Cette même nécessité de l’ascension vers le grenier revient à la fin de la séquence VI :
Ozgur : C’était lui ?
Salomé : Qui lui ?
Ozgur : Le fantôme qui ne nous parle pas.
Salomé : Je… Je ne sais pas… peut-être…Peut-être, oui…
Ozgur : Il faut filer ;
Salomé : Ils nous bloquent le chemin du retour… Nous devons monter… Aller plus loin…
Ozgur : Monter ?
Salomé : Oui, regarde, l’échelle.
Ozgur : L’échelle, oui, prenons l’échelle. Là-haut, nous serons sauvés.
(VI – Couloirs et corridors)
Des temporalités différentes
Le texte de Lancelot Hamelin mêle les époques et tisse ainsi un espace temporel composé de plusieurs strates dont
chacune se fait l’écho de l’histoire et de la mémoire du génocide arménien.
- Il y a d’abord le temps des témoins directs du génocide : Haïk et le docteur Dahkanavar
Haïk et sa voix de fantôme :
« Nous avons dû quitter la maison, et nous avons emporté le maximum de choses dans la charrette. Nous ne savions
pas pourquoi il fallait partir.
[…]
On nous a dit qu’il fallait aller jusqu’à Deir ez-Zor, dans le désert, en Syrie : là-bas, il y avait un camp pour nous.
Mon père m’a montré sur une carte, c’était si loin, il faudrait une année pour y arriver à pieds. »
(V – La chambre du vieux Dakhanavar)
Haïk, encore, et sa lettre qui révèle le secret du lien qui unit Salomé et Ozgur. Haïk, l’arrière grand-père de Salomé
avait une petite sœur qui a été enlevée, dans le camp de Deir-ez-Zor, à sa mère par un officier turc, et « élevée
comme une autre, dans la culture d’un autre peuple. ». Elle est l’arrière grand-mère d’Ozgur.
Le docteur Dakhanavar, quant à lui, est, comme le dit Haïk dans la lettre qu’il adresse à l’oncle d’Ozgur, « la
mémoire de notre peuple et il connaît votre histoire, l’histoire que vous ignorez ». Il est le conservateur d’une
mémoire endormie, anesthésiée, gommée « Un jour la justice sera rendue et nous pourrons oublier ».
- Plus proches temporellement, les mères respectives de Salomé et d’Ozgur, accouchées toutes deux par le
docteur Dakhanavar et l’oncle d’Ozgur qui ne veut entendre parler ni du génocide ni de la vérité concernant sa
grand-mère.
- Salomé et Ozgur, enfants de 11 ans, porteurs de l’histoire de leur peuple et traversés l’un et l’autre par l’appel
de la mémoire du génocide.
[Dans la séquence V, Salomé et Ozgur découvrent dans la chambre du docteur des photos des massacres perpétrés durant le
génocide ]
Ozgur : J’ai mal pour eux, je te le dis. On les a tués.
Salomé : On les a tués. Mon arrière grand-mère m’a dit qui les a tués.
Ozgur : Mon oncle dit : il n’y a aucune preuve. Mon oncle dit…
Salomé sert Ozgur contre elle.
Salomé : Ne dis rien, ça va, ne dis rien. Tout va bien. Ce sont des photographies. Partons.
- Enfin, Salomé et Ozgur, adultes : elle est devenue conteuse et lui photographe.
L’imaginaire, le conte pour aborder la réalité des faits
A deux reprises, Lancelot Hamelin s’empare de récits traditionnels arméniens que Salomé raconte à Ozgur :
l’histoire de la goutte de miel et l’histoire du Dakhavanar, un vampire, vaincu par la fraternité et la ruse de deux
enfants.