La ruine de la représentation (1) Rencontrer un homme, c`est être

La ruine de la représentation (1)
Rencontrer un homme, c'est être tenu en éveil par une énigme. Cette énigme, au contact de
Husserl, était toujours celle de son œuvre. Malgré la relative simplicité de son accueil et la
sympathie active qu'on pouvait trouver dans sa maison, on rencontrait en Husserl toujours la
Phénoménologie. Mes souvenirs remontent à une jeunesse à laquelle Husserl apparaissait déjà
dans tout son mythe ; ils n'embrassent que deux semestres de rapports personnels.
Mais la timidité respectueuse, l'« emballement » et le penchant pour la mythologie de nos 20
ans mis à part, je pense que, rarement, un homme s'identifiait davantage à son œuvre et séparait
davantage cette œuvre de soi. Se référant, sans doute, à tel ou tel groupe de ses manuscrits
inédits, dormant au fond de quelque caisse et consacrés à la phénoménologie de la rétention,
du sensible ou du moi - il disait avec un naturel parfait : « Wir haben schon darüber ganze
Wissenschaften ». Et ces sciences ignorées, il avait plutôt l'air de les avoir reçues que données.
De son œuvre même, fût-ce en privé, Husserl ne parlait qu'en termes mêmes de cette œuvre.
Ce fut de la phénoménologie sur la phénoménologie et, de mon temps, presque toujours un
monologue qu'on n'osait interrompre. Aussi la dette à l'égard de l'homme se confond-elle, pour
moi, avec la dette à l'égard de l'œuvre (2).
(1). Paru dans Edmund Husserl 1859-1959. Recueil commémoratif publié à l'occasion du centenaire de la
naissance du Philosophe, Nijhoff, La Haye, 1959, Collection Phaenomenologica.
(2). Sur les relations personnelles avec Husserl, d'autres que moi apporteront des anecdotes intéressantes. Je
voudrais seulement consigner trois points. - Pendant les deux semestres de mon séjour à Fribourg (été 1928, hiver
1928/29), Madame Husserl, prétextant son prochain voyage à Paris, prenait chez moi des cours de
« perfectionnement en français ». Ils avaient pour but d'ajouter à la bourse de l'étudiant plutôt que d'enrichir le
vocabulaire de l'éminent élève. Ces gestes de bonté dissimulée furent fréquents à la maison de Husserl et eurent
des bénéficiaires illustres. - Fin juillet 1928, j'ai fait un exposé au séminaire de Husserl. Ce fut la dernière séance,
du dernier séminaire de sa carrière. De cet exposé, il ne fut pas question, bien entendu dans l'allocution d'adieux
qui suivit ; Husserl disait que les problèmes philosophiques lui apparaissaient enfin dans toute leur clarté,
maintenant que le temps lui était ménagé par l'âge, pour les résoudre. - Dernier point enfin que j'hésiterais à relater,
si le problème, récemment soulevé, du judaïsme de Husserl, ne m'incitait pas à le verser au dossier. Husserl et sa
femme, on le sait, étaient des juifs convertis au protestantisme. Les dernières photos du maître accusent les traits
de sa physionomie juive (on a peut-être tort de dire qu'elle commençait à ressembler à celle des prophètes, car
personne ne possède, après tout, le portrait de Jérémie ou de Habacouc). Madame Husserl me parlait de juifs
rigoureusement à la troisième personne, pas même à la deuxième. Husserl ne m'en parlait jamais. Sauf une fois.
Sa femme devait profiter de son passage à Strasbourg pour faire un très important achat. Rentrant des courses
qu'elle avait faites en compagnie de Madame Hering, mère du théologien et du philosophe strasbourgeois, elle a
déclaré en ma présence: « Nous avons trouvé une maison sérieuse. Die Leute obgleich Juden, sind sehr zuverlässig
». Je n'ai pas caché ma blessure. Alors Husserl : « Laissez cela, M. Levinas, je proviens moi-même d'une maison
de commerçants et ». Il n'a pas continué. Les juifs sont durs les uns pour les autres, bien qu'ils ne tolèrent pas les
« histoires juives » que les non-juifs leur racontent, comme les clercs qui détestent les facéties anticléricales venant
des laïcs, mais qui doivent, entre eux, s'en conter. La réflexion de Husserl m'a apaisé.
Cet homme d'allure assez grave, mais affable, d'une tenue extérieure sans défaillance, mais
oublieux de l'extérieur, lointain, mais non hautain et comme un peu incertain dans ses
certitudes, soulignait la physionomie de son œuvre éprise de rigueur et cependant ouverte,
audacieuse et sans cesse recommençante comme une révolution permanente, épousant des
formes qu'on eût aimé, à l'époque, moins classiques, moins didactiques et un langage qu'on eût
préféré plus dramatique et même moins monotone. Œuvre dont les accents vraiment nouveaux
ne résonneront jamais qu'aux oreilles fines ou exercées, mais, obligatoirement, à l'affût.
Tout autre se présentait alors la philosophie de Heidegger, d'emblée éclatante. La confrontation
de ces deux pensées fournissait, à Fribourg, un sujet important de méditations et de discussions
à une race déjà alors finissante d'élèves, formés par Husserl avant de connaître Heidegger.
Eugen Fink et Ludwig Landgrebe en furent. Pour ceux qui arrivèrent avec Heidegger en hiver
1928/29, Husserl, retraité dès la fin du semestre d'hiver 1928/29 et qui avait enseigné à mi-
temps pendant le semestre de transition d'été 1928, n'était plus qu'un ancêtre. Par le biais de
ces discussions, j'entrais moi-même dans la phénoménologie et me formais à sa discipline. Je
vais essayer dans ces pages d'évoquer les thèmes qui me parurent déterminants dans la pensée
husserlienne sous l'angle ils se sont présentés en ces années lointaines. Retient-on d'une
philosophie qui vous marque les vérités d'un « savoir absolu » ou certains gestes et certaines «
inflexions de voix » qui forment pour vous le visage d'un interlocuteur nécessaire à tout
discours, même intérieur ?
I
La phénoménologie, c'est l'intentionalité. Qu'est-ce à dire ? Refus d'un sensualisme qui
identifiait la conscience aux sensations-choses ? Certes. Mais le sensible joue un rôle important
en phénoménologie et l'intentionalité réhabilite le sensible. Corrélation nécessaire entre sujet
et objet ? Sans doute. Mais on n'a pas attendu Husserl pour protester contre l'idée d'un sujet
séparé de l'objet. Si l'intentionalité signifiait uniquement que la conscience « s'éclate » vers
l'objet et que nous sommes immédiatement auprès des choses, il n'y aurait jamais eu de
phénoménologie. Nous posséderions une théorie de la connaissance pour la vie naïve de la
représentation qui rencontre des essences permanentes, arrachées à tout horizon - abstraites
dans ce sens - et offertes dans un présent elles se suffisent. Le présent de la vie est
précisément une forme insoupçonnée, mais primordiale, de l'abstraction les êtres se tiennent
comme s'ils y commençaient. La re-présentation aborde les êtres comme s'ils se soutenaient
entièrement par eux-mêmes, comme s'ils étaient des substances. Elle a le pouvoir de se
désintéresser - ne fût-ce que pendant un instant, l'instant de la représentation - de la condition
de ces êtres. Elle triomphe du vertige de l'infini conditionnement qu'ouvre en eux la vraie
pensée et la pensée vraie. Sans traverser la série infinie du passé, à laquelle sefère cependant
ma journée d'aujourd'hui, je cueille cette journée, en toute réalité, et tiens mon être même à
partir de ces instants fugitifs. Kant, en montrant que l'entendement peut poursuivre son œuvre
théorique sans satisfaire à la Raison, a déjà mis en lumière l'éternelle essence de ce « réalisme
empirique » qui se passe de principes inconditionnés. La phénoménologie, comme toute
philosophie, enseigne que la présence immédiate auprès des choses ne comprend pas encore le
sens des choses, et, par conséquent, ne remplace pas la vérité. Mais nous devons à la façon dont
Husserl nous invite à dépasser l'immédiat, de nouvelles possibilités de philosopher. Il apporte
avant tout l'idée d'une analyse des intentions, capable de nous apprendre sur l'être (que ces
intentions auraient dû seulement saisir ou refléter) plus que la pensée entrant dans ces
intentions. Comme si l'événement ontologique fondamental, déjà perdu dans l'objet saisi ou
reflété, était, plus objectif que l'objectivité, un mouvement transcendantal. Le renouvellement
du concept même du transcendantal, que masque, peut-être, le recours au terme
« constitution », nous apparaît comme un apport essentiel de la phénoménologie. D'où, sur le
plan de ce qu'on pourrait appeler « raisonnement philosophique », une nouvelle façon de passer
d'une idée à l'autre. D'où modification du concept même de la philosophie qui s'identifiait à
l'absorption de tout «Autre» par le « Même » ou à la déduction de tout « Autre » à partir du
« Même » (c'est-à-dire, au sens radical du terme, à l'idéalisme) et désormais une relation
entre le Même et l'Autre ne vient pas invertir l'éros philosophique. Enfin, d'une façon plus
générale, nouveau style en philosophie. Elle n'est pas devenue science rigoureuse comme corps
de doctrines s'imposant universellement. Mais la phénoménologie a inauguré une analyse de la
conscience où le plus grand souci concerne la structure, la façon dont un mouvement de l'âme
s'intègre dans un autre, la façon dont il repose et s'imbrique et se loge dans le tout du
phénomène. On ne peut plus analyser en énumérant les ingrédients d'un état d'âme. Les points
de repère de ces « formules de structure » tiennent, certes, aux présupposés ultimes de la
doctrine. Mais un nouvel esprit de rigueur s'est instauré : la pénétration ne consiste pas à toucher
le fin ou l'infiniment petit dans l'âme, mais à ne pas laisser sans structure ces éléments fins ou
leurs prolongements. Voilà les points qui nous paraissent essentiels pour toute la pensée post-
husserlienne et le bénéfice que, pour notre modeste part, nous avons retiré d'une longue
fréquentation des travaux husserliens. Ils s'imposent à la pensée dès les Logische
Untersuchungen qui définissent si mal la phénoménologie, mais qui la prouvent si bien, car
elles la prouvent, comme on prouve le mouvement en marchant.
II
Pourquoi la logique qui établit les lois idéales régissant les formes vides du « pensé », exigerait-
elle, pour son fondement, une description des démarches de la pensée intentionnelle ? Question
d'exégèse, qui inquiètera d'autant plus qu'on professera l'idéalité des formes logiques et
l'impossibilité de les confondre avec les « contenus réels » de la conscience, avec les actes de
se représenter ou de juger et, encore moins, avec les « contenus primaires » ou sensations.
Question que l'on rencontre avant que les Ideen ne troublent toute une génération de disciples
par la formulation explicite de l'idéalisme transcendantal, apparemment soutenu contre le
réalisme des essences formelles et matérielles dont la transcendance constitue cependant, sans
conteste, le grand thème de toute l'œuvre husserlienne et auquel on se rallie dès le premier
volume des Logische Untersuchungen, le volume le plus convaincant de la littérature
philosophique.
Pourquoi ce retour à la description de la conscience ? Serait-il « intéressant » ou « instructif »
de connaître, en dehors des essences idéales les actes subjectifs qui les saisissent ? Mais en
quoi cette recherche, supplémentaire et intéressante, permettrait-elle d'éviter certaines
confusions ou équivoques de la logique pure, science de nature mathématique et nullement
psychologique ? Husserl cite, parmi ces confusions, le psychologisme, comme si, terrassé
depuis les Prolégomènes, il justifiait encore tant d'efforts nouveaux. Husserl invoque, certes,
dès l'introduction au deuxième volume des Logische Untersuchungen le besoin de projeter la
clarté d'une théorie de la connaissance - qui serait aussi une clarté philosophique sur les
notions de la logique pure. La phénoménologie de la conscience découvrirait « les sources d'où
jaillissent les concepts fondamentaux et les lois idéales de la logique pure et auxquelles il faut
les ramener pour leur conférer la clarté et la distinction nécessaires à la logique pure sur le plan
de la théorie de la connaissance ». Mais la théorie et la critique de la connaissance, au sens que
ces disciplines ont pris depuis Kant, déterminent bien les sources de l'activité scientifique et,
partout, les limites du légitime emploi de la raison. Elles n'ont pas à clarifier les concepts
mes dont se sert la science ni, en tout cas, à réviser les concepts de la logique pure,
constituée, depuis Aristote, dans sa perfection. La nouveauté de la phénoménologie
husserlienne, dans ses prétentions gnoséologiques consiste à recourir à la conscience pour
éclairer les concepts d'une science et pour les préserver contre des équivoques inévitables dont
ils seraient chargés pour une pensée qui, dans l'attitude naturelle, reste braquée sur les objets «
Elle est indispensable au progrès de ces recherches » (de la logique pure). - Enfin, le fait que
l'« en soi de l'objet puisse être représenté et, dans la connaissance, saisi, c'est-à-dire en fin de
compte devenir subjectif » serait, à la rigueur, problématique dans une philosophie qui pose le
sujet comme une sphère immanente, enfermée en elle-même ; ce problème est d'avance résolu
avec l'idée de l'intentionalité de la conscience, puisque la présence du sujet auprès des choses
transcendantes est la définition même de la conscience. A moins que tout l'intérêt de la
recherche annoncée, au lieu de se porter sur la corrélation sujet-objet qui définirait
l'intentionalité, ne découle d'un autre dynamisme qui anime l'intentionalité. Sa vraie énigme ne
consisterait pas dans la présence auprès des objets, mais dans le sens nouveau qu'elle permet
de donner à cette présence. Si l'analyse de la conscience est nécessaire à l'éclaircissement des
objets, c'est que l'intention qui se dirige sur eux ne saisit pas leur sens, mais seulement une
abstraction dans un malentendu inévitable ; c'est que l'intention, dans son « éclatement vers
l'objet » est aussi une ignorance et une méconnaissance du sens de cet objet, car oubli de tout
ce que l'intention ne contient qu'implicitement et que la conscience voit sans voir. Telle est la
réponse à la difficulté que nous venons de rappeler. Husserl la donne en caractérisant au
chapitre 20 des Méditations Cartésiennes l'originalité de l'analyse intentionnelle : « ... Son
opération originale, dit-il, est de dévoiler les potentialités 'impliquées' dans les actualités (états
actuels) de la conscience. Et c'est par là que s'opère du point de vue noématique, l'explication,
la précision et l'élucidation éventuelle de ce qui est 'signifié' par la conscience, c'est-à-dire de
son sens objectif ». L'intentionalité désigne ainsi une relation avec l'objet, mais une relation
telle qu'elle porte en elle, essentiellement, un sens implicite. La présence auprès des choses
implique une autre présence auprès d'elles, qui s'ignore, d'autres horizons corrélatifs de ces
intentions implicites et que la plus attentive et la plus scrupuleuse considération de l'objet donné
dans l'attitude naïve, ne saurait découvrir. « Tout cogito en tant que conscience est, dans un
sens très large 'signification' de la chose qu'il vise, mais cette 'signification' dépasse, à tout
instant, ce qui, à l'instant. même, est donné comme 'explicitement visé'. Il le dépasse, c'est-à-
dire qu'il est gros d'un 'plus' qui s'étend au-delà… Ce dépassement de l'intention dans
l'intention, elle-même, inhérent à toute conscience doit être considéré comme essentiel
(Wesensmoment) à cette conscience » (p. 40). « Le fait que la structure de toute intentionalité
implique un 'horizon' (die Horizontstruktur) prescrit à l'analyse et à la description
phénoménologique une méthode absolument nouvelle » (p. 42). La classique relation entre
sujet et objet, est une présence de l'objet et une présence auprès de l'objet. La relation est
comprise, en fait, de telle manière que le présent y épuise l'être du sujet et de l'objet. L'objet y
est, à tout instant, exactement ce que le sujet le pense actuellement. Autrement dit, la relation
sujet-objet est toute consciente. Malgré le temps qu'elle peut durer, cette relation recommence
éternellement ce présent transparent et actuel et demeure, au sens étymologique du terme re-
présentation. Par contre, l'intentionalité porte en elle les horizons innombrables de ses
implications et pense à infiniment plus de « choses » qul'objet elle se fixe. Affirmer
l'intentionalité, c'est apercevoir la pensée comme liée à l'implicite où elle ne tombe pas
accidentellement, mais où, par essence, elle se tient. Par là, la pensée n'est plus ni pur présent,
ni pure représentation. Cette découverte de l'implicite qui n'est pas une simple « déficience »
ou « chute » de l'explicite, apparaît comme monstruosité ou comme merveille dans une histoire
des idées le concept d'actualité coïncidait avec l'état de veille absolue, avec la lucidité de
l'intellect. Que cette pensée se trouve tributaire d'une vie anonyme et obscure, de paysages
oubliés qu'il faut restituer à l'objet même que la conscience croit pleinement tenir, voilà qui
rejoint incontestablement les conceptions modernes de l'inconscient et des profondeurs. Mais
il en résulte non pas une nouvelle psychologie seulement. Une nouvelle ontologie commence :
l'être se pose non pas seulement comme corrélatif d'une pensée, mais comme fondant déjà la
pensée même qui, cependant, le constitue. Nous allons y revenir. Remarquons, pour le moment,
que le conditionnement de l'actualité consciente dans la potentialité, compromet la souveraineté
de la représentation bien plus radicalement que ne le fait la découverte dans la vie sentimentale
d'une intentionalité spécifique, irréductible à l'intentionalité théorique, plus radicalement que
l'affirmation d'un engagement actif dans le monde, antérieur à la contemplation. Husserl met
en question la souveraineté de la représentation à propos des structures de logique pure, à
propos des formes pures du « quelque chose en général » où ne joue aucun sentiment, rien
ne s'offre à la volonté et qui, cependant, ne révèlent leur vérité que replacées dans leur horizon.
Ce n'est pas un irrationalisme du sentiment ou de la volonté qui vient ébranler le concept de la
représentation. Une pensée qui oublie les implications de la pensée, invisibles avant la réflexion
sur cette pensée, opère sur des objets au lieu de les penser. La réduction phénoménologique
arrête l'opération pour remonter vers la vérité, pour montrer les êtres représentés dans leur
surgissement transcendantal. L'idée d'une implication nécessaire, absolument imperceptible au
sujet se dirigeant sur l'objet, ne se découvrant qu'après coup, dans la réflexion, ne se produisant
donc pas dans le présent, c'est-à-dire se produisant à mon insu met fin à l'idéal de la
représentation et de la souveraineté du sujet, met fin à l'idéalisme rien ne pouvait entrer
subrepticement en moi. Dans la pensée se révèle ainsi une passion foncière qui n'a plus rien de
commun avec la passivité de la sensation, du donné dont partaient empirisme et réalisme. La
phénoménologie husserlienne nous a appris non pas à projeter dans l'être des états de
conscience, ni, encore moins, à réduire en états de conscience des structures objectives, mais à
recourir à un domaine « subjectif plus objectif que toute objectivité ». Elle a couvert ce
domaine nouveau. Le moi pur est une « transcendance dans l'immanence » constitué en quelque
façon lui-même en fonction de ce domaine où se joue le jeu essentiel.
III
Dépasser l'intention dans l'intention même, penser plus qu'on ne pense, serait une absurdité, si
ce dépassement de la pensée par la pensée, était un mouvement de même nature que celui de
la représentation, si le « potentiel » n'était qu'un « actuel » diminué ou relâché (ou ce serait la
banalité des degrés de la conscience). Ce que Husserl illustre par ses analyses concrètes, c'est
que la pensée qui va vers son objet enveloppe des pensées qui débouchent sur des horizons
noématiques lesquels supportent déjà le sujet dans son mouvement vers l'objet, l'étayent, par
conséquent, dans son œuvre de sujet, jouent un rôle transcendantal : la sensibilité et les qualités
sensibles ne sont pas l'étoffe dont est faite la forme catégoriale ou l'essence idéale, mais la
situation le sujet se place déjà pour accomplir une intention catégoriale ; mon corps n'est
pas seulement un objet perçu, mais un sujet percevant ; la terre n'est pas la base apparaissent
les choses, mais la condition que le sujet requiert pour leur perception. L'horizon impliqué dans
l'intentionalité n'est pas donc le contexte encore vaguement pen de l'objet, mais la situation
du sujet. Un sujet en situation ou, comme, le dira Heidegger, au monde, est annoncé par cette
potentialité essentielle de l'intention. La présence auprès des choses qu'exprime l'intentionalité
est une transcendance ayant déjà comme une histoire dans le monde seulement elle entre.
Si Husserl revendique pour ces implications une lumière complète, il ne la revendique que dans
la réflexion. Pour Husserl, l'être ne révèle pas sa vérité dans l'Histoire plutôt que dans la
conscience, mais ce n'est plus la conscience souveraine de la représentation qui s'en saisit.
La voie est ouverte aux philosophies de l'existence, qui peuvent quitter le terrain du pathétique
et du religieux elles se cantonnaient jusqu'alors. La voie est ouverte à toutes les analyses
husserliennes, si obstinément par lui préférées, du sensible et du pré-prédicatif, remontant à
l'Urimpression, à la fois premier sujet et premier objet, donneur et donné. La voie est ouverte
à la philosophie du corps propre, où l'intentionalité révèle sa vraie nature, car son mouvement
vers le représenté s'y enracine dans tous les horizons implicites non-représentés de
l'existence incarnée ; laquelle tire son être de ces horizons que, cependant, dans un certain sens
1 / 8 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !