Théorie computationnelle intégrative du vieillissement
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L’année psychologique, Décembre 2008, 108, 757-793
tel modèle, dit des processus vicariants, insiste donc sur l’importance de la
variabilité et des différences individuelles dans les conduites cognitives (voir
Huteau & Lautrey, 1999), qu’il s’agisse de la variabilité du fonctionnement
chez un même individu au travers de différentes situations (variabilité
intra-individuelle) ou entre les individus en développement (variabilité
inter-individuelle). Reuchlin (1964, 1978) peut être considéré comme le
pionnier de cette approche, qui a ensuite été élaborée par d’autres cher-
cheurs issus de la tradition différentialiste en psychologie dont notamment
Longeot (1969), Lautrey (1990) et de Ribaupierre (1995, 2003). Cette
approche est également poursuivie par Li (2003), qui tente de clarifier les
relations entre les variations à court terme transitoires et les changements à
long terme durables dans les interdépendances entre domaines d’aptitudes
et ce, afin de mieux comprendre les mécanismes conduisant vers diffé-
rentes trajectoires développementales. Les développements plus récents
de cette approche visent à préciser les relations dynamiques entre la neu-
rotransmission dopaminergique, l’activité cérébrale et la performance
comportementale (Bäckman, Nyberg, Lindenberger, Li, & Farde, 2006).
Dans des systèmes dynamiques comme celui qui gouverne les relations
cerveau-comportement (et ses constantes régulations), les variations intra-
individuelles à court terme dans le fonctionnement peuvent représenter un
vecteur potentiel des changements plus durables dans le développement et
conditionner la trajectoire de vie d’un individu.
Au cours de cette note théorique, nous apporterons une revue critique
de l’étude de la variabilité en renversant les schémas conventionnels de
causalité et suggérant que la variabilité elle-même puisse agir comme un
agent du changement développemental. L’objectif de cet article sera
d’examiner l’hypothèse selon laquelle la variabilité stochastique de l’acti-
vation neuronale, ou bruit neuronal, serait au cœur d’un large éventail de
phénomènes associés au vieillissement comportemental (Li & Linden-
berger, 1999). Cette hypothèse, envisagée de manière informelle depuis
des décennies tant en neurobiologie du développement qu’en psychologie
cognitive, dans le domaine du vieillissement cognitif ou dans celui du
développement cognitif de l’enfant, a plus récemment été explorée à l’aide
de formalisations connexionnistes. Son implémentation, en recourant à
une série de simulations de réseaux de neurones, permet d’examiner la
chaîne de relations entre dégradation des systèmes de neuromodulation
dopaminergique, augmentation du bruit neuronal, diminution de la dis-
tinctivité corticale et d’autres phénomènes centraux du vieillissement
cognitif (Li & Lindenberger, 1999 ; Li, Lindenberger, & Frensch, 2000 ; Li,
Lindenberger, & Sikström, 2001). Nous montrerons en quoi l’hypothèse
du bruit neuronal plaide en faveur de l’étude de la variabilité considérée