimentaire deur d’enracinement. Ce résultat permet d’estimer une magni- « décollée » sur le Trias salifère et gypseux. En considérant ce tude maximale compatible avec les caractéristiques géométriques résultat et les données cartographiques, ainsi que celles obtenues retenues aujourd’hui. Associé aux résultats issus de nombreu- par l’interprétation des profils sismiques, la dimension maximale ses études géologiques et de l’interprétation des données géo- du plus grand segment cartographié est de 18 km × 6 km. En désiques acquises par l’IRSN, il permet également d’estimer la utilisant les relations empiriques reliant magnitude de séisme et période de retour des événements maximaux plausibles. Les dimension de faille [Wells et Coppersmith, 1994], cela implique que études montrent, d’une part, que la FMD est une faille « lente » la magnitude maximale individuelle par segment ne peut pas apte à produire des séismes avec des ruptures en surface dépasser Mw = 6,0 ± 0,2. Une autre estimation de Mw, suivant la (comme à Valvéranne, près de Manosque), d’autre part, que la relation de [Hanks et Kanamori, 1979] donne Mw = 6,1 avec un dimension des sources est cependant limitée par la forte seg- coulissage de l’ordre de 0,5 m (dislocation co-sismique) le long de mentation verticale et horizontale, conduisant à estimer des la faille. Bien entendu, le déclenchement d’un séisme peut impliquer séismes maximaux de l’ordre de Mw ~ 6,5. IRSN - Rapport scientifique et technique 2007 213 5.1 5.1 La localisation 3D des séismes enregistrés entre 1999 et 2006 a Les résultats acquis par le réseau de surveillance sismique de révélé l’existence d’une activité sismique profonde. Cette acti- l’IRSN ont permis de caractériser la microsismicité de la FMD vité n’est pas directement associée à des failles connues en et des structures environnantes et de proposer une évaluation surface et se situe à la périphérie du système de failles, notam- de l’aléa sismique plus précise. Une acquisition de plus longue ment au nord du plateau de Valensole. donnée de cette surveillance sismique ne devrait pas modifier l’image d’ores et déjà obtenue, sauf peut-être en cas de crise Un certain nombre d’actions relatives à la caractérisation des sismique majeure. Compte tenu de la sismicité historique récur- failles du secteur de la Moyenne Durance est en cours (interpré- rente observée sur la FMD, il est envisagé que le réseau IRSN tation de 400 km de lignes sismiques dans le cadre d’une soit reconfiguré en accélérométrie uniquement afin d’enregis- collaboration CEA-Cadarache/IRSN/BRGM/Cerege ; relocali- trer d’éventuels mouvements forts lors d’événements significatifs sation fine de la microsismicité enregistrée par le réseau IRSN possibles. Pour ce qui concerne l’évolution du réseau vélocimé- dans le cadre d’une collaboration IRSN/Collège de France ; trique, une discussion est en cours quant à son devenir avec la synthèses géologiques dans le cadre de la thèse (CEA/Cerege) communauté académique. de S. Molliex ; tirs de nouveaux profils sismiques par le CEA dans le cadre du programme CASHIMA (programme de R&D du CEA dédié à l’étude de l’aléa sismique autour du site de Cadarache). L’ensemble de ces actions devrait permettre d’améliorer encore la connaissance des failles actives du secteur. Références H. Aochi, M. Cushing, O. Scotti & C. Berge-Thierry, 2006, Estimating rupture scenario likelihood based on dynamic rupture simulations: the example of the segmented Middle Durance fault, southeastern France. Geophysical Journal International, 165 (2), 436-446. E. Baroux, 2000, Tectonique active en région à sismicité modérée : le cas de la Provence (France). Apport d’une approche pluridisciplinaire. Thèse université Paris-Sud, France. A. Benedicto-Esteban, 1996, Modèles tectono-sédimentaires de bassins en extension et style structural de la marge passive du Golfe du Lion (partie Nord), Sud-Est, France. Thèse université de Montpellier II, France. E.M. Cushing & O. Bellier, 2003, La Faille de la Moyenne Durance : précision concernant le tracé en surface de la faille entre Pertuis et Château-Arnoux. Rapport interne IRSN DPRE/SERGD n° 03-21. E.M. Cushing, O. Bellier, S. Nechtschein, M. Sébrier, A. Lomax, Ph. Volant, P. Dervin, P. Guignard, L. Bove, 2008, A multidisciplinary study of a slow-slipping fault for seismic hazard assessment: the example of the Middle Durance Fault (SE France). Geophysical Journal International 172 (3), 1163–1178. doi:10.1111/j.1365-246X.2007.03683.x T.C. Hanks & H. Kanamori, 1979, A moment-magnitude scale. J. Geophys. Res., 84, 2348-2350. S. Nechtschein, 2003, Calcul d’une magnitude de moment Mw pour les séismes enregistrés par le réseau de la Durance. Rapport interne IRSN DEI/SARG n° 03-01. P.A. Reasenberg & D. Oppenheimer, 1985, FPFIT, FPPLOT, & FPPAGE: Fortran computer programs for calculating & displaying earthquake fault-plane solutions. U.S. Geol. Surv. Open File Rep. 85-739. M. Sébrier, A. Ghafiri & J.-L. Blès, 1997. Paleoseismicity in France: fault trench studies in a region of moderate seismicity. J. Geodyn., 24, 207-217. L. Siame, O. Bellier, R. Braucher, M. Sébrier, M. Cushing, D. Bourles, B. Hamelin, E. Baroux, B. De Voogd, G. Raisebeck & F. Yiou, 2004, Local erosion rates versus active tectonics: cosmic ray exposure modelling in Provence (south-east France). Earth Planet. Sci., 220, 345-364. Ph. Volant, C. Berge-Thierry, P. Dervin, M. Cushing, G. Mohammadioun & F. Mathieu, 2000, The South Eastern Durance fault permanent network: Preliminary results. Journal of Seismology, 4, p. 175-189. Ph. Volant, A. Lomax, S. Nechtschein, M. Cushing, T. Ait-Ettajer, C. Berge-Thierry & P. Dervin, 2003, Localisation 3D et calcul de magnitude pour les événements du réseau Durance. 6e colloque national de l’Association française de génie parasismique, École Polytechnique, Palaiseau (France), 1-3 juillet 2003. I, 21-32. D. Wells, K.J. Coppersmith, 1994, New Empirical Relationships among Magnitude, Rupture Length, Rupture Area & Surface Displacement. Bull. of Seismol. Soc. Am., 84, 4, p. 974-1002. 214 Rapport scientifique et technique 2007 - IRSN