MYALGIES ET FATIGUE A L’EFFORT
STRATEGIE DE RECHERCHE D’UNE AFFECTION MUSCULAIRE
Christian Gilardeau
INTRODUCTION
Les symptômes musculaires (myalgies, contractures, fatigabilité) sont un
motif fréquent (10 à 25%) de consultation, quelles que soient les spécialités
concernées : médecine générale, rhumatologie, neurologie, médecine physique.
Le muscle est un organe cible qui peut être victime ou coupable d’un
tableau à expression musculaire. Cette fonction d’organe cible élargit
considérablement le spectre des différentes étiologies.
L’enquête étiologique doit être pragmatique. En effet, si la cause de
myalgies est souvent facile à identifier d’emblée, la démarche doit suivre parfois
une véritable stratégie à la recherche de maladies rares primitivement
d’origine musculaire (définition : prévalence 1<1/2000).
La pathologie musculaire ne doit pas être considérée comme un diagnostic
d’élimination après avoir éliminé une cause articulaire, artérielle, veineuse ou
neurologique mais répondre à une démarche à la recherche d’éléments positifs.
L’ENQUETE DIAGNOSTIQUE
- LES FORMES LOCALISEES à un muscle ou à un groupe
musculaire)(29)
. Interrogatoire
- les signes évocateurs d’une pathologie musculaire
La désignation du site par le patient est souvent imprécise.
Dans la myogélose (2,4,37,38) la topographie de la douleur musculaire
comprend une douleur centrée sur une partie du muscle, correspondant
souvent à la douleur initiale et la douleur irradiée (segmentaire ou non) qui est
bien souvent la douleur ressentie et signalée par le patient (16). La désignation
par le patient n’a pas une bonne valeur de localisation. Les myalgies peuvent
être ressenties comme une raideur matinale s’estompant à l’effort ou, plus
souvent, comme des douleurs spontanées à recrudescence mécanique aggravée
par le froid. Les descriptions utilisées par le patient peuvent orienter à tort vers
une pathologie neurologique (brûlures, fourmis, démangeaisons…). L’intensi
est variable d’un jour à l’autre, d’heure en heure, avec un seuil de
déclenchement qui fluctue.
Dans les autres pathologies d’origine musculaire la douleur est globale et
mieux circonscrite par le patient. L’étiologie détermine le caractère spontané ou
déclenché par l’effort des douleurs.
- les signes d’interrogatoire évocateurs d’un diagnostic
différentiel :
- Origine artérielle :
- la topographie varie en fonction du niveau de la sténose :
en cas d’oblitération artérielle du carrefour aorto-iliaque, la douleur est
uni ou bilatérale et localisée à la cuisse ;
en cas d’oblitération iliaque ou fémorale, la douleur est localisée au
mollet ;
en cas d’oblitération fémoropoplitée ou jambière, la douleur est localisée
à la plante du pied ;
- le caractère de la douleur : la crampe peut être remplacée par
des myalgies d’effort ;
- les facteurs déclenchants :
- la douleur à l’effort : la forme classique est la
claudication à la marche avec crampe à l’effort. Le seuil d'apparition de la
douleur est reproductible avec disparition au bout de quelques minutes de
repos ;
- la douleur de repos est présente au stade III de Leriche
et survient en deuxième partie de nuit ou au primodécubitus quelques minutes
après le coucher entraînant la mise en position assise.
- Origine veineuse :
- les caractères de la douleur : l’insuffisance veineuse, comme la
thrombose, s’exprime de façon très hétérogène : douleur isolée, crampe ou
simple gène ;
- le siège : mollet ou extrémité distale ;
- les facteurs déclenchants : la recrudescence est posturale,
s’aggrave au fur et à mesure de la journée, surtout en cas de piétinement,
pendant l’été, le syndrome prémenstruel ou les grossesses. Elles régressent lors
de la marche ou en décubitus.
- Origine neurologique
Le patient décrit au stade aigu le trajet nerveux, puis un trajet tronqué en
cas d'évolution favorable et enfin un ou des points pouvant correspondre à une
localisation d'un « trigger point » à la phase tertiaire de la neuropathie. La
désignation est signifiante et permet de classer les descriptions selon leur
puissance de spécificité : paresthésies (fourmillements, engourdissements, peau
épaisse ou cartonnée, serrement), dysesthésies (altération désagréable ou
douloureuse de la perception algotactile, thermique et douloureuse), les
douleurs (piqûre, serrement, torsion, étirement, broyage, coup de poignard,
rongement, forage, morsure, plaie, déchirure), les hyperpathies (sensation
exagérée de douleurs), les causalgies (douleurs paroxystiques) mais aussi de
façon moins spécifique : les démangeaisons, les brûlures, les sensations de
froid et des sensations "varia" (vibrations, lourdeurs, trépidations, secousses
électriques). Enfin, parmi ces sensations, certains évoquent la typologie de la
douleur musculaire: courbatures, raideur, chape de plomb, crampes ou
spasmes (25% dans le cadre des neuropathies héréditaires).
. Données de l'examen clinique
- L’examen musculaire :
Il étudie l'hypertrophie ou l’hypotrophie, le ballant, les points douloureux
indurés (« trigger points »)(11) ou l’endolorissement global (muscle
surnuméraire, myopathies douloureuses) augmentés par la palpation,
l’étirement et la contraction contrariée.
- L’examen à la recherche de diagnostics différentiels :
Neurologiques, notamment : les muscles douloureux sont identifiés et
rapportés à leur myotome afin de préciser un éventuel territoire tronculaire ou
radiculaire.
Les symptômes sensitifs, dits positifs, s'accompagnent le plus souvent de
déficits superficiels de la sensibilité thermoalgique et/ou proprioceptive
(vibratoire).
. Les explorations complémentaires
- Origine artérielle :
- l’échodoppler : il faut que la sténose observée soit
hémodynamiquement significative et que la corrélation anatomoclinique soit
respectée entre le siège de la douleur et le siège de la sténose. On note toutefois
quelques discordances ne devant pas faire obligatoirement réfuter le diagnostic.
L'examen peut être sensibilisé par l'extension de genou et la dorsiflexion (artère
poplité piégée) ou après une épreuve d'effort à niveau maximal sur ergocycle
(endofibrose iliaque externe) ;
- l’oxytrie transcutanée dynamique permet d’authentifier
l’ischémie d’effort ;
- l’artériographie, l’angio-IRM : bilan d'une artère poplité
piégée ;
- l’artériographie dynamique en bilan pré-chirurgical
(endofibrose iliaque externe).
- Origine veineuse :
- l’échodoppler veineux conduit habituellement au diagnostic.
- Origine musculaire :
- l’échographie: muscle surnuméraire, tumeur, myopathies ;
- les prises de pression intramusculaire : syndrome de loge ;
- l’IRM : muscle surnuméraire, myopathies ;
-TDM, EMG: confirmation de l'origine musculaire (muscle
surnuméraire, myopathie distale), mesure du volume musculaire (cartographie
musculaire), densité musculaire réduite (myopathies). En cas de myopathie les
signes sont précoces au stade infra-clinique.
. Les diagnostics
- Les diagnostics de pathologies musculaires isolées
- syndrome de loge ;
- myopathies isolées ou focales (24,34) : certaines myopathies distales
(indolores) peuvent être localisées sur le mollet ou sur la loge antéro-latérale
alors que les atteintes inflammatoires (douloureuses) sont situées sur le
quadriceps (myosite ossifiante) ;
- malformations musculaires (32,33):
- muscles surnuméraires(15,19,31): demi-menbraneux, jumeau
interne ;
- agénésie (attention aux lipodystrophies et sclérodermie) : trapèze
(Sprengel), pectoral (Poland), thénariensentorse métacarpophlangienne »),
abdominaux (« prune belly ») ;
- les tumeurs musculaires : métastases, myxome, lymphangiome,
lymphome ;
- la myogèlose (trigger points, points-détente, fibrosite, syndrome
myofascial…), myalgies psychogènes.
- Les diagnostics différentiels
Pour les atteintes musculaires de la fesse (pyramidal, fessier)(18): nerf
cutané fessier (22).
Pour les atteintes musculaires de cuisse :
- face antérieure : cruralgie tronquée, endofibrose iliaque externe
(triathlète, cycliste) ;
- face postérieure: sciatalgie radiculaire tronquée, nerf cutané postérieur
de la cuisse, hamstring syndrome (28), facet syndrome.
Pour les atteintes musculaires du mollet (myopathies métaboliques) :
l’atteinte tronculaire du nerf tibial, du nerf saphène interne, l'artère poplitée
piégée (cyclisme, marche, natation).
Pour le syndrome de la loge antéro-latérale de jambe ; atteinte du nerf
péronier commun.
Les myalgies localisées inaugurales des parkinsoniens surviennent dans
¼ des cas parmi les 94% de douleurs musculaires (raideur, crampes, pseudo-
crampes, spasmes, myalgies) identifiées chez les patients douloureux (70% des
patients).
- MYALGIES DIFFUSES ET FATIGUE NEUROMUSCULAIRE
La recherche d’une pathologie musculaire organique ne doit pas faire
oublier que même en service spécialisé (neurologie, médecine interne), après
des explorations complètes, le diagnostic de non-organicité est élevé (aux
alentours de 30% en général, 23% pour les équipes les plus sélectives lors des
indications d’explorations) (6) et que certaines myopathies authentiques ont des
explorations de base négatives entrnant un retard au diagnostic.
Par ailleurs, Il ne faut pas oublier que les diagnostics évoqués peuvent
correspondre à des maladies de fréquence très variable dont certaines sont très
rares. Toutefois leur multiplicité rend compte dun grand nombre de cas
(plusieurs dizaines de milliers en France). Parmi ces dernières, beaucoup
d’entre elles ont déjà bénéficié de la recherche génétique permettant ainsi leur
identification et la connaissance de leurs mécanismes intimes.
Comment suspecter une maladie musculaire ?
Les tableaux cliniques fortement évocateurs d’emblée sont :
- une myolyse aiguë non traumatique : le muscle est gonflé et
douloureux ;
- un déficit moteur progressif s’accompagnant d’une modification du
volume musculaire (amyotrophie et parfois hypertrophie) ;
- l’intolérance à l’effort où le seuil déclenchant est très abaissé et
l’obligation de s’arrêter absolue.
Moins évocateurs sont les tableaux suivants facilement méconnus et
victimes de retard au diagnostic :
- des contractures musculaires dont le seuil de déclenchement est
inférieur ou limite à celui observé physiologiquement et où la qualité de vie est
bonne du fait de l’adaptation au trouble ;
- une ophtalmoplégie chronique qui peut se limiter à un ptosis sans
diplopie ;
- un déficit discret des extrémités ;
- des signes fonctionnels intermittents :
- enraidissement musculaire au repos avec dérouillage lors de la
marche(myotonies congénitales) ;
- accès parétiques aigus dans les paralysies dyskalièmiques ;
- faiblesse musculaire à l’effort survenant dans une myasthénie ou
une myopathie métabolique.
Comment évoquer une pathologie musculaire à l’interrogatoire ?
L’interrogatoire est essentiel et comprend trois temps :
1/ La recherche d’éléments fortement évocateurs d’emblée :
- infectieux : syndrome grippal, borréliose, hépatite B-C, HIV.
- habitus : alcool, drogues (cocaïne), tabac, toxiques professionnels,
vaccination contre l’hépatite B (fasciite à macrophage).
- présentation fonctionnelle (6) : on connaît bien les douleurs des
dépressions majeures dans la population générale (27): 4 à 6% de taux de
dépression, 20% des consultants en médecine générale, 62% de femmes. Parmi
eux : 80% de myalgies avec comorbidité expliquant seulement 1/3 des causes
de douleurs, 40% de sujets atteints de crampes, avec aggravation secondaire de
la dépression et augmentation de la résistance au traitement.
Rappelons, par comparaison, que si dans la population générale 17,1% des
1 / 17 100%
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