Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d

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Série d’études de la FCRSS sur les
générateurs de coûts et l’efficience
du système de santé : Rapport 3
Ottawa (ontario)
mars 2011
Pierre Thomas Léger, PhD
Professeur agrégé en économie et titulaire du
Professorship en économie de la santé
HEC Montréal
www.fcrss.ca
Modes de rémunération des
médecins : un aperçu des
possibilités d’action au Canada
La présente synthèse est la troisième d’une série d’études que publiera la Fondation canadienne de la recherche
sur les services de santé (FCRSS) au sujet des générateurs de coûts et l’efficience du système de santé.
Remerciements
L’auteur tient à remercier les personnes suivantes pour leurs commentaires : la Dre Meredith Rosenthal,
Alexandra Constant et deux examinateurs anonymes.
Le présent document paraît sur le site Web de la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé à
www.fcrss.ca.
Le présent rapport de recherche est publié par la Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé (FCRSS).
Financée dans le cadre d’une entente conclue avec le gouvernement du Canada, la FCRSS est un organisme indépendant
et sans but lucratif qui a pour mandat de promouvoir l’utilisation des données probantes afin de renforcer l’offre de
services destinés à améliorer la santé des Canadiens et des Canadiennes. Les opinions exprimées ici par les auteurs ne
représentent pas forcément celles de la FCRSS ou du gouvernement du Canada.
ISBN: 978-1-927024-03-4
Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada © Fondation canadienne de la
recherche sur les services de santé, 2011.
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Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé
Table des matières
Messages principaux.................................................................................................................................2
1Introduction.........................................................................................................................................3
2 L’Efficience dans la prestation des services et rémunération à l’acte.....................4
3 Le système de paiement à forfait (par capitation)...............................................................6
4 Le système de paiement par enveloppe budgétaire..............................................................7
5 Le système de paiement mixte.......................................................................................................8
6 La rémunération au rendement...................................................................................................9
7 Le régime d’intéressement collectif (participation aux gains)....................................10
8Conclusion...........................................................................................................................................11
9Références...........................................................................................................................................12
Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada
3
Messages principaux
◥◥ Les coûts des services de santé au Canada sont en hausse et représentent aujourd’hui une part importante
du PIB. En réaction à la croissance des dépenses dans le secteur de la santé, les gouvernements peuvent
intervenir afin de limiter les dépenses ou d’accroître l’efficience du système de santé.
◥◥ Le recours à outrance au paiement à l’acte comme mode de rémunération des médecins est fréquemment
pointé du doigt pour expliquer l’inefficience du système canadien. L’inefficience résultant des paiements
à l’acte est particulièrement importante, car les dépenses médicales occupent le second rang des dépenses
totales du secteur public pour les services de santé, derrière les dépenses hospitalières.
◥◥ Le paiement à l’acte est un incitatif financier qui pousse les médecins à encourager la surconsommation
de services de santé, étant donné qu’ils sont récompensés pour un volume de services plus élevé. En
d’autres termes, les médecins touchent un revenu plus élevé lorsque leurs patients utilisent davantage de
services. En outre, le paiement à l’acte n’incite pas les médecins à tenir compte du coût des traitements et
leur rémunération n’est pas associée aux résultats de santé des patients.
◥◥ D’autres modes de rémunération visant à réduire les dépenses de santé en mettant un frein à la
prestation excessive (c’est-à-dire inefficiente) de services ont été proposés et mis en œuvre au Canada
et à l’étranger. Ces mécanismes englobent le système de paiement à forfait (capitation), par enveloppe
budgétaire (une forme plus complète de paiement à forfait), le paiement mixte, la rémunération au
rendement et le régime d’intéressement collectif.
◥◥ Bien que les systèmes de paiement à forfait et par enveloppe budgétaire soient des moyens assez
simples de limiter les coûts des services de santé (en associant le revenu du médecin à l’utilisation des
soins de son patient), ces modes de paiement peuvent inciter les médecins à lésiner sur la quantité et
la qualité des soins et entraîner des problèmes d’accessibilité.
◥◥ La formule mixte (rémunération à l’acte combinée au système de paiement à forfait) constitue
une solution prometteuse pour le Canada. L’instauration d’un mode de rémunération mixte ainsi
parallèlement à une surveillance des médecins incitera ces derniers à tenir compte des coûts et des
avantages des différentes possibilités de traitement, engendrant ainsi un niveau et une qualité des
soins efficients.
◥◥ À long terme, les régimes d’intéressement collectif pourraient être une solution profitable pour le
Canada. Toutefois, il est improbable qu’ils puissent être mis en application à court ou moyen terme.
Les régimes d’intéressement collectif permettent aux hôpitaux de verser des primes aux médecins
en fonction des économies réalisées lorsque ceux-ci coordonnent l’utilisation des médicaments et
des appareils médicaux (rabais pour la quantité et la part des achats). Autrement dit, plus le volume
d’achat d’un médicament ou d’un appareil auprès d’un même fournisseur est élevé, plus les rabais sur
la quantité et la part des achats sont importants, plus le pouvoir de négociation de l’hôpital est grand
et plus le coût unitaire est bas.
◥◥ L’ajout de régimes d’intéressement au mode actuel de rémunération à l’acte pourrait permettre
d’harmoniser les mesures incitatives offertes aux médecins avec celles des hôpitaux et des
responsables des politiques. Toutefois, l’effet de ces programmes sur les résultats pour la santé des
patients est peu connu, et la réglementation actuelle au Canada ne permet pas aux hôpitaux de
rémunérer les médecins. Les expériences menées dans les hôpitaux américains pourraient s’avérer
instructives dans ce cas.
2
Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé
1Introduction
Les coûts des services de santé du Canada sont en hausse et représentent aujourd’hui une grande part du
PIB. Bien qu’une augmentation des dépenses de santé (même sous forme de pourcentage) puisse être une
bonne chose si elle reflète la meilleure santé financière d’un pays et une plus grande capacité à s’offrir des
soins inappréciables, on s’entend généralement pour dire que le taux de croissance des dépenses au Canada
n’est pas viable et qu’il n’améliore pas nécessairement les résultats pour la santé. Par conséquent, beaucoup
considèrent que la réduction du taux de croissance des dépenses de santé (c’est-à-dire le fléchissement de la
courbe des coûts) constitue un objectif stratégique important et urgent. Le corollaire à cet objectif consiste
à déterminer si on peut l’atteindre sans sacrifier d’autres buts importants, comme la prestation de services
de santé gratuits et complets à l’ensemble des citoyens. Ceux qui estiment possible d’améliorer le système
de santé et de limiter les coûts soulignent les nombreuses inefficacités de ce système1. En les réduisant, ne
serait-ce que partiellement, il serait envisageable de réaffecter les économies dans les secteurs sous-financés
au lieu de simplement chercher à obtenir de nouvelles sources de recettes publiques.
Le recours à outrance au paiement à l’acte comme mode de rémunération est fréquemment pointé du
doigt pour expliquer l’inefficience du système canadien2. Payer un médecin pour chaque service fourni
représente un concept simple, facile à implanter et à gérer, mais il n’incite pas les médecins à tenir compte
des coûts et des avantages du traitement. En fait, il ne récompense qu’un seul et unique élément : le
volume. Par conséquent, ce système motive peu les médecins à tenir compte des coûts des traitements et
peut même devenir un incitatif financier les poussant à encourager la surconsommation de services de
santé. En réaction à de telles sources d’inefficience, d’autres modes de paiement ont été proposés et mis
en œuvre au Canada et à l’étranger. Ces mécanismes visent à réduire les dépenses de santé en mettant
un frein à la prestation excessive (c’est-à-dire inefficiente) de services en ciblant directement le médecin;
ils englobent le système de paiement à forfait, les enveloppes budgétaires (une forme plus complète de
capitation), le paiement mixte, la rémunération au rendement et l’intéressement. Tous ces mécanismes
cherchent à inciter les médecins à tenir compte des coûts et des avantages des traitements. Même si
certains de ces modes de paiement pourraient s’avérer prometteurs pour le Canada, ils se sont souvent
butés à une certaine opposition, surtout pour leur effet prévu sur le niveau et la qualité des soins fournis.
Le présent rapport aborde les questions suivantes :
◥◥ Peut-on influer sur le taux des dépenses publiques ou sur l’efficience du système en effectuant la
transition du paiement à l’acte vers un autre mode de rémunération?
◥◥ Quels modes de paiement sont les plus prometteurs pour le Canada et quelles composantes politiques
ou réglementaires sont requises ou souhaitables pour leur mise en œuvre?
◥◥ Pour répondre à ces questions, nous examinons la question de l’efficience dans la prestation et la
consommation des services ainsi que les difficultés qui s’y rattachent. Nous présentons ensuite le mode
de rémunération à l’acte actuel et quelques critiques dont il fait l’objet. Le corps principal du texte
expose les possibilités d’action pour le Canada en faisant ressortir leurs avantages et inconvénients
respectifs. Les sections finales sont consacrées à la rémunération au rendement et à l’intéressement,
1 Au cours des 10 dernières années, une abondante documentation sur l’ampleur et la portée des sources d’inefficience dans les
systèmes de santé a été produite sous la direction d’un groupe de l’Université Dartmouth. Les recherches montrent qu’il existe (aux
États-Unis du moins) de grands écarts dans les dépenses entre les régions géographiques (d’un État à l’autre ou au sein d’un même
État), mais peu de différence dans les résultats pour la santé (en tenant compte des caractéristiques de la population et des prix).
Autrement dit, certaines régions ont souvent recours à des soins coûteux qui semblent avoir peu d’incidence sur l’amélioration de
la santé de leurs citoyens (Skinner, Chandra, Goodman et Fisher, 2009).
2 Selon les données du Sondage national des médecins 2007, plus de 80 p. 100 des médecins sont (du moins, en partie) rémunérés à
l’acte (les services rémunérés à l’acte représentant, en moyenne, plus de 75 p. 100 des revenus).
Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada
3
qui peuvent être considérés comme des compléments à n’importe quel système existant (y compris
le paiement à l’acte) et fournir des mesures incitatives additionnelles au chapitre de la réduction des
coûts et de la prestation de soins de qualité. Le rapport est étayé par des recommandations pertinentes
en matière de politique dans l’espoir d’accroître l’efficience du système de santé du Canada.
2
L’efficience dans la prestation des services et rémunération à l’acte
Avant d’aborder les inconvénients potentiels du paiement à l’acte et des éventuels atouts que présenterait
la transition vers une autre forme de rémunération, il est important d’expliquer en quoi consiste
l’efficience dans la prestation et la consommation de services de santé et pourquoi il est difficile d’y
parvenir en pratique. En ce qui a trait à la consommation des services, les économistes définissent
habituellement l’efficience comme le type et la qualité des soins que choisirait une personne parfaitement
informée mais non couverte par une assurance. Il s’agit plus précisément de la quantité et du type de soins
qu’un patient choisirait dans les conditions suivantes : (i) il serait en mesure de comprendre pleinement
sa maladie, la valeur de toutes les possibilités de traitement et leur prix respectif; (ii) il paierait tous les
traitements de sa poche. La définition est toute simple, mais il existe de nombreuses raisons expliquant
l’inefficience du niveau de services actuellement consommés. Premièrement, les patients manquent
souvent d’information sur leur maladie ou sur leurs possibilités de traitement. En outre, même si les
patients disposent de tous les renseignements nécessaires, il est improbable qu’ils tiennent compte du prix
lors de leur décision étant donné qu’ils sont souvent couverts par une assurance. Enfin, les décisions de
traitement sont très souvent prises par le médecin plutôt que par le patient et sont peu susceptibles de
répondre aux critères susmentionnés, particulièrement si la rémunération du médecin n’est pas associée au
coût ou à la qualité des soins.
Bien que l’assurance puisse encourager la surconsommation de soins médicaux (un phénomène connu
sous le nom d’aléa moral ex post), de nombreux économistes de la santé croient que la réforme de
l’assurance maladie (par exemple en adoptant la formule de la quote-part ou le ticket modérateur) aura
un effet limité sur la consommation et les coûts des services de santé 3,4,5. Pourquoi? Parce que le type et
le niveau de soins sont souvent dictés par les médecins (surtout dans les services d’urgence ou en milieu
hospitalier), ce qui influe directement sur les coûts des services de santé. De plus, des données indiquent
que les personnes qui limitent leur consommation de services de santé à cause du partage des coûts le font
de façon inefficace. En d’autres termes, elles risquent de réaliser des économies tant sur le plan des soins
efficaces que des soins inefficaces (Newhouse, 1993).
Comme il a été mentionné plus haut, les médecins du Canada sont habituellement rémunérés à l’acte.
Le paiement à l’acte est qualifié de rétrospectif, car il couvre pratiquement tous les coûts assumés par
le médecin, plus une marge, pour chaque service dispensé. En couvrant toutes les dépenses liées au
traitement et en récompensant les médecins uniquement pour le volume de soins, ce mode de paiement
3 Les régimes d’assurance (hormis le problème de l’aléa moral) peuvent néanmoins contribuer au bien-être du patient. Ainsi, les gens
peu enclins à prendre des risques préféreront sans doute payer une prime fixe pour la couverture des soins en cas de maladie (même
si la prime tient compte de l’augmentation de la consommation des services de santé imputable à l’aléa moral). Ils peuvent aussi
accroître le bien-être collectif en ce qu’ils améliorent l’équité.
4 Bien que les quotes-parts et les franchises puissent concourir à la réduction de la surconsommation de services de santé, le partage
des coûts en fonction de la demande limiterait les avantages de l’assurance.
5 La concordance entre la demande de services médicaux et les prix est une importante question empirique. La documentation à ce
sujet laisse entendre que les gens tiennent compte du prix lorsqu’ils décident d’obtenir ou non des soins médicaux, mais le prix
des traitements n’influe guère sur la quantité de services consommés une fois que le patient a décidé d’obtenir ces soins (Manning,
Newhouse, Duan, Keeler et Leibowitz, 1987).
4
Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé
incite peu les médecins à tenir compte des coûts du traitement. Cette tendance en faveur du volume
est confirmée en partie par des données empiriques démontrant que les médecins rémunérés à l’acte
donnent davantage de consultations et prescrivent un plus grand nombre de tests diagnostiques que leurs
homologues payés autrement6. De plus, en récompensant le volume au lieu des traitements appropriés ou
des résultats recherchés, le paiement à l’acte pourrait nuire à l’efficience du recours aux soins préventifs,
aux services de santé spécialisés ou hospitaliers ainsi que la gestion efficace des maladies chroniques7.
Comme le mode de paiement à l’acte récompense le volume, certains ont laissé entendre que les médecins
exploitent le fait qu’ils détiennent de l’information sur l’état de santé de leurs patients pour les encourager à
surconsommer des soins, par exemple en exagérant la gravité d’une maladie ou le nombre de consultations
et de traitements requis (Evans, 1974). Ce concept, qu’on appelle « demande induite », fait partie des écrits
sur l’économie de la santé depuis des dizaines d’années, mais il n’a été testé empiriquement de façon crédible
que tout récemment. Bien qu’on ne connaisse pas encore l’importance réelle de ce phénomène dans la
pratique, des données probantes révèlent que la demande induite est monnaie courante dans les secteurs de
l’obstétrique et de la chirurgie thoracique (Yip, 1998)8,9. Il importe toutefois de souligner que, même dans une
situation idéale (dans les cas où les patients possèdent tous les renseignements nécessaires pour prendre les
« bonnes décisions »), les médecins pourraient avoir la possibilité de « forcer » leurs patients à les consulter
et à consommer des traitements non désirés si le marché des médecins n’est pas en concurrence parfaite
(McGuire, 2000). Devant un traitement « à prendre ou à laisser » (c’est-à-dire que le patient doit accepter
la recommandation de traitement du médecin ou chercher des soins ailleurs), le patient peut se voir obligé
d’accepter trop de soins, même s’il n’est pas en mesure de les évaluer, simplement parce qu’il serait trop
coûteux ou impossible de consulter un autre médecin10,11.
Bref, le paiement à l’acte contribue peu au contrôle des coûts et n’offre aucune récompense ou mesure
incitative poussant à offrir des soins de grande qualité (par l’utilisation efficace des ressources, qu’elles
soient de nature préventive ou thérapeutique) ou à atteindre les résultats désirés12.
6 Consulter Gosden, Kristiansen, Sutton, Lesse, Giuffrida, Sergison et Pederson (2004) pour en savoir plus.
7 Prenons l’exemple d’un médecin rémunéré à l’acte qui accomplit du bon travail au chapitre des soins préventifs et de la gestion des
maladies chroniques, par exemple en suggérant des programmes de lutte contre le tabagisme ou de contrôle du poids. Ses patients
sont plus susceptibles d’être en meilleure santé et d’exiger moins de soins, mettant ainsi en péril une partie de ses revenus futurs.
8 Nassiri et Rochaix (2006) arrivent à la conclusion que les changements aux barèmes des services rémunérés à l’acte et aux plafonds
des revenus instaurés au Québec font en sorte que les médecins réagissent aux incitatifs financiers en modifiant le volume et le
contenu technique de leurs soins.
9 L’autre problème majeur du mode de paiement à l’acte (comme pour tout processus d’établissement des prix dans un contexte
non commercial) tient à l’établissement d’honoraires « justes ». Si ceux-ci ne reflètent pas précisément les coûts, les médecins se
concentreront sur les traitements plus lucratifs et délaisseront ceux qui le sont moins. Depuis toujours, les honoraires lucratifs
de la médecine spécialisée entrent en conflit avec les services de première ligne. L’explication est assez simple. Premièrement,
les honoraires sont souvent établis au moment où de nouveaux traitements arrivent sur le marché. Avec le temps, les médecins
se familiarisent avec la procédure et l’appliquent avec plus d’efficacité. Toutefois, comme les honoraires ne sont pas réajustés
régulièrement, ces procédures deviennent particulièrement payantes. Comme les nouvelles procédures sont plus fréquentes dans
la médecine spécialisée que dans la médecine générale, le problème est beaucoup plus répandu chez les spécialistes que chez les
généralistes. Et même si les honoraires étaient réajustés, les spécialistes pourraient employer de nouvelles procédures, ce qui ferait
resurgir le problème.
10 Au moyen d’une approche variable instrumentale visant à contrôler le libre-choix des médecins et des patients dans les différents
modes de paiement, Devlin et Sarma ont établi que les médecins rémunérés à l’acte reçoivent un plus grand nombre de patients en
consultation que leurs homologues qui reçoivent un autre type de rémunération.
11 Le mode de rémunération à l’acte incite peu à innover dans la pratique pour réduire les coûts étant donné que ceux-ci sont
habituellement remboursés (McGuire, 2000).
12 Je ne considère pas le salaire comme une source potentielle de contrôle des coûts et d’amélioration de l’efficience dans le système
de santé. Un médecin salarié n’a aucun intérêt à induire la demande, ni à contrôler les coûts. En outre, comme le salaire est
indépendant des résultats pour la santé des patients, le médecin salarié est peu encouragé à tenir compte de la qualité des soins ou
du rapport coût-efficacité des différents types de soins préventifs, de services de santé spécialisés et de soins hospitaliers.
Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada
5
3
Le système de paiement à forfait (par capitation)
Compte tenu des comportements indésirables que semble encourager le mode de paiement à l’acte, d’autres
méthodes de rémunération ont été élaborées et mises en œuvre au Canada et à l’étranger. L’une de ces
méthodes est le système de paiement à forfait (par capitation), qui a vu le jour aux États-Unis dans les
organismes de gestion des soins au cours des années 1980 et 1990. En vertu du système de paiement à
forfait (une forme de paiement prospectif), le médecin reçoit un paiement forfaitaire fixe (éventuellement
ajusté pour le risque) pour chaque patient inscrit dans sa pratique13. En retour de ce paiement, le médecin
est tenu par contrat de lui fournir des services de première ligne pour une période de temps donnée sans
possibilité de remboursement supplémentaire.
Comme les médecins rémunérés à forfait doivent offrir des soins sans recevoir d’autres paiements,
un volume plus élevé ne se traduit pas par des revenus plus importants. En fait, comme les visites et
traitements supplémentaires s’avèrent coûteux pour le médecin – du moins en temps et en efforts – il est
préférable que les coûts par patient demeurent bas. Par conséquent, l’avantage le plus évident du système
de paiement à forfait (par rapport au paiement à l’acte) est l’élimination complète des mesures incitatives
visant la consommation de soins supplémentaires. De plus, en associant le revenu net du médecin au
recours futur de son patient à des soins, ce système incite financièrement le médecin (dans les cas où
il entretient une relation à relativement long terme avec son patient) à s’assurer que son patient reste
en santé, point particulièrement important dans les services de première ligne et les soins pour malades
chroniques14. En outre, le mode de paiement à l’acte peut encourager les médecins à fournir des services
comme les consultations par téléphone ou par courriel, qui ne sont habituellement pas remboursées par
le mode de paiement à l’acte (comme elles sont difficilement observables par une tierce partie et donc
difficiles à rémunérer sur une base unitaire).
Bien que le rapport coût-efficacité des soins préventifs en général fasse l’objet de débats, il existe une série
de mesures préventives pratiquement gratuites pour les patients et les médecins. Elles peuvent aussi réduire
les coûts et améliorer les résultats pour la santé à long terme. Comme le mode de paiement à forfait ne donne
droit à aucun remboursement supplémentaire pour des soins, le médecin a tout intérêt à ce que son patient
soit en meilleure santé et nécessite moins de soins (du moins, à court terme). Contrairement au médecin
rémunéré à l’acte, qui est récompensé au volume, le médecin rémunéré à forfait pourrait avoir intérêt, sur
le plan financier, à fournir des soins qui : a) contribuent à prévenir l’apparition des maladies (par exemple
en donnant des renseignements sur la lutte contre le tabagisme ou en encourageant les mammographies
régulières chez les femmes); b) réduisent les probabilités de complications. L’un ou l’autre de ces résultats
peuvent amener une baisse de l’utilisation des services de première ligne par le patient à l’avenir (et ainsi
augmenter le futur revenu net du médecin dans un système privilégiant le paiement à forfait)15.
Même si le système de paiement à forfait peut encourager les médecins à se soucier des coûts (actuels
et futurs), il comporte plusieurs aspects négatifs. D’abord, il peut inciter les médecins à sélectionner des
patients qui nécessiteront peu de soins à l’avenir (les patients « coûteux » ou malades auraient donc de
13 Dans le cas des modes de paiement par capitation qui ne couvrent que les services de première ligne, on précise souvent qu’il
s’agit de modes de paiement par capitation de première ligne pour les distinguer des modes de paiement (capitation) prospectif plus
complets, comme le mode de paiement par enveloppe budgétaire susmentionné.
14 Le système de paiement à forfait élimine aussi les distorsions associées aux barèmes d’honoraires imparfaits, comme la note de bas
de page 8 l’indique.
15 Le système de paiement à forfait peut aussi aider à réduire la prestation excessive de soins attribuable à l’altruisme des médecins,
un aspect particulièrement important dans un contexte comme celui du Canada où les patients sont entièrement assurés.
6
Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé
la difficulté à se trouver un médecin, ce qui engendrerait des problèmes d’accès équitable aux soins).
En outre, le système de paiement à forfait peut entraîner un recours excessif aux services de santé
spécialisés ou hospitaliers. Ce problème est attribuable au fait que le système de paiement à forfait ne
couvre habituellement pas ce type de soins. En redirigeant un patient vers un spécialiste (ou un hôpital),
le médecin n’a pas à fournir les soins, mais il touche tout de même des honoraires (Blomqvist et Léger,
2005; Allard, Jelovac et Léger, 2010). Enfin, le système de paiement à forfait peut mener à une prestation
sous-optimale de services de santé (Newhouse, 1993, 2004; Huskamp, 1999). Les médecins peuvent de fait
minimiser la gravité de la maladie auprès du patient ou ne pas lui dévoiler tous les traitements possibles
(essentiellement, réduire la demande de soins) (Ellis et McGuire, 1986, 1990)16,17.
Le risque de prestation sous-optimale de soins par les médecins rémunérés à forfait (ou dans tout mode
de paiement comportant un élément à forfait) est une réelle préoccupation au Canada, car les médecins
font face à peu de concurrence. Dans un tel contexte, il peut s’avérer difficile, voire impossible, pour les
patients insatisfaits des soins reçus de trouver d’autres soins ailleurs. Par conséquent, il est peu probable
que les médecins subissent des pressions concurrentielles pour fournir des soins de grande qualité (Allard,
Léger et Rochaix, 2009). En l’absence de concurrence, la surveillance des médecins (à l’interne ou par une
agence gouvernementale) et les sanctions (à l’interne ou judiciaires) pourraient s’avérer nécessaires pour
garantir des niveaux de soins appropriés (Danzon, 1990; Léger, 2000).
En bref, le système de paiement à forfait encourage le contrôle des coûts en associant le revenu du
médecin au recours aux soins. Bien que ce mode de paiement puisse contribuer au « fléchissement de la
courbe des coûts » dans le secteur des services de première ligne, il peut aussi entraîner des conséquences
indésirables sur la qualité des soins fournis par les médecins de premier recours et sur l’utilisation
excessive des services de santé spécialisés et des soins hospitaliers (qui sont généralement très coûteux).
Malheureusement, les données empiriques sur les effets du système de paiement à forfait sur les coûts et la
qualité des services de santé demeurent limitées.
4
Le système de paiement par enveloppe budgétaire (fundholding)
Le système de paiement par enveloppe budgétaire (ou fundholding au Royaume-Uni) est un système
prospectif inclusif, plus complet. À l’instar des médecins rémunérés par capitation, les médecins rémunérés
selon ce système sont tenus de prodiguer aux patients les soins requis pendant une période donnée
sans avoir droit à aucun remboursement marginal. Cependant, dans le cas du paiement par enveloppe
budgétaire, le médecin est responsable de (presque) toute la consommation médicale d’un patient, y
compris les médicaments d’ordonnance, les services de santé spécialisés et les hospitalisations. Ainsi, les
médecins doivent gérer tous les types de soins et tenir compte des coûts et des avantages de chacun d’eux,
particulièrement dans le cas des services de santé spécialisés et des hospitalisations, car le système de
paiement à forfait est susceptible d’encourager l’envoi excessif des patients chez les spécialistes (Blomqvist
et Léger, 2005; Allard, Jelovac et Léger, 2010). Le système de paiement par enveloppe budgétaire offre
en outre les mesures incitatives adéquates pour les soins préventifs et la gestion des maladies chroniques
(dans une plus grande mesure que le système de paiement à forfait), puisque le fait d’avoir des patients en
santé nécessitant moins de soins ultérieurs entraîne une réduction des dépenses et, du coup, un revenu net
16 Les normes professionnelles peuvent limiter le désir du médecin de manipuler l’information d’une telle manière ou sa capacité à le faire.
17 Le système de paiement à forfait peut aussi inciter le médecin à « jouer » avec la gravité de la maladie (surclassement des GDC).
Ce problème a été particulièrement important dans les milieux hospitaliers utilisant ce système (c’est-à-dire les hôpitaux recevant
des paiements devant couvrir tous les frais associés à la maladie du patient), où les médecins pourraient être tentés de modifier
le code de la maladie de leur patient (c’est-à-dire exagérer le problème médical du patient à la marge) dans le but de recevoir un
montant forfaitaire plus élevé (Dafny, 2005).
Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada
7
supérieur. Le système de paiement par enveloppe budgétaire peut donc être considéré comme une forme
de capitation hautement responsabilisée incitant les médecins à veiller au contrôle des coûts sans toutefois
encourager de façon involontaire la prestation de services de santé spécialisés indépendamment des coûts18.
Bien que le système de paiement par enveloppe budgétaire soit habituellement réservé aux groupes
plutôt qu’aux médecins particuliers, elle peut néanmoins présenter des risques sur le plan financier. Plus
précisément, les groupes de pratique peuvent faire face à des dépenses futures importantes (et recevoir
ainsi des paiements nets moins élevés), non pas en raison d’une mauvaise gestion des soins prodigués aux
patients, mais parce que la santé de leur clientèle s’est détériorée pour des raisons extérieures ou tout à
fait fortuites. Les groupes de médecins rémunérés par enveloppe budgétaire sont donc plus susceptibles
de faire face à d’importants écarts de revenu indépendants de leur volonté ou en dehors de leur sphère
d’influence. D’autres éléments, notamment des « couloirs de risques », des mesures de réassurance et la
définition de cas particuliers pourraient s’avérer nécessaires pour que les groupes de médecins ayant des
patients coûteux ne soient pas injustement désavantagés. La sélection de patients à faible risque pourrait
sinon être encore plus problématique dans le système de paiement par enveloppe budgétaire que dans le
système de paiement à forfait compte tenu du risque financier encore plus élevé que présentent les patients
« coûteux », une situation susceptible de mener à d’importantes inégalités au chapitre de l’accès aux soins
dans les deux types de systèmes.
5
Le système de paiement mixte
Comme le soulignent les sections précédentes, le paiement à l’acte peut encourager la prestation excessive
de soins, tandis que le système de paiement à forfait risque d’entraîner la prestation sous-optimale de
soins. Les deux systèmes présentent en outre l’inconvénient notable de ne pas offrir un juste équilibre entre
les composantes de soins observables (c’est-à-dire des soins qu’un assureur peut cerner, comme les tests
diagnostiques et les traitements, et qui peuvent donc être payés sur une base unitaire) et les composantes de
soins non observables (c’est-à-dire qu’un assureur ne peut vérifier, comme le temps et les efforts consacrés à
un patient par un médecin, et qui ne peuvent donc être payés sur une base unitaire, mais n’en sont pas moins
d’importants déterminants de la qualité des soins). Plus précisément, comme les médecins rémunérés à l’acte
sont payés en fonction du volume de soins observables qu’ils prodiguent, ils sont encouragés à se concentrer
davantage sur ce type d’interventions, au détriment des soins non observables tels que les efforts déployés.
Le système de paiement à forfait, au contraire, risque de conduire à une prestation excessive de soins non
observables par les médecins parallèlement à une prestation moindre des soins observables et coûteux19.
La résolution de ce problème pourrait résider dans le recours au paiement mixte, qui tente d’offrir un juste
équilibre entre les mesures incitatives des systèmes prospectifs et rétrospectifs. Un tel système présenterait
une composante prospective (c’est-à-dire un montant forfaitaire initial comme un paiement par capitation)
ainsi qu’une composante rétrospective (c’est-à-dire un remboursement marginal calqué sur le paiement
à l’acte), équivalentes ou inférieures au coût marginal du traitement. Combinées, ces deux composantes
pourraient fournir des mesures incitatives valables pour plusieurs raisons.
Supposons que les patients apprécient autant les composantes de soins observables (les tests et les
traitements) que celles qui sont non observables (le temps et les efforts qui leur sont consacrés par les
médecins). Si, pour chaque patient inscrit dans une pratique, un médecin est rémunéré à forfait, il sera
18 Selon Corxon, Propper et Perkins (2001), les médecins réagissaient aux mesures incitatives financières en gonflant leurs prix avant
d’être rémunérés par enveloppe budgétaire.
19 Il s’agit du problème notoire que posent les affectations multiples (là où un sous-ensemble de tâches connexes est récompensé, les
tâches non récompensées sont relativement négligées) (Holmstrom et Milgrom, 1990).
8
Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé
alors plus susceptible de vouloir attirer une plus grande clientèle. Pour ce faire, il devra se forger une
réputation fondée en partie sur le temps et les efforts (soins non observables) qu’il consacre à chaque
patient. Toutefois, pour chaque nouveau patient, le médecin sera tenu de prendre en compte les coûts de
traitement (puisque la composante paiement à l’acte est inférieure au coût marginal de la prestation du
soin). Ainsi, le paiement mixte favorisera la qualité des soins tout en permettant le contrôle des coûts.
Un autre atout du paiement mixte réside dans sa capacité à récompenser (ou du moins à compenser) de
précieux services qui ne sont traditionnellement pas couverts par les modes de paiement à l’acte (par
exemple, la recherche, les tâches administratives et l’enseignement) en offrant un paiement forfaitaire au
médecin, quel que soit le nombre de patients qui consultent ce dernier. Le gouvernement du Québec a déjà
mis cette pratique en place au sein de certains groupes chirurgicaux. Comme le montrent Dumond, Fortin,
Jacquemet et Shearer (2008), l’introduction du paiement mixte au Québec permet de réduire le nombre de
services facturables ainsi que d’augmenter le temps accordé à chaque patient et celui consacré aux tâches
administratives et à l’enseignement20.
L’une des principales difficultés posées par les modes de paiement mixte est que la capacité d’en exploiter
pleinement les forces dépend de la concurrence (même s’ils offrent de meilleures mesures incitatives que
les modes de paiement entièrement prospectifs ou rétrospectifs en l’absence de concurrence). En effet,
Allard, Léger et Rochaix (2009) ont montré qu’en cas de paiement mixte, la concurrence entre fournisseurs
(mesurable en partie par l’aisance avec laquelle un patient peut obtenir des soins auprès d’un autre
médecin) pouvait encourager les médecins à fournir de façon équilibrée les composantes observables et
non observables d’un soin21, mais qu’avec une baisse de la concurrence, les médecins pouvaient réduire la
prestation des soins non observables.
À la lumière de ces conclusions, le mode de paiement mixte pourrait constituer une solution profitable
pour le Canada dans la mesure où l’on y recourt de façon plus généralisée (et pas seulement au sein
de petits groupes de spécialistes, comme c’est le cas au Québec) en offrant les mesures incitatives
« adéquates » selon le type et le volume de soins. Bien qu’en l’absence de concurrence, le mode de
paiement mixte soit à privilégier par rapport au paiement à l’acte ou à forfait, d’autres mesures (comme la
surveillance des médecins ou la rémunération au rendement) pourraient s’avérer nécessaires pour atteindre
les niveaux recherchés de qualité des soins.
6
La rémunération au rendement
Comme nous l’avons mentionné dans le présent rapport, les paiements versés aux médecins reflètent
généralement soit le volume de services fournis en vertu des systèmes rétrospectifs, soit les besoins futurs
des patients en matière de soins (souvent tributaires des caractéristiques du patient ou de son état de
santé), en vertu des systèmes prospectifs. Aucun système, toutefois, n’est directement axé sur les résultats
recherchés – ce à quoi les patients et les responsables des politiques accordent de l’importance en fin de
compte. Il n’est donc pas étonnant que les questions liées à la qualité des soins continuent d’empoisonner
le système de santé (même en période d’investissement). D’ailleurs, la piètre qualité des soins (mesurable
par le niveau inapproprié de soins préventifs, de courte durée et aux malades chroniques) dans bon
nombre de spécialités et de régions a amené les gouvernements des États-Unis à examiner de plus près
l’enjeu de la qualité et à formuler des recommandations à cet égard (Institute of Medicine, 2001 et 2007).
20 Malheureusement, les auteurs n’ont pas été en mesure d’observer l’incidence de tels paiements sur les résultats pour la santé des patients.
21 Leurs résultats ne précisent toutefois pas en quoi i) la gravité de la maladie, ii) l’efficacité du traitement et iii) le type de médecin
(déterminé selon le degré d’éthique médicale ou d’altruisme) seraient touchés si le patient arrêtait de consulter son médecin traitant
pour aller en voir un autre.
Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada
9
En réaction à ces problèmes de qualité, de nombreux États ont proposé ou mis en œuvre une forme
particulière de rémunération supplémentaire : la rémunération au rendement. Ce type de rémunération vise
à récompenser la prestation de soins adaptés et de grande qualité; il peut être mis en œuvre parallèlement
à tout autre mode de paiement existant. Selon cette approche, les médecins se voient récompensés pour
leurs méthodes (façons de faire) ou les résultats pour la santé de leurs patients (efficacité des traitements
offerts). La rémunération des médecins en fonction du rendement devrait en théorie les inciter à se soucier
davantage de la santé de leurs patients, mais la mise en œuvre d’un tel système est susceptible de se
heurter à d’importantes difficultés (Rosenthal, 2004).
Bien qu’associer la rémunération des médecins à des processus (tests préventifs, taux d’immunisation et
traitements) relève d’une procédure administrative simple (ces processus étant généralement facilement
observables et codifiés), cette stratégie pourrait avoir des effets pernicieux, par exemple en encourageant
les médecins à se concentrer uniquement sur les procédures associées aux primes ou à les privilégier
au détriment de celles qui ne le sont pas. On craint en outre que les programmes de rémunération au
rendement incitent les médecins à retenir uniquement les patients qui se conforment aux tests et aux
procédures recommandées et à éviter ceux qui pourraient nuire à leurs « statistiques » (c’est-à-dire aux
résultats des médecins et, par conséquent, à leur revenu).
La rémunération au rendement en fonction des résultats pour la santé des patients peut apparaître comme une
solution évidente, mais la situation n’est pas aussi simple que cela dans la réalité. Le premier défi consiste à
trouver le moyen de mesurer les résultats et dans quelle ampleur. Ici encore, on risque de créer une situation
où les médecins ciblent des résultats pouvant être facilement mesurés au détriment de ceux difficilement
observables. Qui plus est, les résultats dépendent de la physiologie des patients et de leur volonté à observer
correctement les traitements et la prise de médicaments prescrits par le médecin. Ainsi, des médecins pourraient
être injustement pénalisés (ou, au contraire, récompensés) parce que leurs patients ne réagissent pas comme
prévu au traitement ou ne suivent pas leurs recommandations. S’il est impossible d’évaluer l’apport du médecin
dans les résultats pour la santé de son patient, il pourrait être injustement exposé à des risques et amené à
choisir des patients susceptibles de suivre ses recommandations et de bien réagir aux traitements proposés22.
Bien que la rémunération au rendement constitue pour les responsables des politiques et les administrateurs
d’hôpitaux un outil d’encouragement à la prestation de soins adaptés et de grande qualité, on doute que ce
système à lui seul suffise pour atteindre un niveau et une qualité de soins efficients sans poser de difficultés.
7
Le régime d’intéressement collectif (participation aux gains)
Dans le système de santé actuel, il incombe souvent aux médecins de prendre des décisions relatives à
la consommation de certains médicaments ou l’utilisation d’appareils médicaux, décisions qui influent
à leur tour sur les coûts pris en charge par l’hôpital et le système. Cette situation découle du fait que les
médecins ont généralement un statut de travailleur autonome (ce ne sont pas des employés de l’hôpital) et
que le versement de paiement direct à ces derniers par les hôpitaux est souvent interdit. Par conséquent,
les médecins n’ont aucun intérêt à tenir compte du coût des médicaments et des appareils médicaux qu’ils
emploient pour traiter leurs patients. Si l’hôpital ou le système pouvait influer sur le choix des médicaments
et des appareils médicaux, premièrement, les médecins seraient plus enclins à se tourner vers des solutions
moins coûteuses et, deuxièmement, il en résulterait une normalisation des médicaments et des appareils
utilisés par les équipes soignantes. La normalisation des médicaments et des appareils médicaux permet aux
hôpitaux et aux systèmes de santé de faire des économies substantielles grâce aux tarifs dégressifs sur la
22 Par exemple, un médecin pourrait favoriser une clientèle scolarisée ou généralement en bonne forme physique (ou qui présente un
plus faible taux de comorbidités), plus susceptible de suivre ses recommandations ou de bien réagir aux traitements proposés.
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Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé
quantité et la part de marché. Ainsi, plus le volume d’achat d’un médicament ou d’un appareil médical auprès
d’un même fournisseur est important, plus le coût unitaire est bas. De plus, la normalisation permettrait aux
hôpitaux et aux systèmes de négocier de meilleurs prix (grâce à un plus grand pouvoir d’achat).
Pour remédier à ce problème, certains hôpitaux (ou certains groupes au sein des hôpitaux) des ÉtatsUnis ont reçu l’autorisation de mettre en place des régimes d’intéressement collectif (ou de participation
aux gains). Dans le cadre de ces régimes (visant les cardiologues et les chirurgiens orthopédistes),
les groupes de médecins se partagent les primes découlant des économies réalisées (sur une base de
référence historique) sur l’achat de divers médicaments et appareils23. Les revenus des participants étant
en partie tributaires des dépenses du groupe, les médecins sont plus enclins à tenir compte des coûts
des médicaments et des appareils médicaux de même qu’à coordonner leurs décisions avec celles de
leurs collègues afin de profiter des tarifs dégressifs susmentionnés grâce à un volume d’achat et à une
part de marché plus importants. Selon les résultats préliminaires de Ketcham, Léger et Lucarelli (2010),
l’intéressement permettrait de réduire les coûts relatifs aux médicaments et aux appareils médicaux,
économies attribuables en grande partie à la réduction des coûts unitaires (grâce à un plus grand pouvoir
de négociation et aux rabais consentis sur le volume d’achat et la part de marché).
Si les régimes d’intéressement collectif tels qu’ils sont décrits dans le présent rapport peuvent constituer
une solution intéressante pour le Canada à long terme, on ne peut en dire autant à court ou à moyen
terme. D’abord, il existe des obstacles réglementaires à l’instauration effective de tels régimes (les
hôpitaux ne sont pas autorisés à verser des paiements directs aux médecins). Qui plus est, l’incidence de
l’intéressement sur les résultats pour la santé des patients est encore peu connue. Néanmoins, dans un
cadre réglementaire adéquat, les régimes d’intéressement collectif conjugués à la surveillance des médecins
pourraient grandement favoriser l’harmonisation des mesures incitatives offertes aux médecins avec celles
des hôpitaux et des responsables des politiques.
8Conclusion
Plusieurs modes de paiement pour le Canada, de même que leur incidence sur le comportement des
médecins, le type et la qualité des soins reçus par les patients et les coûts des services de santé, ont été
abordés dans la présente étude. Bien que les modes de paiement à forfait et par enveloppe budgétaire
soient largement perçus comme un moyen simple de faire « fléchir la courbe des coûts », ceux-ci risquent
de nuire à la qualité et d’encourager la sélection des patients en fonction des risques. La combinaison des
composantes prospective et rétrospective des soins dans le cadre d’un mode de paiement mixte permet
d’encourager les médecins à prendre en considération autant les coûts que les avantages des différentes
possibilités de traitement. De plus, les modes de paiement mixte sont susceptibles de favoriser la prestation
conjointe de composantes de soins observables (tels les tests et les traitements) et non observables
(tels le temps et les efforts). En outre, ces modes de paiement peuvent être mis en œuvre de manière
à récompenser les tâches non cliniques, comme la recherche et l’enseignement, qui peuvent s’avérer
coûteuses pour les médecins étant donné le mode de rémunération en vigueur. Enfin, les responsables
des politiques pourraient se pencher sur d’éventuels ajouts au mode de paiement à l’acte actuellement en
place (ou à d’autres futurs mécanismes), notamment l’instauration de régimes d’intéressement collectif ou
de rémunération au rendement qui comporteraient des mesures incitatives supplémentaires sur le plan du
contrôle des coûts et de la qualité, respectivement, selon l’importance relative qui leur est accordée et le
cadre institutionnel et réglementaire.
23 À l’instar de la rémunération au rendement, les régimes d’intéressement peuvent être instaurés conjointement avec tout autre type
mécanisme de paiement, y compris le mode de paiement à l’acte actuel.
Modes de rémunération des médecins : un aperçu des possibilités d’action au Canada
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