L’ Quand le tube s’enfile, ça file au bloc ! I M

* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nancy.
Quand le tube s’enfile, ça file au bloc !
E. Bardou-Jacquet, M.A. Bigard*
L’
invagination intestinale aiguë est une pathologie clas-
sique chez l’enfant ; sa symptomatologie est franche
et le traitement médical efficace et suffisant.
Chez l’adulte, dans les pays développés, c’est une pathologie beau-
coup plus rare, dont la symptomatologie, très variable et souvent
peu parlante, en rend le diagnostic difficile ; on retrouve une lésion
organique comme point de départ dans la grande majorité des cas,
fréquemment tumorale. Le traitement en est donc radicalement
différent, avec une indication chirurgicale formelle.
CAS CLINIQUE 1
Un patient de 48 ans, sans antécédent, se plaignait de douleurs
abdominales atypiques. Ces douleurs évoluaient depuis 2 mois et
étaient parfois associées à des épisodes de rectorragies ou de vomis-
sements ; elles étaient spontanément résolutives et plutôt à type de
spasme. L’examen clinique était peu contributif et le bilan biolo-
gique ne montrait aucune anomalie.
Un premier scanner abdominal posait le diagnostic d’invagination
intestinale sur lésion polypoïde iléale. Le patient était réticent à
un traitement chirurgical et venait dans notre service pour envisa-
ger une résection endoscopique.
Un nouveau scanner abdominal, réalisé en dehors d’un épisode dou-
loureux, mettait en évidence une lésion pédiculée de 37 x 27 mm,
d’allure fibreuse, située dans la dernière anse iléale (figure 1). Il
n’existait alors pas de signe d’occlusion ou d’invagination. En rai-
son de la taille et de la localisation de la lésion, une résection endo-
scopique n’était pas réalisable. L’indication chirurgicale était donc
de nouveau posée, mais, devant la symptomatologie intermittente,
le patient repoussait la chirurgie. Une semaine avant la date finale-
ment arrêtée de l’intervention, le patient était admis en urgence pour
syndrome douloureux aigu. Le scanner mettait alors en évidence
une invagination iléocæcale remontant sur une quinzaine de centi-
mètres dans le côlon droit, sans signe d’occlusion ou de souffrance
digestive (figure 2).
Le patient bénéficiait alors d’une intervention en urgence qui, après
une réduction difficile, montrait une bonne revitalisation du segment
digestif et permettait une exérèse large du polype. Les suites du
geste étaient simples, l’examen anatomopathologique montrait un
polype infarci de nature fibreuse. Avec six mois de recul, le patient
ne présente aucune récidive.
Figure 1. Scanner abdominopelvien (entéroscanner), sans (figure 1a),
puis avec (figure 1b) injection de produit de contraste.
Lésion pédiculée d’allure fibreuse de l’iléon située à environ 20 cm de la
valvule de Bauhin, mesurant 37 mm de grand axe x27 mm de diamètre
(tête de flèche).
1a
1b
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La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VIII - mai-juin 2005
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CAS CLINIQUE 2
Une patiente de 37 ans, sans antécédent, se plaignait de malaises
à répétition avec pertes de connaissance. Initialement étiquetés “épi-
lepsie”, les malaises faisaient l’objet d’un bilan neurologique, qui
était négatif. Il était finalement établi que les malaises débutaient
toujours par de violentes douleurs abdominales. Une échographie,
réalisée peu de temps après un épisode douloureux, retrouvait une
image typique d’invagination du grêle (figure 3). Cette dernière
était confirmée par un scanner, mais il n’était pas mis en évidence de
lésion en cause. Un transit du grêle et une entéro-IRM, réalisés
dans un but étiologique, étaient tous deux négatifs. La patiente béné-
ficiait alors d’une entéroscopie avec exploration des trois premières
anses grêles qui ne retrouvait pas de lésion, mais notait un aspect dis-
tendu du segment exploré. L’indication d’une exploration chirur-
gicale était donc posée. Il était alors mis en évidence de multiples
adénopathies inflammatoires, ainsi qu’une tumeur plane de 5 x 3 cm ;
une résection de 8 cm était alors réalisée, puis une anastomose
termino-terminale. Les suites opératoires étaient simples. L’examen
anatomopathologique de la pièce montrait un adénome tubulo-
villeux dysplasique avec foyers correspondant à un adénocarcinome
infiltrant le chorion muqueux sans extension à la musculaire
muqueuse (PT1 N0 M0). Les suites sont favorables avec un recul
de quatre ans.
COMMENTAIRE
L’invagination intestinale est rare chez l’adulte : les différentes séries
rétrospectives montrent une incidence de 1 à 2 cas par an et par
structure (1-4),représentant 1 à 5 % des cas d’occlusion chez
l’adulte. Il n’y a pas de prédominance en fonction du sexe ou de
l’âge. Une plus grande fréquence est décrite dans les pays en voie
de développement, qui est rattachée à la fréquence de la diarrhée
dans ces zones.
On distingue classiquement les invaginations en deux groupes selon
leur point de départ : d’une part, les invaginations grêles avec les
lésions du grêle et de la valvule de Bauhin, et, d’autre part, les inva-
ginations coliques avec les lésions coliques.
La clinique est extrêmement variable, tant dans la durée que dans la
symptomatologie. Les symptômes durent parfois depuis plusieurs
mois, voire plusieurs années, comme dans le cas clinique n° 1,
tandis que d’autres patients sont admis en urgence pour des symp-
tômes apparus quelques heures plus tôt (1, 2).
Les signes cliniques sont très divers, et le syndrome occlusif n’est
pas toujours franc. Les signes le plus fréquemment retrouvés sont
des douleurs abdominales à type de crampe (80 % des cas) et des
nausées avec parfois des vomissements (20-80 %) (2, 3). On
retrouve moins fréquemment une diarrhée, une constipation, une
fièvre, une perte de poids, des rectorragies ou du mélæna et une masse
abdominale. Le point de départ abdominal est parfois plus difficile
à retrouver, comme dans le cas clinique n° 2,avec des pertes de
connaissance à répétition. Certains retrouvent une plus grande fré-
quence de l’hémorragie digestive basse dans les invaginations co-
liques, et une plus grande fréquence des nausées, des vomissements
et des douleurs abdominales dans les invaginations grêles (2).
Figure 2. Scanner abdominopelvien, avec injection de produit de contraste (figures 2a et 2b) et reconstruc-
tion axiale (figure 2c).
Invagination intestinale aiguë iléocolique, avec œdème sous-muqueux colique sans signe de souffrance parié-
tale digestive.
Paroi colique œdémateuse (tête de flèche noire). Iléon invaginé (flèche noire). Mésentère invaginé (tête de
flèche blanche).
Figure 3. Échographie abdominale : image en cocarde d’invagination
iléale. Segment d’amont invaginé (tête de flèche noire) dans le segment
d’aval (flèche blanche).
2a 2b
2c
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Sur le plan paraclinique, le scanner et l’échographie sont les exa-
mens de choix. L’abdomen sans préparation est peu utile au dia-
gnostic mais permet d’évaluer le degré d’obstruction et de détec-
ter des signes de complications tels qu’un pneumopéritoine ou
une pneumatose (5). Les radiographies standard avec produit de
contraste ne sont plus utilisées.
L’échographie a l’avantage d’être facilement disponible, rapide,
non irradiante, et permet une visualisation en temps réel ; mais elle
est opérateur-dépendante, les gaz digestifs peuvent empêcher l’exa-
men et l’étiologie sous-jacente est rarement mise en évidence. On
retrouve classiquement un aspect en cible transversalement et en
couches successives longitudinalement. Le cercle ou couche
externe, hypoéchogène, correspond aux parois œdématiées du
segment d’aval, et la partie interne, hyperéchogène, au segment
d’amont invaginé (5).
Le scanner est devenu l’examen le plus souvent réalisé, après les
clichés standard, dans le cadre de douleurs abdominales. L’aspect
caractéristique retrouve une masse, ronde ou ovalaire selon l’angle
de coupe, représentant un segment de tube digestif épaissi, qui cor-
respond aux deux segments invaginés avec une densité graisseuse
plus ou moins centrale correspondant au mésentère avec une éven-
tuelle prise de contraste des vaisseaux. Un aspect en cible ou en
couche est fréquemment visible en cas d’œdème des parois ou de
liquide présent entre les parois du segment d’aval et du segment
invaginé. Le scanner permet de mieux estimer la souffrance vascu-
laire du tube digestif et permet aussi d’orienter, de manière indirecte,
vers une cause maligne en présence d’adénopathies ou d’autres
localisations suspectes. L’étiologie sous-jacente est difficile à
identifier ; seuls les lipomes sont plus fréquemment mis en
évidence (5).
La préférence entre échographie et scanner varie selon les équipes,
avec une certaine tendance en faveur du scanner (2, 3). Malgré ces
techniques, le diagnostic préopératoire n’est posé que dans 32 (2)
à 40 % (3) des cas ; le plus souvent, le diagnostic se fait en per-
opératoire. Une série récente sur un petit nombre de cas montrait
une amélioration, avec un diagnostic préopératoire dans 80 % des
cas (4).
L’importance majeure du diagnostic vient de l’étiologie. Contrai-
rement à ce qui est observé chez l’enfant, on retrouve une lésion sous-
jacente dans 90 % des cas (2, 3),néoplasique dans 50 % des cas (3, 4).
La nature des lésions varie en fonction de la localisation.
Les invaginations du grêle représentent 70 à 80 % des invagina-
tions (2, 3, 5). La cause en est néoplasique dans 45 à 48 % des cas
(2,3),avec, par ordre approximatif de fréquence : métastase de méla-
nome, de cancer pulmonaire, de cancer rénal, lymphome, sarcome
et adénocarcinome primitif. Les causes bénignes sont dominées
par les adhérences postopératoires. Viennent ensuite les diverti-
cules de Meckel, puis les causes plus rares : lipome, Peutz-Jeghers,
hamartome, neurofibrome, polype fibreux inflammatoire et les
états pathologiques tels que la sclérodermie, le purpura rhumatoïde
ou la maladie cœliaque. L’invagination n’est idiopathique que dans
2% (2) à 16 % des cas (5).
La fréquence des lésions néoplasiques dans les invaginations
coliques est encore plus importante, allant de 43 % (2) à 80 % (3).
L’adénocarcinome primitif est de loin le plus fréquent ; des cas
de léiomyosarcomes et de métastases ont été rapportés. Les lésions
bénignes sont essentiellement des lipomes, des polypes adénoma-
teux et des hyperplasies lymphoïdes.
L’existence d’une lésion sous-jacente dans 90 % des cas contre-
indique la simple réduction hydrostatique ; l’indication chirurgicale
est formelle, dans un but thérapeutique, mais aussi étiologique.
Dans le cadre d’une invagination colique, une résection carcino-
logique, sans réduction de l’invagination, est indiquée, sauf si une
lésion bénigne a pu être diagnostiquée en préopératoire avec certi-
tude (1-4). Dans le cadre d’une invagination grêle, si les examens
complémentaires n’ont pas permis de diagnostic étiologique, le
contexte (antécédents de laparotomie, anastomoses sur l’intestin
grêle, maladie systémique) et les constatations peropératoires (via-
bilité du tube digestif après réduction, examen extemporané de la
lésion) guident la résection chirurgicale (1-4). Quelle que soit l’étio-
logie, le traitement chirurgical permet d’éviter une récidive. On
peut, de plus, dans certains cas, tel le cas clinique n° 2,amé-
liorer considérablement le pronostic à long terme d’une pathologie
néoplasique.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Begos DG, Sandor A, Modlin IM. The diagnosis and management of adult
intussusception. Am J Surg 1997;173:88-94.
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tional review. J Am Coll Surg 1999;188:390-5.
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gination in adults: preoperative diagnosis and management. Int J Colorectal Dis
2004;19:68-72.
5. Huang BY, Warshauer DM. Adult intussusception: diagnosis and clinical
relevance. Radiol Clin North Am 2003;41:1137-51.
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