KANT, HUSSERL et Théorème d`incomplétude de GÖDEL et l

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KANT, HUSSERL et Théorème d’incomplétude de
GÖDEL et l’ensemble des paradoxes logicomathématiques et physiques du 19ème et 20ème
siècles
On va traiter d’abord de la problématique kantienne : y-a-t-il des limites à notre
connaissance du monde, étant entendu que notre connaissance est « constitutive » dans la
mesure où il y a ce que nous appelons une neurophysiologie transcendantale c'est-à-dire que
nous connaissons (nous percevons, nous comprenons) le monde à partir, avec, à l’aide de nos
structures cognitives ( que nous pouvons étudier avec les moyens de la neurophysiologie,
l’instrumentation médicale etc…). Cette neurophysiologie est transcendantale, au sens où
elle constitue l’objet que nous sommes amenés à observer. Et donc la question qui se pose :
est-ce qu’il y a des limites1 à la connaissance constitutive.
C’est la question que pose exactement Emmanuel KANT dans la Dialectique
transcendantale de sa Critique de la raison Pure. Cependant cette question des limites à notre
connaissance ne sera pas traitée uniquement à la lumière des travaux de Kant, mais l’accent
sera mis sur le Théorème de GÖDEL qui est certainement le résultat philosophique le plus
important du 20ème siècle puisqu’il a ruiné tout d’abord le programme axiomatique de
HILBERT, c'est-à-dire la possibilité de réduire les mathématiques à la logique et, à la limite,
de tout réduire à l’automate ; et il a profondément dévié, altéré toute la philosophie analytique
qui dans la première moitié du siècle voulait fonder toute la philosophie sur la logique, réduire
l’ensemble de la philosophie à la logique ce qui a conduit à la substitution de la philosophie
du langage à la philosophie logique.
Ce qui nous intéressera, en outre, c’est que GÖDEL s’est rapproché progressivement
de la phénoménologie de HUSSERL.
Le but sera finalement de parvenir à la démonstration du théorème d’incomplétude de
GÖDEL à la fin du séminaire, le but étant de donner l’ensemble des instruments,
indépendamment les uns des autres, et nous permettant de comprendre cette démonstration.
1
Limites : il n’y a pas de limite à la création : si on admet qu’il y a un certain nombre de notes musicales, toutes
les combinaisons sont possibles.
1
2
Emmanuel KANT : Dialectique transcendantale
Dans la Critique de la Raison Pure, le chapitre intitulé Dialectique transcendantale,
pour Kant le sujet du cogito (le je) correspond au syllogisme catégorique, le monde pensé
correspond au syllogisme hypothétique, et l’idéal transcendantal :Dieu au syllogisme
disjonctif. « Le sujet pensant est l’objet de la psychologie ; l’ensemble qui comprend tous les phénomènes, (le
monde) celui de la cosmologie, et la chose qui contient la condition suprême de la possibilité de tout ce qui peut
être pensé (l’être de tous les êtres, l’objet de la théologie. La raison pure nous fournit donc l’idée d’une doctrine
transcendantale de l’âme (psychologia rationalis) , d’une science [B392] transcendantale du monde (cosmologia
rationalis), enfin une connaissance [A335] transcendantale de Dieu (theologia transcendantalis) » Ici
reprend les catégories de la Métaphysique allemande de Wolff
Kant
2
A partir de là, Kant, dans le Chapitre Premier, analyse les Paralogismes3 de la Raison Pure
qui conduisent à l’erreur de conclure de façon dogmatique le : « Je pense » (cogito) à la
substantialité (au moi-substance), à la simplicité, quant à la qualité du « je » ; à la personnalité
de l’âme par son identité, comme substance intellectuelle et à l’idéalité de son rapport avec les
phénomènes extérieurs. et dénonce : « De là quatre paralogismes d’une doctrine transcendantale de l’âme
que l’on prend faussement pour une science de la raison pure traitant de la nature de notre être
pensant…[B404]
» ceux qui sont à la base de la psychologie rationnelle et qui conduisent à
l’erreur
L’interprétation que fait Jorland de la reprise par Kant du « cogito » cartésien,
« cogito ergo sum », ce fait de déterminer les structures cognitives subjectives qui vous
permettent de connaître, comprendre quelque chose du monde, de la nature amène Kant à
critiquer ce cogito cartésien dans trois registres :
1.- Pour Descartes le « je pense » est une substance, la substance pensante, : pour
penser, il faut que je sois, qu’est-ce que je suis, je suis une substance. Et cette substantialité de
« susbstance pensante » qu’est le je de Descartes est ce qui fait, pour Kant, un paralogisme
de la psychologie rationnelle : le je pensant ne peut pas être une substance.
2.- L’autre thème de Descartes est celui du « fini et de l’infini ». Si on fait
l’inventaire des idées de Descartes à ce sujet : si j’ai l’idée d’un Dieu comme être infini, ce
n’est pas moi, fini, qui peut l’avoir créé. C’est cette dialectique du fini et de l’infini qui se
trouve ainsi posée.
3.-Le troisième thème est celui de la preuve ontologique de l’existence de Dieu qui
est fondamentale pour Descartes. Pour Descartes, afin d’éviter ce que l’on a appelé le
solipsisme : certes « je pense », mais enfermé dans mes pensées, je n’ai accès à rien d’autre,
ni au monde extérieur, je peux rêver qu’il y a un monde extérieur, je peux rêver qu’il y a
d’autres existences, d’autres individus comme moi, d’autres consciences, mais je n’ai aucune
certitude de cela puisque la seule certitude que j’ai c’est celle de ma propre représentation.
C’est en quoi, pour Descartes, il est fondamental de passer par Dieu, qui est un Dieu créateur,
bon etc. et donc le garant de la réalité objective de mes représentations. Il me garantit que, si
2
Vernünftige Gedancken von Gott, der Welt und der Seele des Menschen, auch allen Dingen überhaupt,
Renger, Halle, 1720 (la Préface de cette première édition étant datée du 23 décembre 1719). On trouvera un
reprint de la onzième édition (1751) chez G. Olms, Hildesheim, 1983. La Métaphysique allemande (Deutsch
Metaphysik) a connu douze éditions successives du vivant de son auteur.
3
Paralogisme : en logique : « Le paralogisme logique consiste dans la fausseté d’un raisonnement quant à la
forme, quel qu’en soit d’ailleurs le contenu. (Kant)
2
3
j’utilise ma pensée selon ses règles, je ne commet pas d’erreur et je ne vis pas dans l’illusion.
C’est en quoi la preuve ontologique est fondamentale puisque sans le recours à Dieu, je n’ai
aucun moyen de sortir de ma conscience pour aller à la rencontre des autres et du monde ,
donc pour sortir du solipsisme.
Kant dans sa Critique de la Raison Pure va ruiner les preuves de l’existence de Dieu, aussi
bien les preuves ontologiques que les trois autres types de preuves, la preuve physicothéologique et la la preuve cosmo-théologique. Et la réfutation de la preuve ontologique chez
Kant constitue une révolution dans l’histoire de la philosophie. La révolution kantienne n’est
pas simplement une révolution copernicienne qui au lieu de voir comment la pensée peut
s’adapter aux choses pour mieux les comprendre, il faut montrer au contraire comment les
choses s’adaptent à la pensée.
La révolution de Kant consiste à dire qu’on ne peut pas déduire l’existence , depuis Kant,
l’existence n’est pas un prédicat . Par la preuve ontologique on dira que Dieu est un être
infini, parfait et parmi les attributs de cet être infini et parfait il y a l’existence. Ce que pose
Kant, c’est que l’existence n’est pas un prédicat, mais un quantificateur.4 Et ceci est
important, car à partir de ce moment nous ne pouvons savoir si quelque chose existe que par
l’expérience, l’expérience sensible évidemment.
Par exemple, de notre temps, si nous voulons savoir si le boson de Higgs5 existe il nous faut
nous donner les moyens d’une expérience , et ce sont ceux de l’accélérateur européen
construit à la frontière franco-suisse.
La théorie prévoit son existence a priori, au sens de Kant6, de manière transcendantale, mais
seule l’expérience nous permettra de savoir qu’il existe réellement.
Les Paralogismes
Il y a quatre paralogismes :
Le premier est celui de la substantialité
Le second est celui de la simplicité
Le troisième est celui de la personnalité
Le quatrième est celui de l’idéalité (union de l’âme et du corps)
4
Quantificateur (de prédicat) : le prédicat d’une proposition affirmative est particulier (ex. l’aigle est un oiseau
= appartient à un groupe déterminé d’oiseaux) ; le prédicat d’une proposition négative est universel (ex. la pierre
n’est pas un oiseau = aucun oiseau n’est une pierre) Les symboles et sont appelés quantificateurs, ainsi
signifie que tout x est P
5
Boson de Higgs : Le boson de Higgs est une particule prédite par le fameux modèle standard de la physique
des particules élémentaires. En effet, cette particule est supposée expliquer l'origine de la masse de toutes les
particules de l'Univers (y compris elle-même !), mais en dépit de ce rôle fondamental, elle reste encore à
découvrir puisque aucune expérience ne l'a pour l'instant observée de façon indiscutable
6
Existence a priori : . A priori veut seulement dire avant l’expérience ou indépendamment de l’expérience ,
Transcendantal pour Kant veut dire a priori en tant que cet a priori est rapporté à des objets possibles de
connaissance et donc on pourrait dire que le transcendantal désigne la portée ontologique de l’a priori
3
4
Le 1er Paralogisme
Voici ce que Kant écrit dans le chapitre Dialectique transcendantale (p. 361 de la Critique
de la raison Pure , collection Folio/Essais) Il énonce ce que prétend à son époque la
psychologie rationnelle et dénonce la nature sophistique, donc erronée de ce 1er paralogisme :
« La topique de la psychologie rationnelle, d’où doit dériver tout ce qu’elle peut contenir par ailleurs est donc la
suivante :
2° Simple, quant à
Sa qualité
1° L’âme est substance
3° Numériquement identique
c'est-à-dire unité
(non pluralité),
Quant aux temps divers où elle
Existe,
4° En rapport avec des objets possibles dans l’espace [A3445/B403) »
Et voici la critique qu’il en fait quelques pages plus loin :
« Dans le procédé de la psychologie rationnelle, domine le paralogisme qui est représenté par le syllogisme
suivant :
Ce qui ne peut être pensé que comme sujet n’existe aussi que comme sujet et est par conséquent
substance ; [B411] Or, un être pensant, considéré simplement comme tel, ne peut être pensé que comme sujet ;
Donc, il n’existe aussi que comme sujet, c'est-à-dire comme substance.
Dans la majeure, il est question d’un être qui peut être pensé sous tous les rapports en général,
et aussi par conséquent tel qu’il peut être donné dans l’intuition. Mais dans la mineure, il n’est plus question du
même être qu’autant qu’il se considère lui-même comme sujet uniquement par rapport à la pensée et à l’unité de
la conscience, mais non pas en même temps par rapport à l’intuition qui donnerait cet être comme objet à la
pensée. La conclusion est donc tirée per sphisma figurae dictionis, c'est-à-dire par un raisonnement captieux. »
En effet, Kant montre que le paralogisme est ici un mauvais syllogisme qui devient un
sophisme en expliquant que la majeure et la mineure ne peuvent aller ensemble : c’est
comme si l’on disait : « les hommes sont mortels, les ânes sont mortels, donc les ânes sont des
hommes » Il montre que la majeure est prise dans un sens transcendantal et la mineure dans
un sens empirique :
Voici ce que précise Kant contre ce paralogisme qui consiste à montrer que le cogito est une
substance :
« Toute discussion sur la nature de notre être pensant et sur celle de son union avec le monde des corps
résulte donc uniquement de ce que l’on remplit les lacunes de notre ignorance avec des paralogismes de la
raison, en transformant en choses ses pensées et en les hypostasiant, ce qui donne naissance à une science
imaginaire aussi bien du côté de celui qui affirme que de celui qui nie, chacun d’eux prétendant savoir quelque
chose d’objets dont nul homme n’a de concept, ou convertissant en objets ses propres représentations, tournant
ainsi dans un cercle éternel d’équivoques et de contradictions. Seul le sang-froid d’une critique sévère, mais
juste, peut nous affranchir de cette illusion dogmatique qui par l’attrait d’un bonheur imaginaire, retient tant
d’hommes dans les théories et dans les systèmes, et restreindre toutes nos prétentions spéculatives à l’unique
champ de l’expérience possible ; et cela, non pas par de fades plaisanteries sur des tentatives si souvent
malheureuses, ni par de pieux soupirs sur les bornes de notre raison, mais au moyen d’une détermination exacte
des limites de la raison d’après des principes certains, détermination qui lui assigne avec la plus parfaite certitude
son nihil ulterius aux colonnes d’Hercule posées par la nature elle-même, pour l’empêcher de s’aventurer, dans
sa marche, au-delà des côtes toujours continues de l’expérience qu’il nous est impossible d’abandonner sans
nous risquer sur un océan sans rivages qui, nous offrant un horizon toujours trompeur, finirait par nous
décourager et nous faire renoncer à tout effort pénible et difficile. »
« Le premier paralogisme est ce dont la représentation est le sujet absolu de nos jugements. Il ne peut pas, par
conséquent être employé comme détermination d’une autre chose qui est substance. Je suis comme être pensant
le sujet absolu de tous les jugements possibles et cette représentation de moi-même ne peut servir de prédicat à
aucune autre chose. Je suis donc comme être pensant une substance. »
Donc l’idée est qu’une substance pensée ne peut pas être prédicat. Nous avons, bien sûr
l’idée d’une substance c’est comme le dit Kant l’idée d’un sujet absolu, nous avons
4
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certainement cette idée, et cette idée ne peut être « prédiquée » de rien, mais, dit-il, l’erreur
est de vouloir hypostasier, c'est-à-dire de penser que cette substance existe en soi. Nous avons
sans aucun doute cette idée, mais à cette idée ne correspond rien dans la réalité à quoi nous
ne soyons sensibles . C'est-à-dire que, pour Kant, nous n’avons aucune expérience d’une
substance, puisque la substance c’est ce qui n’est prédiqué de rien : la substance est
l’équivalent de « l’en soi », l’équivalent du « nous-mêmes ». Cette substance ne nous est pas
donnée dans l’espace et le temps.
Pour Kant, pour que nous ayons une représentation de quelque chose, il faut que ce quelque
chose apparaisse, c’est à dire qu’elle se donne dans l’espace et le temps, qu’elle soit un
« phénomène ». Or par définition une substance n’est pas un phénomène puisque une
substance c’est ce qui est « en soi ». La substance ne m’apparaît pas, ce qui m’apparaît, c’est
les prédicats de cette substance. L’espace et le temps sont les formes de la substantialité. Et
les paralogismes viennent du fait que nous essayons d’hypostasier la substance puisque ce
n’est pas quelque chose qui est donné dans notre sensibilité. D’où cette phrase de Kant : « Il
nous faut absolument nous limiter à l’expérience ». Autrement dit, nous ne pouvons affirmer quelque
chose que de ce qui nous est donné par l’expérience. Seul ce qui nous est donné par
l’expérience a une réalité. Et nous pouvons parfaitement admettre que ce dont nous avons une
représentation, c'est-à-dire ce qui nous apparaît dans l’espace et le temps existe vraiment,
mais il faut que cela soit « donné » dans l’expérience, « donné » dans l’espace et le temps.
Tout ce qui ne nous est pas donné dans l’espace et le temps, mais dont nous pouvons avoir
néanmoins une idée, à cette idée nous ne pouvons pas lui attribuer de réalité. C’est une idée
que nous avons, que nous appliquons aux phénomènes, mais cela ne veut pas dire que la
substance elle-même existe, ce n’est qu’une catégorie qui nous sert à penser le phénomène.
Passer du « je pense » à « la pensée est une substance » c’est typiquement émettre une
hypostase. Comme le dit Kant , hypostasier, c’est « transporter des représentations hors de soi comme
des choses véritables » ou encore : transformer ses pensées en choses, ce qui donne lieu à une science
imaginaire, aussi bien du côté de celui qui affirme que de celui qui nie, puisque chacun d’eux, ou bien s’imagine
savoir quelque chose d’objets dont nul homme n’a le moindre concept, ou bien transforme ses propres
représentations en objets et tourne ainsi dans un cercle éternel d’équivoques et de contradictions. »
Les antinomies de la Raison Pure
Sur les quatre antinomies nous n’en verrons qu’une seule car elles ont toutes la même
structure. C’est la dialectique du fini et de l’infini. Le monde est-il fini soit dans le temps, soit
dans l’espace ? La critique qu’en fait Kant est que le temps et l’espace qui sont simplement
des formes de notre pensée, sont ce qu’on en fait, ils sont hypostasiés et l’on en fait des
attributs de la réalité.
Mais l’intérêt des antinomies et ce retour à Kant avant d’étudier les paradoxes logicomathématiques postkantiens c’est qu’elles sont l’application du cercle vicieux qui est la
structure de tous les paradoxes logico-mathématiques du 19ème et du 20ème siècle. Si
l’antithèse est vraie, alors il y a une contradiction, donc la thèse serait vraie ; mais en
supposant la thèse vraie, il y a une contradiction et c’est l’antithèse qui est vraie, il y a donc
l’instauration d’un cercle vicieux.
La critique de Kant va consister à démontrer que la Thèse et l’Antithèse (et c’est en quoi c’est
de la dialectique) ne sont pas contradictoires en réalité et donc qu’elles laissent place à autre
chose.
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Et ce qui fait la différence avec Hegel, c’est que pour ce dernier la contradiction n’est pas la
contradiction logique telle que : soit A est vrai et soit nonA est vrai, mais si A est faux, alors
nonA est vrai et si nonA est faux, alors A est vrai, c’est cela la contradiction logique.
Si Kant parle de dialectique et non pas d’une logique transcendantale, c’est parce que dit-il ce
n’est pas exactement contradictoire. Autrement dit, ne pas pouvoir dire que le monde est fini
ne revient pas à dire que le monde est infini et ne pas pouvoir dire que le monde est infini ne
revient pas à dire que le monde est fini.
Voyons la première Antinomie
« Comme on le voit, il y a la Thèse et l’Antithèse : dans le PREMIER CONFLIT DES IDÉES
TRANSCENDANTALES :
THÈSE : Le monde a un commencement dans le temps, et il est aussi, quant à
l’espace, renfermé dans des limites
ANTITHÈSE : Le monde n’a ni commencement, ni limites dans l’espace, mais il est
infini aussi bien par rapport au temps que par rapport à l’espace.
La deuxième antinomie :
THÈSE : Toute substance composée, dans le monde, se compose de parties simples, et il
n’existe absolument rien que le simple ou ce qui en est composé
ANTITHÈSE : Aucune chose composée, dans le monde, n’est formée de parties simples, et il
n’existe rien de simple dans le monde.
La troisième antinomie
THÈSE : La causalité selon les lois de la nature n’est pas la seule dont puissent être
dérivés tous les phénomènes du monde dans leur ensemble. Il est encore nécessaire
d’admettre, pour les expliquer, une causalité par liberté
ANTITHÈSE : Il n’y a pas de liberté, mais tout le monde arrive suivant les lois de la
nature
Cette antinomies sera particulièrement discutée au 19ème et 20ème siècle puisqu’elle soulève le
problème du déterminisme et du libre-arbitre et des probabilités..
La quatrième antinomie
THÈSE : Au monde appartient quelque chose qui, soit comme sa partie, soit comme la cause,
est un être absolument nécessaire
ANTITHÈSE : Il n’existe nulle part aucun être absolument nécessaire, ni dans le monde, ni
hors du monde, comme sa cause.
C’est l’antinomie qui pose la question de la contingence.
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Toutes ces antinomies posent les problèmes philosophiques fondamentaux sur lesquels tout
le 19ème siècle et une partie du 20ème sur la contingence occupent notamment la philosophie
existentielle.
Au sujet de la 1ère antinomie réside l’idée que le monde est fini, alors que pour l’antithèse le
monde est infini aussi bien dans le temps que dans l’espace.
Alors la preuve de la thèse :
« En effet, si l’on admet que le monde n’ait pas de commencement dans le temps, il y a une éternité écoulée à
chaque moment donné, et par la suite, une série infinie d’états successifs des choses dans le
monde »…Autrement
dit, si je fais une coupe du monde à un instant t, alors j’ai une synthèse
(un instantané) de tout ce qui s’est passé avant
Or pour Kant, cette synthèse est impossible, il n’y a pas d’instantané possible de la totalité
d’une série qui n’a pas de fin :« l’infinité d’une série consiste précisément en ce que cette série ne peut
jamais être achevée par une synthèse successive. Donc, une série infinie écoulée dans le monde est impossible,
partant un commencement du monde est une condition nécessaire de son existence, ce qu’il fallait d’abord
» Il n’y a pas de représentation du monde, ni d’une série infinie qui puisse s’écouler
puisqu’il n’y a pas eu de commencement. Il n’y a pas de synthèse possible dans un
enchainement infini de séries s’il n’y a pas d’arrêt.
La réplique dans l’antithèse : « En effet, admettons que le monde ait un commencement. Comme le
démontrer.
commencement est une existence précédée d’un temps où la chose n’est pas, il doit y avoir un temps antérieur où
le monde n’était pas, c'est-à-dire un temps vide.
En ce qui concerne le second point : « ..si l’on admet le point de vue contraire, le monde sera un tout
infini donné de choses existant simultanément. Or nous ne pouvons concevoir la grandeur d’un quantum qui
n’est pas donné avec des limites déterminées à une intuition qu’au moyen de la synthèse des parties, et la totalité
d’un tel quantum que par la synthèse complète ou par l’addition répétée de l’unité à elle-même. Enfin, pour
concevoir comme un tout le monde qui remplit tous les espaces, il faudrait regarder comme complète la synthèse
nécessaire des parties d’un monde infini, c'est-à-dire qu’il faudrait considérer comme écoulé le temps infini, dans
l’énumération de toutes les choses coexistantes, ce qui est impossible. Donc un agrégat infini de choses réelles
ne peut pas être considéré comme un tout donné, ni, par conséquent, comme donné en même temps. Donc un
monde, quant à son étendue dans l’espace, n’est pas infini, mais il est renfermé dans des limites. Ce qui était le
»
Je ne peux pas avoir une infinité de choses dans une intuition, je suis obligé d’avoir un
nombre dénombrable de choses, renfermé dans des limites. Si on admet que l’on est dans une
banlieue de l’univers, on ne peut avoir une représentation de cet univers en supposant
l’univers isotrope, partout le même. Supposons que cette hypothèse de l’isotropie de l’univers
ne soit pas respectée, nous ne pourrions pas avoir une vision, une intuition de l’univers.
second point à démontrer
Voyons maintenant de plus près l’antithèse, « ..admettons que le monde ait un commencement, comme
le commencement est une existence précédée d’un temps où la chose n’est pas, il doit y avoir un temps antérieur
où le monde n’était pas, c'est-à-dire un temps vide. Or, dans un temps vide il n’y a pas de naissance possible de
quelque chose, parce que aucune partie de ce temps n’a en soi plutôt qu’une autre une condition distinctive de
l’existence, plutôt que de la non existence (qu’on suppose d’ailleurs, que le monde naisse de lui-même ou par
une autre cause). Donc il peut bien se faire que plusieurs séries de choses commencent dans le monde, mais le
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monde lui-même ne peut pas avoir de commencement, et, par conséquent, il est infini par rapport au temps
passé.
Pour ce qui est du deuxième point, si l’on admet d’abord le point de vue contraire, c'est-à-dire que le monde est
fini et limité quant à l’espace, il se trouve dans un espace vide qui n’est pas limité. Il n’y aurait pas seulement par
conséquent, un rapport des choses dans l’espace, mais encore un rapport des choses à l’espace » Or, comme le
monde est un tout absolu, en dehors duquel ne se trouve aucun objet d’intuition, et par suite, aucun corrélatif du
monde avec lequel il soit en rapport, le rapport du monde à un espace vide ne serait pas un rapport du monde à
un objet. Mais un rapport de cette nature, et par conséquent la limitation du monde par un espace vide, n’est
rien ; donc le monde n’est pas limité, quant à l’espace, c’est à dire, qu’il est fini, en étendue .
»
L’argument est ici différent (dans le précédent on montrait que nous ne pouvions pas avoir
une synthèse d’un monde infini dans l’espace et le temps) ; Kant applique, ici, le principe de
raison. Supposons que le monde ait été créé à un temps t = 0, la question se pose alors qu’estce qu’il y a avant ? Un physicien répondrait il y a du vide. Pour Kant c’est un principe de
raison car à partir du vide, il n’y a aucune raison que quelque chose existe tant que rien
n’existe. Parce que d’après le principe de raison, l’on ne peut pas déterminer quelque chose
plutôt que rien, donc le monde ne peut pas venir du vide. Comme la question se pose toujours,
la solution quantique consiste à dire : « le vide n’est pas vide, le vide a des fluctuations et ce sont les
fluctuations du vide » qui vont produire le monde. Et l’argument de Kant s’applique aussi bien
dans le temps que dans l’espace.
Explication du risque d’illusion que fait courir l’erreur dialectique
Ici on a la même critique que Kant avait faite des paralogismes. Il faut rappeler que: dans tout
raisonnement il y a un syllogisme7 : une proposition majeure qui est prise dans un sens
transcendantal et une mineure dans un sens empirique.
Le sens transcendantal veut dire que la proposition que constitue la majeure a pour
objet les conditions de la connaissance d’un objet en général ; alors que le sens empirique
signifie que la proposition que constitue la mineure a pour objet les conditions de la
connaissance d’un objet particulier (objet empirique, phénomène). Donc passer du
transcendantal à l’empirique, cela conduit à faire des conditions la connaissance elle-même, à
prendre les conditions d’une connaissance pour la connaissance même de l’objet. La
condition de la connaissance d’un objet en général est obtenue quand toutes les conditions
sont données, quand l’objet est donné avec toutes ses conditions, c’est cela la connaissance
transcendantale. Or les objets des sens nous sont donnés comme conditionnés. L’ensemble
des conditions sont donnés. L’ensemble des conditions ne nous est pas forcément donné
puisque ne nous sont données que les conditions que nous pouvons appréhender dans l’espace
et le temps. Mais il peut y avoir des conditions qui ne sont ni dans l’espace ni dans le temps.
7
Syllogisme : Le syllogisme permet de mettre en rapport dans une conclusion deux termes, le majeur et le
mineur, au moyen d'un moyen terme. Le majeur et le mineur ne doivent apparaître qu'une fois chacun dans les
prémisses, le moyen terme est présent dans chaque prémisse (puisqu'il permet la mise en rapport des deux
autres termes) tandis que la conclusion expose le rapport entre le majeur et le mineur, de sorte que le
syllogisme est un « rapport de rapports » (expression de Renouvier, Traité). Voici un exemple de syllogisme : e :
Tous les hommes /sont/mortels
Tous les Grecs/ sont/ des hommes….. Conclusion :donc : Tous les Grecs/sont/ mortels
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Pour prendre un exemple très simple : nous ne voyons qu’une partie du spectre lumineux,
donc nous ne voyons que ce qui est donné dans le champ de ce spectre. Les conditions de
propriétés d’un objet pourraient nous le donner à voir si nous pouvions discerner et voir audelà de cette partie du spectre de la lumière. C’est exactement ce qu’explique Kant dans les
lignes suivantes : nous ne voyons que ce qui se donne à notre sensibilité.
Kant écrit : « Il résulte clairement de là que la majeure du syllogisme cosmologique prend le
conditionné dans le sens transcendantal d’une catégorie pure, et la mineure, dans le sens empirique d’un concept
de l’entendement appliqué à de simples phénomènes et que, par conséquent, on y rencontre l’erreur dialectique
qu’on nomme sophisma figurae dictionis.8
. Mais cette erreur n’est pas intentionnelle (erkünstelt), elle est plutôt une illusion tout à fait naturelle de
la raison commune. Car, par elle, nous supposons (dans la majeure) les conditions et leur série, pour ainsi dire, à
notre insu (gleichsam unbesehen), quand quelque chose nous est donné comme conditionné, ne faisant ainsi que
nous conformer à la règle logique qui nous oblige à admettre des prémisses complètes pour une conclusion
donnée ; et comme, dans la liaison du conditionné à sa condition, on ne rencontre aucun ordre de temps, nous les
supposons comme données en même temps.
De plus, il est tout aussi naturel (dans la mineure) de regarder des phénomènes comme des choses en soi
et aussi comme des objets donnés au simple entendement, comme nous l’avons fait dans la majeure, puisque
nous avons fait abstraction de toutes les conditions de l’intuition sous lesquelles seuls des objets peuvent être
donnés. Mais ici nous avions omis de faire une distinction importante entre les concepts. La synthèse du
conditionné avec sa condition et toute la série de conditions (dans la majeure) n’impliquent nullement de
limitation par le temps, ni de concept de succession.
Au contraire, la synthèse empirique et la série des conditions dans le phénomène (subsumée dans la
mineure) sont nécessairement successives et ne sont données dans le temps que l’une après l’autre.
»
L’argumentation de Kant est donc bien : l’erreur dont nous sommes victimes vient du
fait de conclure en hypostasiant le transcendantal dans le sens empirique. Cette erreur est
inévitable, c’est une « illusion » plutôt qu’une erreur dans la mesure où nous ne pouvons pas
nous en empêcher, à chaque fois que nous sommes en présence d’un objet, de supposer que
sont données en même temps l’ensemble des conditions de cet objet, alors qu’en fait, ce n’est
pas le cas parce que nous ne sommes pas sensibles à l’ensemble des conditions d’un tel objet.
Le texte suivant est un texte fondamental si on veut comprendre dans la dialectique le
principe de contradiction.
Dans la logique classique, le principe de contradiction fait que soit une proposition est
vraie, soit elle est fausse et il n’y a pas de troisième terme, il n’y a pas de troisième
possibilité : c’est « A » ou c’est « non A., ou bien le monde est fini, ou bien il est non fini,
c'est-à-dire : il est infini ; ou il y a une liberté, ou il n’y a pas de liberté, c'est-à-dire la liberté
comme cause autre que les causes matérielles, autrement dit nous, en tant qu’êtres libres,
pouvons-nous être la cause de quelque chose dans le monde ? « Quand donc je dis : le monde est
infini quant à l’espace, ou bien il n’est pas infini (non est infinitus), si la première proposition est fausse, il faut
que son opposé contradictoire, le monde n’est pas infini, soit vrai. Je ne ferai par là qu’écarter un monde infini,
sans en poser un autre, à savoir, le monde fini.[A504/B532] Mais si je dis : le monde est ou infini ou fini (non
infini), ces deux propositions pourraient être fausses. Car j’envisage alors le monde comme déterminé en soi
quant à sa grandeur, puisque dans la proposition opposée je n’enlève pas simplement l’infinité, et, peut-être avec
8
C’est une erreur sophistique, un sophisme
9
10
elle, toute son existence propre, mais que j’ajoute une détermination au monde, comme à une chose réelle en soi,
ce qui peut être également faux, dans le cas, en effet où le monde ne devrait pas du tout être donné comme une
chose en soi, par conséquent ni comme infini, ni comme fini quant à sa grandeur. Qu’on me permette d’appeler
cette espèce d’opposition l’opposition dialectique, et celle de contradiction, l’opposition analytique. Deux
jugements opposés contradictoirement l’un l’autre peuvent donc être faux tous les deux, puisque l’un ne
contredit pas simplement l’autre, mais dit quelque chose de plus qu’il n’est nécessaire pour la contradiction. »
Et il poursuit : « Si l’on regarde les deux propositions : le monde est infini quant à la grandeur, le
monde est fini quant à sa grandeur, comme contradictoirement opposées l’une à l’autre, on admet alors que le
monde (la série entière des phénomènes) est une chose en soi. En effet, il demeure, soit que je supprime la la
régression infinie ou la régression finie dans la série des phénomènes. Mais si j’écarte cette présupposition ou
cette apparence transcendantale, et que je nie que le monde soit une chose en soi, alors l’opposition
contradictoire des deux assertions change [A505/B533] en une opposition simplement dialectique ; et, puisque le
monde n’existe pas du tout en soi (indépendamment de la série régressive de mes représentations), il n’existe ni
comme un tout infini en soi, ni comme un tout fini en soi .Il ne peut se trouver que dans la régression empirique
de la série des phénomènes et nullement en soi. Si donc cette série est toujours conditionnée, elle n’est jamais
entièrement donnée, et par conséquent le monde n’est pas un tout inconditionné ; il n’existe donc non plus
comme tel, ni avec une grandeur infinie, ni avec une grandeur finie. »
Autrement dit j’affirme quelque chose du monde que je ne peux pas connaître puisque
il ne m’est pas donné par expérience : je peux avoir une idée (représentation) du monde ce qui
me permet de dire le monde est infini ou le monde est fini. Ce n’est pas une discussion vaine,
elle n’est pas sophistique : mais il s’agit bien pourKant d’une idée, une idée de la raison. Cela
dit, je ne peux pas résoudre cette antinomie, je ne peux pas dire que telle proposition ci-dessus
a raison contre l’autre. Je peux avoir des arguments a priori, je ne peux pas dire j’ai une
expérience du monde qui me montre qu’il est infini ou fini puisque je ne peux pas faire cette
expérience. Au sujet de l’ensemble de tous les ensemble, l’ensemble de tout ce qui est
(autrement dit : le monde) , je peux penser qu’il est fini, ou penser qu’il est infini, mais c’est
une idée de la raison. Mais dire qu’il est infini, ce n’est pas seulement attribuer au monde un
prédicat au monde, c’est lui attribuer l’existence, comme si le monde existait en soi, or je
n’en sais rien puisqu’il ne m’est pas donné par l’expérience. Je n’ai aucune expérience dans la
totalité des choses existantes. On hypostasie cette idée de la raison et c’est là qu’est l’illusion,
car ce qui pourrait paraître légitime n’est pas possible parce que pour savoir si le monde est
fini ou infini, il faudrait avoir recours à l’expérience.
D’un point de vue pratique Kant donnera raison à l’idée d’un monde qui a eu un
commencement, donc à l’idée d’un monde fini car c’est utile pour fonder une morale , où
nous n’avons pas besoin d’expérience puisque c’est nous qui faisons les lois dont le principe
est d’être universelles.
Mais d’un point de vue de la connaissance, d’un point de vue cognitif, il n’y a aucune
possibilité de dire si une thèse est plus valable que l’autre.
C’est dialectique dans la mesure où nous n’avons que des représentations d’objets,
donc le monde ne pourrait être qu’un rêve et ne pas exister. Ce qui est dialectique c’est qu’il y
a plus qu’une simple contradiction, il y a en plus le fait qu’on pose que le monde existe. Mais
dialectiquement on pourrait dire que le monde n’existe pas.
Ce qui est important, en fin de compte, c’est que la philosophie post-kantienne va
construire cette idée que : deux propositions contradictoires ne sont pas telles que si l’une est
10
11
vraie, l’autre est fausse, mais qu’à partir des tensions qui existent entre les deux, résulte
précisément l’existence.
11
12
HUSSERL. Logique formelle et logique transcendantale (1929 ; in
revue de Phénoménologie)
Nous n’avons pas fini avec Kant car ce n’est pas seulement la Dialectique transcendantale
reprise par Kant à partir de Wolff , mais c’est toute la Critique de la Raison Pure de Kant que
l’on peut considérer comme une vraie critique de Wolff. Ceci nous amènera à reprendre les
antinomies de la Raison pure au niveau de la cosmologie, comme nous l’avons fait au niveau
de la critique de la psychologie rationnelle pour la 1ère antinomie, où l’on peut voir une
critique du « cogito » de Descartes consistant d’une part à admettre évidemment le cogito,
admettre ce que Husserl appellera la réduction transcendantale, mais refuser de substantifier le
cogito ; ce n’est pourquoi il y a le cogito à quoi nous devons réduire tous nos objets de
pensée que la pensée deviennent en cela une substance. De la même manière nous
reprendrons la critique de la cosmologie ultérieurement.9
Il y a trois parties dans ce texte :
Considérations Préliminaires
Ière Partie : Logique Formelle et Mathématique formelle qui ensemble forment une
Ontologie formelle.10
IIème partie : Logique transcendantale.
Alors que Husserl considère que la Première partie est la face objective de la Logique, alors
que la logique transcendantale est la face subjective de la Logique.
Ce que veut faire Husserl, c’est revenir au sens originel de la Logique, Son idée est que la
Logique est devenue science spécialisée. Elle l’est devenue encore plus spécialisée
maintenant car elle n’est plus une discipline philosophique (il y a très peu de philosophes
logiciens, les philosophes font de la philosophie de la logique), maintenant la Logique est
l’une des parties de la Mathématique.
La logique est une science spécialisée et Husserl veut revenir à ce qu’il considère être le sens
originaire de la Logique, car pour lui, la Logique est une théorie de la science. Et c’est cela
qu’il veut affirmer dans sa Logique Transcendantale. Et donc, toute l’entreprise de Husserl
consiste à partir de la Logique formelle, telle qu’elle existe à son époque pour montrer
comment on peut en dériver comme corrélat transcendantal, autrement dit, comment, à partir
9
En raison de la visite, en Janvier, d’un professeur américain spécialiste de Gödel, il est préférable de prendre
le temps d’aborder Gödel avant sa venue, ce qui interrompt momentanément le recours à Kant. Ce
conférencier, expert testamentaire de Gödel a développé en même temps les dernières idées de Gödel, c'est-àdire une réflexion sur la logique transcendantale que fait Husserl. On verra comment Gödel qui était plutôt un
philosophe de la logique s’est rapproché de Husserl pour aborder une logique transcendantale.
10
Deux livres y ont été consacrés : Desanti : Les Idéalités Mathématiques et Badiou : L’être et l’évènement dont
le thème est de construire une ontologie à partir de la Théorie des ensembles de Cantor
12
13
d’une logique formelle, telle qu’elle était à son époque, on peut arriver à faire une Théorie de
la Science. Pour lui c’est beaucoup plus un oubli de ce que la logique doit être qu’une
déviation de la Logique qui aurait cessé de se poser ce type de problème d’une Théorie de la
Science.
Son idée est que la science commence lorsque Platon soumet le discours comme le discours
astronomique dans Le Timée, ou un discours politique comme dans La République qui se
présentent comme des discours vrais à partir du moment où il les soumet à un certain nombre
et où se pose la question de leur légitimité, de leur fondement, c'est-à-dire des normes
auxquelles le discours doit répondre pour pouvoir être considérés comme discours
scientifiques.
Autrement dit, pour Husserl et si l’on emploie un terme un peu galvaudé de révolution
platonicienne, qui consiste à dire : la vérité scientifique n’est pas une vérité empirique : une
proposition vraie doit répondre à un certain nombre de normes a priori ; et ces normes a
priori de la vérité auxquelles doit répondre le discours sont précisément définies, formulées
par la Logique. Le problème d’une vérité empirique c’est qu’elle peut cesser d’être vraie. Par
exemple au sujet de la beauté, telle statue peut cesser d’être belle si elle a subi des mutilations.
C’est aussi pourquoi Husserl remplace la formulation de Platon : « proposition vraie » par
proposition authentiquement 11vraie » ce qui veut dire une proposition qui répond aux normes
a priori de la vérité. Platon a posé pour la Vérité la nécessité de répondre à des normes a
priori et c’est Aristote qui va dans sa Logique déployer ces normes a priori qui seront
reprises par Kant ; et cela durera jusqu’au 20ème siècle à partir duquel la Logique fera des
progrès.
Ainsi, pour Husserl il s’agira de revenir, à partir d’Aristote qui a défini ces normes logiques a
priori de toute proposition vraie, à « l’inspiration » platonicienne, à cette idée qu’une
proposition scientifique, une vérité scientifique doit correspondre çà des normes a priori qui
constitueront la Théorie de la science dans sa logique Transcendantale. Et retourner à
l’inspiration platonicienne signifie que ce qui est authentiquement vrai est ce qui est
nécessairement vrai parce que cela découle de principes a priori. Cela étant, il ne s’agit pas de
dire on efface tout, on ne met pas la science actuelle entre parenthèses selon la méthode
phénoménologique de la réduction pour tenter de trouver une science pure ; pour Husserl il
s’agit de prendre la science telle qu’elle est pour ramener cette science telle qu’elle est à une
science authentique, au contraire, il s’agit de s’installer dans cette science et de rechercher par
empathie ce qu’étaient les intentions des créateurs de cette science.
A la page 8 Husserl emploie le terme Einfühlung : « Nous nous installons dans cette science et
par empathie (einfühlung) nous recherchons ce qu’étaient les intentions des créateurs de cette
11
Authentiquement : l’adverbe « authentiquement » rapproché du qualificatif « vrai » est utilisé par Husserl
par opposition à empirique, contingent. Une proposition pourrait certes être vraie, mais je pourrais l’avoir
formulée au hasard, ce ne serait pas une proposition « authentiquement » vraie pour Husserl, pour qui une
proposition « authentiquement vraie » répond à des normes a priori. .Il y a des choses que l’on peut savoir,
mais on ne sait pas pourquoi on les sait, cela n’est pas authentiquement vrai
13
14
science. » Dans le texte allemand, Husserl emploie le terme : besinnung . Le terme clé de
toute la Logique formelle et la logique transcendantale est ce terme besinnung dans lequel il y
a sinn qui se traduit par « sens », mais encore par esprit, sentiment, voire même par idée,
humeur. La traductrice française du texte ( Suzanne Bachelard) utilise le terme « prendre
conscience » Mais utiliser le terme de « prendre conscience » risque de tomber sous le coup
du psychologisme qui est la faute par excellence pour Husserl. Il n’en est donc pas question
pour Husserl. Ce qui est le plus proche de ce que veut signifier Husserl c’est probablement
« explicitation », ce qui peut aussi s’entendre comme : « faire advenir le sens », ou encore
« s’approprier le sens », ou « rendre explicite le sens » ou encore « prendre conscience du
sens » de quelque chose.
Il faut mettre cette discussion dans le cadre husserlien où la logique est une quête de sens et
où la logique consiste à définir les procédures par lesquelles on fait surgir le sens, on
s’approprie le sens. Pour Husserl, la Logique est une donation de sens, c’est une quête de
sens. Or contrairement à ce que dit Husserl, on va voir que toutes se analyses ne vont pas
consister à constituer le sens ou à révéler le sens des choses, mais à définir les procédures
par lesquelles on y arrive. Or la Logique formelle se définit comme la Logique des
propositions indépendamment de leur sens, on s’attache uniquement aux relations entre les
symboles. Alors il peut y avoir une sémantique formelle, mais si on lit les Principia
Mathematica de Russel, ce n’est qu’une suite de symboles, il n’y a pas de mot entre eux. Et le
sens qu’il faut chercher, on va le voir, quelle est l’intentionnalité des individus qui ont …etc.
L’analyse phénoménologique aura plus à dire que ce que font les logiciens comme Russel ou
Frege beaucoup plus que ce qu’ils veulent dire, mais plutôt ce qu’ils veulent faire.
Husserl écrit : « Le « Beinnung » ne veut rien dire d’autre que la tentative d’établir réellement le sens même
qui est présupposé et qui est intentionné dans l’opinion pure ou la tentative de rendre clair un sens souligné. En
nous tenant en communauté empathique avec les savants, nous pouvons comprendre après coup, et nous
Ici l’idée de Husserl n’est pas de mettre entre parenthèses la science,
mais « d’empathiser » avec les scientifiques pour expliciter le sens de leur entreprise
scientifique. C’est donc bien en nous laissant porter par l’expérience empathique que nous
parviendrons à expliciter le sens de leur démarche ce qui devrait nous donner une théorie de la
science.
approprier le sens.»
Un peu plus loin il montre que ce dont il s’agit dans cette « explicitation » du sens : il s’agit
de saisir l’intentionnalité. Ce n’est pas se demander ce que le savant a voulu faire, « c’est saisir
l’intentionnalité en tant que l’intuition de l’essence. Mais comment comprendre ce mot « essence » « D’abord
le mot « essence » a désigné ce qui dans l’être le plus intime d’un individu se présente comme son « Quid » (sein
Was ?) Or ce Quid peut toujours être « posé en idée » L’intuition empirique (erfahrende) ou intuition de
l’individu
peut être convertie en vision de l’essence (Wesens-Schauung) en idéation) – cette possibilité
devant elle-même être entendue non comme possibilité empirique, mais comme possibilité sur le plan des
essences. Le terme de la vision est alors l’essence pure correspondante ou Eidos
.»
Qu’il s’agisse de savants comme Newton, Lavoisier, Pasteur ou Einstein etc. il y a chez eux
une idée d’une essence à partir de laquelle toutes leurs découvertes s’enchaînent . On peut
14
15
reconstruire l’ensemble des activités scientifiques de Lavoisier que ce soit en chimie, en
statistique, en économie c’est toujours la même idée fondamentale que Husserl appelle visée
des essences, que Jorland appelle intuition ontologique à partir de laquelle on peut tout
reconstruire ce qui pour Lavoisier est le concept de conservation de la matière ou pour Pasteur
le concept de la vie comme brisure de symétrie (cf. le débat sur la génération spontanée) :
inorganique
chimique
Rupture de la symétrie
Organique
inorganique
Donc, l’explicitation du sens, le besinnung dont parle Husserl est une restitution de
l’intentionnalité originelle qui est la visée des essences constitutives d’une science.
Et il présente les deux sections : logique formelle d’un côté constituant avec la
mathématique formelle la mathesis universalis, et logique transcendantale de l’autre côté qui
cherche à dériver de la logique formelle une théorie de la science.
Considérations Préliminaires
Dans logique, il y a logos que l’on traduit par discours. Le point de départ de Husserl
est le langage : avec les trois termes :
Reden : dire, parler
Denken : penser
Gedanke : pensée , la chose pensée
Il a cette formule : « La pensée humaine s’accomplit normalement dans le langage. »
Dans ses Ideen [257]: « Tout « visé (Gemeint) en tant que tel », toute visée (Meinung) au sens noématique
(en entendant par là le noyau noématique) est susceptible, quelque soit l’acte de recevoir une expression au
moyen de « significations » (Bedeutungen) Nous posons donc le principe suivant :
La signification logique est une expression »
Si le mot prononcé (Wortlaut) peut s’appeler expression, c’est uniquement parce que la signification qui lui
appartient exprime ; c’est dans celle-ci que réside originellement l’exprimer. L’ « expression » est une forme
remarquable qui s’adapte à chaque « sens » (au « noyau » noématique) et le fait accéder au règne du « Logos »,
du conceptuel et ainsi du « général »
Il y a une chose à laquelle Husserl n’est pas du tout sensible, c’est que la pensée est
universelle, alors qu’évidemment le langage est un langage tout à fait particulier. A tel point
qu’il y a ce que Thomas Moore appelle « l’incommensurabilité de la traduction » : il est
impossible de traduire avec exactitude un texte d’une langue dans une autre (d’où l’obstacle à
faire de la traduction automatique). Pourtant on a la possibilité de formuler ses idées dans une
langue différente. Donc il n’est pas vrai de dire que la pensée s’accomplit dans le langage, elle
s’exprime évidemment dans un langage, mais ne s’accomplit pas dans un langage à moins de
disposer d’un langage universel, ce qui a été le grand espoir de la linguistique à l’aide d’une
grammaire universelle qui aurait été le corrélat linguistique de la pensée humaine.
15
16
Ce présupposé ne valant pas, on ne peut pas comprendre la science, voire même la
logique à partir du langage.
La question du sens est très importante et c’est pourquoi Husserl rapproche la logique
formelle de la mathématique formelle. Tout l’effort d’abstraction de la Mathématique a
consisté précisément à faire abstraction du sens puisque le x mathématique peut être une
famille de fonctions, une équation, une ou des courbes géométriques. Le formalisme
contemporain se sépare bien du sémantique.
Dans le troisième paragraphe des Considérations préliminaires, il est question de la
pensée dans le sens le plus large « comme vécu12 constituant le sens »
« Nous n’avons pas besoin d’aller plus loin et nous pouvons délimiter comme concept provisoire de la
pensée, le premier et le plus large qui soit, le concept qui doit embrasser tous les vécus (erlebnis) psychiques
dans lesquels consiste cet opiner (meinen) ; cet opiner dans lequel, pour le sujet parlant (et parallèlement pour le
sujet qui comprend en écoutant) est constituée précisément l’opinion (meinung) , donc la signification, le sens
qui s’exprime dans le discours. Si nous énonçons un jugement, par exemple, alors nous avons accompli, avec les
mots énoncés dans l’assertion, précisément l’unité de l’activité interne de « pensée »13. Quelles que soient les
effectuations psychiques qui doivent être accomplies pour que les mots eux-mêmes se réalisent et quelque rôle
qu’elles puissent jouer pour la fusion qui engendre l’ « expression », nous portons notre attention uniquement sur
ce qui est soudé par cette fusion, sur les actes de juger qui fonctionnent comme donateurs de sens, donc qui
portent en eux le jugement-opinion qui trouve son expression dans la proposition que forme l’assertion. […]
Dans Ideen [74] il prend l’exemple de la table : « …Ne sortons pas du cadre de l’intuition
simple et des synthèses qui s’y rattachent et où la perception s’incorpore. Il est alors évide nt que l’intuition et la
chose dont elle est l’intuition, la perception et la chose perçue, bien que rapportées l’une à l’autre dans leur
essence, ne forment pas par une nécessité de principe, une unité et une liaison réelle (reel) et d’ordre eidétique.
Partons d’un exemple. Je vois continuellement cette table ; j’en fais le tour et change comme toujours
ma position dans l’espace ; j’ai sans cesse conscience de l’existence corporelle d’une seule et même table qui en
soi demeure inchangée. Or la perception de la table ne cesse de varier ; c’est une série continue de perceptions
changeantes. Je ferme les yeux. Par mes autres sens je n’ai plus d’elle aucune perception. J’ouvre les yeux et la
perception reparaît de nouveau. La perception ? Soyons plus exacts. En reparaissant elle n’est à aucun égard
individuellement identique 14. Seule la table est la même : je prends conscience de son identité dans la
conscience synthétique qui rattache la nouvelle perception au souvenir[…] Quant à la perception elle-même, elle
est ce qu’elle est, entraînée dans le flux incessant de la conscience et elle-même sans cesse fluante, le
maintenant de la perception ne cesse de se convertir en une nouvelle conscience qui s’enchaîne à la précédente.
[…] Chaque phase de la perception comporte, par exemple, nécessairement un statut un statut déterminé
d’esquisses de formes etc. Ces esquisses sont à mettre au nombre des data de sensation…, des champs de
sensation ; en outre, au sein de l’unité concrète de la perception, ces data sont animés par des
« appréhensions »(Auffassungen).. qui en s’unissant opèrent ce que nous nommons « l’apparaître de » la
12
Vécu : en français nous avons toujours une tonalité psychologique, du genre c’est mon vécu, or Husserl n’en
veut pas, alors qu’en allemand erlebnis c’est d’abord un évènement, c’est ce qu’on vit, c’est la chose vécue, la
chose dont on fait l’expérience, mais sans connotation psychologique, c’est la rencontre de ce à quoi on va.
13
Unité de jugement = Activité interne de « pensée : ce n’est pas un mot qui à lui seul donnerait un sens à ma
pensée, c’est l’ ensemble du discours, son unité qui exprime cette opinion et lui donne sens
14
Cette nouvelle perception n’est pas identique à la précédente, alors qu’il s’agit de la même table, du même
objet perçu
16
17
Ces appréhensions fusionnent en une unité d’appréhension dont
Husserl dit que cette fusion est elle-même fondée dans l’essence de ces appréhensions qui leur
donne la possibilité d’aboutir à des synthèses d’identification. Or ces data de sensation qui
exercent la fonction d’esquisse, sont des divers moments de la chose perçue et ces divers
moments de la chose perçue sont du vécu (erlebnis). Le vécu est dans le temps et ce qui est
vécu (la chose), est dans l’espace . Husserl marque d’emblée la dualité entre le moment du
donné du vécu et le moment transcendant de la chose vécue : [76] «Nous voyons donc apparaître
une distinction fondamentale : celle de l’être comme vécu et de l’être comme chose […] .
couleur, « de » la forme etc. »
Dans la pensée, l’acte de juger est donateur de sens à l’événement (erlebnis) tel qu’il
est vécu
Ce qui traduit bien la différence de point de vue entre Husserl et Jorland c’est la
notion de vécu (erlebnis) telle que l’énonce Husserl qui éloigne tout psychologisme alors que
la langue française utilise aussi le sens psychologique, subjectif, du vécu. Dans le jugement
transcendantal, c’est en effet le sujet qui énonce son jugement et lui donne un sens (c’est son
opinion) et il est en mesure de la transmettre à un autre sujet ; et là il n’y a pas d’universalité,
c’est un jugement particulier.
« [..] penser désigne tout vécu éprouvé pendant qu’on parle et appartenant de la façon qui a été décrite
à la fonction principale de l’expression (précisément à la fonction d’exprimer quelque chose) ; penser désigne
donc tout vécu dans lequel se constitue sous forme consciente le sens qui doit devenir exprimé ; et quand le sens
est exprimé, penser désigne la signification de l’expression, spécialement du discours en jeu. Cela s’appelle
penser, que ce soit juger ou bien souhaiter, vouloir, questionner, conjecturer .
»
Donc pour Husserl penser est constitutif du sens.
A ce sujet, Jorland se sépare de Husserl en ce sens que pour lui, il ne faut pas mettre entre
parenthèses le psychique, mais le langage. Tandis qu’Husserl ne met pas entre parenthèses le
langage, (il parle du langage), la pensée est pour lui constitutive du sens, Jorland pense, au
contraire, qu’il faut mettre entre parenthèses le langage, parce que le langage n’est pas
universel. Au contraire il ne faut pas éliminer le psychisme, notre système cognitif est
universel (nous avons tous la même manière de voir, de sentir etc., avec le même système
nerveux, cela se fait avec le même appareil ; cela ne veut pas dire que nous voyons les mêmes
choses, mais nous jugeons avec le même appareillage et on peut comprendre comment la
pensée est constitutive de l’expérience. C’est d’ailleurs pourquoi Jorland plaide pour des
recherches sur une neurophysiologie transcendantale ! A laquelle il donne sa préférence par
opposition à la linguistique. Il faut être plus radical et revenir à ce que disait Kant quand il
parlait de physiologie.
Le fond de la critique sur l’approche de Husserl
Entre le Langage comme ensemble de propositions et la Logique, il y a un saut dont
Husserl ne peut absolument pas rendre compte. Dans la Logique ce n’est pas un ensemble ou
17
18
sous-ensemble de propositions, la logique qu’il appelle apophantisme15 formel, c’est dire que
la seule chose qui intéresse la logique, c’est à quelles conditions une proposition est vraie . Et
donc on ne passe pas du langage à la logique. Le langage est l’ensemble des propositions qui
pour la plus grande part sont conjoncturelles ou fausses la plupart du temps. La logique n’est
pas un sous-ensemble de ces propositions. La question de la logique, c’est la question de la
vérité : à quelles conditions, telle ou telle proposition est vraie. Ce n’est pas parce que le
Logos est un discours et que le logos est utilisé en Logique que l’on peut passer du langage à
la logique. Si, justement, il n’y avait eu Platon, qui avait dit une proposition est vraie si elle
répond à des normes a priori , si elle répond à des règles et pas seulement à des règles de
grammaire ! Après Platon, il y a eu Aristote qui a défini des règles de vérité pour tout
raisonnement, c’est toute la syllogistique aristotélicienne. Les syllogismes se construisent
selon plusieurs modèles, soit que la majeure est universelle affirmative, ou universelle
négative, ou particulière affirmative , ou particulière négative et la mineure est l’une de ces
quatre et on peut ou non conclure de l’une à l’autre comme pour ce syllogisme :
« Tous les hommes sont mortels, César est un homme, donc César est mortel »
On peut prendre d’autres exemples comme celui du syllogisme transitif appelé modus
barbara : Si la proposition : « P implique Q » est vraie ET que la proposition « Q
implique R » est vraie, ALORS la proposition « P implique R » en est la conclusion
qui est vraie.
[(P ⇒ Q) ET (Q ⇒ R)] ⇒ (P ⇒ R).
Littéralement, ce dernier exemple est le syllogisme de « la manière étrangère » : une proposition
annexe Q est utilisée pour faire le lien entre les deux propositions P et R. c’est un modus qui utilise
une transitivité
Ce sont des règles de logique très rigoureuses qu’a donné Aristote qui sont les normes de la vérité et
font l’objet de la logique. Mais elles ne nous servent à rien dans le langage ordinaire, où des
syllogismes paraissent ou sont parfaits sur le plan formel, mais n’ont aucun sens, dans la mesure où la
conclusion est aberrante : « Quand je vais mal je me repose
Or quand je me repose je vais mieux
Donc quand je vais mal, je vais mieux »
15
Apophantique : (apophantikos : qui affirme, de apophainen : faire connaître, montrer. Pour Aristote, la 1
espèce de discours apophantique, c’est l’affirmation ; la seconde c’est la négation
ère
18
19
Voilà un exemple où la condition chronologique de non simultanéité n’a pas été respectée
pour la conclusion qui est forcément absurde alors que les syllogismes formels sont valides.
Pour Husserl, la pensée est constitution du sens, il reste donc à savoir quel est le sens des
propositions logiques, quelle est la constitution de sens qu’effectue la logique par rapport au
langage : pour Husserl, la logique est normative, alors qu’en fait (Jorland), le langage n’est pas
normatif puisque l’on passe son temps à faire des fautes de grammaire qui n’empêchent pas les
gens de comprendre, malgré cette grande flexibilité du langage. La flexibilité du Langage
s’oppose à la normativité de la Logique.
Finalement, ce que Husserl va faire, ce n’est pas de nous parler de cette fondation de sens, il
va nous parler des opérations, des procédures exactes de la pensée, indépendamment du
temps. :
« Au demeurant, la réflexion fréquente sur l’action subjective est commune aux sciences et aux autres domaines
où l’on procède selon les règles d’un art. dans le sens des formations de pensée elles-mêmes, en tant qu’elles
proviennent d’activités de pensée, est impliquée la référence aux actes correspondants, à leur ordre et à leur
liaison. Aussi peut-on décrire les formations également à partir de celui qui agit et à partir de son action. Au lieu
de dire, par exemple : a-b+b = a, on peut dire aussi que l’on soustrait b de a et que l’on ajoute à nouveau b, etc.,
ou au lieu de dire : des prémisses M et N il s’ensuit Q, on dit des jugements M et N on doit conclure Q. Mais ainsi,
on n’a acquis rien d’essentiel ; on est certes renvoyé au rythme plus ou moins complexe des actes du moi (des
démarches de l’ego cogito), mais pour ces actes eux-mêmes, il n’est fourni à proprement parler aucune description.
Compter, c’est donner naissance à des nombres, soustraire c’est donner naissance à des différences, multiplier,
c’est donner naissance à des produits, etc., de même déduire c’est donner naissance à des jugements conséquents à
partir de jugements. On a en vue les éléments auxquels on donne naissance, ce vers quoi l’on tend et qu’on
engendre et c’est là que réside ce qui est substantiel et saisissable tandis que le je-compte, le je-déduis qui sont
vides ne veulent rien dire de plus que : laisser se développer la visée qui tend vers les résultats et laisser se
développer dans leur réalisation les résultats engendrés. Cela ne doit naturellement pas signifier qu’il n’y a pas
d’analyses et de descriptions subjectives, mais cela signifie seulement qu’au-delà des résultats engendrés et audelà du développement subjectif dans lequel ils se réalisent progressivement une subjectivité intentionnelle doit
être explorée dans laquelle se constituent comme unités synthétiques les éléments qu’elle est en train d’engendrer
et qu’elle a engendrés – subjectivité à laquelle on n’a encore nullement accès lorsqu’on se tourne ainsi simplement
vers le « je pense ».
Quand Husserl en vient à décrire la pensée, il la décrit en termes d’actes , non
seulement au sens de compter et de déduire, mais aussi au sens de soustraire, multiplier etc,
actes de déduire au sens de conclure.
Et ce qu’il dit, ce qu’il faut rechercher par delà les actes, penser n’est pas seulement enchaîner
des actes, mais de faire cet enchaînement d’actes en vue de quelque chose, en vue du résultat :
19
20
il y a une visée du résultat à partir de laquelle on effectue ces actes. C’est parce que je cherche à
savoir combien il reste sur mon compte que je fais des additions et des soustractions et ce qui
m’intéresse, c’est le x, qui est le solde de tout compte et de la même manière si je fais un calcul
scientifique. J’essaie de calculer le mouvement des planètes parce que je veux identifier la
planète dont je sais qu’elle perturbe l’orbite d’Uranus c’est la découverte de Neptune par Le
Verrier16). Il y a donc une visée d’un résultat à partir duquel on effectue des actes de pensée.
Mais cela ne veut pas dire pour autant que le résultat réponde aux normes de l’intuition
ontologique : cette idée que la région de l’être qu’on explore doive avoir telle ou telle propriété,
donc une visée des essences, mais ces actes eux-mêmes ne se laissent pas réduire au résultat
puisqu’il arrive que ces actes amènent à tous autres résultats que ceux qu’on visait. Et à
l’opposé on peut rater une découverte parce que l’on est accroché à un résultat escompté qui ne
correspond pas à celui qu’on observe expérimentalement. C’est le risque de tomber dans
l’illusion de la croyance.
Il y a dans ce texte une tentative, encore une fois, de description du champ transcendantal,
c'est-à-dire des conditions de possibilité a priori, ce que Husserl appelle condition d’essences.
Et ce qui est très intéressant et important aussi pour comprendre le dernier Gödel, et ce à quoi
le mène le théorème d’incomplétude c’est que ces conditions de possibilité a priori sont pour
Husserl des conditions d’essences , c’est le platonisme de Husserl, c'est-à-dire qu’il y a un
monde des essences. Et ce que nous devons parvenir à faire et c’est cela la sphère du
transcendantal : c’est ce qui nous permet d’avoir accès à ce monde des essences. C’est ce que
nous devons viser, expérimenter, éprouver, à travers la phénoménologie.
Et ce sont ces deux plans qu’il faudra développer :
Qu’est-ce que peut être une logique transcendantale, c'est-à-dire une théorie de la
science et à ce sujet, on verra la critique qu’en a faite Cavaillès et d’autre part ce monde des
essences que révèle la logique transcendantale
16
Le Verrier supposa qu'un corps massif attirait Uranus hors de son orbite. Mais où pouvait bien se trouver ce
corps ? Quel était-il ? L'étude des observations d'Uranus réalisées entre 1800 et 1850 permit d'en calculer la
masse et la distance. L'orbite ainsi calculée montrait qu'il s'agissait d'une nouvelle planète, au-delà d'Uranus. Le
même calcul fut fait par Adams en Angleterre mais c'est Le Verrier qui fit observer par Galle à Berlin en 1846 la
nouvelle planète.
20
21
La Logique formelle
Dans cette première Partie, Husserl va démontrer comment la logique formelle est une
ontologie formelle ; et nous verrons plus précisément quel est le sens de cette démonstration.
La première structure de cette section, c’est l’idée de stratification de la Logique en
trois niveaux :
1. Morphologie formelle
2. Logique de la conséquence
3. Logique de la vérité
Husserl tient beaucoup à cette stratification puisqu’il conclut cette première section (fin du
Ier Chapitre) en exprimant ce qu’il y a de plus important depuis l’origine de ses propres
recherches sur la Logique : « Grâce à ces analyses le sens de la stratification de la Logique formelle a été
clarifiée à partir des sources les plus originelles et la nécessité essentielle de cette stratification a été fondée ,
cette stratification est restée étrangère à la Logique ayant cours jusqu’ici. Seule la mise en évidence comme
doctrine séparée d’une morphologie pure à l’échelle effectuée dans les Logische Untersuchungen, et elle a subi
dans le contexte présent une fondation incomparablement plus profonde. Il va sans dire que notre séparation
entre Logique formelle de la non contradiction et logique formelle de la vérité, est quelque chose
d’essentiellement et de fondamentalement nouveau. Quelque notoire que soit cette séparation[…] c’est quelque
chose de totalement autre etc…
»
Cette réflexion est essentielle pour Husserl, car elle est la prolongation de sa Philosophie
arithmétique et ses Logische Untersuchungen qui ont été écrits dans les années 1900. C’est
cette problématique qu’il reprend et qu’il pense avoir approfondie considérablement grâce à la
Phénoménologie
Alors, que représente cette stratification ?

La morphologie : c’est simplement la forme des jugements.
Tout jugement est de la forme : un sujet et un prédicat :
« S est P »
« Cet homme est grand »
C’est la forme de tous les jugements ; et la morphologie est l’ensemble des opérations
qui permettent de former ces jugements.
Alors, une opération claire, évidente qui est d’ailleurs la caractéristique de toutes les
opérations qui servent à former des jugements c’est l’itération : qui consiste à énoncer : « ce
grand homme est beau », et on peut continuer : « ce grand bel homme est pressé » et ainsi de
suite, on peut réitérer et faire passer le prédicat dans le sujet et le résultat est un nouveau
prédicat. Cette opération par laquelle on forme des jugements est itérative.
21
22
Et il y a d’autres opérations comme, par exemple la conjonction où l’on utilise le et :
dans deux jugements :« Pierre et marie se parlent » ;
ou alors une disjonction où on utilise le ou dans deux jugements « Prenez vous du
café ou du thé ? », ou la modalité comme : « Il <doit> + < être tard> »: probable
ou bien comme : « Paul <doit> venir » : possible.
 Le principe de contradiction
Est le second niveau de stratification. Ce principe n’entre pas en ligne de compte dans
la morphologie, en effet il n’importe pas du tout des avoir si les jugements sont
contradictoires ou pas, je peux dire : « cet homme a une jupe » sans me soucier si cela
est contradictoire, ce qui compte, c’est que tout jugement ait la forme « S est P, et
Q » ; ou « si S est P , alors q est R ».
En morphologie, il importe simplement, indépendamment de toute considération de
contradiction ou de vérité, de savoir comment est la forme du jugement.
La logique est par conséquent dominée par un principe de contradiction. Ce principe,
Husserl le formule de manière assez claire : « Si un jugement est vrai, son opposé
contradictoire est faux. De deux jugements contradictoires, il y en a nécessairement
un de vrai, ou alors tout jugement ou bien vrai ou bien faux… :
Soit A est vrai et B est faux
Soit A est faux et B est vrai
Mais il n’y a pas de troisième terme : il n’y a pas de troisième possibilité ; donc le
principe de contradiction présuppose le principe du tiers exclu : les deux principes
vont ensemble.
Mais il faut voir que le principe de contradiction ne dit rien sur la réalité. D’une
manière générale, des propositions de ce type sont elles que si l’une est vraie l’autre
qui lui est contradictoire est fausse : « il y a du soleil », « il n’y a pas de soleil » et
réciproquement l’une par rapport à l’autre, indépendamment parlant de sa réalité
effective
 Cette réalité est celle du 3ème niveau qui est celui de la logique de la vérité :
l’adéquation.
Le jugement que j’énonce peut ou non correspondre (« il y a du soleil ») peut ou non
correspondre à un état de choses.
Cette stratification est la première idée défendue par Husserl. Ce qui est important
c’est que la morphologie reprend sa caractérisation de la Logique, cette grammaire
pure des énoncés est la règle de formation dans l’énoncé des jugements. Et la
différence entre Logique de la contradiction et Logique de la vérité est pensée par
Husserl en termes cartésiens, c'est-à-dire que la logique de la contradiction relève de
ce qui est « distinct » et que la Logique de la vérité relève de ce qui est « clair ».
Il faut rappeler que chez Descartes, l’évidence se caractérise elle-même par la clarté et
la distinction. Les représentations vraies doivent être à la fois claires et distinctes. Pour
Descartes, la clarté c’est quand on se représente toute la chose, l’état de chose entier
(= ce qu’on appelle maintenant : conditions nécessaires) ; et la distinction c’est quand
on ne voit rien que la chose.
22
23
Ce qui est original chez Husserl, c’est qu’il semble inverser les relations et pour lui, la
distinction est de l’ordre de la condition nécessaire et la clarté est de l’ordre de la
condition suffisante. Pour lui, la distinction st de l’ordre de la logique de contradiction,
alors que la clarté est de l’ordre de la logique de la vérité.
Descartes
distinct
condition suffisante
clair
condition nécessaire
Husserl
Pour Husserl entre distinction et clarté, on représente des orientations différentes du
jugement : l’un la distinction concernant la forme du jugement, l’autre , la clarté
concerne la relation du jugement à son objet, ce que ne reprend pas Jorland
contrairement à Husserl puisque pour Husserl la distinction est de l’ordre de la
condition nécessaire puisque tout jugement vrai est nécessairement non
contradictoire17.
Mais ce qui est important dans la distinction que fait Husserl entre ce qui est distinct
et ce qui est clair c’est qu’il les conçoit non pas comme des attributs, des qualités,
des représentations, mais comme des actes.18
La distinction est un acte, et de la même manière, plutôt que de parler de
représentation claire, il parle de clarification. Et on retrouve là ce que nous essayons
de cerner cette dualité chez Husserl d’une part d’une philosophie du sens : la logique
est pour lui une logique du sens, de signification ; et d’autre part, lorsqu’il en vient à
analyser les opérations de la démarche logique, il le fait non pas en terme de sens,
mais en termes d’actes, d’opérations de la pensée. Et en fait, ce qui est important ce
n’est pas que ce soit clair ou distinct, ce qui est important pour lui, c’est le processus
de distinction et celui de clarification.
En quoi ces processus sont importants, c’est qu’ils sont affectés à ces conditions : ce
qui est important c’est que c’est cette distinction qui peut faire la différence entre la
morphologie et la logique formelle, Pour Husserl, la non contradiction est la même
chose que la distinction : en fait ce qui distingue et est non contradictoire : ce sont ces
deux termes qui sont vraiment interchangeables, pour vérifier que deux jugements
distincts ne sont pas contradictoires, on opère des distinctions.
Ce qui oppose Descartes à Husserl est dû au fait qu’on n’est pas tout à fait au même
niveau de problématique. Pour Descartes tout est placé au niveau des représentations,
il se soucie peu de la réalité objective des représentations dans la mesure où il y a un
opérateur d’implémentation des représentations qui est le « je » et, pour Descartes, à
chaque fois que j’ai une idée claire et distincte de quelque chose, alors, grâce à Dieu ,
je suis sûr que cette chose existe, donc la question de l’objet, de sa réalité ne se pose
pas chez Descartes, autrement dit la cogitatio de Descartes c’est Dieu qui garantit que
c’est réel , et c’est vrai grâce à Dieu, qu’avec ces caractères formels de la vérité
(clarté, distinction) cette chose qu’est la cogitatio nous autorise à juger que c’est vrai,
17
Il ne peut pas y avoir de jugements vrais qui ne soient contradictoires, c’est une condition nécessaire ; il y a
des jugements non contradictoires qui ne sont pas vrais, parce qu’ils ils sont inadéquats à leur objet
18
Compter, énumérer, classer etc. ce sont des actes de représentation mentale
23
24
ou que ce n’est pas vrai, et c’est ainsi grâce à Dieu qui nous a créés avec un
entendement qui nous rend capable de comprendre les choses et de ne pas les juger si
nous ne les appréhendons pas de façon claire et distincte..
Ce n’est plus le cas pour Husserl, Dieu n’intervient pas, il n’y a de garant que mes
représentations sont un objet réel. Il pose la question est-ce que pour un jugement qui
peut ne pas être contradictoire correspond bien un état de chose qui est une réalité. La
question de l’adéquation de ma représentation à un état de choses réel se pose à
Husserl (parce que se pose à Husserl le « tournant » kantien qui fait dire que la
« subjectivité » est constitutive d’un champ du transcendantal de la constitution a
priori de la réalité) qui, depuis Kant, pose la constitution de la réalité par la
représentation dans l’espace et le temps. Nous appréhendons la réalité et c’est parce
que nous appréhendons la réalité que nous la constituons et que nous pouvons être sûrs
de sa réalité. Le transcendantal vise la réalité. Pour Husserl a fortiori, l’intentionnalité
est une visée de la chose dans la réalité, d’où le sens différent qu’il donne au concept
de Descartes à la clarté et à la distinction. Pour Husserl, la distinction est propre aux
jugements eux-mêmes, les jugements distincts sont des jugements non contradictoires,
l’idée étant que ce qui est contradictoire et non distinct est donc confus et donc
l’élimination (qui nécessite des actes de la pensée) de la confusion permet d’arriver à
la vérité.
Ce qui est important c’est de comprendre cette ambivalence, cette ambigüité du projet
de Husserl, c’est que la logique formelle est une logique du sens. Autrement dit, ce
qui est contradictoire est identique à un contresens, à un non sens, à une absurdité
pour Husserl « [91] Toute contradiction est contresens analytique (widersinn) »
C’est parce que la logique formelle est une logique des significations que Husserl
peut faire cette distinction entre le confus et le distinct et concevoir la logique de la
conséquence comme constituée par les actes de la conscience qui consistent à rendre
distinct ce qui est confus ce qui revient à éliminer les contresens et les non sens.
Husserl accepte cette ambigüité parce qu’il ya chez lui la description de la logique
comme des opérations, des actes de la pensée : distinction, clarification.
 Unité de la Logique formelle et de la mathématique universelle
Cette idée de l’unité de la Logique formelle et de la Mathématique formelle
défendue par Husserl qu’on rencontre dans les termes d’Aristote : l’apophantique (du
grec qui affirme) comme l’ensemble des propositions qui affirment une chose vraie ou
une chose fausse. Ce qui intéresse dans ces propositions, c’est de savoir à quelles
conditions cette proposition est vraie ou pas .
L’axiomatisation 19des mathématiques depuis Euclide et développée au 20ème siècle
en logique a conduit à fondre la Logique formelle aux mathématiques (Hilbert)
intéresse Husserl pour essayer de comprendre quel est le sens de cette fusion entre les
deux.
19
Axiomatisation : En mathématiques, l'axiomatisation d'une théorie est un procédé qui consiste à organiser
celle-ci en la fondant sur des axiomes, et à en déduire rigoureusement des théorèmes, dans un cadre qui peut
être purement logique, ou celui de la théorie des ensembles. L'ensemble constitue une théorie axiomatique. Il
arrive souvent que des concepts mathématiques existent préalablement à leur axiomatisation, soit qu'ils
n'aient pas été dégagés du cadre d'une autre théorie, soit qu'ils aient été développés sans être entièrement
formalisés. L'objet de l'axiomatisation est entre autres d'éclaircir ces concepts et de permettre leur
généralisation à d'autres cadres (tiré de Wikipedia)
24
25
Chez Aristote, la Logique est d’emblée une ontologie, dans la mesure où les jugements
sont empruntés à la sphère du réel. Husserl dit que les jugements aristotéliciens
n’excluent pas les catégories réelles. Autrement dit le fait que Aristote s’intéresse à la
forme des jugements c'est-à-dire aux syllogismes dont il donne les règles et ce qui va
se passer, c’est qu’il va y avoir une algébrisation de la Logique qui va complètement
séparer la Logique de l’Ontologie. Et la logique ne va plus être qu’une apophantique
qui va déterminer les conditions d’une part de formation d’énoncés de jugement et
d’autre part déterminer les conditions que doit nécessairement remplir les jugements
vrais, c'est-à-dire se conformer au principe de non-contradiction.
Mais ce que veut penser Husserl, c’est d’une part la différence entre Logique Formelle
et mathématique Formelle et d’autre part leur unité essentielle.
Alors Husserl peut penser cette unité grâce précisément au concept d’intentionnalité.
Autrement dit, tout jugement est un jugement sur quelque chose, donc il est question
d’une chose dans le jugement et il n’y a pas simplement dans le jugement la question
de sa forme, mais aussi la question de sa relation à la chose.
Donc Husserl est naturellement conduit à relier Mathématique formelle et
logique formelle.
Ce projet de fusion entre les deux vient de Leibniz et de son idée de Mathesis
Universalis.
Ce qui importe à Husserl est de comprendre comment cette fusion de la Logique
formelle avec la Mathématique formelle conduit à une ontologie. Et tout se passe
comme si on avait une stratification (terme employé par Husserl) du plus général,
du plus formel au plus réel
Il explique que la logique formelle a affaire à l’objet en général :
Si S est P ou S est B
Alors Q est R
De cet objet, je ne connais rien, je ne sais pas si c’est un genre, une espèce, une chose,
une valeur, un objet individuel ou catégoriel, un objet de pensée..
La logique formelle ne connaît rien de la nature de cet objet.
« Dans ce sens la logique formelle ne peut pas être une doctrine de la science puisqu’elle ne peut rien
dire de la nature de l’objet sur laquelle on forme le jugement. » Elle peut dire quelles sont les
conditions de tout jugement vrai, mais elle ne peut rien dire de la nature de cet objet
sur lequel porte le jugement.
Pour Husserl, au contraire, la mathématique formelle 20ce sont des disciplines
mathématiques extrêmement précises, la théorie des ensembles, la théorie des
permutations et combinaisons, « la combinatoire »,la théorie des nombres, la théorie
des multiplicités (les variétés : mannifaltigkeit) pouvant par exemple calculer des
espaces vectoriels à n dimensions.
La mathématique formelle détermine les relations qui existent entre les objets.
L’exemple donné par Husserl qui montre que l’on peut définir un objet a et un objet b
avec une relation telle qu’il y a
A ◙B=B◙ A
c’est la commutativité
20
Mathématique formelle : Husserl écrit dans une note de bas de page ce qu’elle n’est pas : « des disciplines
comme la géométrie pure, la mécanique pure, également la géométrie analytique et la mécanique analytique
sont donc exclues de cette analyse formelle aussi longtemps qu’elles se rapportent effectivement à l’espace
et aux forces »
25
26
Ce qui est fondamental c’est que dans cette théorie mathématique, la seule chose qui
est déterminée, ce ne sont pas les objets eux-mêmes, c’est les relations entre les objets
et tout objet qui répondra à cette relation fait partie de cette théorie.
On peut voir aussi l’associativité :
(A ◙ B) ◙ C = A ◙ (B ◙ C)
Dans ce type de mathématique formelle on définit les propriétés des
opérations, des relations entre ces objets et on laisse ces objets totalement non définis.
On ne se soucie pas de ce que sont ces objets. Et c’est en ce sens que la mathématique
formelle est une ontologie formelle puisqu’elle détermine non pas les objets mêmes,
mais les relations entre ces objets, c’est en ce sens que c’est une ontologie formelle.
Ce que ne fait pas la Logique formelle : une proposition sur un objet en général pour
être vraie doit répondre à telle ou telle règle. Ici, dans le cas de la mathématique
formelle, ce n’est pas le cas, les objets quels qu’ils soient peuvent entrer dans un
certain type de relation Dans l’exemple fourni c’est la relation de la propriété de
commutativité et la relation d’associativité dont il est question est non du contenu,
mais de la forme. Mais si je m’intéresse au contenu cela peut être une relation
d’addition, de soustraction, de multiplication etc., or dans l’exemple que nous venons
de voir c’est la forme et non le contenu qui nous intéresse.
Depuis le 19ème siècle, les Mathématiques réfléchissent de plus en plus sur les
propriétés de propriétés et sur ces systèmes de pensée.
Et Husserl dit :
o soit on peut se soucier du jugement par rapport à sa forme même et donc on
est dans la Logique formelle, En fait il s’agit, ici, beaucoup plus d’une sorte de
détermination où l’on part du plus général comme pour la Logique formelle :
l’objet en général, tout objet de ma représentation, si ma représentation doit être
vraie, doit répondre à un certain nombre de règles dans le cas d’un jugement
vrai quelque soit l’objet, et c’est ce qui fait qu’il n’y a pas d’ontologie dans la
Logique formelle : on ne sait rien de cet objet, on sait simplement que pour être
vrai, il doit être non contradictoire
o soit on se soucie du jugement par rapport aux objets et on est dans la
Mathématique formelle. « La Logique formelle a son orientation vers les jugements, la
mathématique formelle a son orientation vers les objets ».L’associativité et la
commutativité crée des ensembles d’objets et à l’inverse, la non commutativité
des calculs matriciels comme c’est le cas dans la mécanique quantique, a pour
résultat de déterminer un autre champ d’objets et cet ensemble constitue la
réalité.
Ce qui semble intéressant chez Husserl, c’est de voir que la Logique formelle est
une Logique transcendantale en ce sens que la mathématique formelle considérée
dans cette Mathesis Universalis , qui est une ontologie formelle et de comprendre
que cet ensemble est une ontologie transcendantale, en ce sens qu’elle détermine
les formes qui déterminent des classes d’objets.
Si on revient un moment sur les opérations qui figurent dans les propositions de la
Logique formelle, la déduction ranscendantale est une déduction qui se fait avec
des mots, dans les prédicats il n’y a que des symboles et les déductions se font
26
27
uniquement par combinaisons de symbole avec le respect des règles. Et c’est cela
qui est essentiel : dans la Logique formelle, on n’élimine ni l’intuition, ni le sens.
Or parmi ces règles les plus importantes de la Logique formelle, il ya
l’analyse qu’en fait Husserl et notamment ce principe de contradiction dont il
veut donner une formulation tant pour la logique de la pensée, que pour la logique
de la vérité , et puis il y a la logique qui relie la vérité et la conséquence.basée sur le
principe du tiers exclu qui a été introduit par Aristote comme conséquence du
principe de contradiction :
Non A est faux si A est vrai à condition qu’il n’y ait pas de troisième terme
possible.
Tiers Exclu
Une proposition est
VRAIE
OU
FAUSSE
Mais
Pas de 3e
possibilité
Et puis il y a un principe qui lie le principe de la logique de la vérité à la logique de la
conséquence c’est le modus ponens et le modus tollens
Le modus ponens consiste à affirmer une implication (« si A alors B ») A implique B et
à poser ensuite l'antécédent («or, A est vrai») pour en déduire la vérité du conséquent
(« donc B est vrai»),si A est vrai : « il pleut » donc B est vrai (or B « le sol est mouillé »)
La contraposition (ou modus tollens) consiste à affirmer une implication (« si A alors
B ») et à poser ensuite la négation de la conséquence (« or, non B ») pour en déduire la
négation de l'antécédent (« donc non A »). En d'autres termes, puisque la cause d'une
implication engendre la conséquence, alors l'absence de la conséquence implique
automatiquement l'absence de la cause (tollens est le participe présent du verbe latin tollere,
ôter, enlever). Le modus tollens est considéré comme une régle dérivée
« A implique B » ("s'il pleut, alors le sol est mouillé")
Alors « non-B implique non-A » ("si le sol n'est pas mouillé, alors il ne pleut pas").
27
28
 Théorie des systèmes déductifs : La définitude (Definitheit)
Dans le 3ème Chapitre et c’est ce qui est le plus important Il explique ce qu’est une
théorie : « une liaison systématique de propositions sous la forme d’une déduction ayant l’unité d’un
système ». Ceci est assez banal, mais ce qui nous intéresse plutôt c’est le corrélat
objectif d’une théorie possible qui entraîne cette liaison de propositions en général
de l’ordre de la déduction. D’un certain nombre d’axiomes Newton déduit des
théorèmes du mouvement qui conduiront à la théorie einsteinienne de la relativité où
l’on pose, par exemple, la constance de la vitesse de la lumière dans le vide dont l’on
pourra déduire un certain nombre de propositions.
Ce qui est intéressant, ici c’est « le corrélat objectif du concept d’une théorie possible
déterminée uniquement quant à sa forme et le concept d’un domaine possible de connaissances qui en
général doit être dominé grâce à une théorie dans de telles formes, dans un tel domaine le
mathématicien rappelle qu’interviennent des multiplicités. » Autrement dit toute théorie a pour
corrélat une multiplicité. C’est donc un domaine qui est déterminé purement et
simplement par le fait qu’il est soumis à une théorie ayant une telle forme, c'est-à-dire
par le fait que pour ces objets sont possibles certaines liaisons qui sont soumises à
certaines lois fondamentales ayant telle et telle forme déterminée. » les multiplicités,
Cela veut dire que la théorie détermine un certain nombre d’opérations, donc des
relations entre les objets. Ce corrélat de multiplicité, ce domaine d’objets qui se définit
uniquement par le fait qu’ils obéissent à la plupart des relations fait qu’on est là
toujours dans le champ transcendantal, c'est-à-dire qu’une théorie détermine priori a
son domaine : cette multiplicité d’objets sur lesquels elle va s’appuyer.
Le concept clé de cette Théorie de Logique formelle et de Logique transcendantale
qu’est ce concept de Définitude date de 1929 qui détermine la multiplicité de
certains domaines d’objets pour lesquels il faut rappeler que les objets sont sans
qualité, étant entièrement déterminés par les modes de liaisons stipulés par leurs
axiomes (axiomes du domaine de base) .
Suzanne Bachelard dans son livre sur Husserl qui est un commentaire littéral du livre
de Husserl Logique formelle et logique transcendantale: « Caractérisons maintenant plus
précisément ..la structure déductive des théories soumises à cette réduction formelle. Une théorie
déductive dérive ses théorèmes à partir d’axiomes posés comme propositions fondamentales. Que peuton dire du système formé par les axiomes ? Bien qu’il soit un système fini, permet-il de définir
univoquement l’ensemble infini d’objets qu’est la multiplicité corrélative de cette théorie ? Quand ce
cas se présente on a affaire à ce qu’on appelle d’ordinaire un système d’axiomes « saturé ». Husserl,
pour sa part, appelle un tel système axiomatique un système « défini » (en allemand : definit) et la
multiplicité corrélative une multiplicité « définie ». Quand le système d’axiomes est « saturé », toute
proposition formulable dans le langage de la théorie est ou démontrable ou réfutable (c'est-à-dire sa
négation démontrable) à partir des axiomes. »
C’est ce qu’exprime en ces termes Husserl, en réduisant la notion de multiplicité à la
forme précise de concept de multiplicité définie : « Le systèmes d’axiomes définissant
formellement une telle multiplicité « définie »21 se distingue par le fait que toute proposition ( toute
forme de proposition) devant être construite conformément à la grammaire pure logique à l’aide des
concepts (des formes de concept naturellement) qui interviennent dans ce système axiomatique, est ou
« vraie » ( c'est-à-dire est une conséquence analytique (purement déductible) ou « fausse » ( c'est-à-dire
est une contradiction analytique, tertium non datur22. »
21
Système défini. Husserl appelle un tel système axiomatique : un système défini (en allemand : definit) et la
multiplicité corrélative une multiplicité « définie »
22
Tertium non datur : pas de troisième terme
28
29
Autrement dit, pour Husserl, une théorie définit une multiplicité dans la mesure où les
axiomes, la grammaire pure logique est telle que toute proposition est démontrable et
c’est cela la « définitude » Rappelons Pour Husserl, toute proposition qui a un sens
dans le domaine de base doit être vraie ou fausse si elle respecte la grammaire pure
logique, c'est-à-dire qu’elle doit être vraie ou fausse uniquement en vertu des axiomes
du domaine de base (auquel les axiomes garantissent certaines qualités de robustesse
et de régularité. Husserl part du principe d’une théorie formelle et une théorie
transcendantale, c'est-à-dire qui détermine son champ d’objets pourvu qu’elle soit
complète, c'est-à-dire que toute proposition y soit démontrable : soit elle est vraie, soit
elle est fausse, et donc il n’y a pas de troisième terme. Et s’il n’y a pas de troisième
terme, la déduction ne fait alors, pour ainsi dire, qu’expliciter ce qui était impliqué
dans les énoncés de départ.
Ainsi, l’idée que Husserl a très bien compris, et c’est cela la puissance de Husserl
d’avoir compris que l’unité de la Logique et des Mathématiques conduit à cette idée
d’une complétude du système d’axiomes , qui est une exigence qui fait que la théorie
formelle est effectivement transcendantale, et détermine son champ d’objets, et
suppose , encore une fois que toute proposition soit vraie ou fausse.
Hilbert dans son élaboration des fondements de la géométrie en 1899 sur la
base de certains axiomes relatifs aux points, droites et plans a construit un calcul de
segments qui permet de construire un corps de nombres et y ajoute un axiome de
« complétude »(Vollständigkeit) qui garantit le raccord entre les ensembles de points
accessibles par les opérations de ce calcul, et les points de la droite usuelle.
Et, justement dans les Husserliana XII p. 442-443 Husserl écrit : « Toute
arithmétique, si étroite soit-elle, qu’elle se rapporte aux nombres entiers réels ou aux nombres entiers
positifs, ou au nombres entiers réels, ou aux nombres entiers rationnels en général etc., toute
arithmétique est définie par un système d’axiomes tel que nous pouvons prouver en nous fondant sur lui
toute proposition en général qui se construit exclusivement à partir de concepts qui (pris
axiomatiquement) sont posés comme valables par les axiomes, toute proposition de cette sorte se situe
dans le domaine, c’est à dire qu’elle est ou bien une conséquence des axiomes ou bien qu’elle est en
contradiction avec eux. La preuve de cette affirmation consiste en ceci que toute formation définie
d’opération est un nombre naturel. »
Le fait qu’il n’y ait pas de troisième terme, fait dire, en fin de compte à Suzanne
Bachelard « Ainsi l’on peut dire que la théorie entière est « dominée » par le système des axiomes
qui est posé une fois pour toutes. Or un théorème établi par Gödel en 1931, c'est-à-dire deux ans après
la parution de Logique formelle et logique transcendantale démontre que toute théorie plus riche que
l’arithmétique (donc pratiquement presque toutes les théories mathématiques) est non saturée : on peut
y énoncer une proposition indécidable c'est-à-dire une proposition qui n’est ni une conséquence des
axiomes, ni une proposition en contradiction avec eux. Le résultat de Gödel vient-il ruiner les
conclusions auxquelles aboutit la réflexion husserlienne ? c’est ce que pense Cavaillès : Pour la
conception husserlienne de la logique des théories mathématiques, l’aventure est particulièrement
23
grave… La notion même de théorie dominable et isolable ne peut être maintenue. » » Cavaillès
avait, alors, raison de dire que les théorèmes de Gödel ruinent la théorie de Husserl.
Suzanne Bachelard poursuit dans ce sens en citant encore J. Cavaillès : « C’est ce que
pense J Cavaillès : « Pour la conception husserlienne de la logique et des mathématiques l’aventure est
particulièrement grave… La notion même de théorie dominable et isolable ne peut être maintenue. »
23
Jean Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme, dans OEuvres complètes de philosophie des sciences,
Paris, Hermann, 1994, p 178
29
30
En ce qui concerne la grande majorité des théories mathématiques, nous sommes maintenant devant les
faits suivants. D’une party, il n’est pas possible de rassembler au départ quelques énoncés qui
permettraient de déduire ou de réfuter toute proposition que l’on peut formuler dans la théorie
envisagée. D’autre part, les théories se ramifient et s’entrecroisent. Cette dépendance des théories réagit
sur leur propre développement et, de ce fait également, il faut renoncer au schéma simplificateur d’une
théorie qui serait en mesure d’apporter, à elle seule, une connaissance totale de ses objets. Faut-il pour
autant dénoncer la vanité de la notion même de nomologie telle que l’entend Husserl ? »
Pour Husserl, si les mathématiques formelles sont une ontologie formelle, cela veut
dire que les différentes théories mathématiques, (une théorie mathématique étant un
ensemble d’axiomes que l’on pose au départ et desquels on déduit un ensemble de
propositions) en fonction des actions que l’on pose, cette théorie détermine un
domaine d’objets, et cela d’une manière univoque, c'est-à-dire qu’il n’y a pas d’objet
qui ne soit déterminé par la théorie.
Or ce que montre Gödel c’est que cette relation n’est pas possible puisqu’il y a des
objets qui ne peuvent pas être définis par la théorie : il y a des propositions qui ne sont
pas démontrables, ni réfutables par certaines théories et donc les objets n’y sont pas
déterminés de manière univoque ; par conséquent, la mathématique formelle n’est pas
une ontologie formelle de la manière stricte comme le veut Husserl puisqu’elle ne peut
pas déterminer des classes d’objets. C’est en quoi Cavaillès n’a pas tort d’affirmer que
le théorème de Gödel ruine la Théorie de Husserl. Ceci n’empêche que Gödel ait pu
rejoindre et s’intéresser à Husserl par la suite. Mais ce n’est pas ce Husserl là qui
intéresse Gödel, c’est celui de la réduction phénoménologique
On retrouve d’ailleurs, ici l’opposition entre formalistes et intuitionnistes. Pour les
formalistes . Pour le formaliste je pose l’axiome et par des règles de relations entre
toutes choses, si bien qu’à la limite, toute machine pourrait en déduire tous les
théorèmes ; à l’opposé , pour les intuitionnistes, ce n’est pas possible, il faut qu’à tout
moment je puisse construire ces objets, donc j’ai une intuition très précise de ce que je
fais.
Et cela n’est pas nouveau par rapport à ce programme d’axiomatisation auquel
Husserl ne fait que donner un sens philosophique. Pour lui, tout ce qui est
Mathématique doit se soumettre à la Logique : il n’y a pas de proposition
mathématique qui ne réponde au principe de contradiction et à toutes les lois formelles
de déduction que la Logique a définies. Il y a des objets mathématiques, la question
est de savoir comment on constitue ces objets. Or ces objets sont constitués par une
théorie. Toute théorie a pour corrélat une multiplicité. Ce qui définit cette multiplicité
ce sont précisément les axiomes de la théorie Et c’est la théorie qui par ces axiomes
définit le domaine d’objets qu’elle détermine et identifie.
Ce qui est important de la part de Husserl c’est deux démarches : d’une part une
démarche théorique qui permet de délimiter un ensemble d’objets (une multiplicité,
démarche a priori à partir de règles a priori d’axiomes de la théorie ; et d’autre part il
y a ce qu’il appelle un remplissement, c’est à dire une intuition de la réalité qui va
permettre de savoir s’il y a une adéquation de l’un à l’autre. C’est ce qui lui permet
d’affirmer que la mathématique formelle est une ontologie formelle, en ce sens que
ces objets qui vont être donnés « en personne », a priori. Autrement dit, si on prend
cet exemple très simple de la relation de l’associabilité et de la commutativité entre
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deux objets, cela peut permettre d’appliquer ces relations à la théorie des nombres
entiers, mais aussi à d’autres objets comme les espaces vectoriels. Il reste ensuite au
théoricien à vérifier si ces objets dont il a l’intuition peuvent « remplir ». C’est une
ontologie formelle en ce sens qu’elle détermine les objets a priori.
C’est cette idée d’ontologie formelle qui fait l’originalité de Husserl24, ce n’est pas de
dire qu’on peut tout déduire. Simplement, si on ne peut pas tout déduire. Il ne s’agit
pas de la part de Husserl d’affirmer que de la mathématique formelle on peut tout
déduire. Mais par rapport à ce programme d’axiomatisation, il ne fait que lui donner
un sens.
24
D’emblée, dans ses Recherches logiques de 1901, puis dans Logique formelle et logique transcendantale de
1929, Husserl intègre la représentation abstraite des mathématiques à la phénoménologie naissante. Husserl
distingue deux mathématiques, une mathématique appliquée, qui comprend par exemple la géométrie en tant que
théorie de notre espace, l’espace dans lequel nous vivons, et une mathématique formelle. Partant d’une
théorie appliquée, un mathématicien en dégage l’architecture et isole un système d’axiomes, qu’il peut ensuite
faire varier pour obtenir de nouvelles formes pour des théories possibles. Ainsi, la mathématique formelle
apparaît comme une théorie des formes de théories ou, dans le vocabulaire de Husserl, une « apophantique
formelle », qui vise à définir et à classer tous les systèmes possibles de jugements.
En outre, comme l’avait montré Hilbert, procéder de façon axiomatique revient à faire abstraction de la nature
des objets. Par conséquent, à chaque forme de théories, correspond un domaine d’objets, d’objets quelconques
déterminés par ceci seul qu’ils sont soumis à tel système d’axiomes. La théorie des formes de théories représente
donc une ontologie formelle, une théorie du pur « quelque chose », qui vise à définir et classer, par leur seule
forme, toutes les multiplicités possibles d’objets. La mathématique formelle comporte une double orientation :
elle est apophantique formelle, lorsque le mathématicien se tourne vers les systèmes de jugements; elle est
ontologie formelle, lorsque le mathématicien se tourne vers les domaines d’objets. Si Husserl, qui avait étudié
de près la géométrie du XIXe siècle, disposait des concepts de forme de théories et de multiplicité formelle avant
1901, il est certain que la rencontre avec Hilbert et les discussions à la Société mathématique de Göttingen ont
joué un rôle décisif dans l’élaboration d’une phénoménologie systématique. Hilbert a réussi à poser à l’intérieur
des mathématiques la question du fondement des mathématiques. C’est l’intériorisation dans les mathématiques
d’une question philosophique.
Husserl a opéré l'intériorisation inverse, de la méthode abstraite des mathématiques dans la philosophie. Le
parcours de deux hommes, le philosophe Husserl et le mathématicien Hilbert, témoigne d’une intériorisation,
réciproque et concomitante, des mathématiques dans la philosophie et de la philosophie dans les mathématiques .
Pierre Cassou-Noguès Le philosophe et le mathématicien ; CNRS, Laboratoire Savoirs et Textes ,Université Lille
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