FRÉQUENCE DU FACTEUR RHUMATOÏDE CHEZ LES SUJETS SOMBO M.F. ; DASSE S.R.

Rev. Int. Sc. Méd. Vol. 8, n°2, 2006, pp. 13-17
© EDUCI - 2006
FRÉQUENCE DU FACTEUR RHUMATOÏDE CHEZ LES SUJETS
SAINS VIVANT DANS UNE ZONE D'ENDÉMIE PALUSTRE
SOMBO M.F.1 ; DASSE S.R.2, AKRE D.P.3, N'GUESSAN K.4 SANGARE M.A.4
1- Professeur Titulaire d'Immunologie, Chef du Service d'Immunologie et Hématologie,
CHU de Cocody
2- Maître Assistant en Immunologie, Service d'Immunologie et Hématologie, CHU Cocody
3- Assistant Chef de Bioclinique, Service d'Immunologie et Hématologie, CHU Cocody
4- Interne des hôpitaux d'Abidjan.
Correspondance: Dr DASSE S.R., B.P. V 166 Abidjan
Laboratoire d'Immunologie, CHU Cocody, Côte d'Ivoire.
Tel : (225) 22 48 60 86 /(225) 08 98 44 68
RESUME
Le FR secrété dans certaines maladies auto immunes,
peut se retrouver dans certaines circonstances où il existe
une stimulation chronique du système immunitaire,
comme le cas du paludisme. Sa fixation par réaction croisée
sur une spécificité antigénique ou un complexe immun peut
influencer le résultat d'une réaction de diagnostic
immunologique.
Nous avons déterminé d'une part la fréquence de ce FR
et d'autre part l'influence de l'âge, le sexe et la densité
parasitaire à plasmodium falciparum sur la sécrétion du
FR pour une meilleure interprétation des résultats de ces
réactions de diagnostic
Chez 300 sujets des 2 sexes, âges de 3 à 67 ans,
apparemment sains et vivant constamment à Abidjan, nous
avons dosé le FR par la technique d'agglutination passive
(le HUMATEX RF®) et calculé l'odd ratio pour estimer le
risque relatif.
Le résultat a relevé que 7 % des sujets sont porteurs du
FR avec un risque multiplié par 2,61 chez la femme. L'enfant
de moins de 16 ans avec une forte densité parasitaire a un
fort risque de sécréter le FR.
L'interprétation des résultats de certains examens
immunologiques effectués dans ce type de population
devrait tenir compte de ces données en attendant de
démontrer l'effectivité de la perturbation de la réaction
antigène/anticorps par le FR.
MOTS-CLÉS : FACTEUR RHUMATOÏDE, SUJETS SAINS, ZONE D'ENDÉMIE
PALUSTRE, FACTEURS DE RISQUE
SUMMARY
The rheumatoid factor (RF) is able to brink about a cross
reaction settling down on an antigen or an immune complex. In
this first part of our study, we both defined the frequency of this
auto antibody and investigated the influence of the age, the sex
and the density of the parasitemia on the secretion of the RF to
show a better interpretation of some immunologycal assays.
In 300 healthy persons living in malaria endemic area, of the
two sexes and aged from 3 to 67 years, we measured by
agglutination HUMATEX RF®, the rheumatoid factor and
determine the relative risk by the odd ratio.
7% carried this auto antibody. Else where the result established
that RF is associated with the sex showing a high risk in female's
(O.R = 2.61). The age-related RF showed a high exposure of children
inferior to sixteen years old and carrier of high parasitemia.
KEY WORDS : RHUMATOID FACTOR, HEALTHY PERSONS, MALARIA ENDEMIC
AREA, RISK FACTOR
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SOMBO M.F. ; DASSE S.R., AKRE D.P., N'GUESSAN K. SANGARE M.A.
INTRODUCTION
Le facteur rhumatoïde (FR) est un ensemble
d'auto-anticorps qui réagissent avec les
immunoglobulines du patient lui-même, donc
appartenant au soi. S'il est souvent une IgM anti
IgG, le FR peut parfois être d'un autre isotype ;
Il caractérise habituellement des maladies auto
immunes18. Cependant, cet auto anticorps peut
être retrouvé chez le sujet âgé11, chez le sujet
sain rarement après stimulation par des
activateurs polyclonaux1. Il peut aussi être
associé aux infections5,6,7,15, en particulier le
paludisme où le parasite développe un arsenal
important de mécanismes d'évasion au système
immunitaire de l'hôte1.
Par ces mécanismes, on assiste à une
génération d'auto-anticorps5. Et comme tout
anticorps, le FR peut rencontrer dans l'organisme
une spécificité antigénique. Il pourra ainsi se
fixer à un antigène par réaction croisée ou à un
complexe immuno déjà formé. Il est alors
susceptible de gêner les réactions de diagnostic
à principe immunologique (réaction Antigène-
Anticorps) dont le résultat pourra être
faussement positif ou faussement négatif14. La
stimulation chronique du système immunitaire
par le plasmodium présent constamment dans
l'organisme des sujets vivant en zone d'endémie
palustre, pourrait jouer une part importante dans
la modification des valeurs des tests im-
munologiques par le biais des auto anticorps dont
le FR.
C'est pourquoi dans la présente étude, nous
évaluons non seulement la prévalence, mais
aussi, l'influence de quelques facteurs de risque
de sécrétion de ce facteur dans la population
vivant en zone d'endémie palustre.
I- MATERIEL ET METHODES.
Dans cette étude prospective transversale
descriptive et analytique, nous avons sélectionné
les sujets apparemment sains à partir d'un
interrogatoire, d'un examen clinique et para
clinique (hémogramme, CRP) afin d'éliminer
d'éventuels facteurs connus, qui sont sus-
ceptibles d'influencer la sécrétion du FR : ce sont
l'infection et/ou l'inflammation évolutives
(parasitaire, bactérienne ou virale; maladie auto-
immune, maladie tumorale).
Au total, 300 sujets en bonne santé apparente,
quelque soit la race ont été enrôlés; ils étaient
âgés de 3 à 67 ans, sans traitement particulier
en cours, et n'ayant présenté dans les six à huit
mois précédent ni infection ni inflammation; ce
délai est nécessaire à la disparition des anti-
corps spécifiques d'une souche plasmodiale après
guérison d'un accès causé par cette souche de
falciparum. Nous avons effectué une goutte
épaisse pour déterminer la densité parasitaire
de chaque individu asymptomatique.
Chez tous ces sujets répartis selon le sexe
(120 de sexe féminin contre 180 de sexe
masculin), l'âge (les tranches d'âge identifiées
sont : de 3 à 15 ans ; 16 à 45 ans ; 46 à 67 ans), et
vivant en Côte d'Ivoire depuis au moins un an,
nous avons recherché et dosé (par dilution limite)
le FR par technique d'agglutination passive (test
au latex des laboratoires HUMAN: Humatex RF®).
Nous avons ensuite étudié l'influence de l'âge,
le sexe et la densité parasitaire sur la production
du facteur rhumatoïde par le calcul de l'odd ratio
afin d'estimer le risque relatif. L'évolution entre
les facteurs de risque a été étudiée par le calcul
du coefficient de corrélation (r).
II- RESULTATS
Les résultats du pourcentage du facteur
rhumatoïde indépendamment de l'âge et du sexe
des sujets sont présentés dans le tableau n° I.
Tableau n° I : Répartition globale des résultats
du dépistage du FR
Globalement 7% de nos patients portent le
facteur rhumatoïde
L'influence du facteur de risque "sexe" est
évaluée dans le tableau n° II par le calcul de
l'odd ratio.
Tableau n° II : Répartition des résultats du FR
en fonction du sexe
OR = 2,61
Les femmes présentent 2,61 fois de risque de
sécréter le facteur rhumatoïde.
Résultats Effectifs (n) Pourcentage (%)
Positifs 21 7
Négatifs 279 93
Total 300 100
Résultat Sexe Effectifs (n) Pourcentage (%)
par résultat
Positifs Femmes 13 61,90
Hommes 839,10
Négatifs Femmes 107 38,35
Hommes 172 61,65
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Fréquence du facteur rhumatoïde chez les sujets sains vivant dans une zone d'endémie palustre
La distribution de la fréquence du facteur
rhumatoïde selon les tranches d'âge est
représentée dans le tableau n°III.
Tableau n°III : Répartition du résultat positif du
FR en fonction des tranches d'âge
47,61% des sujets porteurs du facteur
rhumatoïde sont les enfants de 3 à 15 ans.
L'étude de la relation entre la densité des
parasites et la quantité du facteur rhumatoïde
(déterminée en titre de dilution) est illustrée par
la figure 1.
r = 0.89
L'Intervalle de confiance à 95% est : -0.54 à 0.91
L'augmentation du titre du facteur
rhumatoïde se fait proportionnellement à celle
de la densité parasitaire
III- DISCUSSION
Au terme de cette étude, nous avons noté que
le FR a été positif chez 21 sujets sur un total de
300. Ce qui représente 7% de la population
étudiée. Cette proportion se rapproche des
chiffres rapportés par SANY et coll. qui notent
dans la littérature que la prévalence du FR chez
le sujet présumé sain est comprise entre 1 et
5 % en dehors de toute stimulation chronique17.
Cette légère augmentation de la fréquence
rapportée dans notre étude pourrait bien
confirmer l'existence de facteurs influençant la
synthèse du FR, parmi lesquels on peut citer les
parasites et particulièrement le plasmodium5,6.
C'est pourquoi, bien que supérieure à celle
rapportée par SANY, cette fréquence de 7% nous
paraît relativement basse. En effet, nos sujets
bien que cliniquement sains, peuvent être
considérés comme étant sous stimulation
chronique car vivant constamment en zone
d'endémie palustre. Cette parasitose serait
associée dans au moins 12% des cas au FR5. Ceci
est largement supérieur à notre résultat. Dans
ces conditions on peut évoquer l'hypothèse que
le plasmodium active la synthèse d'auto
anticorps17 tels que le FR, et que cette activation
serait d'autant plus importante que la densité
parasitaire augmente comme cela est montré
par la forte corrélation positive à travers la figure
3 (r = 0.89, IC = -0.54 à 0.91). On peut aussi
comprendre que cette prévalence soit rela-
tivement faible malgré la présence du parasite,
car environ de 30% de nos sujets ont une forte
densité parasitaire.
A côté de la parasitémie, nous avons étudié
l'influence du sexe et de l'âge sur la présence du
FR. L'analyse des résultats montre que des 7%
des sujets positifs pour cet auto anticorps, les
femmes représentent un peu plus de 60% avec
un odd ratio (OR) évalué à 2,61. Autrement dit,
le risque de sécréter le FR est multiplié par 2,61
chez la femme en zone d'endémie palustre. Ceci
corrobore les résultats de SANY et coll. qui ont
trouvé que 3 femmes contre 1 homme sécrètent
le FR17. Selon RIBEIRO et coll., l'imprégnation
hormonale pourrait jouer un rôle dans cette
activation16. Les résultats de BONFA et coll.
relèvent par contre que l'homme secrète deux
fois plus de facteur rhumatoïde que la femme
dans les conditions de stimulation chronique par
le plasmodium, mais aussi par le bacille de
Hansen5. Ces dernières conclusions différentes
des nôtres pourraient s'expliquer par non
seulement la présence du bacille de Hansen,
décrit comme activateur d'auto anticorps15, mais
aussi le sex. ratio de 2 en faveur du sexe
masculin dans cette population.
Quant à l'âge, il est constaté que globalement
(tableau n°III) les sujets dont l'âge se situe dans
la tranche de 3 à 15 ans (enfants) sécrètent
beaucoup plus le FR que les adolescents et les
adultes. En effet l'évolution clinique du paludisme
dépend entre autres facteurs du statut
immunitaire dont la maturité est fonction de
l'âge de l'hôte. Les études épidémiologiques ont
montré une plus forte morbidité et mortalité
infantile par rapport à l'adulte3.
Pour expliquer ce phénomène, plusieurs
études expérimentales ont été menées. On a pu
Age Effectifs
(n) Pourcentage
(%)
3 à 15 ans (Enfant) 10 47,61
16 à 45 ans (Jeune) 628,58
> 45 ans (Adulte) 523,81
Total 21 100
Figure 1: Evolution du titre du facteur rhumatoïde en
fonction de la parasitémie chez les 21 personnes
0
50
100
150
200
250
300
01000 2000 3000 4000
Parasitémie (nombre de parasites/ml)
Titre des FR
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ainsi montré que l'immunité protectrice vis à
vis du paludisme se développe plus vite chez
l'adulte que chez l'enfant2.
Par la suite, les études dans le paludisme
expérimental ont montré le rôle des réponses
cellulaires dans le contrôle de l'infection. Chez
la souris, le rôle des cellules TCD4+, TCD8+, B,
NK a été montré par plusieurs équipes12.
Chez le rat, si on sait depuis longtemps que
l'adulte résiste plus à l'infestation par
Plasmodium berghei que le jeune rat, c'est
ESTELLE ADAM13 qui a étudié comment la dys-
régulation immunitaire dépendant de l'âge peut
influencer l'issue de l'infestation à plasmodium.
Elle a démontré que :
- les jeunes rats sont plus susceptibles (ils
succombent à l'infestation par P. berghei que les
adultes résistants (qui par conséquent se
débarrassent de leurs parasites.) ;
- le transfert des cellules spléniques
(provenant de l'adulte résistant) aux jeunes rats
susceptibles confère à ces derniers un phénotype
résistant et montre le rôle crucial des
mécanismes cellulaires dans le contrôle de
l'infestation à plasmodium berghei ;
- l'étude de l'immunité cellulaire et des
cytokines pendant l'infection révèle une
augmentation des cellules TCD4+CD25+ et de
l'IL-10 chez le jeune rat susceptible, alors que
chez l'adulte résistant on a une augmentation
des TCD8+ et des NK.
A l'analyse de ces données, il semble
contradictoire que chez l'enfant, le titre du facteur
rhumatoïde soit beaucoup plus élevé que chez
l'adulte. En effet les cellules Tr (T régulatrice)
CD4+CD25+ sont reconnues productrices de TGFß
et d'IL-10. Par ces cytokines, ces cellules exercent
un effet suppresseur sur la réponse immune par
des mécanismes de contrôle des lymphocytes T
auto réactifs. Cette immuno suppression des Tr
renforce les autres mécanismes de contrôle de
l'auto immunité tels que l'effet d'ignorance des
auto antigènes (dû à la barrière hémo méningée),
la délétion clonale suivie de l'apoptose des cellules
T auto réactives induite par des récepteurs de
mort (CD95L, TRAIL, TNFR) et l'inhibition dûe à
l'arrêt de l'activation par CTLA-4 (CD152). Ce sont
ces mécanismes qui protègent en partie toute
personne dans les conditions normales contre
les développements des pathologies auto
immunes. La faiblesse de ces mécanismes chez
le sujet âgé l'expose à ces diverses pathologies11.
Cependant, la présence et le titre élevé du
FR chez les enfants pourrait être liée à deux
raisons : d'abord, un syndrome de splénomégalie
tropicale a été observé chez la plupart des enfants
de notre série. Sans donner d'explication, Crane
et coll. ont noté la présence du FR dans le pool
d'anticorps anti malaria chez des populations de
la Papouasie Nouvelle Guinée présentant un
syndrome de splénomégalie tropicale8.
Ensuite, la deuxième raison qui est la plus
importante est que la population positive pour le
FR est essentiellement composée d'enfants de
moins de 20 ans qui par ailleurs sont les sujets
chez qui la parasitémie est élevée. Il est rapporté
qu'en zone d'hyperendémie palustre, on peut
observer fréquemment de fortes parasitémies
chez des enfants asymptomatiques4. Alors que
l'adulte contrôle sa parasitémie grâce aux
lymphocytes T CD8 et les cellules NK13,12
impliquées dans le processus de cytotoxicité, le
système de défense cellulaire contre le plasmodium
de l'enfant est dominé par les T régulateurs
TCD4+CD25+ qui exercent une suppression13. La
lyse parasitaire est alors faible mais suffisante pour
induire une réponse humorale qui s'installera
progressivement et renforcera la prémunition
observée chez le sujet vivant constamment en zone
d'endémie. C'est à cette phase de stimulation
chronique par les antigènes parasitaires que la
régulation semble débordée et on assiste à la mise
place du réseau idiotype/anti idiotype. C'est dans
ce réseau que sont générés certains anti idiotypes
qui portent la caractéristique d'auto anticorps
comme le FR10. Ceci explique la corrélation
positive entre la densité parasitaire et le titre du
facteur rhumatoïde (r = 0.89; figure 1) observée
dans cette étude. Autrement dit on observe que
le titre du facteur rhumatoïde augmente
proportionnellement à la densité des parasites
dans l'organisme.
CONCLUSION
Cette étude transversale portant sur 300 sujets
nous a permis de noter que 7% de la population
apparemment saine et vivant constamment en
zone d'endémie palustre portent le facteur
rhumatoïde. La femme a 2 fois plus de risque que
l'homme. De même, l'enfant jusqu'à 15 ans,
semble d'autant plus exposé à sécréter le FR qu'il
héberge une forte densité parasitaire.
L'interprétation des résultats de la recherche
du facteur rhumatoïde en zone d'endémie
palustre devrait tenir compte de ces résultats.
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