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Corpus Médical– Faculté de Médecine de Grenoble
Les dermatoses bulleuses de l’adulte : orientation
diagnostique et conduite à tenir
Professeur Jean-Claude BEANI
Avril 2004
Pré-Requis :
Reconnaissance d’une bulle
Résumé :
Une bulle est une collection liquidienne de grande taille à contenu clair, séro-hématique
ou purulent ; au niveau d'une muqueuse elles se présentent habituellement sous forme
d'une érosion. En dehors des causes exogènes évidentes, toute dermatose bulleuse doit
être biopsiée pour examen standard et en immunofluorescence. Une dermatose bulleuse
étendue ou rapidement extensive doit être hospitalisée en urgence. En dehors des causes
exogènes et des porphyries, les deux principales étiologies sont les toxidermies et les
maladies bulleuses auto-immunes.
Mots-clés :
Bulles, porphyries, toxidermies, pemphigoïde, pemphigus.
Glossaire :
•
Bulle : La bulle est un soulèvement épidermique circonscrit de grande dimension
(>1 cm), rempli d’un liquide qui peut être clair ou trouble.
Références :
•
•
Dermatologie et Vénéréologie, J.H Saurat, E. Grosshans, P. Laugier, JM.
Lachapelle, Masson, 3ème édition, 1999.
Dermatologie Abrégés connaissance et pratique DERMATOLOGIE Masson2003collège des enseignants de Dermatologie.
1. Pré-requis : reconnaissance d’une bulle
On groupe sous le nom de Dermatoses bulleuses, les affections dont la lésion élémentaire est
une bulle.
La bulle est un soulèvement épidermique circonscrit de grande dimension (>1 cm), rempli
d’un liquide qui peut être clair ou trouble.
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Photo : bulle cutanée
(JC. Béani)
Le diagnostic est en général facile, la seule inspection permettra de différencier des
dermatoses vésiculeuses ou pustuleuses.
Il faut cependant savoir penser à une dermatose bulleuse devant :
• Des bulles desséchées réduites en croûte
• Des érosions post-bulleuses arrondies surtout sur les muqueuses et les demimuqueuses.
Photo : érosion post bulleuse
(JC. Béani)
Histologiquement :
La bulle peut résulter d’un clivage entre le derme et l’épiderme (bulle sous-épidermique),
d’un clivage à l’intérieur de l’épiderme (bulle intra-épidermique), ou d’une nécrose
épidermique.
2. Diagnostic étiologique
Il repose sur :
• L’interrogatoire :
o Antécédents familiaux de maladie bulleuse.
o Age de début.
o Mode d’apparition et d’évolution des bulles.
o Signes fonctionnels : prurit, douleurs locales.
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o Circonstances d’apparition : agents externes, grossesse, exposition solaire,
prises médicamenteuses.
•
L’examen clinique qui précisera :
o La topographie de l’éruption.
o L’existence de lésions cutanées associées (plaques érythémateuses ou
urticariennes, cicatrices).
o L’atteinte des muqueuses ou son absence.
o La fragilité anormale de la peau au frottement (signe de Nikolski).
•
Les examens complémentaires :
o Numération formule sanguine à la recherche d’une éosinophilie sanguine
o Examen cytologique du liquide et du plancher de la bulle.
o Biopsie d’une bulle récente pour examen histologique et en
immunofluorescence directe (IFD).
o Autres examens orientés en fonction de la clinique, en particulier la recherche
d’autoanticorps antiépiderme par immunofluorescence indirecte, ou encore des
examens immunologiques sophistiqués.
2.1. Bulloses localisées en rapport avec des agents externes
•
•
Brûlures et érythème solaire bulleux, gelures, traumatisme, contact chimique.
Dermite de contact, caustique, allergique.
Photo : bulles d’origine caustique
(JC. Béani)
•
Dermite par photosensibilisation comme la dermite des prés (bulles linéaires après
contact avec des plantes phototoxiques sur une peau humide et insolée) ou les
photosensibilisations exogènes par usage de topiques médicamenteux ou cosmétiques.
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2.2. Dermatoses bulleuses héréditaires
Rares, s’exprimant souvent dès l’enfance ou les premiers jours de la vie, notamment les
épidermolyses bulleuses (degré de gravité très variable, formes bénignes à léthales).
Photo : épidermolyse bulleuse
(JC. Béani)
2.3. Porphyrie cutanée tardive (PCT)
Trouble héréditaire de la synthèse de l’hème par déficit en uroporphyrinogène decarboxylase
(UPG) induisant une accumulation de dérivés porphyriniques photosensibilisants dans la
peau, la PCT associe :
• Des lésions bulleuses touchant surtout le dos des mains et parfois le visage, favorisées
par l’exposition solaire et les traumatismes, de taille en règle modérée.
Photo : porphyrie cutanée tardive
(JC. Béani)
•
•
•
•
Des érosions post-bulleuses, des cicatrices, des microkystes épidermiques.
Une fragilité cutanée anormale.
Une hypertrichose malaire.
Une coloration anormale des urines (rouge foncé).
Il existe, souvent, une hypersidérémie, des perturbations hépatiques et de la glycorégulation.
Le diagnostic est confirmé par : l’étude histologique de la bulle sous épidermique, et surtout,
l’élévation de l’élimination urinaire des uroporphyrines de type III.
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Le pronostic est lié à la gravité de l’atteinte hépatique progressivement constituée.
On distingue deux formes : une forme se révélant vers la cinquantaine souvent sous l’effet
d’un toxique (abus d’alcool, médicament tels œstrogènes, barbituriques, antipaludéens) et une
forme familiale touchant les sujets les plus jeunes.
Plus récemment, un lien non encore clair avec l’hépatite C a été montré ; celle-ci doit de fait
être systématiquement recherchée devant une PCT confirmée.
2.4. Dermatoses bulleuses auto-immunes (DBAI)
Caractérisées par la présence d’auto-anticorps dirigés contre les desmosomes des
kératinocytes (DBAI intraépidermiques) de l’épiderme ou des structures de la jonction dermoépidermique. (DBAI sousépidermiques).
2.4.1. Les DBAI intraépidermiques : les pemphigus
•
Le pemphigus vulgaire apparaît surtout vers 50 ans mais peut être à tout âge et se
caractérise par :
o Un début très souvent sur la muqueuse buccale : érosions douloureuses et
récidivantes résumant pendant des mois la maladie
o Une éruption de lésions bulleuses isolées sans prurit, sans érythème sousjacent, très rapidement ouvertes et flasques, laissant à nu un derme rouge
violacé.
Photo : pemphigus
(JC. Béani)
o L’association d’une fragilité épidermique majeure : signe de Nikolski positif.
Le diagnostic repose sur :
o Le cytodiagnostic (muqueuses ++) du plancher de la bulle révèle des cellules
acantholytiques (dissociées et ayant perdues leur forme habituelle)
o La biopsie qui montre, en histologie, une bulle inta-épidermique avec
acantholyse et en ID un dépôt en maille de filet interkératinocytaire d’IgG.
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Photo : immunofluorescence de pemphigus
(JC. Béani)
o Dans le sérum, la présence d’anticorps anti-substance intercellulaire
épidermique.
o Antigène cible est la desmogléine, un constituant majeur du desmosome.
•
Le pemphigus superficiel se caractérise par des lésions érythémato-squameuse sur les
régions séborrhéiques et une absence de lésions muqueuses. L’histologie est voisine
de la forme précédente outre les formes idiopathiques.
Il peut être induit par les médicaments comportant le radical sulfydryl (Dpenicillamine ; captopril)
2.4.2. DBAI sousépidermique
2.4.2.1.
Pemphigoïde bulleuse
C’est la plus fréquente des DBAI, elle survient surtout après 70 ans et se caractérise par :
• Un prurit intense précédant souvent l’éruption
• Une éruption polymorphe avec bulles tendues de taille variable sur des placards
érythémato-papuleux urticariens
• La rareté de l’atteinte des muqueuses
• L’absence de signe de Nikolski
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Photo : pemphigoïde bulleuse
(JC. Béani)
Le diagnostic repose sur :
• Une éosinophilie inconstante
• La présence d’anticorps circulants anti-membrane basale
Photo : immunofluorescence de pemphigoïde bulleuse
(JC. Béani)
•
•
La biopsie avec en histologie une bulle sous-épidermique intact et en IFD des dépôts
linéaires d’IgG et de complément dans la zone de la membrane basale.
Deux antigènes ciblés ont été identifiés correspondant à deux protéines des
hémidesmosomes.
2.4.2.2.
Pemphigoïde cicatricielle
Elle est caractérisée par une atteinte élective des muqueuses chez le sujet âgé : gingivite,
stomatite bulleuse ou érosion de la bouche conjonctivite synéchiante avec risque de cécité.
Le diagnostic est analogue à celui de la pemphigoïde bulleuse.
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2.4.2.3.
Dermatite herpétiforme
Début à tout âge avec une évolution chronique et caractérisée par une éruption de vésicobulles à groupement annulaire sur des placards érythémato-papuleux, volontiers symétriques
donnant un aspect souvent trompeur, eczématiforme. L’atteinte de la muqueuse buccale est
possible.
S’y associent une entéropathie au gluten, avec une atrophie villositaire sur la biopsie jéjunale,
une forte sensibilité à l’iode, une HLA B8 et DW3 fréquents.
Photo : dermatite herpétiforme
(JC. Béani)
Le diagnostic est confirmé par la présence de dépôts granuleux d’IgA au sommet des papilles
dermiques en IFD alors que la recherche d’autoanticorps sériques est négative.
2.4.2.4.
•
•
Autres DBAI de la jonction dermoépidermique
Pemphigoïde gravidique : forme rare de pemphigoïde bulleuse. Elle débute dans la
2ème et 3ème trimestre souvent dans la région périombilicale et peut récidiver lors des
grossesses ultérieures. Le pronostic fœtal est dominé par le risque de prématurité et le
petit poids fœtal.
Dermatose à IgA linéaire : survient à tout âge en particulier chez l’enfant et est
caractérisée par un dépôt d’IgA à l’IFD.
2.5. Erythème polymorphe (EP)
Maladie peu fréquente, prédominant chez l’enfant et l’adulte jeune.
Le diagnostic est clinique : devant la lésion en cocarde : élément arrondi, papuleux, rougeviolacé, à centre déprimé ou couvert d’une vésicule, caractéristique si comporte trois zones
concentriques : une couronne microvésiculeuse, une zone rouge sombre et une zone centrale
couverte de bulles.
La coexistence d’élément d’âge différent participe aussi au polymorphisme.
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La topographie est évocatrice avec atteinte, surtout, du dos des mains, des pieds, des coudes et
des genoux.
Coexistent volontiers quelques lésions muqueuses sous forme de bulles vite remplacées par
des érosions douloureuses sur les muqueuses buccales, génitales et oculaires.
Fièvre et malaise général accompagnent, souvent, le début de l’éruption.
Photo : érythème polymorphe
(JC. Béani)
L’histologie est évocatrice avec une bulle intraépidermique par nécrose kératinocytaire mais
non caractéristique, l’IFD est négative.
Globalement, le pronostic est bon avec guérison spontanée.
Sa principale étiologie est infectieux : il survient le plus souvent (50% des cas) en « réaction »
à un herpès récurrent, de nombreuses autres maladies infectieuses peuvent aussi en être
responsables (pneumopathie à mycoplasmes).
2.6. Toxidermies bulleuses
Bulles provoquées par des médicaments internes se présentent sous des tableaux cliniques
d’aspect et de gravité variable :
•
Bulles isolées, rare mis à part les accidents de photosensibilisation bulleux qui
nécessitent, pour leur survenue, la conjonction d’une prise médicamenteuse et d’une
exposition solaire et qui se caractérisent par des lésions localisées sur les zones
photoexposées.
• Syndromes de STEVENS-JOHNSON et de LYELL (nécrolyse épidermique toxique –
NET).
Ce sont les formes les plus sévères de toxidermies car le pronostic vital est en jeu.
2.6.1. Steven-Johnson
Le terme de syndrome de Steven-Johnson était antérieurement réservé à l’érythème
polymorphe avec atteintes muqueuses et associé à une pneumopathie, aujourd’hui on entend
sous ce terme une toxidermie caractérisée par des vésicules et bulles disséminées,
prédominant sur le thorax et correspondant à une nécrolyse épidermique.
Il y a un continuum entre ce tableau et le syndrome de Lyell, seule l’étendue de décollement,
facteur majeur de gravité, les différencie : syndrome de Steven-Johnson si décollement
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inférieur à 10% du revêtement cutané ; entre 10 et 30% : transition syndrome de StevenJohnson-Lyell-Net ; au dessus Lyell-NET.
La recherche du signe de Nikolski à répéter plusieurs fois par jour est fondamentale pour
apprécier ce passage donc la gravité.
Photo : syndrome de Steven-Johnson
(JC. Béani)
2.6.2. Nécrolyse épidermique aiguë ou syndrome de Lyell
Au plan clinique début brutal, par une fièvre élevée avec une profonde altération de l’état
général, d’abord localisée, l’éruption se généralise rapidement avec sur un fond d’érythème
douloureux, apparition de grandes bulles aplaties et de grands décollements épidermiques
donnant au malade un aspect d’ébouillanté. Le signe de Nikolski est positif et des lambeaux
de peaux se détachent au moindre frottement. L’atteinte des muqueuses est constante.
Malgré les progrès de la réanimation, l’évolution est souvent fatale par troubles
électrolytiques et surinfection.
Photo : syndrome de Lyell
(JC. Béani)
Les médicaments en cause : sulfamides, surtout retard ++ ; AINS, phénolphtaléine, salicylés,
phénylbutazone, phénobarbital, antibiotiques et de très nombreux autres pour les accidents de
photosensibilisation.
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NB : un syndrome identique ou Lyell peut être réalisé chez le nourrisson, le jeune enfant et
l’adulte immunodéprimé par le staphylocoque doré.
3. Conduite à tenir
La gravité de l’affection doit être appréciée sur l’étendue de l’éruption bulleuse et l’état
général.
Toutes dermatoses bulleuses étendues justifient une hospitalisation ; celle-ci se fera dans un
service spécialisé en cas de nécrolyse épidermique ou de pemphigus très étendu.
•
•
•
Le traitement symptomatique consiste à évacuer le contenu liquidien et à désinfecter
les lésions.
Des lésions étendues peuvent justifier un rééquilibrage hydroélectrolytique.
Le traitement étiologique dépend bien sûr de l’affection :
o La porphyrie cutanée tardive est traitée par saignée complétée par de petites
doses hebdomadaires d’antipaludéens de synthèse
o La pemphigoïde bulleuse : la corticothérapie générale constituait le traitement
de référence (prednisone 1mg/kg) avec dégression très progressive. Si la
rémission de la poussée bulleuse était facilement obtenue, le pronostic vital
restait réservé essentiellement du fait des complications de ce traitement au
long cours chez un sujet âgé. De fait la corticothérapie locale (dermocorticoïde
de niveau 1 en grande application) est devenue une alternative efficace et
moins dangereuse et a pris aujourd’hui la place de la corticothérapie générale
en première intention.
o Le pemphigoïde cicatricielle est un traitement difficile car elle réagit mal à la
corticothérapie. Les nouveaux immunomodulateurs (CELLEPT) ont
grandement amélioré son pronostic.
o La dermatite herpétiforme réagit au régime sans gluten mais la mise en œuvre
de celui-ci est difficile et le Disulone représente une alternative.
o Le pemphigus est traité par corticothérapie générale associée ou non aux
immunosuppresseurs.
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