enfin, il se réjouit de ce que de nos jours en France « les relations internationales ne sont
plus considérées comme le refuge d’enseignants en situation d’échec, mais comme un secteur
novateur, à la pointe de la recherche »1. Mais quand on sait que, dès 1956, Alfred Grosser
avait souligné que « depuis quelques années l’étude des relations internationales commence
à se développer en France »2, comment ne pas se demander si cet optimisme modéré ne
relève pas plus du souci de ne pas désespérer Billancourt que de la conviction profonde en
un progrès significatif en cours des RI françaises ?
Quoi qu’il en soit, ces constats correspondent-ils à la réalité vécue des RI françaises par les
internationalistes français eux-mêmes ? Qu’en est-il de « l’autosuffisance »3qu’auraient
choisie ces derniers4? Sont-ils d’accord avec l’idée que « les RI françaises sont à une plus
grande distance du courant mainstream anglo-américain que toute autre communauté des
RI d’Europe continentale »5? Comment vivent-ils leur rapport à la théorie des RI, définie
comme la « production d’approches savantes compétitives désireuses de rendre compte en
des termes abstraits des principes conducteurs des interactions politiques qui se déroulent
au-delà des territoires nationaux »6? Est-il exact de dire que les internationalistes français
ne conçoivent pas « le fait de participer aux, et de contribuer à façonner les, débats théoriques
centraux en vogue dans la discipline, comme constituant le noyau dur de leur activité »7?
Ayant pour objectif de voir où en est « la tentation d’exister » des internationalistes français,
pour reprendre le titre d’un dossier consacré aux RI françaises par La Revue internationale
et stratégique en 20028, cette recherche se propose d’étudier la situation des internationalistes
français à partir des données recueillies dans le cadre du quatrième sondage du projet de
recherche TRIP (Teaching, Research, and International Policy), mené par une équipe de
chercheurs de l’Institute for the Theory and Practice of International Relations du College
of William & Mary à Williamsburg en Virginie.
Notre postulat de départ est que ce sondage permet de brosser un portrait détaillé des RI
françaises contemporaines9, tant en effet jamais autant de données sur autant de sujets, avec
1. J.-J. Roche, «L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 105.
2. Alfred Grosser, «L'étude des relations internationales, spécialité américaine ? »,Revue française de science
politique, 6 (3), juin 1956, p. 634-651, dont p. 650.
3. J. Friedrichs, «International Relations Theory in France », art. cité, p. 119.
4. Précisons que, pour tous les commentateurs, Raymond Aron est l'exception qui confirme la règle, et plusieurs
internationalistes américains de premier plan citent ses travaux (Dario Battistella, Théories des relations inter-
nationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 697-698). Il n'y a toutefois pas de consensus sur les raisons
de ce succès, alors que son apport théorique à la discipline est réputé faible (J. Groom, «Les relations inter-
nationales en France... », art. cité, p. 111). Pour J. Friedrichs, le rôle de Stanley Hofmann, un franco-américain
disciple de R. Aron, a été fondamental (J. Friedrichs, «International Relations Theory in France », art. cité, p. 118),
tandis que, d'après K.-G. Giesen, il a servi à légitimer le réalisme américain, en montrant qu'il n'était pas néces-
sairement une théorie américaine (K.-G. Giesen, «French Cancan zwischen Positivismus... », art. cité). Quoi qu'il
en soit, si l'impact réel de R. Aron à l'international est débattu, s'il est indéniable qu'il a importé les débats
américains en France (cf. J.-J. Roche, «L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité,
p. 102), son succès est toutefois resté limité puisque ses successeurs n'ont pas suivi sa voie d'une internatio-
nalisation et d'une disciplinarisation des RI en France (D. Battistella, Théories des relations internationales, op.
cit.).
5. D. Battistella, ibid., p. 118.
6. D. Battistella, ibid., p. 120.
7. Henrik Breytenbauch, Cartesian Limbo. A Formal Approach to the Study of Social Sciences : International
Relations in France, Copenhague, University of Copenhagen, Department of Political Science, 2008, p. 34.
8. Nadège Ragaru, «L'état des relations internationales en France »,Revue internationale et stratégique, 3 (47),
2002, p. 77-81.
9. Le même postulat a guidé les articles publiés par des collaborateurs aux enquêtes TRIP et portant sur des
pays ou des régions spécifiques : le Canada (Michael Lipson, Daniel Maliniak, Amy Oakes, Sue Peterson, Mike
❘REVUE FRAN ¸
CAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘VOL.63 No2❘2013
304 ❘Jérémie Cornut, Dario Battistella
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