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de l’être »28, jusque dans les tout derniers textes, derniers fragments, dernières notations qui
consacrent l’importance de cette réflexion sur l’espace, qui se mènera de plus en plus à partir des
concepts empruntées à la topologie. C’est l’usage de ces concepts de topologie qu’il nous faut
maintenant interroger, puisque comme l’a noté amplement E. de St Aubert, Merleau-Ponty est l’un
des premiers à avoir déployé la possible fécondité des ces structures topologiques29. Quelle est la
signification et le statut de ce conceptuel « import-export » des mathématiques vers la philosophie ?
C’est ce qu’il nous faut déterminer pour approfondir ce « tournant spatial » opéré par Merleau-
Ponty.
II) SIGNIFICATION DES NOTIONS TOPOLOGIQUES
A) FONCTION DES CONCEPTS TOPOLOGIQUES
Par le recours à ces concepts, Merleau-Ponty entendait penser avec Husserl plus loin que
Husserl. Certes, reconnaîtra Merleau-Ponty, la Krisis a su promouvoir non seulement le
dépassement de la conscience commune mais encore de l’attitude scientifique qui objective.
Certes, avec l’Epoché, Husserl a pu mettre fin à la relation du sujet et de l’objet telle qu’elle fut
promue par la science moderne, relation en laquelle le regard d’un sujet souverain « embrasse »,
selon l’expression de Descartes, l’objet et l’épuise en même temps, puisque nulle épaisseur, nulle
opacité ni mystère ne vient contrarier sa visée souveraine. Néanmoins, Husserl par le statut qu’il
accorde très tôt30 à l’Ego transcendantal, -synthèse et donc centre des multiples phénomènes qu’il
fonde et constitue-, reconduit la métaphysique de la subjectivité comme le primat de la
présence31. En dernière instance, le sujet de Husserl, est, comme le sujet cartésien, centre d’un
monde qu’il détaille et construit. Le sujet omniscient est face au monde comme le géographe face
à ses cartes ou, mieux encore, comme le spectateur leibnizien scrute la ville en haut d’une tour
située en son exact milieu. C’est dans la volonté d’en terminer définitivement avec cette posture
qu’intervient l’innovation propre de Merleau-Ponty et que réside la signification de son
introduction des concepts empruntés à la topologie mathématique. En effet, comme nous le
montrent nos « spatialités qualitatives », je n’embrasse pas le monde entier ni la pluralité de ses
éléments comme le géographe peut le faire d’une carte située sous son regard. Aussi le
phénoménologue, s’il veut se rapprocher de l’expérience réellement éprouvée, devra t-il revenir à
28 P. 47 et 88 qui reprennent au demeurant la suggestion de PP p. 255.
29 Sur ce point voir son importante étude « Sources et sens de la topologie chez Merleau-Ponty » in Alter, N°9, 2001, p.331-364, reprise dans
le scénario cartésien, Vrin 2005 p.207 et suivantes. Le recours de Merleau à la topologie est aujourd’hui bien connu et abondamment commenté.
Voir, par exemple J. Petitot, « topologie phénoménale : sur l’actualité scientifique de la phusis phénoménologique de Merleau-Ponty » in
Merleau-ponty, le philosophe et son langage , Cahier N° 15 du groupe de recherche sur la philosophie et le langage, Grenoble, CNRS, 1993, p.
291-312, ainsi que dans le même numéro Arion L. Kelkel « Merleau-Ponty entre Husserl et Heidegger, de la phénoménologie à la topologie de
l’être », aussi bien que I.Matos Dias, dans son chapitre I de Poeitique du sensible,, intitulé « Topologie de la réflexion » Presses universitaires de
Toulouse, 2001, ou encore Maël Renouard dans son article : « le point de vue de Sirius ou la cartographie du visible » in Historicité et spatialité ,
le problème de l’espace dans la pensée contemporaine, sous la direction de J. Benoist et F. Merlini, Vrin 2001 ou encore M. Gambazzi in
Monades, plis et miroirs dans la revue italienne Chiasmi 1, Milan Mimesis, 1998, Publicazzine della società di studi su Merleau-Ponty, qui
significativement prend le titre d’un concept topologique central à savoir celui de Chiasme. Dans le livre précédemment cité, F.D. Sebbah a
insisté sur la relation en chiasme de Merleau-Ponty à la psychologie. Françoise Dastur dans Chair et langage, essais sur Merleau-Ponty, Encre
Marine, Paris, 2001, a, dans ce livre fondateur de toutes les études sur Merleau-Ponty qui ont suivies, insisté sur « la pensée de l’empiètement et
de la promiscuité générale », sur « l’entrelacement » et le « chiasme » (contre la pensée du face à face), chiasme qui unissait chez Merleau-Ponty,
la phénoménologie à la « non-philosophie » et à la pensée ordinaire. Dans une même optique, on lira J.C. Beaune (ed) dans « Phénoménologie et
psychanalyse, étranges relations », colloque de 3 et 4 Mars 1995, Champ-Vallon, Seyssel, 1998, l’article intitulé : « Jacques Lacan et la traversée
de la phénoménologie », qui interprète cette relation à l’aide de concepts spatiaux, ou encore St Aubert qui a également comparé les deux
démarches dans son article « la promiscuité, Merleau-Ponty à la recherche d’une psychanalyse ontologique », dans le collectif 2006 déjà cité, ou
enfin très récemment G.F. Duportail dans Les institutions du monde de la vie, Lacan et Merleau-Ponty, Millon, 2008 qui entreprend de renouer le
dialogue interrompu entre Lacan et Merleau-Ponty à partir d’une analyse de leur utilisation respective des notions comme celle du « chiasme ».
30 J.F Lavigne a reconstitué la genèse de l’idéalisme transcendantal dans son Husserl et la naissance de la phénoménologie, (Paris : PUF,
2005). Après la lecture de ce livre, on est en droit de se demander si le soi-disant « tournant transcendantal » qui viendrait rompre
spectaculairement avec la période des Recherches logiques a vraiment existé, en un mot s’il n’a pas toujours été déjà là.
31 Ce sont également les critiques très proches de Heidegger et Derrida.