15/10/2013 Naissance de l’écriture. Le Proche-Orient : l’écriture par Grégory CHAMBON, maître de conférences en histoire des sciences et techniques de l’Antiquité et en assyriologie1 à l'UBO. Sommaire I. Pourquoi étudie t-on l’écriture cunéiforme à Brest ? : On a développé un pôle de recherche sur l’Antiquité en réunissant des spécialités préexistantes : cours d’histoire de l’antiquité classique, cours de littérature ancienne, etc. Ce pôle, rue Victor Ségalen, a obtenu du Collège de France, un fonds de 1 000 ouvrages et périodiques sur le Proche-Orient ancien.. Mise en place de plusieurs projets importants, nationaux et internationaux. Un projet de construction d’un bateau mésopotamien vient d’être lancé ; il devrait être achevé pour Brest 2016. Un diplôme universitaire de langues anciennes de Méditerranée vient d’être créé. II. Le Proche-Orient : En France, lorsqu’on parle du Proche-Orient, on n’intègre pas l’Égypte, contrairement aux Anglais. Mésopotamie, en grec ancien, signifie situé entre les fleuves ; c’est donc la région située entre le Tigre et l’Euphrate. 1 L’assyriologie a pour but d’étudier l’histoire ancienne de la Mésopotamie, comme l’égyptologie s’attache à l’histoire ancienne de l’Égypte. 2013-10-08-Lecriture.doc 1/6 15/10/2013 Quand on étudie la Mésopotamie, il faut s’intéresser : à la variété des paysages : On rencontre des cultures étagées, le désert syrien, les régions humides. On voit aussi des nattes faites à partir de roseaux. aux villes : Babylone : très connue car citée dans la Bible. Elle n’a pas été, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la ville qui a eu le plus de rayonnement. ..Suse, Mari, … Alep est la plus vieille ville du monde, Assur, capitale des Assyriens Différents peuples ont prospéré dans ces régions : Au deuxième ou troisième millénaire avant J. C., au sud de Babylone, il y avait les Sumériens inventeurs de l’écriture. Ils ont bâti une civilisation importante, avec une langue et une culture spécifiques. Autour de la ville de Mari étaient les Akkadiens, dont la langue appartenait au groupe des langues sémitiques2. Au contact de ces deux peuples s’est développée une culture suméro-akkadienne. À partir du deuxième millénaire, les Assyriens vont créer un empire qui va peu à peu se développer. Plus au nord, les Hittites se sont installés au pied des monts Taurus. À l’est, les Elamites parlaient une langue indo-européenne. Au sud-est du territoire des Akkadiens, vivaient les Arabes. 2 Les langues sémitiques sont un groupe de langues parlées dès l'Antiquité au Moyen-Orient, au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Ces langues sont qualifiées de « sémitiques » depuis 1781, d'après le nom biblique de Sem, fils de Noé. 2013-10-08-Lecriture.doc 2/6 15/10/2013 Le Moyen-Orient c’était une diversité de paysages, de langues parlées, de civilisations. On pense aux ziggourats, édifices religieux mésopotamiens à degrés. Le terme ziggourat étant lui-même un héritage akkadien, assyrien et sumérien. Le mythe de la Tour de Babel en a rappelé le souvenir, bien après leur disparition. Les Grecs ont été marqués par le fait qu’en dépit de la diversité des langues parlées, ces peuples étaient capables de se comprendre, ou tout au moins d’échanger. Anglais, Français, Allemands ont rapporté dans leur pays, beaucoup de vestiges de Moyen-Orient, car, pour des questions de prestige, il fallait, aux XVIIième et XVIIIième siècles, remplir les musées. Malheureusement, tous ces vestiges étaient souvent mal renseignés (situation géographique du lieu de découverte, description des fouilles, etc.) III. L’écriture cunéiforme : On se sert d’un roseau taillé, ou calame, pour écrire sur de l’argile, du papyrus, des peaux. Lorsqu’on appuyait le calame sur une tablette d’argile, on obtenait une emprunte en coin, d’où le nom d’écriture cunéiforme. En séchant, ces plaques devenaient dures comme de la pierre. On a découvert environ 800 000 documents cunéiformes. En Allemagne on connaît mieux et on enseigne mieux la civilisation mésopotamienne qu’égyptienne. Car les Allemands étaient installés au MoyenOrient, tandis que la France s’est intéressé à l’Égypte à la suite des conquêtes napoléoniennes. L’écriture cunéiforme a eu un rôle unificateur entre les langues de la région qui l’ont adoptée en l’adaptant aux particularités de chaque langue. Les Sumériens l’ont utilisée dès le IVème millénaire av. J.C., les Akkadiens vers le milieu du IIIième millénaire av. J.C. ; puis il y eut, vers 2 000 av. J.C., une division entre deux dialectes : les Assyriens au nord et les Babyloniens au sud. Ensuite ce furent les Hittites, les Hourrites, les Elamites… Les documents découverts étaient très divers, et concernaient les actes importants de la vie publique : textes scolaires, administratifs (Mari), juridiques (codes de loi d’Hammourabi, signatures de témoins), commerciaux ; on notait les achats de terres, de mobilier, de boissons pour le roi. On a aussi pu, grâce à ces textes, reconstituer le cursus de la formation des scribes. On a aussi découvert des cylindres qui permettaient, sur leurs côtés, de pouvoir lire un ensemble de textes. 2013-10-08-Lecriture.doc 3/6 15/10/2013 Certains documents juridiques, sans doute très importants, étaient protégés par une enveloppe, qu’il fallait briser pour accéder aux textes. Parfois, on recopiait une partie des textes sur les enveloppes, ce qui dispensait de les briser, mais en cas de litige, on le faisait pour lire le texte original. Certains cylindres, très petits, étaient portés autour du cou et servaient de signature, comme une sorte de sceau. IV. Découverte et étude des documents cunéiformes : Lorsqu’on met au jour des demeures de l’époque, on constate que les murs étaient faits d’argile, car sur place il n’y avait pas de pierre. On montait des murs solides et bien isolants en argile séchée. À Ebla, près d’Alep, on a découvert 40 000 tablettes. L’idée des archéologues a été de travailler avec un ordinateur : on dégageait un peu de documents, on les photographiait et on enregistrait sur ordinateur ; puis on recommençait à dégager, etc. On s’est aperçu que ces tablettes devaient être rangées sur des tablettes, par thème. En découvrant les 20 000 tablettes de Mari, on a été amené à les classer en archives vivantes (celles dont, à l’époque, on se servait régulièrement) et en archives mortes (doubles, tablettes plus anciennes) lesquelles ont souvent été réutilisées comme briques. V. Travail archéologique : Actuellement, on ne rapporte plus de documents du Moyen-Orient, on fait des copies pour les étudier et les présenter dans les musées. Sur place, on tente de restaurer les fragments que l’on découvre. Il faut les nettoyer et les débarrasser de leur sel ; on les plonge dans l’eau, mais c’est assez long, par contre, plongés dans le vinaigre, une heure suffit. On dépose à la surface une poussière blanche (chlorate d’ammonium) ; cela permet une meilleure lecture des écritures. L’écriture cunéiforme a débuté environ 3200 ans av. J.C., on l’a utilisée, puis étudiée, mais à partir du premier siècle ap. J.C. on a été jusqu’à oublier son existence. VI. La redécouverte de l’écriture cunéiforme : Au XVIIième siècle, des voyageurs en ont parlé dans leur carnets de voyage, ou en ont dressé des croquis. Ces écrits arrivent en Europe et posent un énorme problème. Au XVIIième siècle, dans les cercles de réflexion, on avait travaillé sur l’origine de l’écriture : on avait bâti une théorie. Pour signifier une idée, des peuples, appelés « primitifs » (Mayas) utiliseraient des pictogrammes, des peuples plus « évolués » appelés « barbares » (Chinois) 2013-10-08-Lecriture.doc 4/6 15/10/2013 utiliseraient des idéogrammes, alors que les peuples occidentaux développés se serviraient de l’alphabet. Dans l’écriture cunéiforme, on ne reconnaît rien, on ne peut la placer dans la théorie. On a dit que ce n’était pas une écriture, que des insectes avaient abîmé le support. Quelques savants ont alors émis des doutes sur la théorie en vigueur. Le philosophe Jean-Jacques Rousseau a, le premier, émis l’idée qu’il s’agissait peut-être d’une écriture. Pour la déchiffrer, on va faire appel aux spécialistes de l’art du chiffre dans les services de renseignement qui appliquaient les théories de Leibniz. Georg Friedrich Grotefend (1775-1853) a remarqué que certaines séquences reviennent fréquemment. Il a supposé qu’il pourrait s’agir du nom du roi, et la suite lui a donné raison. Un Anglais va examiner une inscription très haute sur la montagne, c’est l’inscription de Behistun. Elle a été écrite en vieux perse, en Élamite, et en Akkadien. Ce fut sa pierre de Rosette. Ses travaux vont influencer Champollion. Les Mésopotamiens expliquent l’origine de l’écriture à partir de deux mythes : - « Oannès serait un être hybride avec un corps d’homme et une tête de poisson : il enseigna aux hommes les compétences nécessaires pour écrire et calculer et pour toutes sortes de connaissances : comment construire des villes, fonder des temples et faire des lois. » (Bérose dans les Babyloniaca, IIIième siècle av. J.C.) - Enmerkar, roi d’Uruk, serait l’inventeur de l’écriture, inspiré par la déesse Nisaba. « Parce que la bouche du messager était trop lourde et qu’il ne put répéter (le message), le seigneur de Kullab (= Enmerkar) modela de l’argile et y fit tenir des mots (inim = parole) comme sur une tablette. Avant ce jour, il n’était pas possible de faire tenir des mots dans l’argile. » On a trouvé des tablettes, datant de 3 000 ans av. J.C., les symboles représenteraient des rations ; ils sont répartis dans des cases pour décrire différents types de céréales et leur quantité. Il y a différents stocks, différentes données, dont on a dressé la liste sur des tablettes. Ensuite il y eut des évolutions que l’on a appelées évolutions paléographiques ; au cours des siècles, les symboles ont évolué. 2013-10-08-Lecriture.doc 5/6 15/10/2013 VII. Qui sait lire et écrire ? : Les rois (les pharaons, on n’est pas sûr) ; le roi d’Assyrie a signé des tablettes qu’il a écrites lui-même. Beaucoup de personnes savaient lire et écrire (hommes et femmes) appartenant à la société la plus aisée. Mais le savoir n’est pas partagé obligatoirement : le savoir est détenu par les dieux. Les Mésopotamiens prêtaient à l’écriture un sens très fort. Le nom d’une chose devient la chose elle-même. L’écriture des dieux se fait sur la matière, les organes des animaux, la manière de voler des animaux ; aux hommes de savoir interpréter les présages. On a retrouvé les lieux de formation des scribes (Edubba). Les études duraient 6 à 7 ans et on en sortait vers 14 ans. On apprenait la géométrie, les proverbes, à rédiger des contrats, etc. On a retrouvé des tableaux d’exercices d’écriture des élèves scribes, des listes lexicales, des listes de plantes connues, des objets en bois, etc. L’ordre des noms dans l’argile est toujours le même. L’écriture est ici très fine. Les graveurs et les scribes étaient des professions différentes ; si un graveur écrivait, c’est qu’il recopiait le texte d’un scribe, car il ne savait pas lire lui-même. L’arrivée d’Alexandre le Grand, l’utilisation du papyrus et le fait d’adopter la langue grecque qui pouvait s’écrire normalement, ont peu à peu entraîné la disparition de l’écriture cunéiforme. 2013-10-08-Lecriture.doc 6/6