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événement nouveau, chaque nouvelle civilisation, apporte sa pierre à l’édifice général sans
troubler fondamentalement le cours de l’histoire. Quelles que soient l’ampleur et la marque d’un
événement, il s’inscrit dans l’ordre normal de la rationalité historique. Auguste Comte par
exemple, estime que l’ordre et le progrès sont deux principes inséparables :
« Aucun grand progrès ne saurait effectivement s’accomplir, s’il ne tend finalement à l’évidente
consolidation de l’ordre » (Comte, Cours de Philosophie positive, 46è leçon).
Pour d’autres philosophes, l’histoire ou le progrès de l’humanité s’effectue par des mutations et
ruptures. Ces penseurs s’inspirent de l’idée de discontinuité en vogue chez les épistémologues
qui estiment que la science progresse par sauts et ruptures. Selon Lévi-Strauss, l’avancement de
l’histoire « n’est ni nécessaire ni continu ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient
les biologistes, par mutations » (Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, Editions Agora, Pocket,
1983, p. 46). A l’image du cavalier des échecs qui ne progresse jamais dans le même sens,
l’humanité progresse par des hauts et des bas.
Mais on peut aussi considérer que l’histoire évolue de manière continue malgré les discontinuités
apparentes qu’on observe. Sans doute la Seconde Guerre mondiale a tellement marqué les
peuples et a permis un changement profond de mentalité, au point où on dire qu’entre le monde
d’avant-guerre et celui de l’après-guerre il y a une rupture indéniable. Cependant on peut dire
que l’événement se succède dans un système de prolongement. On pourrait alors comparer
l’avancement de l’histoire à une marée montante.
2. La part du hasard
Quand on observe le spectacle de l’évolution de l’humanité, on est loin de penser vraiment que
l’histoire est le fait d’un déterminisme. Dans le même temps on est tenu de croire à l’idée que
l’ordre gouverne le processus historique. Si l’histoire est celle des hommes doués de raison, l’on
se saurait y voir l’expression du chaos. Apparaît alors la question du hasard, au sens où l’entend
le philosophe Cournot. Le hasard est défini ici comme la rencontre de séries causales
indépendantes, ainsi que l’écrit Cournot lui-même :
« Les événements amenés par la combinaison ou la rencontre de phénomènes qui appartiennent
à des séries indépendantes, dans l’ordre de la causalité, ce sont ce qu’on nomme des événements
fortuits ou résultats du hasard ». (Antoine Augustin Cournot, Exposition, § 40)
Ce qui arrive dans l’histoire est le fait de causes ou d’enchaînements de causes, tantôt
indépendantes, tantôt solidaires. Le hasard n’est pas donc l’expression de la limite de notre
intelligence. Le hasard existe réellement dans la nature. La prise en considération du hasard
comme élément objectif interdit d’attribuer une orientation déterminée au progrès historique.
Nous voici donc en mesure d’admettre que l’histoire avance de manière libre.
3. L’histoire progresse de manière libre
Le devenir historique n’est pas dicté par quelque principe. Chaque peuple, chaque période
construit son histoire particulière et contribue par le fait même au devenir de l’histoire
universelle. L’homme ne peut pas déterminer le cours de l’histoire dans la mesure où, les séries
causales qui déterminent les événements ne se croisent pas nécessairement. On ne peut donc pas
assigner quelque loi au progrès de l’histoire. Le progrès historique peut être comparé à la
progression d’un fleuve : tantôt, le fleuve traverse la montagne et les rochers, tantôt, il rencontre
des vallées sablonneuses constatant la baisse de son débit, tantôt, le fleuve reprend vie en