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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n° 3 - mai-juin 2003
MISE AU POINT
RÉSUMÉ.
Depuis 1998, un dispositif de prise en charge des expositions au VIH a été mis en place en France. Il n’existe pas de données
scientifiques nouvelles pour étayer la prophylaxie postexposition. Une évaluation a été réalisée par l’InVS en continu depuis la diffusion de la cir-
culaire ministérielle du 9 avril 1998. D’autres enquêtes ont été effectuées auprès des prescripteurs. Les médecins des urgences sont
largement impliqués mais ils n’ont pas bénéficié de moyens matériels ni de formation pour assurer cette nouvelle mission. On peut constater une
augmentation très nette des prescriptions d’antirétroviraux dans les situations de possibles expositions sexuelles au VIH, avec un élargissement
des indications vers des situations moins à risque et moins documentées. Des effets indésirables graves ont été signalés. Par ailleurs, le suivi et
l’observance du traitement sont mal connus mais semblent très incomplets. Dans la même période, les prescriptions chez les soignants évoluent
peu et concernent un pourcentage faible des consultations pour exposition (15 à 30 %). Cela est facilité par les tests de sérologie rapides.
De nouvelles recommandations officielles devraient aider les praticiens à limiter les indications et à prescrire des molécules dont le profil de
tolérance est bon. Il serait aussi nécessaire de resituer cette intervention dans le cadre d’actions de prévention de l’infection par le VIH.
Mots-clés :
Prophylaxie postexposition - Bénéfice-risque - VIH - Urgences.
Keywords:
Chemoprophylaxis - HIV - Emergencies.
a publication par les CDC, en 1997 (1),d’une étude
cas-témoin internationale tendant à démontrer l’effi-
cacité d’un traitement postexposition par la zidovu-
dine en prévention de la contamination par le VIH après expo-
sition percutanée au sang chez des personnels soignants a
conduit la plupart des pays industrialisés à émettre des recom-
mandations officielles sur la prophylaxie antirétrovirale après
exposition professionnelle.
En France, la prophylaxie des expositions professionnelles chez
le personnel de santé était une pratique clinique courante depuis
1991. Le rapport du groupe d’experts sur la prise en charge de
l’infection par le VIH publié en 1996 (2) avait déjà préconisé
la prophylaxie postexposition professionnelle chez le person-
nel de santé, et précisé les indications. Après la publication des
résultats de l’enquête du CDC, les recommandations ont été
étendues aux expositions non professionnelles (rapports
sexuels, partage de matériel d’injection chez les usagers de
drogues…) en avril 1998, sous forme d’une circulaire (circu-
laire DG/DH/DRT/DSS n° 98/228 du 9 avril 1998) (3).
La prise en charge thérapeutique des personnes possiblement
exposées au VIH fait l’objet d’une évaluation nationale, coor-
donnée par l’Institut de veille sanitaire (InVS) depuis juillet
1999. Il est donc possible de dresser un bilan de la prescription
des antirétroviraux dans le cadre de prophylaxies postexposi-
tion au VIH après quatre ans de mise en œuvre d’un dispositif
spécifique de prise en charge dans les établissements hospita-
liers français. C’est l’occasion de refaire le point sur l’état des
connaissances scientifiques concernant les possibilités d’inter-
vention lors des premières phases de l’infection par le VIH.
L’efficacité du dispositif, les effets indésirables observés, donc
le bénéfice/risque de cette politique de prescription, ainsi que
l’organisation et la mise en place sur le terrain du dispositif sont
en cours d’évaluation.
RAPPEL DES RECOMMANDATIONS ÉMISES
DANS LA CIRCULAIRE DU 9 AVRIL 1998.
OBJECTIFS ANNONCÉS DU DISPOSITIF MIS EN PLACE
La circulaire du 9 avril 1998 (3) a incontestablement été un
détonateur dans la mise en place d’un dispositif de prise en
charge des expositions au VIH. D’une part, elle fixe les prin-
cipes généraux de la prophylaxie postexposition en garantis-
sant un accès permanent au dispositif et aux traitements, en pré-
cisant la gratuité de ces derniers. Elle fait participer au dispositif
des acteurs aussi différents que les médecins généralistes, avec
un rôle d’orientation, les CLIN et les CISIH, les CDAG, les
services de médecine générale et de spécialité, les services de
médecine du travail et les services d’urgences. La circulaire
prévoit également l’organisation du dispositif. À la phase
initiale, la prise en charge et la prescription reposent sur les
médecins de permanence à l’hôpital, les services d’urgences ;
dans les 48 heures, sur l’intervention d’un médecin référent afin
La prise en charge des expositions au VIH en France.
Bilan 2002
Exposures to HIV in France. The assessment of management in 2002
!
E. Bouvet*, E. Casalino**
* Service des maladies infectieuses et tropicales A, hôpital Bichat-Claude
Bernard, 75877 Paris Cedex 18.
** Service des urgences, hôpital du Kremlin-Bicêtre, 94000 Le Kremlin-Bicêtre.
L
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MISE AU POINT
de vérifier la qualité de la prescription ; et, dans le suivi, sur les
services de médecine ou de médecine de spécialité prenant en
charge localement les patients infectés par le VIH.
La circulaire définit par ailleurs les indications du traitement
postexposition. Dans tous les cas, ce traitement est recommandé
pour toutes les situations qui peuvent être clairement docu-
mentées et où le risque peut être analysé. Il peut être envisagé
dans les 48 heures qui suivent l’exposition au risque. Au-delà,
les patients doivent être orientés vers une démarche de dia-
gnostic précoce. Dans le cadre des expositions professionnelles,
l’indication de la prophylaxie postexposition est liée à la nature
de l’exposition (type d’accident, type de matériel incriminé) et
au statut VIH/stade de la maladie VIH/charge virale du patient
source. Dans le cadre des expositions sexuelles, l’indication du
traitement repose sur une estimation du risque par évaluation
du statut connu ou supposé du partenaire et par référence à une
échelle de probabilité de contamination, ou “infectivité”, selon
les types d’exposition.
Ainsi,
"si la personne source est atteinte d’une infection à VIH ou
appartient à un groupe de forte prévalence,
"et si la pratique exposante comporte un risque important, ou
s’il s’agit d’une pratique à risque moindre mais avec des
facteurs de risque aggravants, le traitement postexposition est
recommandé ; il est intéressant de noter que, dans le cadre des
pratiques sexuelles, la seule considérée comme étant à faible
risque est la fellation.
La circulaire précise que, lorsque le risque ne peut être docu-
menté, il est raisonnable de ne pas conseiller de traitement.
Cependant, il est aussi prévu que le médecin peut être amené
à ne pas refuser un traitement au-delà des recommandations et
ce, pour de multiples raisons. La prescription peut donc être
largement influencée par la demande du consultant.
L’évaluation des situations doit être faite par le médecin qui
reçoit les patients possiblement exposés dans le cadre d’un dis-
positif local d’accueil et de prise en charge. En pratique, ce dis-
positif repose en grande partie sur les urgences hospitalières. Le
circuit hospitalier a été clairement privilégié, la prescription ini-
tiale des antirétroviraux étant hospitalière et la circulaire préci-
sant que les médecins généralistes ont un rôle d’orientation. La
mise en œuvre de cette circulaire n’a pas été assortie de l’attri-
bution de moyens spécifiques pour les hôpitaux, qui ont dû
mettre en place le dispositif à moyens constants et dans les condi-
tions habituelles de fonctionnement des services d’urgences.
Il était prévu dans la circulaire qu’une évaluation du dispositif
serait faite après sa mise en place par le Réseau national de
santé publique (RNSP). L’évaluation devait reposer sur le
recueil, à des moments définis, de données standardisées pour
chaque situation suivie, avec l’accord des personnes exposées.
Les questions posées concernent la toxicité et l’efficience des
traitements, la tolérance et la compliance au traitement. Les
échecs du traitement postexposition devaient faire l’objet d’in-
vestigations complémentaires. Il était par ailleurs prévu une
collaboration internationale pour étudier l’efficience du pro-
gramme et les échecs de la prophylaxie.
NOUVELLES DONNÉES SCIENTIFIQUES
ET DE SANTÉ PUBLIQUE VENANT MODIFIER
OU ÉTAYER LES RECOMMANDATIONS PROPHYLACTIQUES
L’étude cas-témoin du CDC reste l’élément de référence. Mal-
gré les critiques méthodologiques, la plupart des auteurs accor-
dent à cette étude une valeur de preuve scientifique sur l’inté-
rêt de la prophylaxie postexposition au VIH. (1)
Il existe peu de données expérimentales récentes qui soient
contributives. Les expérimentations récentes donnent des résul-
tats contradictoires. L’équipe de D. Dormont a tenté de proté-
ger le macaque d’une infection avec un virus chimère VIH/SIV
par une trithérapie équivalente à celle qui est utilisée chez
l’homme dans l’infection par le VIH établie (4). Cette tentative
a totalement échoué, c’est-à-dire que tous les animaux inocu-
lés par voie intraveineuse ont été infectés malgré l’administra-
tion dans les 4 heures d’une trithérapie par AZT + 3TC + indi-
navir. Par ailleurs, un nouveau travail de C.Tsai publié en mai
1998 (5) sur la prévention de l’infection expérimentale à SIV
du macaque par le PMPA a montré qu’il faut traiter plus de
10 jours pour être pleinement efficace en traitement
postexposition, ce qui prouve que le traitement agit probable-
ment après l’intégration et une phase de réplication. D’autre
part, R.A.Otten (6) a pu protéger des macaques de l’infection
par le VIH 2 inoculé par voie intravaginale en administrant
le PMPA (ténofovir) en sous-cutané pendant 28 jours et en
débutant 12 ou 36 heures après l’inoculation (8 animaux sur 8
sont protégés, tandis que 3 des 4 animaux non traités sont infec-
tés). Sur les 4 animaux traités après 72 heures, 3 seulement ne
sont pas infectés.
En conclusion, sur la base des derniers modèles expérimentaux,
si l’efficacité du traitement prophylactique reste discutable, les
chances d’efficacité maximale sont attendues pour un traite-
ment administré le plus rapidement possible, et la durée de trai-
tement de 28 jours, initialement arbitraire, paraît fondée. L’in-
terprétation des modèles animaux doit être nuancée en rappelant
que les virus utilisés sont en général des virus SIV et que les
doses de médicaments utilisées chez l’animal sont très supé-
rieures à celles utilisées en thérapeutique humaine.
ÉVALUATION DU DISPOSITIF
Méthodologie
Le Réseau national de santé publique puis l’InVS qui lui a suc-
cédé ont mis en œuvre une évaluation en continu en mettant à
la disposition des hôpitaux des questionnaires à trois volets :
ceux-ci sont à remplir lors de la consultation initiale, puis par
le médecin référent dans les 48 heures, puis un mois et trois
mois plus tard en cas de prophylaxie prescrite. Le taux de retour
des questionnaires à l’Institut de veille sanitaire est inconnu, et
il n’y a pas eu d’évaluation de leur utilisation réelle dans les
hôpitaux. Les données dont on dispose à ce jour concernent
donc l’analyse des questionnaires qui ont été renvoyés à l’InVS.
Par ailleurs, plusieurs enquêtes ont été réalisées auprès des pres-
cripteurs. Il s’agit tout d’abord de deux enquêtes de l’InVS, réa-
lisées en 1997 et 1999, sur l’attitude des praticiens et les pres-
criptions effectivement faites pendant l’année précédente, ainsi
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MISE AU POINT
que sur les effets indésirables graves observés (7). Plus récem-
ment, une autre enquête menée auprès des coordinateurs de
CISIH et des médecins hors CISIH a été lancée par l’InVS pour
appréhender les difficultés rencontrées par les praticiens dans
l’organisation et le suivi des personnes exposées et connaître
l’avis de ces éventuels prescripteurs sur les recommandations.
Enfin, l’expérience de certains hôpitaux a fait l’objet de com-
munications et de travaux publiés.
Évolution quantitative des consultations et des prescriptions
de traitement postexposition, et évaluation des question-
naires renvoyés à l'InVS par les médecins référents
Entre juillet 1999 et décembre 2001, 8 736 expositions au
contact d’une source de statut VIH positif ou inconnu ont été
déclarées à l’InVS (8). Les consultations pour suspicion d’ex-
position au VIH et demande de prise en charge se répartissent
en 3 378 expositions professionnelles chez des personnels
de santé (38,7 %), 4 047 expositions sexuelles (46,3 %),
1266 autres expositions telles que piqûre par seringue aban-
donnée ou morsure (14,5 %) , et 45 expositions après partage
de matériel d’injection chez des usagers de drogue (0,5 %). La
prescription d’une prophylaxie antirétrovirale est très différente
selon le type d’exposition. Ainsi, seulement 33 % (n = 1 106)
des personnels de santé ont fait l’objet d’une prescription de
traitement prophylactique, contre 74 % des expositions non
professionnelles : 83 % des expositions sexuelles et 84 % des
expositions après partage de matériel d’injection. Dans les
autres situations, un traitement a été prescrit dans 46 % des cas.
Les prescriptions varient selon l’intensité de l’exposition et sont
corrélées au taux de transmission rapporté dans la circulaire.
Le taux de traitement est de 90 % après rapport anal réceptif et
de 66 % après rapport oral.
L’analyse des enquêtes réalisées par A. Laporte (7) auprès des
cliniciens identifiés comme prescripteurs au niveau national a
montré que les consultations pour exposition non profession-
nelle ont été multipliées par 7 entre 1997 et 1999, tandis que
les prescriptions augmentaient d’un facteur 9. Dans le même
temps, la proportion de prescriptions pour exposition à une
personne connue comme étant infectée par le VIH est passée
de 78 % en 1997 à 41 % en 1999. Dans la même étude, il est
montré que la majorité des prescriptions d’antiviraux était
fondée sur l’évaluation du risque en 1997 (64 %), tandis que
les prescriptions étaient surtout fondées sur la demande du
consultant en 1999. En conclusion, la circulaire de 1998 a
conduit à une augmentation nette des prescriptions de
traitement postexposition dans le contexte des expositions
sexuelles, avec un élargissement des indications vers
des situations qui sont moins à risque.
Évolution des prescriptions et de leurs indications
Toutes les études dont on dispose – évaluation des question-
naires transmis à l’InVS, enquêtes auprès des cliniciens impli-
qués dans la prise en charge, évaluation de la qualité des pres-
criptions à l’hôpital Bichat-Claude Bernard – montrent que les
accidents chez les professionnels de santé sont caractérisés par
un délai avant consultation très bref, 2 heures en valeur médiane,
par la connaissance du patient source et, par conséquent, de son
statut sérologique VIH, ainsi que par un taux de prescription
d’antirétroviraux assez bas (33 %), alors que, pour les exposi-
tions sexuelles, les délais moyens de consultation sont plus
longs, et le statut sérologique du sujet source est souvent ignoré,
ce qui conduit à un fort taux de prescription de traitements anti-
rétroviraux (tableau I).
L’enquête multicentrique GERES réalisée en prospectif pen-
dant un an (1999-2000) (9) montre que, globalement, un trai-
tement antirétroviral a été prescrit dans 26 sur 184 accidents
d’exposition chez des infirmières, soit 14 % de tous les acci-
dents et 60 % des accidents au contact d’un patient VIH posi-
tif. Le taux de prescription dans les cas de VIH inconnu a beau-
coup diminué grâce à la réalisation maintenant très fréquente
d’un test rapide chez le patient source qui évite la mise en route
d’un traitement inutile chez la personne exposée. Dans l’en-
quête GERES, dans seulement 15 % des AES, le statut VIH de
la personne source restait inconnu. Dans l’expérience de l’hô-
pital Bichat-Claude Bernard (10),deux tiers des prescriptions
ont pu être évitées dans ce contexte grâce à la réalisation du
test sérologique rapide. L’évaluation de l’InVS ne permet pro-
bablement pas d’estimer valablement le taux de prescription de
la chimioprophylaxie par exposition, car les questionnaires ren-
voyés à l’InVS représentent un sous-ensemble des AES pour
lesquels un traitement est envisagé soit parce que le patient
source est connu comme étant infecté par le VIH, soit parce
qu’il s’agit d’un accident grave au contact d’un patient de
statut inconnu.
Dans le cadre des expositions sexuelles, la situation est très
différente : les expositions concernent majoritairement des
hommes jeunes, 62 % dans l’enquête de l’InVS, avec une
moyenne d’âge de 29 ans. Le délai médian entre l’accident et
la consultation est de 17 heures ; il est de 14 heures dans le
cas d’un rapport avec un partenaire régulier. Le tiers des expo-
sitions sexuelles est lié à des rapports homosexuels, les deux
tiers à des rapports hétérosexuels. Dans 21 % des cas, il s’agit
d’un viol, ce qui est probablement surreprésenté, car mieux
déclaré. Le statut sérologique de la personne source est connu
dans 78 % des cas avec un partenaire régulier, et reste inconnu
dans 87 % des cas avec un partenaire occasionnel. Une
Type d’exposition Nombre de cas Délai médian Pourcentage mis au traitement Proportion de femmes
Professionnelle 3 378 2 heures 33 % (InVS) 71 % femmes
15 % (enquête GERES)
Sexuelle 4 047 17 heures 82 % 38 %
Tableau I. Principales caractéristiques des consultants pour exposition au VIH, France, 1999-2001. Source : InVS.
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prophylaxie est prescrite dans 83 % des cas. Ainsi, le plus sou-
vent, la prophylaxie est-elle prescrite sans connaissance du
statut du partenaire. Autrement dit, lorsque le statut est
inconnu, une prophylaxie est prescrite dans plus de 80 % des
cas pour une exposition “importante ou intermédiaire” (rap-
port anal ou vaginal réceptif et rapport anal ou vaginal inser-
tif) et à près de 60 % pour une exposition minime (rapport
oral).
Dans les autres indications, le statut sérologique de la personne
source reste inconnu dans 87 % des cas, tandis que le délai
médian de consultation après exposition est de 4 heures et que
le taux de prescription est presque aussi élevé que lors des expo-
sitions sexuelles, malgré l’absence d’information sur la sérolo-
gie de la personne source. Dans les expositions liées au partage
de matériel d’injection, qui ne représentent que moins de 1 % du
total, le statut de la personne source est connu dans près de 50 %
des cas.
En ce qui concerne le type de prophylaxie prescrite, les bithé-
rapies sont de moins en moins prescrites depuis 1999. Elles
ne représentaient plus que 9 % des prophylaxies fin 2001,
contre 22 % fin 1999. Dans les trithérapies, l’association la
plus fréquente comporte 2 inhibiteurs nucléosidiques et un
inhibiteur de protéase (IP). L’IP est de plus en plus souvent le
nelfinavir (64 % fin 2001 contre 40 % fin 1999). En miroir,
les prescriptions d’indinavir ont diminué (7 % contre 32 %).
Les trithérapies avec un inhibiteur non nucléosidique restent
peu prescrites (6 % en 2001, 4 % en 1999). Elles utilisent sur-
tout la névirapine.
Effets indésirables survenus sous prophylaxie postexposition
Dans l’enquête auprès des cliniciens prescripteurs (7), sur
les 1 835 prescriptions rapportées en 1999, 13 effets indési-
rables graves ont été décrits, ce qui donne un risque estimé
de 0,71 % (IC95 = 0,38 %-1,2 %). Les effets indésirables
graves sont rapportés uniquement avec des trithérapies com-
portant un IP ou un inhibiteur non nucléosidique. Ils consis-
taient essentiellement en : lithiase rénale liée à l’indinavir
(6 cas), éruption fébrile liée à la névirapine (3 cas ), deux cas
de cytolyse hépatique, un cas de cholécystite et un cas d’hé-
molyse. Aucun cas d’hépatite grave n’a été rapporté. Dans
l’ensemble, des effets secondaires cliniques ont été rappor-
tés chez 65 % des personnes exposées sous traitement, et des
anomalies biologiques ont été signalées dans 8 % des cas.
La fréquence des effets secondaires est plus élevée chez les
professionnels de santé. La fréquence plus élevée des phé-
nomènes d’intolérance chez les soignants est aussi retrouvée
dans une enquête rétrospective auprès des prescripteurs qui
compare la tolérance de deux régimes de trithérapie com-
portant soit indinavir, soit nelfinavir (11), et dans d’autres
études européennes. Les interruptions de traitement sont
aussi plus fréquentes chez les soignants. L’arrêt prématuré
est signalé dans 9 % des cas. Les effets indésirables les plus
fréquents sont des troubles digestifs : diarrhée particulière-
ment fréquente avec le nelfinavir et nausées avec ou sans
vomissements pour l’indinavir.
Suivi et observance du traitement
Il est difficile de savoir quelle est l’observance et quelle est la
proportion de sujets perdus de vue avant la fin du traitement,
c’est-à-dire pendant le premier mois. En effet, l’InVS ne dis-
pose d’une évaluation de fin de traitement que pour 2 138 per-
sonnes, soit 42 % des personnes traitées. Dans ce cas, la plu-
part des patients prennent le traitement pendant 27 à 30 jours.
Combien de temps les 58 % restants prennent-ils le traite-
ment ? Il n’existe pas de données nationales sur ce point. Les
données de l’hôpital Bichat-Claude Bernard sont néanmoins
inquiétantes : 16 % des patients à qui une prophylaxie
postexposition avait été prescrite aux urgences ne se sont
jamais présentés à la pharmacie, et, parmi ceux ayant eu une
délivrance initiale, seulement 58 % ont complété les
4semaines de traitement.
Efficacité
La mesure de l’efficacité de la prophylaxie est aussi difficile à
réaliser, faute de données utilisables. Une estimation indirecte
de l’efficacité peut être apportée par la surveillance des conta-
minations professionnelles en France. En effet, depuis 1997,
aucun cas de contamination professionnelle VIH n’a été déclaré
(12). Il est licite d’être confiant dans cette information, car la
contamination VIH par accident de travail, qui fait l’objet d’une
indemnisation et d’un suivi réglementaire attentif par la méde-
cine du travail, n’a pas de raison d’être cachée à l’autorité sani-
taire. Le nombre d’expositions au VIH rapportées pendant la
période 1999-2001 est de 883, dont 567 ont fait l’objet d’un
traitement. Ce chiffre est un minimum. Sur la période 1998-
2001, on peut considérer que plus de 1 000 expositions pro-
fessionnelles au VIH sont survenues. Pour un taux de trans-
mission de l’ordre de 0,3 % ou 3/1 000, on pouvait s’attendre
à trois séroconversions au moins, car toutes les expositions n’ont
certainement pas été déclarées à l’InVS. Il est possible que cette
réduction nette soit en partie consécutive à la prophylaxie
postexposition, mais aussi à la réduction du nombre d’acci-
dents, surtout des accidents à risque élevé de transmission, et
à la moindre “infectivité” des patients traités efficacement par
une trithérapie antirétrovirale.
Pour ce qui concerne les expositions sexuelles, 929 expositions
avec une source VIH+ ont fait l’objet d’une consultation décla-
rée pendant la même période. Trois séroconversions après pro-
phylaxie ont été rapportées dans les suites d’un rapport anal
passif avec un partenaire de statut sérologique inconnu, mais
leur survenue tardive et des prises de risque ultérieures ne per-
mettent pas de considérer ces cas comme des échecs de la pro-
phylaxie postexposition au VIH (8). Un écueil supplémentaire
majeur est la faible observance dans le suivi des patients trai-
tés et non traités.
Les constats sur le terrain
Nous l’avons déjà signalé, la mise en place du dispositif ne s’est
accompagnée d’aucun moyen supplémentaire. Cela s’est tra-
duit par des dysfonctionnements tout au long de la filière de
prise en charge.
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MISE AU POINT
Lors de la consultation initiale, les services d’urgences sont en
première ligne du dispositif. Dans le contexte de services d’ur-
gences surchargés et sous-dotés, l’accueil des expositions au
VIH est déficient : des travaux mettent en évidence un manque
de formation. Seulement 33 % des urgentistes ont reçu une for-
mation spécifique en région parisienne ; les urgentistes accor-
dent volontiers la priorité aux expositions professionnelles et
accidentelles comparativement aux expositions sexuelles, ce
qui se traduit par des délais d’attente plus longs pour les expo-
sitions sexuelles (13).
La qualité du suivi est très médiocre : dans le cadre des
consultations posturgences, et dans le cadre des expositions
postagression sexuelle, le taux de consultants à trois mois est
inférieur à 10-20 %.
Perspectives d’avenir et propositions
Le dispositif mis en place en France représente aujourd’hui la
première expérience nationale d’un dispositif de prise en charge
des expositions au VIH. Incontestablement, il a permis de mettre
en place des filières de soins pour la prise en charge initiale et
pour le suivi des patients. Une analyse rigoureuse du disposi-
tif permet d’identifier des dysfonctionnements qui peuvent être
corrigés. Le dispositif de prise en charge des expositions pro-
fessionnelles fonctionne bien. Le délai de prise en charge est
court. Le taux de traitement est faible grâce aux tests de dépis-
tage rapides. Le cadre médico-légal facilite le suivi en méde-
cine du travail. Enfin, aucun cas de contamination profession-
nelle n’est à déplorer depuis 1997, ce qui ne peut être seulement
le fait du hasard mais ne peut être mis sur le compte de la seule
chimioprophylaxie.
En revanche, en ce qui concerne les autres types d’exposition,
en particulier sexuelles, il apparaît clairement que le dispositif
offre aujourd’hui une couverture insuffisante par rapport aux
situations à risque, que les consultants ne sont probablement
pas les plus à risque et que les traitements proposés sont, dans
un nombre non négligeable de cas, non justifiés. Les objectifs
du dispositif devraient être d’élargir le nombre de personnes
consultant pour une exposition éventuelle au VIH, de leur pro-
poser une prise en charge de qualité incluant des conseils de
prévention, un counseling initial, une prise en charge psycho-
logique adaptée, et de ne proposer l’accès à une prophylaxie
postexposition que pour les cas où le rapport risque/bénéfice le
justifie. De la même façon, le dispositif devrait mieux préciser
les filières de soins posturgence, tant médicales que psycholo-
giques, pour les patients, qu’ils aient été traités ou non.
L’élargissement du nombre de sujets ayant accès au dispositif
nécessite l’intervention du milieu associatif, des médecins géné-
ralistes et des campagnes d’information grand public. La réus-
site ne doit pas être mesurée sur les prescriptions réalisées, mais
plutôt sur les sujets exposés ayant pu bénéficier d’une prise en
charge globale de la situation, notamment en termes de pré-
vention. La prophylaxie postexposition n’est qu’une des
réponses possibles pour des personnes exposées ou potentiel-
lement exposées au VIH. Cela est d’autant plus important qu’il
n’existe aucune donnée expérimentale nouvelle ou clinique per-
mettant d’affirmer l’efficacité du traitement postexposition. Par
contraste, de nombreuses publications récentes témoignent de
la survenue d’effets indésirables graves sous prophylaxie
postexposition.
La publication par la FDA de 12 accidents hépatiques graves
chez des soignants traités par névirapine en prophylaxie
postexposition, avec 2 cas d’hépatites fulminantes, dont l’une
a nécessité une transplantation hépatique, a mis en évidence
une disproportion flagrante entre un bénéfice douteux et un
risque vital et conduit à recadrer le choix des molécules à uti-
liser en prophylaxie et leurs conditions d’emploi (14).
Le dispositif avait prévu la mise en place d’un médecin réfé-
rent. Le rôle de celui-ci semble capital dans la qualité des pres-
criptions. Cela est particulièrement vrai dans le cas des expo-
sitions avec un sujet source sous traitement chez qui des souches
résistantes, voire multirésistantes, aux antirétroviraux sont à
craindre. Des cas de contamination avec des souches résistantes
malgré une chimioprophylaxie ont été rapportés à l’étranger
(15, 16), ce qui démontre que ce risque n’est pas théorique et
que la prise en compte des résistances chez le patient source
est importante. Le choix du schéma thérapeutique nécessite
dans ces cas une expertise par un médecin infectiologue habi-
tué au maniement des antirétroviraux.
Pour améliorer la balance bénéfice/risque, on peut proposer soit
de limiter les indications du traitement, soit d’utiliser des molé-
cules moins toxiques. De nouvelles molécules telles que le téno-
fovir (PMPA) méritent certainement d'être évaluées dans cette
indication.
Beaucoup de prescriptions sont liées aux accidents d’exposi-
tion dont le sujet source est de statut VIH inconnu et l’accident
à risque faible ou intermédiaire de transmission. Il est néces-
saire d’élargir l’accès aux tests VIH rapides dans ce contexte.
De la même façon, des moyens devraient être dégagés pour ren-
forcer les dispositifs mis en place et assurer la formation et
le suivi régulier des prescriptions et des filières de soins dans
le cadre des consultations d’urgence et dans le suivi ultérieur.#
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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