des ri françaises en émergence

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DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ?
Les internationalistes français dans le sondage TRIP 2011
Jérémie Cornut et Dario Battistella
Presses de Sciences Po | Revue française de science politique
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cornut Jérémie et Battistella Dario, « Des RI françaises en émergence ? » Les internationalistes français dans le
sondage TRIP 2011,
Revue française de science politique, 2013/2 Vol. 63, p. 303-336. DOI : 10.3917/rfsp.632.0303
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2013/2 - Vol. 63
pages 303 à 336
DES RI FRANÇAISES
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LES INTERNATIONALISTES FRANÇAIS
DANS LE SONDAGE TRIP 2011
Jérémie Cornut et Dario Battistella
ur la touche »1 ; faisant preuve d’un « auto-isolement » susceptible de devenir « incestueux »2 ; « confinée »3 ; « largement autarcique » et « autosuffisante »4 ; « déconnectée », « très hexagonal[e] » et « manqu[ant] d’ouverture sur l’extérieur »5 ; « restée
«
à l’écart » et « marginale »6. À lire les constats dressés depuis un quart de siècle par les
observateurs, tant français qu’étrangers, sur l’état de la discipline7 des Relations internationales (RI) en France, la situation des internationalistes français ne semble guère enviable :
se complaisant dans leur « sous-discipline »8, passant le plus clair de leur temps à déplorer
« la pauvreté des moyens, l’absence de perspectives et l’immaturité de la discipline »9, les
internationalistes français sont réputés « remarquablement idiosyncrasiques »10. Certes, les
mêmes auteurs notent que ces dernières années les RI françaises ont traversé « une phase de
métamorphose » synonyme de « révolution, à la fois qualitative et quantitative, dans la contribution française aux RI au niveau international »11. Ainsi Marie-Claude Smouts parle-t-elle
d’un « changement considérable » qui se serait produit au cours des années 199012 ; de même,
pour Jörg Friedrichs, « après deux générations d’isolement volontaire, les RI françaises ont
finalement commencé à se connecter au débat international »13 ; quant à Jean-Jacques Roche
S
1. Marie-Claude Smouts, « The Study of International Relations in France », Millennium : Journal of International
Studies, 16 (2), 1987, p. 281-286, dont p. 283.
2. Jörg Friedrichs, « International Relations Theory in France », Journal of International Relations and Development, 4 (2), 2001, p. 118-137, dont p. 121.
3. François Constantin, « Les relations internationales dans le champ scientifique français ou les pesanteurs
d'une lourde hérédité », Revue internationale et stratégique, 3 (47), 2002, p. 90-99, dont p. 90.
4. John Groom, « Les relations internationales en France : un regard d'outre-Manche », Revue internationale et
stratégique, 3 (47), 2002, p. 108-117, dont p. 109-110.
5. Marie-Claude Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France : regard sur une discipline », Revue
internationale et stratégique, 3 (47), 2002, p. 83-89, dont p. 84.
6. Jean-Jacques Roche, « L'enseignement des relations internationales en France : les aléas d'une “disciplinecarrefour” », Revue internationale et stratégique, 3 (47), 2002, p. 100-107, dont p. 105.
7. Le terme de discipline est employé ici pour désigner l'ensemble des internationalistes français, sans présumer
qu'une discipline des RI existe en France, au sens où il y aurait un sentiment d'appartenance fort parmi les
chercheurs français en RI, et une reconnaissance institutionnelle de leurs spécificités. L'un des objectifs de cet
article est justement de revenir sur cette question.
8. Klaus-Gerd Giesen, « French Cancan zwischen Positivismus, Enzyklopädismus und Historismus. Zur Struktur
und Geschichte der vorherrschenden französischsprachigen Ansatzforschung », Zeitschrift für Internationale
Beziehungen, 2 (1), 1995, p. 141-170, dont p. 143.
9. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales... », art. cité, p. 101.
10. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 119.
11. J. Groom, « Les relations internationales en France... », art. cité, p. 112-115.
12. M.-C. Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France... », art. cité, p. 84.
13. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 132.
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 63 No 2 ❘ 2013 ❘ p. 303-336
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EN ÉMERGENCE ?
304 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
Quoi qu’il en soit, ces constats correspondent-ils à la réalité vécue des RI françaises par les
internationalistes français eux-mêmes ? Qu’en est-il de « l’autosuffisance »3 qu’auraient
choisie ces derniers4 ? Sont-ils d’accord avec l’idée que « les RI françaises sont à une plus
grande distance du courant mainstream anglo-américain que toute autre communauté des
RI d’Europe continentale »5 ? Comment vivent-ils leur rapport à la théorie des RI, définie
comme la « production d’approches savantes compétitives désireuses de rendre compte en
des termes abstraits des principes conducteurs des interactions politiques qui se déroulent
au-delà des territoires nationaux »6 ? Est-il exact de dire que les internationalistes français
ne conçoivent pas « le fait de participer aux, et de contribuer à façonner les, débats théoriques
centraux en vogue dans la discipline, comme constituant le noyau dur de leur activité »7 ?
Ayant pour objectif de voir où en est « la tentation d’exister » des internationalistes français,
pour reprendre le titre d’un dossier consacré aux RI françaises par La Revue internationale
et stratégique en 20028, cette recherche se propose d’étudier la situation des internationalistes
français à partir des données recueillies dans le cadre du quatrième sondage du projet de
recherche TRIP (Teaching, Research, and International Policy), mené par une équipe de
chercheurs de l’Institute for the Theory and Practice of International Relations du College
of William & Mary à Williamsburg en Virginie.
Notre postulat de départ est que ce sondage permet de brosser un portrait détaillé des RI
françaises contemporaines9, tant en effet jamais autant de données sur autant de sujets, avec
1. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 105.
2. Alfred Grosser, « L'étude des relations internationales, spécialité américaine ? », Revue française de science
politique, 6 (3), juin 1956, p. 634-651, dont p. 650.
3. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 119.
4. Précisons que, pour tous les commentateurs, Raymond Aron est l'exception qui confirme la règle, et plusieurs
internationalistes américains de premier plan citent ses travaux (Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 697-698). Il n'y a toutefois pas de consensus sur les raisons
de ce succès, alors que son apport théorique à la discipline est réputé faible (J. Groom, « Les relations internationales en France... », art. cité, p. 111). Pour J. Friedrichs, le rôle de Stanley Hofmann, un franco-américain
disciple de R. Aron, a été fondamental (J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 118),
tandis que, d'après K.-G. Giesen, il a servi à légitimer le réalisme américain, en montrant qu'il n'était pas nécessairement une théorie américaine (K.-G. Giesen, « French Cancan zwischen Positivismus... », art. cité). Quoi qu'il
en soit, si l'impact réel de R. Aron à l'international est débattu, s'il est indéniable qu'il a importé les débats
américains en France (cf. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité,
p. 102), son succès est toutefois resté limité puisque ses successeurs n'ont pas suivi sa voie d'une internationalisation et d'une disciplinarisation des RI en France (D. Battistella, Théories des relations internationales, op.
cit.).
5. D. Battistella, ibid., p. 118.
6. D. Battistella, ibid., p. 120.
7. Henrik Breytenbauch, Cartesian Limbo. A Formal Approach to the Study of Social Sciences : International
Relations in France, Copenhague, University of Copenhagen, Department of Political Science, 2008, p. 34.
8. Nadège Ragaru, « L'état des relations internationales en France », Revue internationale et stratégique, 3 (47),
2002, p. 77-81.
9. Le même postulat a guidé les articles publiés par des collaborateurs aux enquêtes TRIP et portant sur des
pays ou des régions spécifiques : le Canada (Michael Lipson, Daniel Maliniak, Amy Oakes, Sue Peterson, Mike
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 63 No 2 ❘ 2013
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enfin, il se réjouit de ce que de nos jours en France « les relations internationales ne sont
plus considérées comme le refuge d’enseignants en situation d’échec, mais comme un secteur
novateur, à la pointe de la recherche »1. Mais quand on sait que, dès 1956, Alfred Grosser
avait souligné que « depuis quelques années l’étude des relations internationales commence
à se développer en France »2, comment ne pas se demander si cet optimisme modéré ne
relève pas plus du souci de ne pas désespérer Billancourt que de la conviction profonde en
un progrès significatif en cours des RI françaises ?
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 305
Notre analyse réunit les réponses obtenues autour de différents thèmes tout en les comparant
avec celles obtenues dans d’autres pays. Plus précisément, cette recherche abordera, successivement, la place des RI dans l’université française, la question de l’éventuelle existence de
RI à la française, le positionnement des internationalistes français par rapport aux tendances
en cours dans les RI mondiales, leur attitude adoptée par rapport aux praticiens des relations
internationales, et enfin la question de la langue française dans une discipline mondiale
d’origine et d’expression anglo-américaines. Plus généralement, l’analyse des résultats
obtenus tourne autour de deux problématiques : comment les internationalistes français se
perçoivent-ils ? Quel est le degré d’ouverture des RI françaises aux RI mondiales ?
La place des Relations internationales au sein de l’université française
lire les constats dressés au sujet de l’état des RI en France, les RI françaises se porteraient
mal parce qu’elles ne se seraient pas autonomisées et qu’elles demeureraient structurellement défavorisées par rapport à d’autres disciplines mieux implantées dans les universités françaises. Les RI, « parent pauvre de la science politique »1 seraient victimes d’un « déficit
chronique [...] occup[ant] une place modeste, sinon marginale » dans les sciences sociales et
humaines en France2. Elles seraient absorbées par d’autres disciplines : certains soulignent par
exemple la faible proportion d’internationalistes qualifiés par le Conseil national des universités
(CNU) ou retenus par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le peu d’internationalistes agrégés ou membres du jury d’agrégation et la tendance à combler les postes fléchés
en RI avec des candidats qui ne sont pas réellement des internationalistes. Ce manque de
débouchés professionnels, aussi bien en recherche qu’en enseignement, pousserait les nouveaux
chercheurs en science politique à s’investir de préférence ailleurs qu’en RI. Il n’y aurait donc
pas assez d’internationalistes français, et ces derniers n’auraient pas atteint la « masse critique »
à même de leur assurer une visibilité à l’international ou de constituer des réseaux de recherche.
Autrement dit, les internationalistes étant incapables d’acquérir les ressources matérielles et
symboliques nécessaires à leur institutionnalisation en France, ne seraient pas en mesure de
contrôler l’allocation de certaines ressources ni d’être compétitifs sur le marché international.
La marginalisation à l’interne produirait donc une marginalisation à l’international3.
À
Tierney, « Divided Discipline ? Comparing Views of US and Canadian IR Scholars », International Journal, 62 (2),
2007, p. 327-343), l'Australie et la Nouvelle-Zélande (Jason Sharman, Jacquie True, « Anglo-American Followers
or Antipodean Iconoclasts ? The 2008 TRIP Survey of International Relations in Australia and New Zealand »,
Australian Journal of International Affairs, 65 (2), 2011, p. 148-166), l'Irlande (Stephanie Rickard, John Doyle,
« International Relations in Ireland : A Survey of Academics », Irish Political Studies, 27 (2), 2012, p. 359-375).
1. N. Ragaru, « L'état des relations internationales en France », art. cité, p. 77.
2. François Constantin, « Le monde existe, nos instances d'évaluation scientifique l'ont peut-être rencontré »,
Critique internationale, 4 (3), 1999, p. 58-66, dont p. 64 ; et « Les relations internationales... », art. cité, p. 90.
3. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 104-107 ; F. Constantin,
« Le monde existe... », art. cité, p. 63 ; M.-C. Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France... », art.
cité, p. 84 et suiv. ; J. Groom, « Les relations internationales en France... », art. cité, p. 116.
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 63 No 2 ❘ 2013
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des possibilités de comparaison avec un aussi grand nombre d’autres pays, n’ont été disponibles pour savoir : si les internationalistes français s’inscrivent dans les tendances théoriques
mondiales, quel est leur accès aux revues américaines, comment ils perçoivent la place de
leur discipline en France et son évolution depuis vingt ans, où ils ont fait leur doctorat, s’ils
collaborent avec des internationalistes anglophones et sont intégrés dans des associations
internationales, s’ils pensent que des universités françaises et des chercheurs français sont
reconnus à l’international, etc.
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De plus, la vigueur des querelles de personnes et de clochers entre internationalistes empêcherait la création d’une dynamique positive1. Ce constat est confirmé par Olivier Godechot
et Nicolas Mariot : après une analyse des réseaux d’invitation aux jurys de thèses en science
politique, ils en concluent que « la structure relationnelle [des spécialistes de relations internationales] présente de nombreuses “cliques”, réseaux de relations très denses entre des
groupes de deux, trois ou quatre personnes, mais ces cliques sont mal reliées entre elles »2.
Sachant que « la cohésion et la densité du groupe permettent au groupe d’exister, de limiter
la concurrence en son sein et de se mobiliser contre les autres groupes pour l’obtention
d’avantages pour ses propres membres »3, de telles pratiques nuiraient aux RI. Le fait que
les RI françaises soient monopolisées par quelques centres et départements, tous situés à
Paris, contribuerait également, toujours à en croire ces bilans, à l’isolement de la France4,
en laissant un petit nombre de professeurs bien installés dans la discipline déterminer l’agenda
de la recherche5. Enfin, et plus globalement, le déclin de l’influence française dans le monde
après la seconde guerre mondiale aurait mis l’étude des RI en France sur la défensive – phénomène qui, à l’inverse, jouerait en faveur des RI américaines, ces dernières bénéficiant de
la montée en puissance des États-Unis6.
Ces handicaps nonobstant, on observerait un début de changement au cours des années
1990 et tout au long des années 2000, les internationalistes français semblant vouloir remédier à la faiblesse structurelle des RI en France. Ces changements prendraient plusieurs
formes. D’après François Constantin, des « manifestations, colloques, séminaires, publications se sont multipliés et témoignent de la qualité et de l’intensité de l’investissement »
des internationalistes français7. S’ajouteraient à cela la réussite du premier agrégé spécialiste
de relations internationales en 19878, la création d’un certain nombre de centres de
recherche dédiés aux questions internationales et d’une Section d’études internationales
(SEI)9 au sein de l’Association française de science politique (AFSP), l’organisation de la
seconde conférence paneuropéenne du Standing Group on International Relations à Paris
en 199510 ou bien encore la création en 2010 de l’Association des internationalistes. Un
autre signe de changement serait la création de deux revues, Cultures et conflits et Critique
internationale11.
Ces affirmations sont-elles corroborées par le sondage TRIP ? Plusieurs questions posées
avaient pour objectif de voir comment les internationalistes français auto-évaluaient
leur discipline et sa place à l’université. Les réponses données confirment, du moins
1. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 103 ; N. Ragaru, « L'état
des relations internationales en France », art. cité, p. 79.
2. Olivier Godechot, Nicolas Mariot, « Les deux formes du capital social », Revue française de sociologie, 45 (2),
2004, p. 243-282, dont p. 266.
3. O. Godechot, N. Mariot, ibid., p. 277.
4. M.-C. Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France... », art. cité, p. 89 ; J. Groom, « Les relations
internationales en France... », art. cité, p. 115.
5. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 119.
6. F. Constantin, « Les relations internationales dans le champ scientifique français... », art. cité, p. 94-96.
7. F. Constantin, ibid., p. 99.
8. Signalons également que le jury du concours externe d'agrégation 2012-2013 comporte deux spécialistes de
RI (J.-J. Roche et son président Bertrand Badie).
9. La SEI a été remplacée en septembre 2012 par un « groupe de projets » de l'AFSP, créé sur une base triennale
et consacrée au multilatéralisme en RI. Sur les activités de ce nouveau groupe, voir le site Internet
<http://www.afsp.info/gp/gram.html>.
10. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 105.
11. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 132.
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 63 No 2 ❘ 2013
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306 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 307
Seuls 44 % des répondants appartiennent à une association professionnelle française réunissant principalement des internationalistes1 (Q 381), ce qui est à la fois la cause et la
conséquence de la faible structuration des RI en France. Sans un regroupement professionnel équivalent à celui que l’on retrouve ailleurs – et notamment sous la forme d’associations affiliées à l’International Studies Association (ISA) comme la British International
Studies Association, ou bien ISA-Canada – les internationalistes français sont moins en
mesure de s’organiser. Ce type d’association tient notamment un congrès annuel, occasion pour les chercheurs de se retrouver entre eux, d’échanger sur leurs recherches et
d’élargir leurs réseaux – autant d’éléments qui permettraient de renforcer les RI françaises. Pour ce qui est du taux de répondants, il faut d’ailleurs souligner que la France
est le pays qui a le plus bas taux de réponse : sur les 276 internationalistes ayant reçu
le sondage, seuls 101 ont participé. Ce taux de participation de 36,6 % est largement
inférieur au taux moyen (49,5 %), et, à titre de comparaison, dans le pays dont le taux
de participation est le deuxième plus bas, en l’occurrence les États-Unis, ce taux est de
42,3 %. Le fait que pas loin des deux tiers des personnes contactées n’aient tout simplement pas pris le temps de répondre ou qu’elles se soient auto-exclues parce que ne
s’identifiant pas comme internationalistes tend à indiquer que les internationalistes français n’ont pas le sentiment d’appartenir à une seule et même communauté.
Le déséquilibre entre Paris et la province, propre à la France en comparaison aux autres
pays concernés par le sondage TRIP, est un autre indicateur de la faible structuration
des RI françaises (Q 12 et Q 13). La centralité de Paris est flagrante, tant les répondants
ont obtenu pour plus de la moitié d’entre eux leur plus haut diplôme dans quatre institutions parisiennes (Sciences Po Paris, l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne, l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle et l’École des hautes études en sciences sociales). Les
universités où les diplômes de premier cycle ont été obtenus sont certes plus variées,
mais Paris continue de dominer, comme le montre le choix des cinq meilleures universités en France pour étudier les RI au niveau licence : les réponses indiquent une
prédominance de Paris (Sciences Po Paris et Paris I), suivi par l’Institut d’études politiques de Bordeaux, l’Institut d’études politiques de Lille, Paris III, l’Institut d’études
politiques de Grenoble, l’Institut d’études politiques de Strasbourg et l’Université Jean
Moulin-Lyon 3 (Q 55).
1. Il s'agit sans doute là de l'Association des internationalistes crée en février 2010 (<http://www.association-desinternationalistes.org/>) – même si cette association comprend également des spécialistes des RI rattachés à
d'autres disciplines que la science politique.
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dans un premier temps, le constat d’une perception assez négative de la place des RI
en France : 57 % sont plutôt en désaccord et 35 % très en désaccord avec l’affirmation
selon laquelle, « dans les universités françaises, la recherche et l’enseignement en RI
occupent une place respectable » (Q 386). C’est donc là un constat quasiment unanime.
Il en est de même pour l’affirmation selon laquelle « il y a beaucoup d’internationalistes
en France » : 60 % sont plutôt en désaccord avec cette affirmation, et 34 % très en
désaccord (Q 385).
308 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
Q 55. Quelles sont les cinq meilleures universités en France pour étudier les Relations internationales (niveau licence) ?
Tableau 1. Les meilleures universités françaises pour l’étude des RI (niveau licence, en
pourcentages)
Université française
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1
Sciences Po Paris
89
2
Université Paris I-Panthéon-Sorbonne
56
3
IEP de Bordeaux
52
4
IEP de Lille
33
4
Université Paris III-Sorbonne Nouvelle
33
6
IEP de Grenoble
22
7
IEP de Strasbourg
15
8
Université Jean Moulin-Lyon 3
11
Mais plusieurs éléments viennent nuancer ce pessimisme. La réponse à la question de savoir
comment a évolué la place des RI dans les universités françaises au cours des vingt dernières
années est plutôt positive : 33 % des répondants considèrent qu’elles ont la même place,
56 % qu’elles ont progressé, et 11 % seulement estiment qu’elles ont régressé (Q 384). Le
constat fait par certains commentateurs d’une amélioration de la situation des RI au cours
des années 1990 et 2000 est ainsi partagé par la majorité des internationalistes français. Dans
la même lignée, l’âge moyen des répondants (Q 14), de 40 ans – assez nettement plus jeune
que la moyenne mondiale, qui est de 46 ans –, est le signe d’un renouveau, et de l’attrait
qu’ont connu les RI depuis vingt ans. Autre signe pouvant être interprété comme le symptôme d’un renouveau1, il y a 38 % de femmes (Q 15) parmi les répondants français, ce qui
représente une proportion significativement plus importante que la moyenne mondiale
(31 %). Pour résumer ce premier point, le sondage TRIP confirme l’idée que RI françaises
n’occupent effectivement pas une bonne place au sein de l’université française, tout en indiquant que cette place tend à s’améliorer au cours de la période récente.
Des RI à la française ?
epuis une trentaine d’années, on a assisté en France à plusieurs tentatives pour
définir une approche spécifiquement française des RI. Par exemple, les Presses universitaires de France (PUF) avaient lancé une collection publiant les écrits de l’« École
française des RI » dans les années 1980, expression reprise dans le numéro spécial de la Revue
internationale et stratégique sur « la tentation d’exister » des internationalistes français dont
l’une des sections se demande si l’on va « vers une École française des relations internationales ? »2 En 2005, Bertrand Badie pose la question de savoir si Raymond Aron est, pour les
RI, un penseur « à la française »3 et en 2012, Dario Battistella voit dans la « sociologie des
D
1. Paul Gecelovsky, Christopher Kukucha, « Canadian Foreign Policy : A Progressive or Stagnating Field of
Study ? », Canadian Foreign Policy, 14 (2), 2008, p. 109-119, dont p. 109.
2. N. Ragaru, « L'état des relations internationales en France », art. cité.
3. Bertrand Badie, « Raymond Aron, penseur des relations internationales. Un penseur “à la française” ? », Études
du Cefres, 5, 2005, p. 3-15.
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Rang
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relations internationales » le trait dominant des RI telles qu’elles sont pratiquées de façon
majoritaire en France1. D. Battistella et B. Badie ont par ailleurs organisé en 2010 une école
d’été en RI labellisée French Touch aux contours volontairement flous pour faire le point sur
les éventuelles spécificités des RI en France. Les motivations à l’origine de la plupart de ces
tentatives sont claires : en créant avec succès une identité sur une base nationale – à la
manière de l’École anglaise des RI – les internationalistes français seraient susceptibles de
fédérer leurs efforts épars plutôt que de se déchirer dans des guerres intestines, d’enclencher
une dynamique positive qui leur permettrait de mieux se positionner à l’intérieur des universités françaises et de trouver une place et une reconnaissance à l’international.
Reste à savoir quel écho ces tentatives ont reçu de la part des internationalistes. Dans le
sondage TRIP, une majorité des répondants français a entendu parler d’une École française
des relations internationales (57 % en ont entendu parler, 20 % en ont entendu parler mais
ne savent pas trop quel est son contenu, 23 % n’en n’ont jamais entendu parler) (Q 376),
alors que 48 % n’ont jamais entendu parler de French Touch, contre 29 % qui en ont entendu
parler et 24 % qui en ont entendu parler mais ne savent pas trop quel est son contenu
(Q 371). L’École française des relations internationales a donc une certaine reconnaissance,
contrairement à la French Touch. Aucune donnée comparative n’est malheureusement disponible, et il n’est donc pas possible de déterminer si ces labels sont connus ailleurs qu’en
France : ceci étant, il n’y a pas de commune mesure avec l’École anglaise des RI, qui elle a
réussi à s’imposer au sein de la discipline globale, au point, par exemple, de constituer une
section à part entière au sein de l’ISA.
Les réponses aux questions demandant si les internationalistes sondés ont entendu parler de
la French Theory (Q 370) et de l’École de Paris (Q 372), indiquent que la majorité (54 %)
des répondants n’a jamais entendu parler ni de la première (tandis que 28 % en ont entendu
parler et 17 % en ont entendu parler mais ne savent pas trop quel est son contenu) ni de la
seconde (les pourcentages de réponses étant respectivement de 75 %, 11 % et 14 %). Ces
derniers résultats confirment la déconnexion des internationalistes français par rapport aux
RI mondiales, puisque la French Theory – qui renvoie notamment à Jacques Derrida, Michel
Foucault, Gilles Deleuze – est bien connue dans la plupart des pays étrangers, notamment
européens, du fait de son influence sur le poststructuralisme. L’École de Paris, associée à
Didier Bigo, a été présentée par Ole Waever comme l’équivalent français des Écoles de
Copenhague et d’Aberystwyth en matière d’études de sécurité, et ce dans une recherche ayant
reçu, là encore, une certaine attention à l’étranger2. Autrement dit, il ne suffit pas de percer
à l’international pour avoir du succès auprès des internationalistes français3. Ce paradoxe
s’explique en partie par l’évolution qu’ont connue les sciences sociales aux États-Unis, avec
le succès grandissant du constructivisme depuis les années 19804, tandis que ce dernier a eu
en France beaucoup moins d’influence que la sociologie des RI et l’analyse des acteurs et
des politiques publiques.
Au-delà de ces différents labels, plusieurs questions du TRIP se penchent de façon plus
précise sur l’identité de la discipline en France. La majorité des répondants pense qu’il existe
1. D. Battistella, Théories des relations internationales, op. cit., p. 689 et suiv.
2. Ole Waever, « Aberystwyth, Paris, Copenhagen. New “Schools” in Security Theory and their Origins Between
Core and Periphery », communication présentée à la conférence annuelle de l'International Studies Association,
Montréal, 17-20 mars 2004.
3. D. Battistella, Théories des relations internationales, op. cit., p. 715-717.
4. Patrick Thaddeus Jackson, The Conduct of Inquiry in International Relations, Abington, Routledge, 2011.
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une façon spécifiquement française d’étudier les relations internationales (26 % très en
accord, 46 % plutôt en accord), même si certains marquent leur désaccord là-dessus (28 %
plutôt en désaccord) (Q 382). Cette spécificité réside-t-elle dans la sociologie des relations
internationales (Q 373) ? Le portrait est approximativement le même, puisque 27 % sont
très en accord avec cette affirmation, 50 % sont plutôt en accord, 20 % plutôt en désaccord
et 2 % très en désaccord. Globalement, les Français sont donc très majoritairement enclins
à voir dans la sociologie des relations internationales une spécificité française. Il est intéressant de mettre en lien ce résultat avec la place des facteurs idéationnels (comme la culture,
les perceptions, l’idéologie, les croyances, etc.) dans l’explication d’un phénomène international : les internationalistes français soulignent particulièrement l’importance de ces facteurs
(93 % des répondants français, contre 84 % en moyenne et 80 % aux États-Unis), même
s’ils sont loin d’être les seuls : par exemple, il en va de même pour 94 % des répondants en
Nouvelle-Zélande et en Argentine et pour 95 % en Turquie et à Singapour (Q 27).
La spécificité française réside-t-elle dans le choix d’un cadre théorique, dans l’adoption d’une
certaine épistémologie, ou bien dans l’utilisation de certaines méthodes1 ? Les réponses à
propos de l’appartenance théorique (Q 21) indiquent qu’en France, comme dans le reste du
monde, les internationalistes se divisent d’abord entre constructivistes (24 % en France contre
22 % en moyenne), réalistes (23 % contre 16 % en moyenne) et libéraux (7 % contre 15 %
en moyenne). Il faut souligner la présence relativement importante du réalisme et la très
faible proportion en France d’adeptes du libéralisme. Par ailleurs une proportion significative
de répondants a choisi d’inscrire dans la catégorie « autre » « sociologie politique » (6 %) et
« institutionnalisme » (2 %), ce qui est une spécificité française. De même, pour ce qui est
de la place des différents paradigmes dans les cours de premier cycle d’introduction aux RI
(Q 6), plusieurs répondants ont inscrit « transnationalisme » dans la catégorie « autre »,
confirmant une certaine particularité française.
Q 21. Laquelle des affirmations suivantes décrit le mieux votre approche des Relations internationales ? Si vous ne considérez pas que votre travail s’inscrit dans l’un de ces paradigmes,
sélectionnez la catégorie à laquelle la plupart des autres chercheurs associeraient votre travail.
Tableau 2. Appartenance théorique des internationalistes (en pourcentages)
Constructivisme École Féminisme Libéralisme Marxisme Réalisme
anglaise
Sociologie Institutionnalisme
politique
Autre
paradigme
Je n’utilise
pas
d’analyse
paradigmatique
Tous
22
4
2
15
4
16
**
**
15
22
États-Unis
20
2
2
20
2
16
**
**
12
26
France
24
2
0
7
2
23
6
2
8
24
En ce qui concerne les caractéristiques épistémologiques des répondants, les trois possibilités
(positivistes, non positivistes, postpositivistes) ont été choisies dans des proportions
1. On ne reviendra pas ici sur les différentes théories et épistémologies des RI. Pour plus de détail sur les particularités de chacune, voir notamment D. Battistella, Théories des relations internationales, op. cit.
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similaires : 32 %, 36 % et 32 % (Q 26). Même si d’autres pays, dont le Royaume-Uni et le
Mexique, ont des résultats qui ressemblent aux résultats français, les répondants français
sont significativement moins positivistes que la moyenne des autres internationalistes, et
notamment que les États-Unis – dont les résultats sont respectivement de 59 %, 21 % et
20 %. Pour ce qui est de la principale méthode utilisée (Q 28), la France se distingue par le
peu de recours aux méthodes quantitatives d’un côté (2 % contre 15 % en moyenne), et par
une utilisation plus grande de la théorie pure (7 % contre 3 %) et de l’analyse des politiques
publiques (26 % contre 17 %). Comme ailleurs dans le monde, la majorité des répondants
français utilise très majoritairement des méthodes qualitatives (57 % en France contre 58 %
en moyenne). Ces résultats sont confirmés par le fait que seuls 12 % des répondants préfèrent
un candidat qui maîtrise l’usage de méthodes quantitatives de recherche plutôt qu’un candidat qui maîtrise l’usage de méthodes qualitatives de recherche lorsqu’un département
affiche un poste d’enseignant en RI, contre 49 % qui répondent ne pas préférer un tel
candidat, et 39 % qui n’ont pas de préférences à ce sujet (Q 368).
Q 26. En général, comment caractériseriez-vous votre travail en termes épistémologiques ?
Tableau 3. Les caractéristiques épistémologiques des internationalistes (en pourcentages)
Positiviste
Non positiviste
Postpositiviste
Tous
47
28
26
États-Unis
59
21
20
France
32
36
32
En ce qui concerne les autres méthodes utilisées en plus de la méthode principale, 54 % des
répondants français (contre 43 % en moyenne dans le monde) utilisent l’analyse des politiques publiques (Q 29). Les études de cas (58 % en France contre 63 % en moyenne) et les
études de cas comparés (70 % contre 79 % en moyenne) dominent auprès des répondants
français qui utilisent une méthode qualitative (Q 30). Pour ce qui est des autres types de
méthodes qualitatives, les Français utilisent particulièrement l’analyse de discours (49 %
contre 32 % en moyenne), l’ethnographie (30 % contre 12 %) et la reconstitution de processus (53 % contre 37 %).
Une autre raison souvent évoquée pour expliquer l’isolement de la France est l’évolution
historique des RI françaises. Elles ont été investies par les juristes et les historiens jusque
dans les années 19601, alors que tel n’est pas le cas aux États-Unis2. Les politistes souffriraient
encore aujourd’hui de la compétition des juristes3, avec pour conséquence une conception
particulière de la discipline, qui la verrait non pas comme réservée aux politistes, mais
plutôt comme une « discipline carrefour »4, dont le trait distinctif serait la pluri- et
1. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 122-124 ; F. Constantin, « Les relations
internationales dans le champ scientifique français... », art. cité, p. 92 ; J. Groom, « Les relations internationales
en France... », art. cité, p. 111-112 ; A. Grosser, « L'étude des relations internationales... », art. cité, p. 634-636 ;
Matthieu Chillaud, « International Relations in France : The “Usual Suspects” in a French Scientific Field of
Study ? », European Political Science, 8 (2), 2009, p. 239-253, dont p. 239-240.
2. M.-C. Smouts, « The Study of International Relations in France », art. cité, p. 281.
3. M.-C. Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France... », art. cité, p. 84.
4. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité.
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Conséquence de cette multidisciplinarité : la définition même de ce qu’est un internationaliste ne fait pas consensus en France. Nombreux sont ceux qui contestent l’inscription des
RI dans la science politique au sens strict, ou bien qui incluent dans les RI toute recherche
qui s’intéresse à la politique dans un pays étranger – y compris lorsque cela touche à une
question de politique interne. Les frontières entre RI et Politique comparée sont ainsi beaucoup plus floues que dans d’autres pays, et les area studies et la politique comparée ont une
place privilégiée au sein des RI françaises4. Plusieurs commentateurs soulignent par exemple
que le changement de nom du CERI – l’un des principaux centres de recherche en RI en
France – n’est pas anodin : de Centre d’étude des relations internationales, il est devenu en
1976 le Centre d’études et de recherches internationales pour englober les études régionales
et la politique comparée5. Tous ces éléments sont parfois vus comme des freins à l’émergence
de RI françaises à part entière, même si certains soulignent que ce caractère multidisciplinaire
est une spécificité, et donc, potentiellement, un « atout » pour la France6.
Les résultats du sondage TRIP sont ambigus sur ces questions. La moitié des répondants
considère que les RI sont une discipline (22 % très en accord, 31 % plutôt en accord), et
l’autre moitié n’est pas d’accord (36 % plutôt en désaccord, 11 % très en désaccord) (Q 374).
En ce qui concerne l’objet d’étude Relations internationales (Q 375), les répondants sont
quasiment unanimes pour dire qu’il relève de plusieurs sciences sociales (40 % très en accord,
53 % plutôt en accord, 7 % plutôt en désaccord). On peut faire un lien entre ces deux
résultats : parce que la quasi-totalité des répondants français considère que les relations
internationales relèvent de plusieurs sciences sociales, le processus qui pourrait conduire les
RI à devenir une discipline en soi est freiné – même si, bien sûr, d’autres causes s’ajoutent.
Il y a une relativement bonne auto-identification des répondants comme internationalistes
(Q 17), puisqu’ils se décrivent avant tout comme ayant les RI comme champ d’étude principal, ou bien un champ d’étude principal lié aux RI (Politique étrangère, Affaires internationales, Études internationales, Études globales) (54 % en France, contre 60 % en moyenne).
Il existe tout de même en France une plus grande proportion de répondants qui indiquent
que leur champ d’étude principal est la science politique (19 % contre 14 % en moyenne)
1. J. Groom, « Les relations internationales en France... », art. cité, p. 110.
2. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 122.
3. F. Constantin, « Les relations internationales dans le champ scientifique français... », art. cité, p. 90-91 ;
M.-C. Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France... », art. cité, p. 84 ; M.-C. Smouts, « The Study
of International Relations in France », art. cité, p. 281-283.
4. N. Ragaru, « L'état des relations internationales en France », art. cité, p. 80 ; F. Constantin, « Les relations
internationales dans le champ scientifique français... », art. cité, p. 59-60 ; M.-C. Smouts, « The Study of International Relations in France », art. cité, p. 283 ; J. Groom, « Les relations internationales en France... », art. cité,
p. 110.
5. F. Constantin, « Le monde existe... », art. cité, p. 66 ; D. Battistella, Théories des relations internationales, op.
cit., p. 690.
6. Marie-Claude Smouts, « La mutation d'une discipline », dans Marie-Claude Smouts (dir.), Les nouvelles relations
internationales. Pratiques et théories, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p. 11-33, dont p. 29.
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l’interdisciplinarité1. En quelque sorte, le problème de la définition d’une discipline française
des RI, qui se pose depuis R. Aron à partir des années 1960, ne serait toujours pas réglé dans
les années 19902, d’autant que de nombreux internationalistes français justifient cette multidisciplinarité par le caractère particulier de l’objet que cette discipline étudie, l’étude de
l’objet « relations internationales » requérant de multiples outils tirés de la sociologie, du
droit, de la science politique, de la psychologie, de l’économie, de l’histoire, etc.3
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 313
ou les études régionales (14 % contre 10 % en moyenne). Un certain nombre (4 %) de
répondants a également choisi d’inscrire « Sociologie politique internationale ».
Q 17. Parmi les choix suivants, lequel décrit le mieux votre champ d’étude principal ?
Champ d’étude principal
Tous
États-Unis
France
Relations internationales
38
41
40
Science politique
14
17
19
Études régionales
10
10
14
Politique étrangère
5
5
7
Études globales
5
4
4
Sociologie politique internationale
**
**
4
Études internationales
6
5
2
Affaires internationales
6
6
1
Autres domaines
17
12
9
La France se distingue par la force de l’étude des relations internationales d’une région
particulière / d’un pays en particulier (11 %, contre 7 % en moyenne) et de la politique
étrangère comparée (7 %, contre 4 % en moyenne) comme domaines d’étude principaux au
sein des RI (Q 22). En ce qui concerne les domaines d’étude secondaires au sein des RI
(Q 23), les répondants français, comme dans les autres pays, se divisent en un grand nombre
de catégories, ce qui est le signe d’une parcellisation et d’une spécialisation croissantes de la
discipline. Ils sont cependant particulièrement nombreux à choisir l’étude des relations internationales d’une région particulière/d’un pays en particulier (24 % contre 17 % en moyenne)
et la politique étrangère comparée (29 % contre 15 %). C’est là le signe que les études
régionales sont effectivement fortes en France. En revanche, l’économie politique internationale (5 % contre 12 % en moyenne), et la sécurité internationale (14 % contre 19 % en
moyenne) comme domaines d’étude principaux sont particulièrement peu présentes en
France. Mais la faiblesse de la sécurité internationale comme domaine d’étude principal est
compensée par le fait que 29 % (contre 18 % en moyenne) des répondants français en font
un de leurs domaines d’étude secondaires. Des six pays européens dans lesquels le sondage
est réalisé (Irlande, Norvège, Danemark, Finlande, Suède), la France est par ailleurs le pays
qui compte le moins de répondants estimant que l’intégration européenne est leur champ
d’étude principal.
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Tableau 4. Champ d’étude principal des internationalistes (en pourcentages)
314 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
Q 22. Quel est votre domaine de recherche principal dans les Relations internationales ?
Q 23. Quels sont vos domaines de recherche secondaires dans les Relations internationales ?
Sélectionnez tous les domaines pertinents.
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Domaine de recherche
Domaine principal
Tous
États-Unis
Politique étrangère comparée
4
Étude du développement
4
Société civile globale
Domaine secondaire
France
Tous
États-Unis
France
5
7
15
14
29
5
2
12
13
6
1
2
1
8
8
8
Histoire de la discipline des Relations
internationales
<1
<1
1
5
3
8
Droits de l’homme
2
3
0
10
11
4
Sécurité humaine
1
2
0
9
7
6
Environnement international
2
2
1
5
6
3
Éthique internationale
1
<1
0
5
3
4
Histoire internationale
2
<1
4
9
7
9
Droit international
2
3
0
8
10
5
Organisation(s) internationale(s)
5
6
7
19
20
26
Économie politique internationale
12
13
5
15
17
13
Relations internationales d’une région
particulière/d’un pays en particulier
7
4
11
17
12
24
Théorie des Relations internationales
7
6
7
20
16
19
Sécurité internationale
19
21
14
18
18
29
Santé internationale
<1
<1
1
1
1
3
Philosophie des sciences
<1
<1
1
3
3
5
Politique étrangère des États-Unis
5
8
5
17
22
22
Politique étrangère du pays x
3
--
4
9
--
15
Analyse des conflits et de la violence
--
--
6
--
--
1
Autre _________________
9
8
7
11
11
14
Études européennes / Intégration
européenne
6
4
11
9
7
23
Je ne suis pas un chercheur en RI
6
6
4
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Tableau 5. Les domaines de recherche des internationalistes (en pourcentages)
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En somme, les contours précis d’une éventuelle approche française des RI restent à déterminer. Même si certaines spécificités se dessinent, même si un certain consensus se dégage
à propos de la place importante occupée par la sociologie des relations internationales en
France1, il y a des divergences entre les internationalistes français en termes de méthode,
d’approche théorique et d’épistémologie. Les internationalistes français sont relativement
plus orientés vers les méthodes qualitatives non comparatives, à un moment où les méthodes
quantitatives et/ou comparatives connaissent un renouveau dans d’autres pays, et particulièrement aux États-Unis, ce qui confirme la tendance à la déconnexion par rapport aux RI
mondiales. S’ils considèrent dans une grande proportion que les RI sont leur champ d’étude
principal, les RI en question sont bien multidisciplinaires – en phase, cette fois, avec une
tendance récente de la discipline mondiale2 –, avec une influence forte de la science politique,
des études d’aires régionales et de la politique comparée.
Quels échanges entre la France et les RI internationales ?
elon certains observateurs, les spécificités françaises feraient en sorte que les débats
français ne suivent pas les mêmes lignes que les débats de la discipline et notamment
les débats américains3. Plus généralement, les internationalistes français ignoreraient
la production scientifique internationale : presque aucun ouvrage fondamental de la discipline des RI n’a été traduit en français4. Ce faisant, les Français souffriraient moins
qu’ailleurs de l’« impérialisme américain », parce qu’ils n’auraient pas l’impression d’être
« dominés »5.
S
La faiblesse structurelle des RI françaises aurait également comme conséquence que les RI
françaises seraient absentes des RI mondiales. Ainsi, pour certains, les internationalistes français ne seraient pas lus et cités par leurs homologues d’autres pays6. Ils publieraient principalement en français, des articles ou des ouvrages qui n’auraient pratiquement aucun impact
à l’international. Ils participeraient peu aux appels d’offres européens, ils seraient absents
des congrès internationaux et ils seraient peu nombreux à faire partie des comités éditoriaux
des principales revues de la discipline7. Outre les causes déjà mentionnées précédemment,
d’autres raisons institutionnelles sont parfois avancées : l’université française, qui divise enseignement et recherche de façon trop hermétique8, n’accorderait pas assez de crédits ou ne
1. Le TRIP fournit également certaines données sociologiques sur les internationalistes français. Comme la plupart des autres internationalistes, les répondants français s'informent grâce aux journaux (Q 39). Les internationalistes en France et dans le monde entier se situent politiquement plutôt à gauche (Q 33 et Q 34).
2. Pami Aalto, Vilho Harle, Sami Moisio (eds), International Studies. Interdisciplinary Approaches, Basingstoke,
Palgrave Macmillan, 2011 ; Patrick Forest, Mathieu Tremblay, Philippe Le Prestre, « Des Relations internationales
aux Études internationales : éléments de construction d'un champ de recherche et d'action interdisciplinaire »,
Études internationales, 40 (3), 2009, p. 417-440.
3. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 119 ; M.-C. Smouts, « La mutation d'une
discipline », art. cité, p. 28-29.
4. François Constantin cite notamment Robert Keohane, Joseph Nye, Robert Cox, Stephen Krasner et James
Rosenau (F. Constantin, « Le monde existe... », art. cité, p. 64).
5. M.-C. Smouts, « The Study of International Relations in France », art. cité, p. 283.
6. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 10 ; F. Constantin, « Les
relations internationales dans le champ scientifique français... », art. cité, p. 90 ; A. Grosser, « L'étude des relations internationales... », art. cité, p. 637.
7. M.-C. Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France... », art. cité, p. 87-88 ; J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 100-103.
8. J. Groom, « Les relations internationales en France... », art. cité, p. 115.
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Là encore cependant, il y aurait récemment une tendance vers l’internationalisation, avec
notamment une présence française de plus en plus importante dans les congrès internationaux et dans les centres universitaires étrangers, une participation aux appels d’offres paneuropéens et échanges interuniversitaires, la traduction en anglais de certains travaux et leur
publication dans des revues internationales, une meilleure connaissance des débats théoriques d’outre-Atlantique, la traduction en français d’articles écrits par des Américains etc.2.
Il faut également souligner la publication au cours des années 2000 de deux manuels de
théorie des relations internationales en français, l’un aux Presses de Sciences Po dû à Dario
Battistella, l’autre aux Éditions Athéna réunissant des internationalistes québécois sous la
direction d’Alex Macleod et Dan O’Meara : ces deux ouvrages auraient permis de sensibiliser
de nombreux internationalistes français aux débats qui parcourent la discipline ailleurs dans
le monde.
Certaines données du sondage incitent à relativiser l’ouverture française : sur certains aspects,
la France demeure en effet faiblement ouverte comparée à d’autres pays ou peu en phase
avec eux. Seuls 30 % des répondants français appartiennent à une association professionnelle
non française réunissant principalement des internationalistes (Q 378). C’est là une confirmation de l’ouverture au mieux partielle des RI françaises, et du peu de connexions entre
les RI françaises et les RI mondiales. Il est également intéressant de noter la prédominance
d’universités françaises, aussi bien dans les études de premiers cycles des répondants (88 %)
(Q 13) que dans les lieux d’obtention du diplôme le plus élevé (93 %) (Q 12). 82 % des
répondants ont la France comme pays d’origine (Q 16), ce qui la situe comme un pays plutôt
fermé, avec notamment les États-Unis (76 %), le Canada (82 %) et Israël (93 %). Dans quelle
mesure les répondants pensent-ils qu’un doctorat obtenu dans une université américaine est
avantageux sur le marché du travail français, comparé à un doctorat obtenu dans une université française (Q 45) ? Confirmant la relative fermeture de la France, 52 % des répondants
ont répondu que ce n’est pas avantageux (contre 35 % en moyenne) : après la Finlande
(83 % de réponses négatives), la France est le deuxième pays le plus fermé de ce point de
vue. L’explication de cette fermeture réside probablement dans les traditions de recrutement :
il est généralement nécessaire d’avoir obtenu son doctorat en France pour être pris en considération par les comités de sélection.
Une autre déconnexion peut être constatée en ce qui concerne les internationalistes considérés comme ayant produit la recherche la plus intéressante au cours des cinq dernières
années : les quatre premiers chercheurs considérés en France – à savoir, dans l’ordre alphabétique, Bertrand Badie, Dario Battistella, Jean-François Bayart, Didier Bigo – travaillent tous
en France, et aucun n’est listé par les répondants d’autres pays. Seuls trois chercheurs (Barry
Buzan, Alexander Wendt et Joseph Nye) sont considérés à la fois en France et dans les autres
1. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 101 ; F. Constantin, « Les
relations internationales dans le champ scientifique français... », art. cité, p. 98 ; M.-C. Smouts, « Entretien. Les
relations internationales en France... », art. cité, p. 87 ; M.-C. Smouts, « The Study of International Relations in
France », art. cité, p. 285.
2. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 132 ; N. Ragaru, « L'état des relations
internationales en France », art. cité, p. 80 ; F. Constantin, « Le monde existe... », art. cité, p. 64 ; M.-C. Smouts,
« Entretien. Les relations internationales en France... », art. cité, p. 85 ; J. Groom, « Les relations internationales
en France... », art. cité, p. 113.
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laisserait pas assez de temps pour participer à des congrès internationaux et pour mener des
enquêtes de terrain1.
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 317
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Nos données confirment aussi, dans une grande mesure en tout cas, que les RI françaises
sont absentes des RI mondiales. Au niveau mondial, aucun chercheur français, aucune revue
française, aucune maison d’édition et aucune université, ne sont cités parmi les plus influents.
Il faut toutefois souligner deux exceptions. L’une, a priori surprenante, qu’est la présence du
Monde diplomatique : cette revue mensuelle, traduite dans plus d’une vingtaine de langues
et qui compte de très nombreuses éditions dans des pays étrangers, est considérée comme
l’une des revues les plus influentes dans le monde, mais pas en France (Q 46). Ce paradoxe
est lié à sa très grande influence en Amérique latine : les Brésiliens, les Argentins, les Colombiens et les Mexicains la considèrent tous comme influente, ce qui n’est le cas nulle part
ailleurs. L’autre exception, plus compréhensible, concerne Sciences Po Paris, considéré par
4 % des répondants dans le monde comme ayant l’un des meilleurs programmes de Master
(Q 54). Ici aussi, l’influence de l’Amérique latine et centrale joue un rôle prépondérant,
puisque 12 % des Brésiliens, 17 % des Colombiens et 20 % des Mexicains considèrent ce
programme comme l’un des meilleurs. Sciences Po Paris se retrouve de plus en dix-septième
position des institutions desquelles les répondants ont obtenu leur plus haut diplôme (Q 12),
en étant désigné par huit répondants en dehors de la France (en plus de vingt-cinq répondants en France). En revanche, Sciences Po Paris ne figure pas parmi les vingt premières
réponses pour ce qui est des études de premier cycle (Q 13), ni pour les meilleurs programmes de doctorat (Q 55). En résumé, et à l’exception du Monde diplomatique et de
Sciences Po Paris pour les raisons indiquées, les RI françaises n’atteignent jamais les sommets
des classements mondiaux1.
Pour ce qui est des articles dans les revues, les résultats obtenus confirment la situation
ambiguë des RI françaises en ce qui concerne leur degré d’ouverture/fermeture par rapport
aux RI mondiales : 41 % des répondants souhaiteraient publier dans ce qui est considéré
comme la première revue de la discipline dans le monde, International Organization (Q 379).
Leur deuxième revue de prédilection est toutefois la Revue française de science politique (22 %
des répondants), puis International Security (19 %), Études internationales (16 %), World
Politics (16 %), European Journal of International Relations (13 %), Politique étrangère (13 %)
et Foreign Affairs (13 %). Revues internationales et revues françaises ou francophones (Études
internationales) alternent donc dans l’estime des internationalistes français, soulignant là
1. Dire qu'aucun internationaliste français ou presque n'a (eu) d'influence sur les RI mondiales n'est pas incompatible avec le fait que des Français non internationalistes soient reconnus comme ayant (eu) une telle influence :
l'importance de l'École des Annales – et notamment de Fernand Braudel – sur la théorie du système-monde de
Immanuel Wallerstein (J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 131), ou bien l'impact
des philosophes français postmodernes (Jacques Derrida, Michel Foucault, Jean Baudrillard, etc.) sur le poststructuralisme (ibid., p. 122), ou bien encore l'influence de Pierre Bourdieu sur le tournant pratique en RI (voir
notamment le dossier dirigé par Didier Bigo, Mikael R. Madsen, « A Different Reading of the International : Pierre
Bourdieu and International Studies », International Political Sociology, 5 (3), 2011 ; Frédéric Mérand, Vincent
Pouliot, « Le monde de Pierre Bourdieu : éléments pour une théorie sociale des Relations internationales »,
Revue canadienne de science politique, 41 (3), 2008, p. 603-625 ; Ted Hopf, « The Logic of Habit in International
Relations », European Journal of International Relations, 16 (4), 2010, p. 539-561) sont reconnus. Le fait, cependant, qu'il n'y ait pratiquement pas de réappropriation par les internationalistes français eux-mêmes de cet
héritage provenant d'autres disciplines tend à prouver a contrario la déconnexion des RI françaises par rapport
aux RI mondiales (J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 123-124 ; J. Groom, « Les
relations internationales en France... », art. cité, p. 113).
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pays de l’enquête comme ayant produit la recherche la plus intéressante au cours des cinq
dernières années : autrement dit, dans leur ensemble les internationalistes français considèrent que les recherches les plus intéressantes au cours des cinq dernières années sont des
productions françaises.
318 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
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Q 379. Classez les trois revues dans lesquelles vous voudriez le plus être publié.
Tableau 6. Classement des revues préférées pour publication (en pourcentages)
Rang
Revue
1
International Organization
41
2
Revue française de science politique
22
3
International Security
19
4
Études internationales
16
4
World Politics
16
6
European Journal of International Relations
13
6
Politique étrangère
13
6
Foreign Affairs
13
Mais les données du TRIP montrent également que les internationalistes français sont bien
connectés aux tendances mondiales. Elles confirment par exemple qu’ils lisent et connaissent
les auteurs américains. Les répondants devaient indiquer quatre noms de chercheur ayant
produit les travaux les plus influents sur la discipline au cours des 20 dernières années (Q 43).
Les résultats obtenus montrent une certaine proximité de la France avec le reste du monde,
puisque dix chercheurs parmi les 15 considérés en France comme étant les plus influents se
retrouvent parmi les vingt considérés comme les plus influents dans le monde. Il s’agit
d’Alexander Wendt, Robert Keohane, John Mearsheimer, Joseph Nye, Barry Buzan, James
Rosenau, Kenneth Waltz, Stephen Walt, Susan Strange et Samuel Huntington : ces chercheurs sont considérés comme incontournables par une grande partie des internationalistes
du monde entier. La plupart d’entre eux sont américains, ce qui montre que les RI demeurent
une discipline américaine. Les deux premiers retenus en France (A. Wendt et R. Keohane)
sont également les premiers dans le monde, ce qui illustre la connexion de la France de ce
point de vue. Comme on l’a vu, ce constat est relativisé lorsque l’on prend en compte non
pas la production la plus intéressante sur les vingt dernières années, mais l’influence exercée
sur les cinq dernières années. La comparaison entre ces deux résultats peut inciter à l’optimisme, étant donné que la reconnaissance d’internationalistes français sur les cinq dernières
années tend à indiquer que ces derniers temps, les internationalistes français sont considérés
comme ayant des choses à dire, ce qui était plutôt rare par le passé1. À condition cependant
de préciser que ce résultat est peut-être dû au fait que les répondants lisent d’abord les
recherches produites par leurs collègues français : ces recherches sont publiées en français,
1. Un seul Français, en l'occurrence Bertrand Badie, est cité par les internationalistes français comme faisant
partie des chercheurs les plus influents à la fois depuis vingt ans et au cours des cinq dernières années.
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encore que la spécificité des RI françaises le dispute à la tentation de se brancher résolument
sur les RI mondiales. De même, dans les cours de premier cycle d’introduction aux RI, les
Français font un peu moins lire d’auteurs américains que la moyenne (43 % contre 58 % en
moyenne), et un peu plus d’auteurs locaux (27 % contre 25 % en moyenne), même si, de
ce point de vue, ils ne se distinguent pas réellement de nombreux autres pays (Q 5).
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 319
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Pour ce qui est du pourcentage de la littérature en RI consacré aujourd’hui à différents
paradigmes (Q 41), la France surévalue la force du constructivisme (31 % de la littérature
contre 20 % en moyenne), et sous-évalue la place du libéralisme (22 % contre 28 %), mais
ne se distingue pas ou se distingue peu dans son évaluation du réalisme (29 % contre 33 %
en moyenne), du marxisme (6 % contre 9 % en moyenne), du féminisme (7 % en France
et 7 % en moyenne) et de l’École anglaise (12 % contre 9 % en moyenne). On ne retrouve
par ailleurs pas de particularité française quant à la place de ces paradigmes dans les cours
de premier cycle d’introduction aux RI (Q 6) : les Français attribuent aux principaux paradigmes des RI approximativement la même place que leurs collègues d’autres pays.
Q 41. Quel pourcentage de la littérature en RI est aujourd’hui consacré à chacun de ces paradigmes ?
Tableau 7. Les paradigmes dans la littérature en RI (en pourcentages)
Tous
Constructivisme
Réalisme
Libéralisme
Marxisme
Féminisme
École
anglaise
Non
paradigmatique
Autre
20
33
28
9
7
9
17
13
États-Unis
17
32
29
7
7
6
19
13
France
31
29
22
6
7
12
18
5
Q 6. Quel pourcentage approximatif de votre cours de premier cycle d’introduction aux RI
est consacré à l’étude et/ou à l’application de chacun des paradigmes suivants ? (Si vous avez
plusieurs réponses pour « Autre paradigme », ne tenez compte que du plus important d’entre
eux)
Tableau 8. Les paradigmes dans les cours de 1er cycle en RI (en pourcentages)
Constructivisme Réalisme Libéralisme
Marxisme
Féminisme
École
TransNon
Autre
anglaise nationalisme paradigmatique
Tous
13
24
21
11
7
8
**
18
15
États-Unis
11
25
22
10
7
5
**
19
17
France
15
25
22
9
4
9
1
23
8
Parmi les onze maisons d’édition qui, d’après les répondants français, publient les ouvrages
ayant le plus d’influence, toutes sont des presses universitaires anglophones, à l’exception
notable des Presses de Sciences Po (Q 48). Il en est de même pour les meilleurs programmes
de doctorat dans le monde pour un étudiant qui souhaite poursuivre une carrière universitaire en RI (Q 53) et pour les meilleurs programmes de Master pour ceux qui souhaitent
poursuivre une carrière non-universitaire en RI (Q 54) : tous, sauf Sciences Po Paris, sont
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dans des revues publiées en France, souvent par des personnes avec lesquelles ils ont des
relations de travail fréquentes. Quand on sait que les auteurs étrangers mettent au contraire
plus de temps avant d’être assimilés en France, on peut en déduire une sorte de décalage :
à court terme les logiques nationales dominent, tandis que sur le long terme se dessine ce
qui peut apparaître comme un consensus mondial sur les chercheurs les plus influents.
320 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
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Le classement des revues en France (Q 46) suit également les logiques mondiales : dix des
quatorze revues considérées en France comme étant les plus influentes se retrouvent dans
les vingt revues les plus influentes d’après les internationalistes des vingt pays interrogés,
dans approximativement le même ordre. Il s’agit d’International Organization, International
Security, Foreign Affairs, World Politics, Foreign Policy, European Journal of International Relations, Review of International Studies, International Studies Quarterly, American Political
Science Review et Global Governance. Les quatre autres revues sont des revues francophones,
auxquelles est attribuée une influence mondiale par effet de distorsion. On retrouve ces
quatre revues (Critique internationale, Cultures et conflits, Études internationales, et Politique
étrangère) parmi les cinq revues francophones considérées comme les plus influentes, la
cinquième étant la Revue française de science politique (Q 369).
Q 46. Classez les quatre revues qui publient les articles ayant la plus grande influence sur la
manière dont les chercheurs en Relations internationales pensent les relations internationales.
Cette liste peut inclure des revues spécialisées en Relations internationales, des revues de
science politique en général, et/ou des revues extérieures à la science politique.
Q 369. Classez les trois revues francophones qui publient les articles ayant la plus grande
influence sur la manière dont les chercheurs en Relations internationales pensent les relations
internationales. Cette liste peut inclure des revues spécialisées en Relations internationales,
des revues de science politique en général, et/ou des revues extérieures à la science politique.
Tableau 9. Revues considérées comme les plus influentes en RI (en pourcentages)
Rang
Nom de la revue
%
Rang
1
Critique internationale
57
1
International Organization
67
Nom de la revue francophone
%
2
International Security
39
2
Cultures et conflits
49
3
Foreign Affairs
31
3
Études internationales
46
4
World Politics
19
4
Politique étrangère
38
4
Foreign Policy
19
4
Revue française de science politique
38
6
Critique internationale
17
6
European Journal of International
Relations
17
8
Review of International Studies
14
8
Études internationales
14
8
International Studies Quarterly
14
11
American Political Science Review
8
11
Politique étrangère
8
11
Global Governance
8
11
Cultures et conflits
8
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anglais ou américains. Ces résultats sont comparables à ceux obtenus auprès des internationalistes des autres pays, exception faite de la présence des Presses de Sciences Po et de
Sciences Po Paris que seuls les Français prennent en considération. Il y a donc là encore une
proximité entre les internationalistes français et les autres internationalistes.
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 321
Quelle place pour la théorie et pour sa mise en pratique ?
’absence des RI françaises serait-elle liée à la faiblesse de l’apport théorique des internationalistes français ? La théorie domine la discipline mondiale, à commencer par les
États-Unis, et logiquement alors, comme le souligne Stephano Guzzini, pour éviter de
rester à la « périphérie », il faut faire de la théorie1. Or, la multidisciplinarité qui caractérise
les RI françaises aurait pour conséquence que la théorisation a pris une place marginale dans
la discipline2, sachant en effet que le droit et l’histoire n’accordent que peu d’importance à
la théorie. Les internationalistes français – à quelques exceptions près – ne se sont pas investis
dans la production théorique, et certains sont ouvertement sceptiques à son propos, en lui
préférant la sociologie des relations internationales3, avec pour conséquence que même des
revues comme Cultures et conflits et Critique internationale auraient un apport théorique peu
important4.
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En fait, les résultats obtenus montrent que la théorie des RI n’est pas particulièrement négligée
en France : 7 % des répondants français considèrent qu’il s’agit là de leur champ d’étude
principal (autant que la moyenne mondiale), et 19 % qu’il s’agit là de l’un de leurs champs
secondaires (contre 20 % en moyenne) (Q 22). Il en est de même pour la perception de
l’importance de la théorie des RI pour comprendre les relations internationales (Q 383) : la
quasi-totalité des répondants considère que les théories sont importantes (très en accord,
35 % et plutôt en accord 46 %), et seuls 17 % des répondants sont en désaccord (et 2 % très
en désaccord). Nos données indiquent donc que les raisons de la déconnexion aujourd’hui
doivent être cherchées ailleurs que dans le peu de considération pour la théorisation en
France.
La déconnexion est-elle alors liée à l’absence de liens entre théorie et pratique des relations
internationales ? Pour certains, les internationalistes français n’ayant pas accès aux décideurs
et n’étant pas écoutés, ils se concentreraient sur l’enseignement, aux dépens de la recherche
dont l’impact serait négligeable5. Là encore, le sondage TRIP est plus nuancé. Les internationalistes français sont davantage tentés que la moyenne des internationalistes des vingt
pays par des collaborations rémunérées avec les organisations internationales (23 % contre
11 % en moyenne), avec les think tanks (23 % contre 15 %) et avec le gouvernement de leur
pays (25 % contre 20 %), même s’ils collaborent moins souvent avec des organisations non
gouvernementales (ONG) (7 % contre 12 %). Ils sont moins nombreux à ne collaborer avec
aucun organisme (41 % contre 53 %) (Q 51). Les internationalistes français collaborent également relativement bien avec ces mêmes organismes sans être rémunérés (Q 52).
Il reste cependant vrai que les RI françaises sont plus fondamentales qu’appliquées : les
internationalistes français ont en majorité considéré leur recherche comme « principalement
fondamentale » (29 % contre 21 % en moyenne) ou « à la fois fondamentale et appliquée,
mais plus fondamentale qu’appliquée » (29 % également contre 38 % en moyenne), alors
que seulement 6 % (contre 11 % en moyenne) considèrent qu’ils font une recherche
1. Stefano Guzzini, « The Significance and Roles of Teaching Theory in International Relations », Journal of International Relations and Development, 4 (2), 2001, p. 98-117, dont p. 106-107.
2. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 103 ; J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 119 ; N. Ragaru, « L'état des relations internationales en
France », art. cité, p. 78.
3. D. Battistella, Théories des relations internationales, op. cit., p. 689.
4. J. Friedrichs, « International Relations Theory in France », art. cité, p. 132.
5. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 101.
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L
322 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
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Dans la lignée de ce résultat, les répondants français (Q 32) sont parmi ceux qui considèrent
que l’intérêt pratique/événements actuels est l’une des dimensions qui motive le moins le
développement de leurs recherches (22 % contre 33 % en moyenne). De même, si, de façon
générale, les répondants du monde entier sont d’abord motivés par leur domaine de
recherche, les Français le sont tout particulièrement (53 % contre 39 % en moyenne).
Lorsqu’on leur demande quelle dimension devrait d’abord et avant tout motiver la recherche
en RI, les répondants français privilégient le domaine de recherche (69 % contre 51 % en
moyenne) et moins l’intérêt pratique/événements actuels (11 % contre 29 %) (Q 60). En ce
qui concerne les types de recherche en RI pouvant être utiles aux décideurs politiques, la
France n’est pas différente du reste du monde, la plupart des répondants considérant que
les études régionales sont plutôt utiles voire très utiles, tandis que les analyses théoriques et
les modèles formels ne le sont pas (Q 57).
Q 60. Selon vous, laquelle des dimensions suivantes devrait d’abord et avant tout motiver
la recherche en Relations internationales ? (un seul choix possible)
Tableau 10. Motivation de la recherche en RI (en pourcentages)
Intérêt pour le
grand public
Domaine
de recherche
Méthodologie
Paradigme
Intérêt
pratique/événements
actuels
Région
Autre
Tous
3
51
2
4
29
2
10
États-Unis
2
54
1
3
29
1
9
France
7
69
0
7
11
4
2
Il ressort de ces résultats que les internationalistes français sont effectivement plutôt tournés
vers la recherche fondamentale, qui n’a pas un intérêt pratique direct et qui ne s’intéresse
pas aux événements actuels. Ils sont toutefois relativement plus consultés par les décideurs
politiques – peut-être est-ce là un moyen de pallier le manque de ressources disponibles au
sein de l’université.
La question de la langue
a langue est-elle un autre élément à prendre en compte pour expliquer l’isolement
des RI françaises, tant il est vrai que les effets de langage contribuent à la structuration
de la discipline2 ? Le fait que les Français publient en français, alors que la discipline
est dominée par l’anglais et que peu d’internationalistes parlent plusieurs langues, est une
L
1. La question précise le sens de ces deux termes : « une recherche fondamentale correspond à une recherche
faite pour acquérir des connaissances, sans avoir de visées et d'applications politiques immédiates » ; « une
recherche appliquée est menée avec des applications politiques spécifiques en tête ».
2. Anne-Marie D'Aoust, « Accounting for the Politics of Language in the Sociology of IR », Journal of International
Relations and Development, 15 (1), 2012, p. 120-131 ; David Grondin, Anne-Marie D'Aoust, Paul Racine-Sibulka,
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 63 No 2 ❘ 2013
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« principalement appliquée » et 23 % (contre 15 % en moyenne) « à la fois fondamentale et
appliquée, mais plus appliquée que fondamentale » (Q 31)1. Comparé à la moyenne des
autres pays, le centre de gravité semble donc déplacé vers la recherche fondamentale.
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 323
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À ce sujet, les données du TRIP indiquent que les internationalistes français sont en moyenne
plus polyglottes que les autres répondants (Q 36) : aucun d’entre eux parle seulement sa
langue maternelle (contre 22 % en moyenne et 30 % aux États-Unis), 39 % parlent une
langue étrangère (contre 37 % en moyenne et 39 % aux États-Unis), 37 % parlent deux
langues étrangères (contre 26 % en moyenne et 22 % aux États-Unis), 24 % parlent trois
langues étrangères ou plus (contre 14 % en moyenne et 9 % aux États-Unis). Il faut toutefois
souligner que lorsqu’on isole les pays qui n’ont pas l’anglais comme langue officielle (France,
Danemark, Finlande, Norvège, Suède, Israël, Turquie, Hong Kong, Singapour, Argentine,
Brésil, Colombie et Mexique), le nombre moyen de langues parlées par les internationalistes
français est comparable à celui des autres pays. Cela est lié au fait que l’anglais dominant la
discipline, il est moins nécessaire pour ceux qui ont l’anglais comme langue officielle de
maîtriser d’autres langues, tandis qu’il est indispensable pour les autres de maîtriser au moins
l’anglais. Ces résultats sont confirmés par la fréquence avec laquelle les répondants utilisent
des sources et documents qui ne sont pas dans leur langue maternelle pour mener leurs
recherches (Q 37) : 93 % le font régulièrement parmi les répondants français, tandis que tel
n’est le cas que de 46 % des répondants dans le monde, et de 27 % aux États-Unis.
Q 36. En plus de votre langue maternelle, combien de langues étrangères maîtrisez-vous
assez bien pour y avoir recours dans le cadre de vos recherches ?
Tableau 11. Langues étrangères maîtrisées par les internationalistes
Aucune
Une
Deux
Trois ou plus
Tous
22
37
26
14
États-Unis
30
39
22
9
France
0
39
37
24
Il est intéressant de noter que, en dépit de cette maîtrise de l’anglais, la plupart des répondants
français (71 %) n’ont pas coécrit un texte présenté dans le cadre d’une conférence scientifique
avec un chercheur anglophone, coécrit un article publié dans une revue scientifique avec un
chercheur anglophone, ou codirigé un ouvrage avec un chercheur anglophone au cours des
trois dernières années. Seuls 29 % d’entre eux ont collaboré avec un chercheur anglophone
(Q 380). C’est le signe d’une fermeture relative. Mais ce peu de collaborations s’explique
également par le fait qu’en France, comparé aux autres pays, les livres sont plus importants,
et les articles le sont moins. En ce qui concerne les trois types de contributions scientifiques
qu’il est important de publier pour progresser dans une carrière universitaire, en France, les
« La discipline francophone des Relations internationales au Québec et au Canada. Pistes de réflexion sur les
enjeux et dilemmes linguistiques liés au marché du travail », Politique et sociétés, 31 (3), 2012, p. 9-38.
1. J.-J. Roche, « L'enseignement des relations internationales en France... », art. cité, p. 105 ; J. Groom, « Les relations internationales en France... », art. cité, p. 109-110 ; M. Chillaud, « International Relations in France... », art.
cité, p. 248.
2. M.-C. Smouts, « Entretien. Les relations internationales en France... », art. cité, p. 87.
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 63 No 2 ❘ 2013
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autre des raisons évoquées pour expliquer la déconnexion1. Cela amène par exemple MarieClaude Smouts à considérer qu’il est « indispensable » de mettre en place une politique de
traduction en anglais des travaux français2.
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monographies écrites seul (87 % contre 86 % en moyenne), mais surtout les monographies
écrites à plusieurs (32 % contre 19 %) et les monographies dirigées (39 % contre 11 %) sont
plus importantes, à condition que ces monographies soient publiées dans des maisons d’édition universitaires – les monographies écrites seul dans des maisons d’édition commerciales
étant particulièrement peu valorisées en France (5 % contre 27 % en moyenne) (Q 50). Les
articles évalués par les pairs sont relativement moins valorisés, qu’ils soient le fait d’un seul
auteur (74 % en France, contre 88 % en moyenne) ou de plusieurs (29 % contre 37 %). Aux
États-Unis à l’inverse, les articles sont plus importants, et les monographies le sont moins.
Cette particularité française à la fois explique et reflète le fait que les Français ont du mal à
percer sur les marchés où l’on accorde relativement plus d’importance aux articles évalués
par les pairs, comme aux États-Unis : plus portés vers la production de monographies pour
des raisons nationales, il est logique qu’ils soient moins présents à l’international, où les
articles sont plus valorisés.
Q 50. Classez les trois types de contributions scientifiques qui vous semblent les plus importantes de publier afin de progresser dans votre carrière universitaire
Tableau 12. Classement des types de contributions scientifiques qu’il est important de
publier pour faire carrière (en pourcentages)
Tous
États-Unis
France
Monographie (SA, ÉU)
86
90
87
Monographie (SA, ÉC)
27
22
5
Monographie (Co, ÉU)
19
19
32
Monographie (Co, ÉC)
2
2
0
Monographie (Dir, ÉU)
11
10
39
Monographie (Dir, ÉC)
2
<1
0
Chapitre de livre (ÉU)
11
11
11
Chapitre de livre (ÉC)
2
1
0
Article (SA, Éva)
88
89
74
Article (SA, Non-éva)
3
3
3
Article (Co, Éva)
37
41
29
Article (Co, Non-éva)
<1
<1
3
Présentations ou communications à des conférences
4
4
13
Note : SA = un seul auteur ; Co = plusieurs co-auteurs ; Dir = ouvrage dirigé ; ÉU = édition universitaire ; ÉC = édition
commerciale ; Éva = évalué par les pairs ; Non-éva = non évalué par les pairs.
*
* *
Au terme de cette analyse des données recueillies grâce à l’enquête TRIP, le portrait qui se
dessine de la discipline des RI en France et de son ancrage à la discipline mondiale est
ambivalent. Si les internationalistes français qui ont répondu au sondage apparaissent ouverts
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324 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 325
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Il n’est plus possible de continuer à dire que les RI françaises sont isolées du reste du monde
comme elles l’ont longtemps été : l’espoir nourri au cours des années 1990 par plusieurs
commentateurs commence à prendre corps. Il reste cependant que l’émergence demeure partielle sur plusieurs aspects : les internationalistes continuent de se sentir marginalisés dans
l’université française, tandis que l’influence de la science politique et des études régionales
demeure forte. Aucun internationaliste français ni aucune revue française ne sont mondialement reconnus. La majorité des internationalistes ne sont ni membres d’une association française ne regroupant que des internationalistes, ni d’une association internationale équivalente.
Le portrait est donc contrasté, autant pour ce qui est de la place des RI en France que de la
place des RI françaises dans le monde. Tout se passe comme si les internationalistes français
hésitaient entre un désir de se différencier, comme en témoignent les débats autour d’une école
française des RI, de la multidisciplinarité ou de la sociologie des RI, et un désir de s’intégrer
avec la discipline mondiale, comme en témoigne la place qu’ils réservent aux revues et aux
auteurs américains. C’est sans doute ce paradoxe qui explique nombre des résultats obtenus
dans le sondage. Par ailleurs, la question de savoir si plusieurs des tendances observées sont
particulières aux RI reste entière : on peut notamment penser que le manque de publications
en anglais, la non-présence dans les grands centres de décision de la discipline au plan international, ou la faiblesse des études quantitatives, sont loin d’être exclusifs aux RI. Il serait ainsi
intéressant de mener une recherche portant sur un ensemble de sous-champs français des
sciences sociales, pour voir si des récurrences se dessinent, et tenter de les expliquer.
Comme on le souligne en annexe, seuls les politistes ont été considérés comme des internationalistes dans cette enquête. Ils ont été les seuls à être invités à répondre au sondage,
conformément aux indications données par les responsables américains du TRIP. Une telle
définition a sans aucun doute influencé les résultats obtenus. Mais c’est justement l’une des
forces de la recherche menée ici que de révéler l’existence d’internationalistes français qui
commencent à être bien connectés sur la discipline mondiale après être longtemps restés à
l’ombre des juristes, des historiens, voire des autres politistes. La meilleure preuve que les
RI françaises évoluent est sans doute le fait que pour la première fois le sondage TRIP ait
été réalisé en France. C’est le signe que la France commence à s’insérer petit à petit dans la
discipline mondiale. Reste à espérer que les bras tendus par les RI mondiales aux RI françaises
soient dans le futur saisis par davantage d’internationalistes que le seul tiers parmi eux qui
ait accepté de participer à cette enquête. Ce taux de participation, le plus bas de tous les
pays concernés par le sondage TRIP, illustre à quel point il reste encore du chemin à parcourir
pour qu’émerge une véritable communauté des internationalistes français1.
1. Les auteurs remercient vivement les évaluateurs et le comité de rédaction de la revue pour leurs commentaires
et suggestions.
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et en phase avec la discipline mondiale pour ce qui est de leurs tendances théoriques, du
nombre de langues parlées, des méthodes utilisées, notamment, ils restent plutôt fermés pour
ce qui est de leurs lieux d’études, des chercheurs qu’ils estiment intéressants sur les dernières
années, de la tendance à publier des monographies plutôt que des articles, entre autres.
326 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
Jérémie Cornut et Dario Battistella
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Dario Battistella est professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. Il a
récemment publié la quatrième édition de Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences
Po, 2012 ; (avec Frank Petiteville, Marie-Claude Smouts et Pascal Vennesson) la troisième édition du
Dictionnaire des relations internationales, Paris, Dalloz, 2012 ; ainsi que « Raymond Aron : A Neoclassical
Realist Before the Term existed ? », dans Asle Toje, Barbara Kunz (eds), Neoclassical Realism in European
Politics. Bringing Power Back In, Manchester, Manchester University Press, 2012, p. 117-137. Ses travaux
portent sur la théorie des relations internationales et le système international contemporain (Sciences
Po Bordeaux, 11 allée Ausone, 33600 Pessac, <[email protected]>).
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Jérémie Cornut est postdoctorant à l’Université McGill de Montréal où il étudie les pratiques diplomatiques,
la théorie des relations internationales et la politique étrangère canadienne. Il a notamment publié dans la
Revue canadienne de science politique, Politique et sociétés et International Journal (Université McGill, 845
rue Sherbrooke Ouest, Montréal (Québec) H3A 0G4, Canada, <[email protected]>).
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 327
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Le TRIP est un projet qui consiste, depuis le début des années 2000, à dresser le portrait de
la discipline des RI et de son évolution à partir de sondages envoyés à des internationalistes
et enquêtant sur les approches théoriques dont ils relèvent, les méthodes de recherche qu’ils
privilégient, les contenus des cours qu’ils enseignent, les liens qu’ils entretiennent avec la
pratique des relations internationales, la place des femmes parmi eux, les grands noms qu’ils
considèrent être ceux de la discipline, les universités dont ils pensent qu’elles proposent les
formations les plus prestigieuses en master et en doctorat, les revues et maisons d’édition
qu’ils estiment influentes, etc. Le succès de cette entreprise est tel que les résultats obtenus
sont dorénavant utilisés de façon régulière par les internationalistes, que ce soit pour critiquer
les inégalités de genre dans la discipline aux États-Unis1, pour étudier la place du paradigmatisme et du pluralisme2, pour comparer les écoles américaines et britanniques en économie
politique internationale3, pour dresser le portrait des chercheurs en politique étrangère canadienne4, pour suivre l’évolution de la discipline dans le temps5, etc.
Après une première enquête portant sur les seules RI américaines en 2004, le projet TRIP s’est
élargi pour inclure, successivement, le Canada en 2006, puis une dizaine de pays anglophones
en 2008. La quatrième enquête menée en 2011 a consisté en un sondage comparatif portant
sur vingt pays différents : États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande,
Irlande, France, Danemark, Finlande, Norvège, Suède, Israël, Turquie, Hong Kong, Singapour,
Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Colombie, et Mexique. Grâce à sa dimension comparée,
cette dernière enquête permet de préciser à la fois le portrait de la discipline dans son ensemble
et d’apporter des débuts de réponses à certaines interrogations portant sur le degré d’émergence
et la spécificité des RI françaises. Ce sont plus précisément deux sortes d’information que
fournissent les données obtenues lors de cette enquête6 : d’une part des indications subjectives
relatives à la manière dont les internationalistes se perçoivent eux-mêmes et perçoivent leur
discipline en termes théoriques, méthodologiques, épistémologiques etc. ; d’autre part des éléments objectifs sur le degré d’ouverture ou de fermeture des RI dans les différents pays à partir
d’indicateurs tels que l’université d’obtention d’origine du diplôme le plus élevé, le nombre
de langues étrangères parlées, la place accordée à des auteurs de nationalité différente dans les
cours enseignés, etc. Cette annexe explique la méthode utilisée pour l’obtention et le traitement
des données. Toutes les données et le protocole de recherche sont disponibles sur le site Internet
du projet (<http ://irtheoryandpractice.wm.edu/projects/trip/index.php>), ou ont été publiés
1. Ackerly Brooke, Jacquie True, « An Intersectional Analysis of International Relations : Recasting the Discipline »,
Politics et Gender, 4 (1), 2008, p. 156-173.
2. Rudra Sil, Peter Katzenstein, Beyond Paradigms. Analytic Eclecticism in the Study of World Politics, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, p. 24 ; Jeffrey Checkel, « Theoretical Synthesis in IR : Possibilities and Limits »,
Simons Papers in Security and Development, 6, Vancouver, School for International Studies, Simon Fraser
University, 2010, p. 6.
3. David Lake, « TRIPs across the Atlantic : Theory and Epistemology in IPE », Review of International Political
Economy, 16 (1), 2009, p. 47-57 ; Daniel Maliniak, Michael Tierney, « The American School of IPE », Review of
International Political Economy, 16 (1), 2009, p. 6-33.
4. John Kirton, « The 10 Most Important Books on Canadian Foreign Policy », International Journal, 64 (2), 2009,
p. 553-564 ; Jérémie Cornut, Stéphane Roussel, « Canadian Foreign Policy : A Linguistically Divided Field »,
Canadian Journal of Political Science, 44 (3), 2011, p. 685-709.
5. D. Battistella, Théories des relations internationales, op. cit., p. 667-669.
6. Daniel Maliniak, Amy Oakes, Sue Peterson, Mike Tierney, « International Relations in the US Academy », International Studies Quarterly, 55 (2), 2011, p. 437-464.
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Annexe 1. Description du protocole utilisé
328 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
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En 2011, les vingt pays étudiés ont été choisis sur la base des réseaux et des intérêts personnels
des chercheurs du College of William & Mary. Ce critère de sélection pose bien sûr un
problème : non seulement de nombreux internationalistes du monde entier n’ont pas été
sondés, mais, pour ce qui est de la France, des pays a priori comparables comme l’Allemagne
ou l’Italie ne font pas partie de l’enquête. Pour la première fois, les questions sont posées
non seulement en anglais, mais également en cinq langues différentes. En tout, 87 questions
communes, divisées en quatre sections, sont envoyées à 7 001 internationalistes. 3 466 d’entre
eux ont participé au sondage. Ce taux de 49,5 % (et de 36,6 % pour la France) correspond
aux internationalistes ayant participé, mais seuls un peu plus du tiers d’entre eux a répondu
à toutes les questions posées. À ces questions communes s’ajoute ensuite une section V qui
pose des questions spécifiques à chaque pays.
En échange d’un accès privilégié aux données, les auteurs de cet article étaient en charge
d’identifier les internationalistes français, traduire les questions du sondage commun ainsi
que les lettres d’invitation à répondre au sondage, et rédiger les questions de la section V
spécifique à la France. Cette section V représente donc la façon dont ces auteurs posent des
problèmes qu’ils ont par ailleurs identifiés comme susceptibles de concerner plus spécifiquement les RI en France. L’envoi du sondage, la cueillette des données et leur agrégation
étaient la responsabilité du College of William & Mary.
La première étape a consisté à identifier les internationalistes français. Un Survey Sample
Codebook était distribué à tous les partenaires du TRIP : il s’agit du protocole de recherche
présidant aux enquêtes depuis le lancement du premier sondage TRIP, et qui détaille les
caractéristiques des personnes considérées comme internationalistes, les seules invitées à
répondre au sondage. La procédure d’identification est donc partie, pour délimiter le corpus
concerné, de la définition américaine de ce que sont les RI. A alors été retenue comme
internationaliste toute personne faisant de la recherche en relations internationales ou enseignant un cours de relations internationales dans un département ou une école de science
politique, ou un institut d’études politiques2.
Concrètement, un spécialiste de l’histoire des relations internationales qui enseigne dans un
institut d’études politiques, ou un département de science politique, est considéré comme
1. Daniel Maliniak, Amy Oakes, Sue Peterson, « Women in International Relations », Politics and Gender, 4 (1),
2008, p. 122-144 ; Daniel Maliniak, Amy Oakes, Sue Peterson, Mike Tierney, The View from the Ivory Tower.
TRIP Survey of International Relations Faculty in the United States and Canada, Williamsburg, Program on the
Theory and Practice of International Relations, College of William & Mary, 2007 ; Sue Peterson, Mike Tierney,
Daniel Maliniak, « Inside the Ivory Tower », Foreign Policy, 6, 2005, p. 58-64 ; Richard Jordan, Daniel Maliniak,
Amy Oakes, Sue Peterson, Mike Tierney, One Discipline or Many ? TRIP Survey of International Relations Faculty
in Ten Countries, Williamsburg, The Institute for the Theory and Practice of International Relations, College of
William & Mary, 2009 ; Daniel Maliniak, Sue Peterson, Mike Tierney, TRIP around the World. Teaching, Research,
and Policy Views of International Relations Faculty in 20 Countries, Williamsburg, The Institute for the Theory
and Practice of International Relations, College of William & Mary, 2012, p. 4-5 ; D. Maliniak, A. Oakes, S. Peterson,
M. Tierney, « International Relations in the US Academy », art. cité.
2. D. Maliniak, S. Peterson, M. Tierney, TRIP around the World..., op. cit.
❘ REVUE FRANÇAISE DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 63 No 2 ❘ 2013
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dans des revues scientifiques1. Plus précisément, la plupart des statistiques analysées dans cet
article sont présentes dans le rapport du TRIP 2011, disponible à l’adresse suivante :
<http://irtheoryandpractice.wm.edu/projects/trip/TRIPAroundTheWorld2011.pdf>. C’est la
raison pour laquelle tous les tableaux ne sont pas reproduits dans cet article. Les questions
portant un chiffre supérieur à 100 ont été posées seulement aux répondants français (voir
annexe 2), et aucune donnée comparative n’est disponible pour elles.
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un internationaliste, mais au contraire est exclu de l’échantillon s’il n’enseigne que dans un
département d’histoire. Il en est de même pour les juristes, les philosophes, les sociologues,
les économistes, les professeurs des écoles de commerce, etc. Un spécialiste d’études européennes ou d’aires régionales est considéré comme un internationaliste s’il s’occupe de questions relatives aux relations internationales, à la politique de défense ou bien à la politique
extérieure de l’Union européenne (UE) ou des pays concernés par son aire régionale de
spécialisation ; à l’inverse, s’il s’intéresse à des questions relevant plutôt des dimensions
internes de l’UE ou des autres régions, il est exclu. Soulignons qu’il suffit d’être enseignant
pour être considéré comme internationaliste : il n’y a aucun critère quant au statut de l’enseignant. Un attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) ou un vacataire
– l’équivalent de ce qu’en Amérique du Nord on appelle des sessionals ou des adjuncts – a
été considéré comme internationaliste, et a été invité à répondre au sondage. Il faut également
ajouter qu’en cas de doute, pour éviter toute impression d’exclusion arbitraire, le chercheur
ou l’enseignant en question était considéré comme un internationaliste – c’est par exemple
ce qui a conduit à inclure les membres du Centre Thucydide (Université Paris II-Panthéon
Assas).
Concernant le corpus des établissements d’enseignement et de recherche considérés comme
domiciliant des recherches et des enseignements de RI, le point de départ était constitué par
une liste d’environ 350 institutions universitaires françaises compilée à partir d’une base de
données de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture
(Unesco). Il s’agissait pour les collaborateurs français du TRIP de passer en revue cette liste
pour déterminer si les institutions concernées possèdent un département ou une école de
science politique ou un institut d’études politiques ou, le cas échéant, de science politique
et de droit, l’objectif étant d’identifier et de trouver les coordonnées des internationalistes
français grâce au site Internet de ces institutions. Résultat de cette deuxième étape : trentedeux institutions ont été identifiées autour, notamment, des neuf instituts d’études politiques, l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’Institut de recherche stratégique
de l’école militaire (Irsem), les départements de (droit et/ou) science politique des universités
Paris I, Paris II, Paris III, Lille 2, Grenoble, Strasbourg, Lyon 3, l’Institut catholique de Paris,
etc. Le repérage ne concerne que des institutions publiques de recherches et d’enseignement,
et aucune structure fondée sur le modèle des think tanks : les membres de l’Institut de
relations internationales et stratégiques (Iris), de l’Institut français des relations internationales (Ifri) ou de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) invités à répondre au
sondage l’ont été uniquement dans la mesure où ils enseignaient ou faisaient également de
la recherche dans une institution publique. En août 2011, ces institutions regroupent environ
trois cents internationalistes français.
Il n’est pas impossible que certaines personnes contactées ne se considèrent pas elles-mêmes
comme des internationalistes, tandis que d’autres qui se considèrent internationalistes n’ont
pas été contactées. Le fait que seulement 4 % des répondants considèrent qu’ils ne sont pas
des chercheurs en relations internationales (Q 22) indique cependant qu’il s’agit bien d’un
sondage auquel seulement les internationalistes ont répondu. Même si un tiers seulement
des personnes contactées a répondu au sondage, il est possible d’affirmer que la plupart des
internationalistes français a été contactée dans ce sondage. La plupart des répondants sont
des maîtres de conférences, des chargés d’enseignement ou des professeurs agrégés (Q 36).
20 % des répondants ont comme diplôme le plus élevé un diplôme d’études approfondies
(DEA ou Master) avec mémoire de recherche et 70 % un doctorat (Q 11).
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DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 329
330 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
Q 36. Quel est votre statut au sein de votre département actuel ?
Tableau 13. Statut des répondants au sein de l’université (en pourcentages)
Maître de
Chargé
conférences d’enseignement
Professeur
ATER Enseignant- Chargé de Professeur
agrégé
chercheur
recherche
associé
Stagiaire
de
postdoctoral
Autres
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recherche
département
Pourcentage
Directeur
18 %
14 %
13 %
12 %
11 %
8%
4%
1%
1%
17 %
Une fois les internationalistes français identifiés, les questions qui leur étaient destinées ont
été traduites. Au-delà, vingt questions spécifiques au sondage en France ont été ajoutées aux
quatre-vingt-sept posées aux internationalistes du monde entier. Ces questions touchent à
la fois l’étude des relations internationales elles-mêmes, la perception par les internationalistes français de leur discipline en France, la fréquence de leur collaboration avec des chercheurs anglophones, leur degré de connaissance de certains labels théoriques, etc. Au vu de
la proximité linguistique qui existe entre le Québec et la France et pour permettre des
comparaisons, certaines de ces questions sont également posées dans le sondage envoyé aux
internationalistes canadiens.
Cette recherche a indéniablement des limites méthodologiques. Dans toute interprétation
des résultats d’un sondage, notamment à cause de la représentativité de l’échantillon des
répondants et de la variété des interprétations à laquelle certaines questions et réponses
suggérées peuvent donner lieu, il y a toujours un double risque : celui de faire parler des
gens qui ne se sont pas exprimés et celui de faire dire à des répondants qui se sont exprimés
ce qu’ils n’ont pas dit. Il y a également certains problèmes spécifiquement liés à la comparaison entre différents pays : il a fallu traduire les questions, et dans certains cas le sens ne
pouvait pas être reproduit avec exactitude (un professeur n’a pas exactement le même statut
en France et aux États-Unis par exemple). Il y a par ailleurs certains problèmes légaux (il
n’est par exemple pas possible de poser des questions sur l’origine ethnique des répondants)
ou d’ordre politique (par exemple, la droite et la gauche ne correspondent pas exactement
à la même chose dans tous les pays).
Ajoutons à cela les autres problèmes inhérents à la réalisation d’un sondage, problèmes
identifiés par Pierre Bourdieu qui conteste trois postulats : il faut présupposer que tout le
monde puisse avoir une opinion, que toutes les opinions se valent, et qu’il y ait un consensus
sur les problèmes1. Le sondage réalisé ici n’échappe pas à ces travers. Par exemple, lorsqu’on
demande de classer les meilleurs programmes de doctorat au monde, il n’est pas certain que
tous les répondants aient suffisamment d’information sur la question pour avoir une opinion
éclairée. Plus généralement, aucune distinction n’est faite entre les répondants en fonction
de leur connaissance de la discipline. L’opinion informée et l’opinion moins informée sont
considérées de la même façon. Il faut également souligner que lorsque certaines questions
suggèrent un choix de réponse, ce choix est susceptible d’influencer les résultats obtenus.
Par exemple, à la question de savoir quelle est l’approche théorique adoptée par les répondants (Q 21), six paradigmes sont suggérés (constructivisme, École anglaise, féminisme,
libéralisme, marxisme et réalisme). Cela avantage ces six paradigmes, et désavantage tous
1. Pierre Bourdieu, « L'opinion publique n'existe pas. Quelques remarques critiques sur les sondages d'opinion »,
Les Temps modernes, 318, 1973, p. 1292-1309.
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Statut
dans le
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 331
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La réalisation d’un sondage auprès d’universitaires comporte de plus des difficultés spécifiques. Toutes les réponses individuelles sont agrégées et il n’est plus possible d’identifier les
logiques qui expliquent les réponses à certaines questions, et qui sont liées au positionnement
dans le champ disciplinaire des répondants1. En effet, en répondant aux questions d’un
sondage, les universitaires n’abandonnent pas la logique qui les anime, et qui consiste en
une lutte pour l’appropriation des ressources disponibles. Ils vont notamment être tentés
d’influencer l’image de la discipline que le sondage produit. Autrement dit, par exemple,
lorsqu’ils répondent à la question sur les internationalistes ou les revues les plus influents
dans le champ aujourd’hui, ils sont influencés par leurs perceptions et leurs intérêts. Il y a
ainsi des différences entre les résultats du TRIP et ceux obtenus en calculant les facteurs
d’impact2.
Il faut enfin souligner que nos données ne nous permettent pas de mesurer le degré d’émergence des RI françaises de façon exhaustive. Il n’y a notamment pas dans cette étude de
mesure de l’impact des publications des chercheurs français à l’international, de quantifications de leur présence dans les congrès internationaux, ou bien d’évaluation de leur place
dans les universités françaises. Les données qui permettraient de dresser un portrait dynamique et de mesurer une évolution dans le temps ne sont pas non plus disponibles, étant
donné que le sondage réalisé en 2011 l’a été pour la première fois et donc ne permet pas la
comparaison avec des données antérieures. Dans la mesure où le taux de participation, en
France, a seulement été de 36,6 %, il serait par ailleurs intéressant de compléter les résultats
présentés ici avec des données plus factuelles, concernant par exemple les intitulés des syllabus de cours que l’on peut trouver dans les principaux lieux d’enseignement, les titres des
livres importants publiés récemment en France, le contenu des articles en RI publiés dans
les revues françaises etc. De plus, les auteurs de cette recherche n’ont pas procédé à des
analyses multivariées, qui auraient amené à croiser plusieurs facteurs entre eux, afin de mieux
comprendre les sous-populations des internationalistes français. Parce qu’il s’agit d’étudier
les RI dans leur ensemble, sauf exception, les répondants français ont été traités comme un
seul bloc. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il y a très certainement de profonds clivages
– notamment des différences générationnelles et des particularités institutionnelles – et que
dresser le portrait de la discipline sur une base nationale, sans s’intéresser à d’autres divisions
susceptibles de traverser les frontières, est problématique3. On ne s’est pas non plus posé
précisément la question de savoir dans quelle mesure la déconnexion serait une spécificité
française. Si on admet que les RI sont une discipline américaine, comme l’a affirmé Stanley
Hoffmann4, dans une certaine mesure, toutes les autres sont au moins partiellement déconnectées. Ce ne serait donc pas un trait propre à la France.
1. Pierre Bourdieu, « La spécificité du champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison »,
Sociologie et sociétés, 7 (1), 1975, p. 91-118, dont p. 99.
2. Michael Horowitz, Allan Stam, « Ranking Scholars and Departments. Comparing Subjective and Objective Measures », communication présentée au TRIP Data Workshop de la conférence annuelle de l'International Studies
Association, Montréal, 15 mars 2011.
3. Olivier Kessler, Xavier Guillaume, « Everyday Practices of International Relations : People in Organizations »,
Journal of International Relations and Development, 15 (1), 2012, p. 110-120, dont p. 118.
4. Stanley Hoffmann, « An American Social Science. International Relations », Daedalus, 106 (3), 1977, p. 41-60.
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ceux qui ne sont pas suggérés. De même, la section IV pose des questions sur l’actualité
internationale qui reflètent souvent les priorités américaines.
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Si tout cela empêche le sondage d’être un portrait complet de la discipline, il peut tout de
même indiquer certaines tendances. Nous pensons que notre recherche fournit un certain
nombre d’éléments pour voir dans quelle mesure les internationalistes français émergent, à
la fois en France et à l’international. En effet, la réalisation de ce sondage a plusieurs avantages
sur des méthodes alternatives : il s’agit d’un outil d’objectivation très efficace, en ce qu’il
tend vers l’exhaustivité, fournit des réponses normalisées, et permet des comparaisons. De
nombreuses questions sont ouvertes et les répondants ont souvent la possibilité d’inscrire
les réponses de leur choix, sans être orientés. À tout moment, ils peuvent cocher la case « ne
souhaite pas me prononcer », ou bien passer à la question suivante sans répondre, ce qui
explique en partie les variations dans le taux de réponse d’une question à une autre. De plus,
ce sondage dépersonnalise partiellement les débats, alors que les analyses qualitatives sont
bien davantage susceptibles d’être attribuées à des jeux de positionnement. Les données
rendues disponibles dans cette recherche nous ont ainsi amenés à relativiser, voire à invalider,
plusieurs affirmations répétées par certains commentateurs. Par ailleurs, dans un sondage,
chaque internationaliste a une voix, indépendamment de son influence et de son prestige :
cela permet de donner à tous le même poids, sans que le statut dans la discipline ne biaise
l’analyse. Pour toutes ces raisons, la sociologie disciplinaire, qui prend progressivement de
plus en plus d’importance1, utilise régulièrement les sondages, y compris en France2.
1. Christian Bueger, « From Epistemology to Practice : A Sociology of Science for International Relations », Journal
of International Relations and Development, 15 (1), 2012, p. 97-109.
2. Emiliano Grossman, « Les stratégies de publication des politistes français », Revue française de science politique, 60 (3), juin 2010, p. 565-585.
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332 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 333
Annexe 2. Liste des questions posées uniquement dans le sondage français
(section V)
1 – Dans les universités françaises, la recherche et l’enseignement en Relations internationales
occupent une place respectable.
• Vous êtes plutôt en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en désaccord avec cette affirmation
• Vous êtes très en désaccord avec cette affirmation
2 – Il y a beaucoup d’internationalistes en France.
• Vous êtes très en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en désaccord avec cette affirmation
• Vous êtes très en désaccord avec cette affirmation
3 – Comment a évolué la place des Relations internationales dans les universités françaises
au cours des vingt dernières années ?
• Les Relations internationales ont la même place qu’il y a vingt ans
• Les Relations internationales ont progressé depuis vingt ans
• Les Relations internationales ont régressé depuis vingt ans
4 – Les théories des Relations internationales sont importantes pour comprendre les relations
internationales.
• Vous êtes très en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en désaccord avec cette affirmation
• Vous êtes très en désaccord avec cette affirmation
5 – Il existe une façon spécifiquement française d’étudier les relations internationales
• Vous êtes très en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en désaccord avec cette affirmation
• Vous êtes très en désaccord avec cette affirmation
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• Vous êtes très en accord avec cette affirmation
334 ❘ Jérémie Cornut, Dario Battistella
6 – La spécificité française dans l’étude des relations internationales réside dans la sociologie
des relations internationales
• Vous êtes très en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en accord avec cette affirmation
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• Vous êtes très en désaccord avec cette affirmation
7 – Les relations internationales sont une discipline à part entière à l’image des autres sciences
sociales
• Vous êtes très en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en désaccord avec cette affirmation
• Vous êtes très en désaccord avec cette affirmation
8 – Les relations internationales sont un objet d’étude qui relève de plusieurs sciences sociales
• Vous êtes très en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en accord avec cette affirmation
• Vous êtes plutôt en désaccord avec cette affirmation
• Vous êtes très en désaccord avec cette affirmation
9 – Avez-vous déjà entendu parler d’une école française des relations internationales ?
• Oui, tout à fait.
• Oui, mais je ne sais pas trop quel est son contenu
• Non, jamais
10 – Avez-vous déjà entendu parler de la French Theory en relations internationales ?
• Oui, tout à fait.
• Oui, mais je ne sais pas trop quel est son contenu
• Non, jamais
11 – Avez-vous déjà entendu parler de la French Touch en relations internationales ?
• Oui, tout à fait.
• Oui, mais je ne sais pas trop quel est son contenu
• Non, jamais
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• Vous êtes plutôt en désaccord avec cette affirmation
DES RI FRANÇAISES EN ÉMERGENCE ? ❘ 335
12 – Avez-vous déjà entendu parler de l’École de Paris en relations internationales ?
• Oui, tout à fait.
• Oui, mais je ne sais pas trop quel est son contenu
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13 – Classez les trois revues francophones qui publient les articles ayant la plus grande
influence sur la manière dont les chercheurs en Relations internationales pensent les
relations internationales (1 indique la revue qui a la plus grande influence, 2 indique
celle qui vient en second, etc.). Cette liste peut inclure des revues spécialisées en Relations internationales, des revues de science politique en général, et/ou des revues extérieures à la science politique.
14 – Lorsque votre département affiche un poste de professeur en Relations internationales,
avez-vous une préférence personnelle pour un.e candidat.e qui maîtrise l’usage de
méthodes quantitatives de recherche plutôt qu’un.e candidat.e qui maîtrise l’usage de
méthodes quantitatives de recherche ?
• Oui
• Non
• Je n’ai pas de préférences à ce sujet
15 – Au cours des trois dernières années, avez-vous coécrit un texte présenté dans le cadre
d’une conférence scientifique avec un chercheur anglophone, coécrit un article publié
dans une revue scientifique avec un chercheur anglophone ou codirigé un ouvrage avec
un chercheur anglophone ?
• Oui
• Non
16 – Classez les trois revues dans lesquelles vous voudriez le plus être publié (1 indique la
revue où vous voudriez le plus publier, 2 indique celle qui vient en second, etc.).
17 – Au cours des trois dernières années, quel pourcentage de vos travaux a été rédigé :
• En français : ___ %
• En anglais : ___ %
• Dans une autre langue que le français ou l’anglais : ___ %
18 – Faites-vous partie d’une association professionnelle française réunissant principalement
des internationalistes ?
• Oui
• Non
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• Non, jamais
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19 – Faites-vous partie d’une association professionnelle non française réunissant principalement des internationalistes ?
• Oui
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20 – Lisez-vous des articles publiés dans la revue Études internationales ?
• Jamais
• Rarement
• Occasionnellement
• Fréquemment
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• Non
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