S t r a t é g i e ...

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Stratégie thérapeutique
Place de l’insuline lispro
dans le traitement du diabète
É. Larger*
L
a publication des résultats du DCCT
(Diabetes complication and control
trial) (1) a ouvert une ère nouvelle dans la
conception de l’insulinothérapie. Les
objectifs thérapeutiques d’un jeune diabétique traité par insuline sont maintenant
clairement définis : maintenir la valeur de
l’hémoglobine glyquée (HbA1c) en permanence à moins de 7,5 %. Cela nécessite,
dans la plupart des cas, des schémas d’insulinothérapie comportant 3 ou 4 injections
quotidiennes d’insuline, ou une insulinothérapie par perfusion sous-cutanée continue. Dans la plupart des schémas utilisés,
une ou deux des injections quotidiennes
comportent un mélange d’insuline (insuline
ordinaire et intermédiaire ou insuline ordinaire et lente).
Hypoglycémies
et traitement intensif
Les hypoglycémies sont souvent présentées
au patient comme le prix nécessaire à payer
lorsqu’on cherche un bon contrôle métabolique. En dehors des hypoglycémies liées à
des facteurs évidents, erreur de dose, alimentation insuffisante, activité physique
majorée, levée de résistance à l’action de
l’insuline après épisode infectieux ou
stress, injection dans la cuisse avant un footing..., beaucoup d’hypoglycémies ne trou-
vent pas d’explication rationnelle. Une partie d’entre elles sont probablement la
conséquence des propriétés cinétiques des
insulines injectées : latence d’action après
injection, profil d’efficacité différent du
profil théorique (l’insuline ordinaire injectée à forte dose prend le comportement
d’une insuline intermédiaire), variabilité
dans la vitesse de résorption de l’insuline
pas uniquement liée à des facteurs classiquement décrits (profondeur et site de l’injection).
La latence d’action de l’insuline rapide
après injection sous-cutanée est une cause
assez commune d’hypoglycémie à distance
des repas, et il s’avère, de fait, que la plupart
des patients ne respectent pas un délai suffisant entre l’injection d’insuline et le repas.
C’est dans ce contexte que les industriels
ont cherché à mettre au point deux types
d’insuline : d’une part une insuline intermédiaire ou lente, dont le profil d’action
serait plus reproductible d’un jour à l’autre,
avec des taux plasmatiques stables sur des
périodes de temps définies, d’autre part des
insuline d’action rapide. À ce jour, aucune
molécule d’action prolongée n’a dépassé le
stade d’essais cliniques de phase 1.
L’un des facteurs retardant l’action de l’insuline après injection sous-cutanée est la
capacité qu’ont les molécules d’insuline de
former des dimères qui, en présence de
zinc, forment des hexamères. La barrière
*Service d’endocrinologie, hôpital Bichat, 75018 Paris.
capillaire étant imperméable aux hexamères d’insuline, le temps nécessaire au
passage dans la circulation sanguine après
injection sous-cutanée d’insuline est celui
nécessaire à la dissolution des hexamères.
Lorsque les techniques de production d’insuline recombinante se sont largement diffusées, une série d’analogues de l’insuline
ont été testés. Les expérimentateurs ont
essentiellement cherché à produire des analogues ayant perdu la possibilité de former
des dimères, sans altération de la capacité à
activer le récepteur de l’insuline. De nombreuses molécules ont été testées, seule
une, à ce jour, est commercialisée. L’étude
d’un autre analogue a été arrêtée en phase 1
d’essais thérapeutiques, le produit s’étant
avéré carcinogène chez le rat.
Analogue lispro
L’analogue de l’insuline lispro, commercialisé en France sous le nom de Humalog®,
est disponible en France depuis l’automne
1997 (2-3).
L’analogue lispro a une structure identique
à celle de l’insuline ordinaire, excepté le
fait que la séquence proline-lysine en position 28-29 de la chaîne B a été inversée.
Cette modification de séquence altère la
capacité de la molécule à former des
dimères, sans altérer sa capacité à se lier au
récepteur de l’insuline. L’affinité de l’analogue lispro pour le récepteur de l’insuline
est comparable à celle de l’insuline.
L’analogue a une affinité un peu supérieure
à celle de l’insuline pour le récepteur de
l’IGF1, mais celle-ci est faible, moins de
0,1 % de celle de l’IGF1.
La biodisponibilité de l’analogue de l’insuline lispro après injection sous-cutanée est
comparable à celle de l’insuline ordinaire.
Le pic d’insulinémie est plus précoce
(30-90 minutes versus 50-120) et plus court
que celui obtenu après injection d’insuline
ordinaire. Les caractéristiques cinétiques ne
dépendent pas de la dose, à la différence de
ce qui est observé pour l’insuline ordinaire,
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Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume II, n°4, août 1998
mais la vitesse de résorption est influencée
par le site d’injection : plus rapide après
injection sous-cutanée abdominale qu’après
injection dans la cuisse ou le deltoïde. La
vitesse de résorption est, de façon similaire
à ce qui est observé avec l’insuline ordinaire, influencée par la température locale,
plus rapide si l’injection est faite dans la
cuisse avant un effort physique.
L’analogue de l’insuline lispro peut être
mélangé avec les insulines intermédiaires et
lentes, sans altération des profils cinétiques.
Des insulines prémélangées NPH + lispro
sont en cours d’étude clinique (4).
On ne dispose pas de donnée chez l’insuffisant rénal et chez l’insuffisant hépatique.
La prudence reste de mise chez les
patientes enceintes.
L’analogue de l’insuline lispro est immunogène au même titre que l’insuline ordinaire, mais la survenue d’anticorps est sans
conséquence clinique réelle. La fréquence
des lipodystrophies est similaire, les causes
en sont identiques : défaut de rotation des
points d’injection.
Prescription de l’analogue lispro
Quelques règles de prescription commencent à se dégager de l’expérience pratique :
– Tout schéma ne comportant pas au moins
deux injections de NPH ou une injection de
Lente est exclu. Il est même souvent nécessaire de prescrire une troisième injection de
NPH, ou une deuxième de Lente, en fonction des résultats de la glycémie de fin
d’après midi.
– L’injection d’insuline doit être faite
immédiatement avant le repas voire,
lorsque le début du repas est imprévisible
(au restaurant), après le premier plat.
– Il est habituel d’avoir à baisser les doses
de lispro par rapport à ce qui était prescrit
comme doses de rapide, et d’avoir à augmenter les doses de basale : à titre indicatif, la diminution de dose de bolus a été de
20 % et l’augmentation de celle de la basa-
le a été de 40 % dans une étude récente où
50 % des patients ont eu besoin de 3, voire
4 injections quotidiennes de NPH (5), de
sorte que la proportion d’insuline basale
représente plus de 50 % de la dose totale
sous NPH + lispro (6).
tion de la fréquence des hypoglycémies
post-prandiales et des hypoglycémies
sévères.
À condition de modifier les schémas de
basale, diverses publications font état d’un
bénéfice en termes de diminution de
l’HbA1c en injections discontinues (5-7)
ou sous pompe (8-9).
– L’adaptation des posologies d’insuline
se fait pour la lispro en fonction des glycémies post-prandiales, tandis que pour
les insulines basales,
l’ajustement se fait sur
le résultat des glycé- Analogue lispro : arbre décisionnel.
mies à jeun.
Pour quels patients ?
– Tout protocole de
rattrapage d’une hyperglycémie de jeûne par
une dose majorée de
lispro au moment du
repas est formellement
exclu.
Tout patient capable d’utiliser un schéma basal-bolus
Quel type de schéma ?
Matin : analogue lispro et NPH
Midi : analogue lispro ± NPH
Soir : analogue lispro et NPH
(NPH éventuellement au coucher)
ou
Bénéfices
La plupart des patients
apprécient de pouvoir
effectuer leur injection
d’insuline juste avant
le repas, mais l’attitude
inverse n’est pas moins
vraie : un patient qui
procède d’ordinaire à
son injection de midi
avant de partir au self,
distant de son bureau
d’une quinzaine de
minutes, préfère rester
sous insuline rapide...
D’une manière générale, la majorité des
patients à qui on
propose de remplacer
l’insuline rapide par
l’analogue lispro gardent à long terme le
schéma avec lispro.
La plupart des travaux
signalent une diminu-
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume II, n°4, août 1998
Matin : analogue lispro et Lente
Midi : analogue lispro
Soir : analogue lispro et Lente
(Lente éventuellement au coucher)
ou
Tout autre schéma assurant une imprégnation
basale vraie et 3 bolus.
Quelles posologies pour un relai
chez un patient déjà traité
par un schéma basal–bolus ?
Même posologie quotidienne totale
Diminution des posologies de bolus de 20 %
Augmentation des posologies de basales de 20 %
Quelles posologies
pour un début d’insulinothérapie ?
Posologie quotidienne totale : 0,5 à 1 U/kg/j
Posologie d’analogue lispro : 50 %, réparti sur les 3 bolus
Posologie de basale : 50 %, réparti sur les 2 ou 3 injections
Quel délai entre l’injection et le
repas ?
Moins de 10 minutes dans tous les cas.
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Stratégie thérapeutique
Analogue lispro
Insulinémie (µU/ml)
120
60
Insuline ordinaire
0
1
2
3
4
5
6
Heures
Figure 1. Effet de l’administration sous-cutanée de l’analogue lispro et d’insuline ordinaire sur les insulinémies sériques. Modifié d’après (3).
Quels patients
mettre sous lispro ?
Il n’y a pas de réponse définitive à cette
question, chacun est en train de se forger sa
propre expérience, et de découvrir les indications du schéma avec lispro. Tout patient
ayant un schéma de type basal-bolus fait
figure de candidat théorique, à condition
qu’il soit capable de mesurer ses glycémies
capillaires plusieurs fois par jour et d’adapter de façon différentielle ses posologies
d’insuline rapide et basale.
■
Références
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Trial Research Group. The effect of intensive
treatment of diabetes on the development and
progression of long-term complications in insu-
lin-dependent-diabetes mellitus. New Engl J
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New Engl J Med 1997 ; 337 : 176-83.
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blood glucose stability in IDDM patients treated with lispro insulin analog in external pumps.
Diabetes care 1998 ; 21 : 977-82.
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