renvoie à cette base perceptuelle qui serait « pure » de toute appréhension et
étrangère à nos concepts, ce qui amènerait à distinguer ce qui serait véri-
tablement vu d’avec les déterminations du perçu — je perçois telle personne,
tel bateau, et non une tâche colorée qu’il s’agirait d’investir d’un sens.
« Aussi, non seulement il est pertinent de décrire ce qui est vu comme un
objet, pourvu d’une certaine identité, et non comme un ensemble de données
sensibles muettes, “sans identité”, mais il n’y a même pas de raison de
restreindre cette objectivité à une objectivité physique supposée simple,
dépouillée de la signification que revêt ordinairement pour nous l’objet en
question » (p. 114). Or, s’il est absurde de délier la question de la perception
de celle son format, quel pourra donc bien être le critère de discrimination ?
Le contexte lui-même, avec les normes qui lui sont propres. Si on me
demande ce que je vois dans la rue, répondre « une tache blonde » susciterait
au mieux l’incompréhension, au pire le rire : c’est cette pertinence relative au
contexte qui motive la description d’une femme blonde. Aussi J.B., en
pointant la nature profondément perceptuelle de la plupart des concepts, ainsi
que la dépendance de la description par rapport au contexte, remet-il en
question le faux débat entre conceptualistes et non conceptualistes. « Le
résultat de l’analyse que nous avons menée jusqu’ici, c’est donc la trans-
parence grammaticale du vu : transparence à l’ordre de nos concepts qui
peuvent, circonstanciellement, dans leur usage effectif, devenir les outils
propres à capturer ce vu dans sa particularité, se réglant sur les nervures
mêmes du visible, et qui, pour certains d’entre eux, se nourrissent toujours
déjà de cet être perceptible » (p. 121).
Il faut alors en conclure que la perception ne saurait former une région
qui appellerait une science spéciale, comme si on isolait un domaine en
l’expurgeant de sa phénoménalité, et que sans doute, corrélativement, il serait
erroné de continuer d’adhérer à l’idée d’une « phénoménologie de la percep-
tion ». L’ontologie se confond avec la théorie de la perception, loin que cette
dernière forme une ontologie particulière : l’être tout entier est de part en part
perceptuel et la question de l’être véritable, de la « chose en soi », ne se
découpe que dans le champ du sensible lui-même. Car que serait un être que
nous ne voyons-pas, et par rapport à quoi une chose serait-elle plus réelle, si
ce n’est par une référence sous-jacente à ce visible dont nous faisons
l’épreuve ? En effet, « peut-être un jour nous heurterons-nous à la table
invisible, ou, plus vraisemblablement, le plateau de notre table sera-t-il fait
d’un matériau propre à ne plus rendre aucun son. Mais avez-vous déjà songé
à l’étrangeté d’un tel univers, au sentiment d’irréalité qu’il produirait,
compte tenu de ce qu’est notre standard de la réalité ? » (p. 124).
Bull. anal. phén. X 7 (2014)
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