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PRATIQUES 39 4eTRIMESTRE 2007
DOSSIER
Comment payer ceux qui nous soignent ?
Pratiques :
Les maisons médicales belges semblent en
pleine expansion aujourd’hui, pourquoi ?
Pierre Drielsma : Parce que nous croyons en ce
que nous faisons et que nous sommes économi-
quement viables. Nous sommes un mouvement
post-soixante-huitard, un des derniers vivaces en
Belgique. Les deux premières maisons ont ouvert
en 1972 à Tournai et Bruxelles, il en existe plus de
quatre-vingt aujourd’hui. Nous représentons 5 %
des médecins francophones (300/6 000). Nous
sommes surreprésentés comme maître de stage et
les jeunes médecins nous connaissent bien : ils
souhaitent de moins en moins travailler seuls. La
croissance du nombre de patients inscrits est régu-
lière et tend à s’accélérer : une croissance encou-
rageante qui ne donne pas envie de baisser les
bras.
Comment avez-vous survécu ?
Au début, nous avions un moyen de subsistance,
imparfait, mais qui avait le mérite d’exister : le
paiement à l’acte. Jusqu’au début des années
1980, la Belgique a vécu au-dessus de ses moyens
et les professionnels de la santé étaient bien
payés. Nous arrivions à financer nos structures
avec une partie de nos honoraires. Les honorai-
res étaient répartis en une masse commune : en
fait, les plus militants collectivisaient l’ensemble
de leur recette quand d’autres reversaient une
part proportionnelle de leurs revenus. Puis nos
revenus ont baissé et notre philosophie collective
a moins séduit nos jeunes collègues. Des camara-
des nous ont abandonnés, désenchantés par une
révolution qui n’arrivait pas. C’est peu après cette
époque que nos collègues libéraux ont lancé une
grève des soins contre l’instauration d’un carnet
de santé. Grève que nous avons combattue de
toutes nos forces au côté des syndicats interpro-
fessionnels (ouvriers). En guise de remercie-
ments, l’INAMI, équivalent de votre CNAM, et les
mutuelles qui gèrent chez nous la Sécurité socia-
le ont décidé de nous soutenir. Nous avons négo-
cié la mise en place d’un forfait, inscrit dans la loi
depuis 1963, mais qui n’avait jamais été appliqué
aux soins de première ligne.
En quoi consiste le forfait ?
Il prend en charge les soins de médecine géné-
rale, infirmiers et de kinésithérapie. Pour ces
trois disciplines, les patients qui s’engagent dans
le système, sauf exceptions (période de garde,
déplacement), sont obligés de s’adresser à la mai-
son médicale. Si la maison fonctionne au forfait,
tous les patients sont obligés de s’inscrire dans le
dispositif. En contrepartie, les soins sont entière-
ment gratuits sans avance de frais, ce qui est une
vraie révolution.
Un arrêté du Conseil d’Etat interdisait aux presta-
taires de percevoir une participation personnelle
du patient (ticket modérateur) : cet inconvénient
apparent a fourni aux centres forfaitaires un avan-
tage concurrentiel redoutable dans le contexte
social actuel (croissance du chômage et diminu-
tion de l’accès aux soins).
Le montant du forfait mensuel est variable pour
chaque patient selon son statut. Il a été calculé sur
la base des dépenses moyennes de santé dans le
pays Comme nous avons de relativement bonnes
pratiques médicales, nous dépensons moins en
Les maisons
dicales:
Des médecins ont créé des centres de soins primaires, performants, en
collaboration avec d’autres professionnels et avec un paiement au forfait :
minoritaires mais pragmatiques, ils l’ont fait et ça marche.
Entretien avec Pierre Drielsma, médecin généraliste
Pierre Drielsma
exerçe à la maison
médicale Bautista van
Schowen 1, à Seraing
en Belgique.
Responsable du service
d’études de la Fédération
des maisons médicales
francophones.
www.vvgg.be/CDEP
le modèle belge
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DOSSIER
curatif. La réalisation de cette économie est
récompensée par une augmentation des forfaits
de 10 % : le forfait nous permet donc de financer,
en partie, nos actions sociales et de prévention. De
plus, depuis 1993, un décret reconnaît la spécifici-
de notre travail en nous allouant des subven-
tions annuelles en contrepartie d’un travail épidé-
miologique, ainsi que le travail de coordination
interdisciplinaire. Nous recevons, en moyenne,
25,491 par patient chaque mois.
Qu’est-ce qui a changé au niveau de votre pratique et des
pratiques des usagers, lors du passage au forfait ?
Les pratiques ont changé. L’inscription des
patients permet de faire de la micro-épidémiolo-
gie, donc de connaître ses patients. Par exemple à
Bautista Von Schowen, nous comptons 200 diabé-
tiques (sur 4 000 inscrits), la moitié ont un bon
équilibre évalué par le taux d’hémoglobine gly-
quée ; nous pouvons alors concentrer nos efforts
sur les cas les plus difficiles. D’une manière géné-
rale, nous pouvons défendre en haut lieu nos pra-
tiques, ce qui est confortable, même si ce n’est
qu’un début.
Par ailleurs, la « gratuité » permet aux défavorisés
de se fixer sur un médecin, ce qui favorise confian-
ce et soins. Si les patients n’étaient pas contents, ils
résilieraient leur inscription. Au moins le rapport
qualité-prix est satisfaisant.
Mais, pas d’angélisme, les forfaits ont toujours
tendance à diminuer le nombre d’actes : tant
qu’il s’agit d’actes inutiles ou mal orientés (médi-
calisation du social, soins de luxe ou sans efficaci-
prouvée), ce n’est pas grave, c’est de la mauvai-
se graisse. Mais il ne faut pas toucher au muscle
(l’utilité concrète des services de santé) : le paie-
ment à l’objectif permet au moins en partie d’évi-
ter cet abandon d’actes utiles, mais aussi la pré-
sence de représentants des patients dans nos
instances qui veillent au grain. Aucun mode de
paiement n’est parfait ! Evans disait qu’il fallait
changer de système tous les cinq ans pour préve-
nir les effets pervers.
Je ne suis pas entièrement d’accord, mais nous
préférons un paiement mixte : la capitation pour
le suivi longitudinal, l’acte pour les actes ennuyeux
et/ou sous prestés, un forfait d’infrastructure
pour un bon cabinet, un paiement à l’objectif
pour stimuler la santé publique (vaccins, dépi-
stage, pathologies chroniques).
Ce que vous gagnez avec le forfait vous permet-il de prendre
le temps de travailler ?
La durée des consultations est de quinze à vingt
minutes en moyenne
2
, mais il est clair qu’il serait
suicidaire de rester une heure avec chaque
patient, la rémunération fondrait comme neige au
soleil. Rien n’empêche cependant la « charité » au
forfait comme ailleurs. Mais ce n’est pas notre
modèle.
Si la facilitation de l’accès aux soins est à l’évidence un suc-
cès, qu’en est-il de la capacité de vos patients à mieux gérer
leurs problèmes de santé ?
L’autonomisation reste le projet long terme des
maisons médicales. À propos du rôle actif et posi-
tif assigné aux patients, le politologue Pascal
Delwit
3
déclare : « Volontairement, la plupart de
ces centres se sont implantés dans les quartiers les
plus défavorisés. Pour les initiateurs des maisons
médicales, la clientèle prioritaire devait être la
classe ouvrière et les éléments inférieurs de la
couche moyenne de la population. En vérité, ce ne
sont pas les ouvriers qui sont venus, mais des per-
sonnes à très faibles revenus, des habitants émar-
geant au Centre Public d’Aide Social, municipal,
parfois qualifiés de LUMPEN, et des gens du 3
e
et
du 4
e
âge peu enclins au dynamisme. Il s’agit du
public le plus désarmé culturellement pour suivre
une éducation sanitaire, se prendre en charge et
participer à une médecine préventive. »
Tout cela est en partie vrai, mais nos obser vations
ne confirment pas entièrement ce pessimisme, le
patient même très paumé, qui est reçu avec
dignité à la maison médicale, finit par se respecter
lui-même. Et dès ce moment, sa propre prise en
charge s’améliore, comme sa santé. Par exemple,
des patients diabétiques, peu autonomes sur des
critères externes
4
, peuvent très correctement
suivre leur régime et leur traitement et obtenir des
résultats de contrôle sanguin excellents.
Pierre Drielsma, quel avenir voyez-vous ?
L’avenir c’est le changement social ; quand
l’Europe aura fini de ronger son os néolibéral et
aura compris qu’il n’y a plus rien dessus, on pour-
ra repartir de plus belle. Les Maisons Médicales
sont une arme de ce changement social : elles
démontrent qu’on peut avancer sans se soumet-
tre au diktat de l’argent. À condition d’être prag-
matique.
1. Médecin chilien, membre du MIR (mouvement de la gauche
révolutionnaire), arrêté, torturé et assassiné par les sbires de
Pinochet.
2. Ce qui est semblable à la moyenne belge (à l’acte).
3. Université Libre de Bruxelles.
4. QI, handicap sociaux.
comment ça se passe ailleurs
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