Cancer de l’estomac et du cardia
C. Brézault-Bonnet et S. Dominguez-Tinajero
Malgré un taux d’incidence parmi les plus bas d’Europe, avec environ
7 000 nouveaux cas par an en France, le cancer gastrique reste fréquent et
grave, responsable de près de 5 000 décès par an (1).
Facteurs de risque
Le lien avec
Helicobacter pylori
Dans les années quatre-vingt-dix, les premières études cas-témoins rapportées
recherchant un lien entre Helicobacter pylori (Hp) et cancer gastrique étaient
rétrospectives, réalisées à partir de sérologies ; elles montraient une augmenta-
tion du risque relatif de cancer en cas d’infection, variable selon les études
(Odd-ratio entre 2 et 9) (2). Dès 1994, Hp était classé comme carcinogène de
type I (rôle carcinogène certain chez l’homme) par lInternational Agency for
Research on Cancer (3). La première étude prospective publiée est japonaise (4).
Sur 1 526 patients suivis pendant 7,8 ans, 36 cancers ont été dépistés par des
endoscopies régulières. Ces cancers ne sont survenus que chez les 1246 malades
infectés par Hp. Des méthodes sérologiques plus sensibles pour détecter les
infections anciennes (anticorps anti-Cag A, biopsies gastriques négatives) ont
été utilisées pour d’autres études : une étude suédoise réalisée sur 542 sujets
montre ainsi que les patients infectés ont un risque 21 fois plus élevé de déve-
lopper un cancer gastrique distal (5). Les auteurs concluent que l’infection
serait responsable de 71% des cancers distaux dans un pays de faible prévalence
comme le leur. Une méta-analyse reprenant 12 études prospectives cas-témoins
a précisé ce risque en fonction de la localisation du cancer et confirme l’aug-
mentation des cancers distaux en cas d’infection à Hp et l’absence de rôle
favorisant (ou défavorisant) de l’infection dans la survenue d’un cancer du
cardia (6). La séquence de survenue des événements semble être, du moins
pour le cancer gastrique distal le plus fréquent (adénocarcinome de type intes-
tinal), l’apparition d’une inflammation secondaire à l’infection par Hp, puis
d’une atrophie de la muqueuse gastrique puis d’une dysplasie (7). Moins
fréquemment, on peut observer des adénocarcinomes de type intestinal chez
des sujets plus jeunes (< 40 ans) ; ces cancers surviennent en général sur des
muqueuses infectées par Hp mais non atrophiques (8). Dans un modèle animal
(gerbille mongolienne), des travaux ont confirmé le rôle carcinogène d’Hp et le
rôle protecteur de l’éradication de l’infection (9). Cependant, chez l’homme, il
n’est pas encore démontré que l’éradication de la bactérie prévient la survenue
du cancer gastrique. Certains recommandent l’éradication d’Hp chez des sujets
à risque : patients traités pour un cancer gastrique superficiel, antécédent fami-
lial de cancer gastrique.
Facteurs environnementaux autres que Hp
L’évolution de la gastrite induite par l’infection à Hp peut également être
influencée par d’autres facteurs environnementaux (10), tels que le taba-
gisme (11), qui augmente en particulier à lui seul le risque de cancer du cardia
(RR = 4,2, IC95% : 2,5-7) (12). Ainsi, les patients infectés et fumeurs auraient
2,3 fois plus de risque de développer un cancer gastrique que les patients
infectés mais non fumeurs (11). Le mode d’alimentation indépendamment de
l’infection à Hp semble être un facteur de risque du cancer de l’estomac : une
consommation excessive d’aliments riches en sel ou de viandes ou poissons
fumés favorise son apparition. En revanche, la consommation de fruits et de
légumes antioxydants diminuerait le risque de 40% et ceci indépendamment
de la consommation de sel, de l’âge ou du sexe (13).
Facteurs génétiques
Environ 10% des malades ont des antécédents familiaux de cancers gastriques.
En cas d’atteinte d’un parent au premier degré, le risque de cancer serait multi-
plié par deux ou trois. Par ailleurs, l'adénocarcinome gastrique fait partie des
cancers fréquents du syndrome HNPCC (hereditary non polyposis colorectal
cancer), mais fait aussi partie du phénotype de la polypose adénomateuse recto-
colique familiale, du syndrome de Peutz-Jeghers et de la polypose juvénile (14).
Certaines formes familiales de cancers gastriques doivent faire rechercher une
mutation de la E-cadhérine après consultation d’onco-génétique. Les « cancers
gastriques diffus héréditaires » sont liés à une mutation germinale de l’anti-
oncogène CDH1 avec perte de fonction de la protéine cadhérine E (15). Le
diagnostic doit être évoqué lorsqu'il existe dans une famille au moins deux cas
de cancer gastrique de type diffus chez des apparentés au premier ou au
deuxième degré, dont un cas diagnostiqué avant 50 ans, ou bien trois cas chez
des apparentés de premier ou deuxième degré, quel que soit l'âge. Le mode de
transmission est autosomique dominant.
110 Les cancers digestifs
Autres facteurs
Certaines gastrites prédisposent au cancer gastrique (gastrite chronique atro-
phique et maladies de Biermer et de Ménetrier), de même que les polypes
adénomateux gastriques, les antécédents d’ulcère gastrique et de gastrectomie
partielle pour pathologie bénigne.
Bilan diagnostique et pré-thérapeutique
Bilan clinique
Les signes cliniques du cancer gastrique sont très peu spécifiques, ce qui
explique le délai souvent long entre les premières manifestations et le
diagnostic. La douleur, le plus souvent épigastrique, est la manifestation
clinique la plus fréquente. L’amaigrissement est également souvent présent au
moment du diagnostic. Le cancer peut également être révélé par une anémie,
une complication (perforation…) ou la découverte de métastases…
Bilan endoscopique
La fibroscopie permet d’affirmer le diagnostic de cancer gastrique par la réali-
sation de biopsies, et d’apprécier son extension intra-gastrique. En cas de lésion
gastrique ulcérée, il est important de réaliser un contrôle avec biopsies
multiples, à répéter éventuellement en cas de cicatrisation incomplète, afin
de ne pas méconnaître un cancer. Il s’agit le plus souvent d’un adénocarci-
nome (16). Le principal diagnostic différentiel est le lymphome, les sarcomes
et les tumeurs carcinoïdes étant beaucoup plus rares. La linite est une forme
particulière de cancer gastrique : il s’agit d’un cancer infiltrant atteignant tout
ou partie de l’estomac, entraînant un épaississement de la paroi gastrique avec
rétraction circulaire de celle-ci.
Bilan d’extension
Il doit comprendre au minimum une tomodensitométrie abdominale à la
recherche d’une extension loco-régionale aux organes de voisinage et ganglion-
naire, de métastases à distance, ou de signes évocateurs de carcinose
péritonéale. Très souvent, une tomodensitométrie thoracique à la recherche de
métastases pulmonaires est réalisée dans le même temps, mais une radiographie de
thorax peut suffire. Le transit œso-gastrique peut être utile au chirurgien pour
préciser la topographie exacte de la lésion et déterminer le type d’intervention,
Cancers de l’estomac et du cardia 111
notamment pour les cancers du cardia. La tomographie à émission de positons
est encore peu évaluée dans cette indication (17) ; il est possible qu’elle soit plus
performante que la tomodensitométrie pour prédire la résécabilité. Une écho-
endoscopie peut être réalisée pour mieux apprécier l’envahissement pariétal et
l’extension loco-régionale ; cependant, elle est surtout utile pour le diagnostic
de linite gastrique montrant alors un épaississement de la troisième couche et
pour les tumeurs superficielles (18). Certaines équipes ont proposé une lapa-
roscopie de staging pré-thérapeutique, surtout utile pour les grosses tumeurs,
permettant de mettre en évidence des métastases, essentiellement péritonéales,
non vues par l’imagerie conventionnelle (19). Elle peut également permettre
d’évaluer l’efficacité d’une chimiothérapie néo-adjuvante dans des cas particu-
liers. Le bilan d’opérabilité éventuel devra aussi comprendre, entre autres, une
étude nutritionnelle et l’évaluation des fonctions hépatiques et respiratoires. La
classification TNM figure dans le tableau I.
Traitement
La prise en charge des patients atteints d’un cancer gastrique doit être
multidisciplinaire.
112 Les cancers digestifs
Tableau I – Classification TNM des cancers de l’estomac (UICC 1997) et stadification.
Tumeur primitive (T) Tx inconnu
T0 pas de tumeur retrouvée
Tis atteinte intra-épithéliale (in situ)
T1 atteinte de la sous-muqueuse
T2 atteinte musculaire ou sous-séreuse
T3 atteinte séreuse sans atteinte des organes adjacents
T4 atteinte des structures adjacentes
Adénopathies régionales (N) Nx inconnu
N0 pas d’envahissement
N1 1 à 6 ganglions envahis
N2 7 à 15 ganglions envahis
N3 plus de 15 ganglions envahis
Métastases à distance (M) Mx inconnu
M0 pas de métastases
M1 métastases à distance
Stades Stade 0 Tis N0 M0
Stade IA T1 N0 M0
Stade IB T1 N1 M0, T2 N0 M0
Stade II T1 N2 M0, T2 N1 M0, T3 N0 M0
Stade IIIA T2 N2 M0, T3 N1 M0, T4 N0 M0
Stade IIIB T3 N2 M0, T4 N1 M0
Stade IV T4 N1-2-3 M0, T1-2-3 N3M0, tous T tous N M1
Cancers gastriques résécables
Chirurgie
La chirurgie reste le traitement de référence du cancer de l’estomac, et est le
seul traitement potentiellement curatif. Les cancers considérés comme résé-
cables après le bilan d’extension doivent être opérés même si seulement 70% à
90% d’entre eux pourront – après laparotomie – bénéficier d’une exérèse à
visée curative (20, 21). Au total, seulement 30 à 40% des patients ayant un
cancer de l’estomac seront effectivement opérés à visée curative. Les principaux
critères de résécabilité sont repris dans le tableau II. Après exploration de la
cavité abdominale pour éliminer des métastases péritonéales, hépatiques ou
ovariennes, le type de résection dépendra de la localisation (tableau III). La
Cancers de l’estomac et du cardia 113
Tableau II – Critères de non-résécabilité.
Critères pré-opératoires Critères per-opératoires
– Envahissement des structures adjacentes (T4) – Extension locorégionale (pancréas, aorte,
– Extension ganglionnaire cœliaque ou ganglions cœliaques ou du pédicule hépatique)
pédiculaire hépatique – Métastases à distance
– Métastases à distance – Carcinose péritonéale
– Tumeur volumineuse
Tableau III Types de résection chirurgicale.
Localisation du cancer Gestes effectués
Antro-pylorique gastrectomie sub-totale distale (deux tiers ou quatre-cinquième
de l’estomac, partie mobile du premier duodénum, tablier
épiploïque)
omentectomie
curage des aires ganglionnaires juxta-gastriques et des ganglions
coronaires stomachiques
anastomose gastro-jéjunale
Antro-pylorique + envahissement gastrectomie totale + curage ganglionnaire
ganglionnaire cœliaque
Corps, grosse tubérosité, gastrectomie totale (estomac, partie mobile du premier
antre et portion verticale de duodénum, œsophage terminal)
la petite courbure omentectomie
curage des chaînes ganglionnaires juxta-gastriques, coronaires
et hépatiques
anastomose œso-jéjunale sur anse en Y
Formes cardio-tubérositaires :
– Siewert III œso-gastrectomie totale (examen extemporané de la tranche de
section de l’œsophage recommandé)
– Siewert II œso-gastrectomie totale ou polaire supérieure
– cancers du cardia à extension œso-gastrectomie polaire supérieure par double voie (idem
œsophagienne (Siewert I) épidermoïdes de l’œsophage)
Curage ganglionnaire curage médiastinal inférieur jusqu'aux ganglions inter-
recommandé pour les cancers trachéobronchiques
du cardia ganglions para-cardiaux
premiers relais ganglionnaires juxta-gastriques et relais coronaire
coeliaque, hépatique et splénique (curage D2)
(curage sus- et sous-pylorique en cas de gastrectomie totale)
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