10 ANS Bioéthique, relation médecin-malade INTERVIEW

234 | La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008
10 ANS
INTERVIEW
Pr Olivier Jonquet - Hôpital Gui-de-Chauliac, CHU de Montpellier
Bioéthique,
relation médecin-malade
De la loi Huriet-Sérusclat
à la loi Léonetti
En 1988, la loi Huriet-Sérusclat (1) a permis de
définir un cadre précis pour la recherche clinique en
France et, depuis cette date, les essais thérapeuti-
ques obéissent à des règles définies par cette loi.
Si la loi ne relève pas le médecin de ses obligations
déontologiques et juridiques, elle impose d’obtenir
l’avis d’un comité consultatif de protection des
personnes et de fournir au patient une information
particulièrement détaillée sur le traitement qu’il va
recevoir. Cette réflexion s’est affinée avec la révision,
en 2004, des premières lois sur la bioéthique de
1994 (2) au bénéfice de la protection des personnes
et de l’encouragement de la recherche clinique. Ces
textes sont en effet à l’origine de la création de
l’Agence de la biomédecine, agence sanitaire de
l’État qui reprend les missions de l’Établissement
français des greffes, mais assure également des
missions d’évaluation, de suivi et de contrôle dans
les domaines de la procréation, de l’embryologie
et de la génétique humaine. Cette loi a modifié
le code de la santé publique en matière de greffe,
notamment en associant tous les établissements
de santé à l’activité de recensement et de prélè-
vement, par l’intermédiaire des réseaux. Depuis
Ces dernières années ont été marquées par la promulgation de plusieurs lois visant à
définir le cadre des essais thérapeutiques et à mieux protéger les personnes tout en
encourageant la recherche clinique. Avec la loi Kouchner de 2002 puis la loi Léonetti
en 2005, ce sont la volonté du patient et le respect des droits du malade – y compris
en fin de vie qui ont été successivement abordés, les médecins disposant désormais
de procédures très précises à suivre dans leur pratique quotidienne. La législation
future devra faire une place importante, voire essentielle, à l'éducation du patient et
à sa responsabilité vis-à-vis de la société.
Ce qu’il faut retenir de ces 10 dernières années
2004, plusieurs décrets, lettres ou circulaires se
sont succédé et il est intéressant de remarquer à ce
sujet l’évolution de la pédagogie du don d’organe
au sein de notre société : la loi a élargi le cercle aux
donneurs vivants mais précise que l’autorisation de
prélèvement, à l’exception des pères et mères, doit
être délivrée par un comité d’experts. Concernant
l’assistance médicale à la procréation, des questions
restent posées quant au diagnostic préimplanta-
toire dans des familles où il existe des antécédents
de maladies génétiques : l’implantation des seuls
embryons “sains” flirte avec l’eugénisme. Cela pose
naturellement aussi la question de la place de la
personne handicapée dans notre société, avec le
regard porté, par exemple, sur la personne myopathe
sous ventilation en pneumologie. Certes, le droit à
la différence existe, mais qu’en est-il quand cette
différence est d’ordre génétique et que la sélection
se fait au laboratoire ? Que penser des implications
sur le plan sociétal et financier ?
La loi du 4 mars 2002, ou Loi Kouchner
(3), est
quant à elle une loi “fleuve” dont il faut retenir deux
éléments principaux : d’une part le primat de la
volonté du patient, qui doit adhérer à son traitement
– mais peut aussi le refuser –, et d’autre part la notion
de personne de confiance lorsque le malade nest pas
en état d’exprimer son consentement. Cette personne
de référence désignée auparavant par le malade peut
ici aider le médecin dans les prises de décision.
Enfin, en 2005, la loi Léonetti
(4), en intervenant
sur un sujet sensible notamment du fait de l’évolu-
tion des mœurs a permis de préciser les droits du
malade en fin de vie. C’est une loi très pédagogique,
qui a éclairci les conditions de limitation ou d’arrêt
du traitement de suppléance (ventilation, dialyse,
chimiothérapie, etc.) en acceptant le fait que les
personnes peuvent refuser un traitement. Cette
loi précise la notion d’obstination déraisonnable
présente dans le code de déontologie médicale de
1995 : l’objectif est d’autoriser la suspension d’un
traitement ou de ne pas l’entreprendre si les résul-
tats escomptés sont inopportuns, disproportionnés
ou se limitent à permettre la survie artificielle du
malade. Cela ne peut cependant se faire que dans
le cadre d’une procédure qui respecte plusieurs
La Lettre du Pneumologue Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 235
étapes obligatoirement notifiées dans le dossier
médical : information la plus complète du patient
s’il est conscient ou d’un tiers (famille, entourage,
personne de confiance) s’il ne l’est plus, collégia-
lité au sein de l’équipe médicale, avec une décision
qui reste avant tout médicale dans les cas difficiles
afin de ne pas faire porter à la famille le poids des
décisions. L’ensemble de ces éléments a permis de
soulager les cas de conscience auxquels les médecins
pouvaient être confrontés dans leur pratique, avec un
véritable guide d’action pour la pratique médicale,
tout en leur permettant d’accompagner leur patient
dans ses derniers instants, grâce aux soins palliatifs
appropriés à son état.
Dans le cadre de la future loi “Santé, Patients,
Territoires” en discussion au Parlement, l’implication
du citoyen dans sa santé et dans la prise de décision
devrait s’intensifier avec le développement de la rela-
tion humaine et le respect de l’exigence morale d’un
accompagnement loyal dans la prise en charge de
la maladie. Cette loi de politique de santé “respon-
sable” obéit à trois exigences : égalité, responsa-
bilité individuelle et responsabilité collective (“de
solidarité”). Elle vise aussi à favoriser l’optimisation
de l’organisation du travail des professionnels de
santé afin de libérer du temps médical en dévelop-
pant les collaborations entre professionnels tout en
accordant la place qu’elle mérite à la question du
partage des compétences.
On peut légitimement concevoir quelques
inquiétudes devant l’agitation médiatique et la
pression sociale suscitées par une possible future
loi sur l’euthanasie qui risque de poser, à terme, le
problème de la prise en charge du sujet âgé et de
son coût. Des interrogations du même ordre restent
posées au sujet de la classification T2A et de ses
risques d’effets pervers à long terme : sélection des
patients et risque de privilégier des malades dont
la pathologie présente une tarification plus avan-
tageuse. Enfin, concernant les interruptions dites
“médicales” de grossesse en cas d’anomalie physique
ou génétique, il semble très difficile aujourd’hui de
revenir en arrière même si, là aussi, le risque d’eugé-
nisme existe.
Enfin, il est difficile d’imaginer comment notre
système de santé va évoluer malgré le “plan de
retour à l’équilibre” prévu. C’est là une situation très
mouvante dans un contexte évolutif permanent. On
en retient certainement la nécessité d’éduquer les
personnes et ce, dès le plus jeune âge, en termes de
responsabilité individuelle et de solidarité. Il demeure
très difficile cependant de faire évoluer les menta-
lités, et les lois ne permettent pas de tout régler :
la responsabilité de chacun au sein de la société
doit faire appel en premier lieu à la conscience des
personnes.
Ce que l’on peut attendre
des 10 années à venir
1. Loi Huriet-Sérusclat n° 88-1138
du 20 décembre 1988 relative à
la protection des personnes se
prêtant à la recherche biomé-
dicale.
2. Loi n°2004-800 du 6 août
2004 relative à la bio-éthique.
3. Loi Kouchner n° 2002-303 du
4 mars 2002 relative aux droits
des malades et à la qualité du
système de santé.
4. Loi Léonetti n° 2005-370 du
22 avril 2005 relative aux droits
des malades et à la fin de vie.
Références
bibliographiques
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