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d’imagination des scientifiques furent limitées. De même en biologie des efforts
d’imagination doivent être faits pour dépasser le concept Darwinien d’adaptation.
Remarquons qu’une question identique se pose en physique à propos de « F =
m.a » : s’agit-il d’un énoncé empirique, ou bien d’une simple définition de la notion de
force ? Pour Quine4 il s’agit d’un énoncé empirique, car pour lui une théorie des
forces teste ses lois source et conséquence ensemble : si un objet viole les
prédictions de la théorie il faut soit trouver une nouvelle source soit modifier
l’expression de la loi conséquence, et c’est par ce procédé empirique que nous
ajustons nos lois. Quine, après Duhem, remarque également que la testabilité d’une
hypothèse théorique requière également d’autres hypothèses. Par exemple pour voir
les conséquences observationnelles de la géométrie euclidienne il ne fait pas
s’arrêter à la géométrie, mais considérer des hypothèses physiques
supplémentaires. La proposition à tester ne peut être considérée seule : tous les
contextes théoriques pertinents doivent être pris en considération, et tant que ce
n’est pas fait on devrait selon Sober être prudent quant à l’affirmation du caractère
« à priori » de la proposition en question.
Dire que le plus adapté survit est certes une tautologie, mais l’objet réel de la théorie
est une probabilité : la théorie évolutionniste n’identifie pas l’adaptation d’un
organisme avec réel succès reproductif. Ainsi si la solubilité était probabiliste on
pourrait dire, sans y voir de tautologie, que le sucre se dissoudrait probablement si
on le plongeait dans l’eau. Enfin Sober distingue « expliquer pourquoi », et
« expliquer comment ». Par exemple l’énergie cinétique d’une gaz permet d’expliquer
ce que signifie pour ce gaz avoir la température T : mais cela n’explique pas
pourquoi le gaz a la température T au temps considéré. Il s’agit ici du rapport entre
une propriété dispositionnelle et sa base physique, que nous retrouverons à propos
de la notion d’adaptation, et de la notion de probabilité. Or la théorie évolutionniste
n’explique pas seulement les différentes adaptations des zèbres en fonction de la
structure de leur pattes, mais explique précisément comment la structure des pattes
induits des différences d’adaptation.
Considérant que c’est bien le flou de la théorie de l’évolution par rapport à la notion
de cause qui permet de voir la théorie de l’évolution comme une tautologie, Sober
propose pour éclaircir le paysage une « théorie des forces ».
La sélection comme une « théorie des forces »
Sober propose d’exposer la théorie comme une « théorie des forces », car selon lui
les distinctes théories évolutionnaires dépendent des types particuliers de forces
qu’on considère : il faudrait donc plutôt voir la théorie de l’évolution comme un
« type » de théorie (kind of theory, p.31), ce qui permet de comprendre la structure
de la théorie, voir comment différents modèles peuvent être réunis, et comment ces
modèles entrent en contact avec la réalité du monde vivant.
Pour établir une théorie des forces, il faut commencer par préciser l’évolution du
système soumis à aucune force. Puis en ajoutant les différentes forces auxquelles
peut être soumis le système on accroît la complexité, et le réalisme de la théorie. En
théorie de l’évolution la loi de Hardy-Weinberg5 de génétique des populations
4 Quine W. V. O., Two dogmas of empiricism. In from a Logical Point of View, Cambridge, Harvard university
Press, 1980, p.20-46. Référence citée par Sober p.72.
5 Supposons qu’on a deux allèles A et a sur un locus de deux chromosomes homologues. On obtient alors trois
génotypes diploïdes possibles : AA, aa, et Aa. Les deux premiers sont dits homozygotes, et leur dernier
hétérozygote. Lorsqu’un organisme produit des gamètes, les chromosomes, en règle générale, les chromosoment