La stimulation
magnétique
transcrânienne
répétitive (ici à l’hôpital
Ambroise-Paré)
permettrait de soulager
les patients souffrant
de douleurs chroniques
sur le long terme.
N° 22 NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2014
24
Grand anGle
DOULEUR
Elle touche 30 % des Français de façon
chronique. Elle peut être légère ou
intolérable, persistante ou passagère,
localisée ou étendue. Dans tous les cas,
elle empoisonne la vie quotidienne. Alors
que le 15e congrès mondial la concernant
s’est tenu du 6 au 11 octobre à Buenos
Aires et que la Société française d’étude et de traitement de
la douleur organise le sien du 20 au 22 novembre à Toulouse,
Science&Santé est parti à la rencontre de ceux qui luttent
contre ce fléau et recherchent les traitements de demain.
Des voies prometteuses qui sont autant d’espoirs pour ceux
qui souffrent jour après jour.
©
ÉTIENNE BEGOUEN/INSERM
Bientôt sous
contrôle ?
Bientôt sous
contrôle ?
NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2014 N° 22 25 25
Grand anGle
Didier Bouhassira :

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Alain Eschalier, Radhouane Dallel :
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
Au 5e étage de l’immeuble, lalarme retentit: un
incendie est repéré. Aussitôt, cest le branle-bas de
combat: pompiers, ambulanciers et autres urgen-
tistes arrivent, toutes sirènes hurlantes, pour combattre
le feu et sécuriser la zone. Dans notre corps, cest la
douleur qui joue ce rôle de signal dalarme. La main
posée par inadvertance sur une plaque chaude, une
blessure suite à une chute? Des messages sont immé-
diatement transmis au cerveau, via les nerfs et la moelle
épinière, entre autres, pour lavertir: brûlure au niveau
de la main, fracture du tibia... Et comme les secours
durgence, notre corps se mobilise et nous réagissons
en conséquence de façon appropriée: retirer la main
de la plaque, soigner la blessure. Dans ces situations,
la douleur est un phénomène normal. «Bien sûr, on la
traite aussi dans ce cas, assure Didier Bouhassira*,
médecin et directeur de lunité Inserm Physiopathologie
et pharmacologie clinique de la douleur, à Boulogne-
Billancourt. Et, en général, les traitements analgésiques
classiques fonctionnent.» Paracétamol, anti-inflam-
matoires, molécules opiacées tellesque la morphine…
Et lorsque la cause
disparaît, il en est de
même pour la douleur.
Le problème, cest lorsque
lalarme se dérègle, et
sonne à tout-va, sans
rapport direct avec une
source de danger. Imaginez la caserne de pompiers
recevant ces multiples signaux, alors qu’il n’y a pas
d’incendie? Pour la douleur, cest la même chose!
Lorsquelle perd son «utilité» et évolue pour son propre
compte, elle devient alors une maladie à part entière.
Dailleurs, pour Alain Eschalier *, directeur de l’unité
Inserm Neuro-Dol de Clermont-Ferrand, quand il sagit
dune douleur « normale» qui nous aide à percevoir le
caractère agressif d’un stimulus, on devrait plutôt parler
de«nociception» (de nocere, «nuire», en latin), pour
la distinguer des autres types qui induisent une réelle
souffrance et justifient quun traitement antalgique soit
instauré.
Selon son origine, son intensité et sa durée, les cliniciens
définissent ainsi plusieurs types de douleur. Lorsquelle
existe depuis plus de trois mois, on la dit «chronique»:
30% des Français en souffriraient! Dont beaucoup de
lombalgies, qui affectent le bas du dos. Lorsque ces maux
sont liés à des lésions du système nerveux lui-même, on
parle de douleurs neuro pathiques. Lexemple le plus
connu étant celui de la sciatique, liée à une compression
de la racine nerveuse au niveau de la sortie des vertèbres.
Latteinte peut être aussi provoquée par un virus, comme
dans le cas du zona, ou être dorigine inflammatoire
comme dans celui de la sclérose en plaques.
Lorsqu’aucune lésion organique nest visible, les
souffrances sont qualifiées de dysfonctionnelles. C’est le
cas des migraines, de la fibromyalgie, caractérisée par une
douleur chronique diffuse, ou encore de la stomato dynie,
associée à une sensation de brûlure dans la bouche…
«Seuls 50 % des patients souffrant de douleurs neuro-
pathiques sont soulagés. Et en partie seulement, déclare
Radhouane Dallel *. Depuis au moins 20 ans, malgré
les nombreux espoirs suscités par des résultats promet-
teurs sur lanimal, aucune nouvelle molécule antalgique
na vu le jour!», insiste Alain Eschalier. Plus que jamais
donc, les recherches doivent continuer. Mais quelles
voies suivent-elles?
Optimiser
les molécules déjà connues
«À Neuro-Dol, nous avons une stratégie globale, souligne
Alain Eschalier. Celle de faire progresser l’innovation
pharmacologique.» En effet, la pharma copée millénaire,
comme la morphine, ou du XIXesiècle, comme laspi-
rine, peine à soulager certains syndromes, tels que la
fibromyalgie, les neuropathies. Le directeur de l’uni
prône ainsi la recherche translationnelle inverse: c’est
auprès du patient que les chercheurs doivent trouver
leur inspiration, afin dalimenter la recherche fonda-
mentale pour essayer de découvrir de nouvelles molé-
cules. Qui pourront ensuite retourner au lit du malade
pour le soulager. «Surtout, précise-t-il, si on veut créer
un nouvel antalgique, il est nécessaire de comprendre
comment fonctionnent ceux qui existent déjà, afin den
limiter les effets secondaires par exemple.»
À la tête de son équipe, dans le laboratoire qu’il dirige
à Clermont-Ferrand, Alain Eschalier sattache à mieux
comprendre le mécanisme daction du paracétamol,
molécule antalgique la plus vendue au monde, dont on
a longtemps considéré quelle agissait comme laspirine.
«Nous avons montré que le para cétamol a une action
“Depuis 20ans,
aucune nouvelle
moléculeantalgique
na vu le jour„
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26 26
Grand anGle








centrale, qu’il sagit dun pro-médicament: il doit dabord être
métabolisé par l’organisme pour avoir un effet antalgique.»
Ainsi, les recherches ont prouvé que le paracétamol est
transformé dans le foie en p-aminophénol. Cette molé-
cule, qui peut passer la barrière hémato-encéphalique -
contrairement au paracétamol - rejoint ensuite le cerveau
où elle se combine avec une autre pour former un acide
gras appelé AM404. Ce
dernier agit alors sur des
récepteurs TRPV1 situés
à la surface des neurones
et impliqués dans la
modulation de la douleur.
Par ailleurs, le composé
AM404 appartient à une
famille de molécules (les
lipoamino acides)
connues pour exercer
une activité antal-
gique en inhibant
les canaux calciques
Cav3.2, ce qui a été
confirmé, au sein de
Neuro-Dol, par une série dexpériences réalisées sur des
souris déficientes pour ces canaux. Les scientifiques ont
également mis en évidence que ces derniers interve-
naient en aval des récepteurs TRPV1. Il reste encore des
points à éclaircir, mais «nos résultats confirment l’intérêt
de bloquer ces récepteurs centraux pour renforcer leffet
antalgique», déclare Alain Eschalier. Une nouvelle cible
thérapeutique qui loccupe activement… La morphine est
aussi dans le collimateur de léquipe. En effet, malgré son
efficacité, elle saccompagne deffets indésirables (consti-
pation, nausée, vomissements, risque de dépendance…).
Alors que ces deux types d’effets dépendent du même
récepteur m, les chercheurs se sont intéressés à la protéine
TREK-1. Situé en aval du récepteur, ce canal inhibiteur
de l’activité neuro nale est connu pour être impliqué dans
la douleur. En supprimant l’expression de son gène chez
des souris, les chercheurs ont mon tré la réduction de
leffet antalgique. Cependant, les effets indésirables
“Pour créer un nouvel
antalgique, il faut
comprendre comment
fonctionnent ceux
qui existent„
L’unité Urgences
céphalées de
l’hôpital Lariboisière
à Paris prend en
charge les patients
souffrant de maux de
tête aigus.
Administration de
paracétamol à un rat
monoarthritique -
modèle de la douleur
inflammatoire - afin
d’en étudier l’effet
sur les variations
de sérotonine dans
la moelle épinière
www.institut-upsa-
douleur.org
8
©
INSERM/ PATRICK DELAPIERRE
©
INFOGRAPHIE : FRÉDÉRIQUE KOULIKOFF/INSERM D'APRÈS C. MALLET/UMR 1107 NEURO-DOL INSERM
©
FRANÇOIS GUÉNET/INSERM

NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2014 N° 22 27 27
Une fois ingéré (1), le paracétamol est transformé dans le foie (2)
en p-aminophénol. Celui-ci rejoint le cerveau (3) où il se combine à l’acide
arachidonique pour former la molécule FAAH, puis AM404. L’action de ce dernier
sur différents récepteurs (5) entraîne l’activation des voies sérotoninergiques
descendantes (6) et l’effet antalgique recherché. (7)
Mode d’action du paracétamol
Grand anGle
une susceptibilité à développer certaines douleurs. Une
piste prometteuse que suit le CIC pluri thématique de
Clermont-Ferrand, où Christian Dualé* a dirigé
lenquête EDONIS afin de connaître la prévalence
(L)
des douleurs neuro pathiques survenant à la suite d’une
intervention chirurgicale. Les douleurs chroniques
post-opératoires (DCPO) motivent en effet 15% des
consultations dans les structures spécialisées. Après
la lombo sciatique
(L)
, les DCPO représentent ainsi
la deuxième cause de douleurs neuro pathiques. Trois
et sixmois après une intervention, les 3 120 patients,
recrutés dans 40centres, étaient invités à remplir un
questionnaire renseignant
sur le niveau de leurs maux.
Premiers résultats: certaines
interventions sont plus pour-
voyeuses de souffrance. C’est
le cas de la thoraco tomie
(incision de la paroi du
thorax) dans 32,7% des cas
et de la mastectomie (abla-
tion du sein) dans 37,1%. Lobjectif secondairede
létude a permis d’identifier des facteurs de risque avant
et autour de l’inter vention chirurgicale. Premier dentre
eux: l’antécédent de neuropathie périphérique, liée ou
non à une chirurgie, comme le zona. «Il y aurait donc
une suscepti bilité individuelle à développer une douleur
neuropathique», conclut Christian Dualé.
Les études ont également montré que plus on diminuait
la douleur lors de l’intervention - par une meilleure
gestion de lanesthésie - moins il y avait de risque de
développer une chroni cisation de la douleur. Mais diffi-
cile de juger le niveau de souffrance d’un patient lorsqu’il
est inconscient! C’est pourquoi Régis Logier*,
Des outils pour
l’évaluation de la douleur
Depuis plus de 10 ans,
la loi relative aux droits
des malades et à la
qualité du système de
santé du 4 mars 2002
reconnaît le soulagement de la douleur comme un droit fondamental
de toute personne. Première étape : l’évaluer. Pour les nourrissons, les
professionnels de santé peuvent s’appuyer sur des grilles d’observation
du comportement (gémissement, immobilité, crispation )… À partir de
3-4 ans, les enfants peuvent indiquer leur niveau de douleur grâce à une
échelle des visages. Pour les adultes, l’échelle visuelle analogique est le
plus souvent utilisée. Surtout, avant d’envisager de soulager un patient
de sa souffrance, encore faut-il diagnostiquer correctement ce dont il
pâtit. C’est ainsi qu’en 2005, Didier Bouhassira publie dans la revue Pain
un questionnaire qui va rapidement connaître le succès. Son originalité ?
Permettre, à l’aide de 10 items répartis en 4 questions simples, de définir
si le patient est victime de douleurs neuropathiques. Les interrogations
portent sur la description de la sensation : fourmillements, picotements,
engourdissements, démangeaisons… Le score final, somme des points
associés à chaque réponse, permet de conclure à la présence ou l’absence
de douleurs neuropathiques. Au-delà de l’aide au diagnostic que permet
ce questionnaire, dit DN4, c’est également tout un pan de recherche qui
s’ouvre. « Car les termes choisis pour décrire les douleurs semblent indiquer
des mécanismes sous-jacents différents ! », souligne le chercheur.



L’échelle visuelle analogique (à gauche)
aide les patients à quantifier leur douleur.
Pour les enfants, les médecins ont recours
à l’échelle des visages (à droite). “Il y aurait
une susceptibilité
individuelle
à développer
une douleur
neuropathique„
LPrévalence
Nombre de cas
enregistrés à un temps T
LLombosciatique
Association de douleurs
lombaires et le long du
nerf sciatique
Christian Dualé : 


Régis Logier : 





©
INSERM/ PATRICE LATRON
©
AMÉLIE BENOIST /BSIP
©
VOISIN/PHANIE
étaient toujours présents. «Lactivation directe de ces
canaux pourrait donc conduire à une analgésie de type
morphine sans induire les effets indésirables liés à cette sorte
de médicament», conclut Alain Eschalier.
Identifier
les facteurs de risque
Une toute autre piste de recherche est également choisie
par certains. «Actuellement, pour soulager les patients, le
système se fonde plutôt sur la stratégie de l’échec, reconnaît
Radhouane Dallel, responsable de léquipe Douleur
trigéminale et migraine, au sein de Neuro-Dol. «On tente
une thérapeutique, si ça ne marche pas, on passe à une
autre, et ainsi de suite… La médecine personna lisée na pas
encore trouvé sa place dans le traitement de la douleur.»
Pour quelle le fasse, il faudrait identifier des marqueurs
capables de prédire une réponse à un médicament ou

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Grand anGle
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