10 ANS INTERVIEW Bioéthique, relation médecin-malade Pr Olivier Jonquet - Hôpital Gui-de-Chauliac, CHU de Montpellier Ces dernières années ont été marquées par la promulgation de plusieurs lois visant à définir le cadre des essais thérapeutiques et à mieux protéger les personnes tout en encourageant la recherche clinique. Avec la loi Kouchner de 2002 puis la loi Léonetti en 2005, ce sont la volonté du patient et le respect des droits du malade – y compris en fin de vie – qui ont été successivement abordés, les médecins disposant désormais de procédures très précises à suivre dans leur pratique quotidienne. La législation future devra faire une place importante, voire essentielle, à l'éducation du patient et à sa responsabilité vis-à-vis de la société. Ce qu’il faut retenir de ces 10 dernières années De la loi Huriet-Sérusclat à la loi Léonetti ➤➤ En 1988, la loi Huriet-Sérusclat (1) a permis de définir un cadre précis pour la recherche clinique en France et, depuis cette date, les essais thérapeutiques obéissent à des règles définies par cette loi. Si la loi ne relève pas le médecin de ses obligations déontologiques et juridiques, elle impose d’obtenir l’avis d’un comité consultatif de protection des personnes et de fournir au patient une information particulièrement détaillée sur le traitement qu’il va recevoir. Cette réflexion s’est affinée avec la révision, en 2004, des premières lois sur la bioéthique de 1994 (2) au bénéfice de la protection des personnes et de l’encouragement de la recherche clinique. Ces textes sont en effet à l’origine de la création de l’Agence de la biomédecine, agence sanitaire de l’État qui reprend les missions de l’Établissement français des greffes, mais assure également des missions d’évaluation, de suivi et de contrôle dans les domaines de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaine. Cette loi a modifié le code de la santé publique en matière de greffe, notamment en associant tous les établissements de santé à l’activité de recensement et de prélèvement, par l’intermédiaire des réseaux. Depuis 234 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 2004, plusieurs décrets, lettres ou circulaires se sont succédé et il est intéressant de remarquer à ce sujet l’évolution de la pédagogie du don d’organe au sein de notre société : la loi a élargi le cercle aux donneurs vivants mais précise que l’autorisation de prélèvement, à l’exception des pères et mères, doit être délivrée par un comité d’experts. Concernant l’assistance médicale à la procréation, des questions restent posées quant au diagnostic préimplantatoire dans des familles où il existe des antécédents de maladies génétiques : l’implantation des seuls embryons “sains” flirte avec l’eugénisme. Cela pose naturellement aussi la question de la place de la personne handicapée dans notre société, avec le regard porté, par exemple, sur la personne myopathe sous ventilation en pneumologie. Certes, le droit à la différence existe, mais qu’en est-il quand cette différence est d’ordre génétique et que la sélection se fait au laboratoire ? Que penser des implications sur le plan sociétal et financier ? ➤➤ La loi du 4 mars 2002, ou Loi Kouchner (3), est quant à elle une loi “fleuve” dont il faut retenir deux éléments principaux : d’une part le primat de la volonté du patient, qui doit adhérer à son traitement – mais peut aussi le refuser –, et d’autre part la notion de personne de confiance lorsque le malade n’est pas en état d’exprimer son consentement. Cette personne de référence désignée auparavant par le malade peut ici aider le médecin dans les prises de décision. ➤➤ Enfin, en 2005, la loi Léonetti (4), en intervenant sur un sujet sensible notamment du fait de l’évolution des mœurs a permis de préciser les droits du malade en fin de vie. C’est une loi très pédagogique, qui a éclairci les conditions de limitation ou d’arrêt du traitement de suppléance (ventilation, dialyse, chimiothérapie, etc.) en acceptant le fait que les personnes peuvent refuser un traitement. Cette loi précise la notion d’obstination déraisonnable présente dans le code de déontologie médicale de 1995 : l’objectif est d’autoriser la suspension d’un traitement ou de ne pas l’entreprendre si les résultats escomptés sont inopportuns, disproportionnés ou se limitent à permettre la survie artificielle du malade. Cela ne peut cependant se faire que dans le cadre d’une procédure qui respecte plusieurs étapes obligatoirement notifiées dans le dossier médical : information la plus complète du patient s’il est conscient ou d’un tiers (famille, entourage, personne de confiance) s’il ne l’est plus, collégialité au sein de l’équipe médicale, avec une décision qui reste avant tout médicale dans les cas difficiles afin de ne pas faire porter à la famille le poids des décisions. L’ensemble de ces éléments a permis de soulager les cas de conscience auxquels les médecins pouvaient être confrontés dans leur pratique, avec un véritable guide d’action pour la pratique médicale, tout en leur permettant d’accompagner leur patient dans ses derniers instants, grâce aux soins palliatifs appropriés à son état. Ce que l’on peut attendre des 10 années à venir ➤➤ Dans le cadre de la future loi “Santé, Patients, Territoires” en discussion au Parlement, l’implication du citoyen dans sa santé et dans la prise de décision devrait s’intensifier avec le développement de la relation humaine et le respect de l’exigence morale d’un accompagnement loyal dans la prise en charge de la maladie. Cette loi de politique de santé “responsable” obéit à trois exigences : égalité, responsabilité individuelle et responsabilité collective (“de solidarité”). Elle vise aussi à favoriser l’optimisation de l’organisation du travail des professionnels de santé afin de libérer du temps médical en développant les collaborations entre professionnels tout en accordant la place qu’elle mérite à la question du partage des compétences. ➤➤ On peut légitimement concevoir quelques inquiétudes devant l’agitation médiatique et la pression sociale suscitées par une possible future loi sur l’euthanasie qui risque de poser, à terme, le problème de la prise en charge du sujet âgé et de son coût. Des interrogations du même ordre restent posées au sujet de la classification T2A et de ses risques d’effets pervers à long terme : sélection des patients et risque de privilégier des malades dont la pathologie présente une tarification plus avantageuse. Enfin, concernant les interruptions dites “médicales” de grossesse en cas d’anomalie physique ou génétique, il semble très difficile aujourd’hui de revenir en arrière même si, là aussi, le risque d’eugénisme existe. ➤➤ Enfin, il est difficile d’imaginer comment notre système de santé va évoluer malgré le “plan de retour à l’équilibre” prévu. C’est là une situation très mouvante dans un contexte évolutif permanent. On en retient certainement la nécessité d’éduquer les personnes et ce, dès le plus jeune âge, en termes de responsabilité individuelle et de solidarité. Il demeure très difficile cependant de faire évoluer les mentalités, et les lois ne permettent pas de tout régler : la responsabilité de chacun au sein de la société doit faire appel en premier lieu à la conscience des personnes. ■ La Lettre du Pneumologue • Références bibliographiques 1. Loi Huriet-Sérusclat n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes se prêtant à la recherche biomédicale. 2. Loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bio-éthique. 3. Loi Kouchner n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. 4. Loi Léonetti n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Vol. XI - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 235