Soigner sans mal traiter
Trois personnes sur dix entrent
à l’hôpital avec une prescrip-
tion d’hypnotiques. Elles sont cinq
sur dix à la sortie, souligne le
Pr Édouard Zarifian, psychiatre et
auteur de rapports sur la consom-
mation de psychotropes en
France. L’hôpital est un lieu où l’on
“accroche” la prescription d’un hyp-
notique. » Souvent, le patient s’y
rend avec angoisse. «Cette an-
goisse pourrait être traitée par la pa-
role, dit-il. Mais il n’y a pas assez de
médecins et ils n’ont pas le temps.
Celui qui passe est bien souvent l’in-
terne. La première chose qu’il trouve
à dire est : “Bonjour Madame, vous
avez bien dormi ?”. Si le malade ré-
pond “J’ai mal dormi”, l’interne se
tourne vers l’infirmière, qui donnera
quelque chose pour dormir. » Au tra-
vail ou en famille, il est davantage
admis, donc plus aisé, de dire que
l’on dort mal que d’avouer un état
dépressif ou anxieux, de confier
des difficultés à faire face à une
personne ou une situation. C’est
un peu la même chose à l’hôpital.
«Le lendemain, il sera plus facile
d’échanger à propos d’un médica-
ment, c’est-à-dire au sein d’un cadre
parfaitement balisé, poursuit le
Pr Zarifian. L’interne ou le médecin
demandera donc si le malade a
mieux dormi. Le patient quittera le
service avec une prescription. L’or-
donnance de l’hôpital sera pérenni-
sée par le généraliste. Ce patient
prendra peut-être des hypnotiques
pendant des années sans que l’on
sache s’il avait vraiment du mal à
dormir, et, dans ce cas, pourquoi. »
Une étude sur 28 000 dormeurs
Vingt-huit mille entretiens sur le
sommeil ont été menés par télé-
phone dans sept pays (France,
Royaume-Uni, Allemagne, Italie,
Portugal, Espagne et Canada).
Cette étude a été réalisée par
le Groupe international d’épidé-
miologie des troubles du som-
meil dirigé par Maurice Ohayon,
psychiatre, chercheur à l’univer-
sité de New York et de Stanford
(États-Unis). Elle permet d’obte-
nir un cliché statistique valide
des habitudes de sommeil de
250 millions d’Européens (1).
On découvre ainsi que 15 %
d’entre eux se plaignent de la
qualité ou de la quantité de
leur sommeil. Le diagnostic d’in-
somnie, lui, nécessitait que la
plainte se traduise par des symp-
tômes précis : difficultés d’endor-
missement, sommeil interrompu,
éveils matinaux précoces ou
sommeil non réparateur. Pour
être reconnue comme telle, l’in-
somnie devait durer depuis un
mois minimum. Elle devait cau-
ser un sentiment de détresse ou
des perturbations dans la vie
familiale, professionnelle ou so-
ciale, pouvant se traduire par
des difficultés de concentration
ou des sautes d’humeur. Lors
de cette enquête, 6 % de la po-
pulation présente tous les cri-
tères nécessaires au diagnostic
d’insomnie.
Traiter l’insomnie
ou les facteurs associés ?
L’insomnie se manifeste davan-
tage comme un problème de
maintien du sommeil qu’une dif-
ficulté d’endormissement en dé-
but de nuit. Elle se traduit par
des réveils nocturnes ou pré-
coces dans 70 % des cas. Sur-
tout, l’insomnie peut être asso-
ciée à un trouble de l’humeur ou
un trouble anxieux (dans 39 %
des cas), une maladie physique
(22,4 %), un trouble respiratoire
(22 %), une mauvaise hygiène de
sommeil (14,6 %), l’usage de
médicaments, d’alcool ou de
drogues (13 %). Or, le choix du
traitement dépend de ces fac-
teurs. Dans neuf cas sur dix,
lorsqu’une plainte d’insomnie
s’accompagne d’un trouble psy-
chologique (états anxieux ou dé-
pressifs, bouffée délirante ou
6
Insomnie
Un Français sur cinq dort mal. Il se plaint de difficultés
d’endormissement ou de maintien du sommeil, d’éveils
matinaux précoces ou de fatigue. Traiter trop vite
revient souvent à mal traiter.
«
©V.Burger-Phanie
manie), elle est secondaire. C’est
donc le trouble psychologique
qu’il faut traiter.
Maladies et troubles physiolo-
giques peuvent affecter le som-
meil. Les troubles respiratoires
relèvent de bilans et de traite-
ments spécifiques. Le mauvais
contrôle de la douleur gêne le
sommeil lors de nombreuses ma-
ladies. Il pourrait décroître avec
l’essor d’une meilleure prescrip-
tion d’antalgiques.
Une mauvaise hygiène de som-
meil, qui touche près d’un in-
somniaque sur six, concerne des
habitudes à modifier : boire du
café avant de dormir, faire une
sieste en soirée, etc. C’est un
domaine où l’infirmière peut
agir en dehors de toute pres-
cription. Elle doit pour cela bien
connaître le rôle des habitudes
de vie sur le sommeil, et pou-
voir réaliser une investigation
pour chaque malade. «L’insom-
nie “peut n’être liée à aucune pa-
thologie” ou cause identifiable, ex-
plique Maurice Ohayon. Il s’agit
alors d’insomnie primaire”, laquelle
représente un peu moins de la moi-
tié des diagnostics d’insomnie. »
Enfin, des traitements pour
maintes pathologies pourraient
influencer le sommeil. Des mé-
dicaments très variés ont été in-
criminés dans la survenue d’in-
somnie. Le numéro d’avril de la
revue Prescrire a fait le point,
àpartir d’un symptôme proche :
les cauchemars liés au médica-
ment (2). Les laboratoires étu-
dient peu les effets secondaires
de leurs traitements sur le som-
meil. «Les données disponibles ne
sont pas très solides, et c’est au cas
par cas qu’il faut évaluer l’intérêt
d’arrêter ou de changer de traite-
ment, ou simplement d’en dimi-
nuer la dose, soulignent les au-
teurs. Si le médicament est jugé
très important, sa réintroduction
est à tenter. »
Consultations et traitements
Parmi les 15 % d’Européens in-
satisfaits de leur sommeil, 77 %
ont consulté leur médecin au
cours des douze mois précé-
dant l’enquête. Mais les deux
tiers auraient tout simplement
oublié de mentionner leurs dif-
ficultés de sommeil à leur mé-
decin. Un tiers seulement de ces
insatisfaits de leur nuit lui en ont
parlé. Environ 40 % des patients
faisant part de ces difficultés
reçoivent une prescription de
médicaments.
Au total, 6 % des Européens
prendraient des médicaments
pour mieux dormir. Les Français
sont les plus gros consomma-
teurs (10 %), suivis des Portugais
(8 %). Ce sont les Allemands
qui consomment le moins de
médicaments pour dormir (2 %
d’entre eux seulement), suivis
des Anglais (4 %). Toutefois,
20 % des personnes se plaignant
de leur sommeil font appel à
des traitements alternatifs tels
que méthodes de relaxation et
psychothérapies.
Distinguer
causes psy et SAS
«L’insomnie est liée dans deux
cas sur trois à une cause psycho-
logique, dont la première reste
l’anxiété, précise le Dr Lemoine,
psychiatre travaillant au centre
du sommeil du CHS du Vinatier,
à Bron. Si des troubles, comme
une dépression, sont associés aux
troubles du sommeil, il faut consul-
ter un généraliste ou un psychiatre,
indique le Dr Hélène Bastuji, de
l’unité d’hypnologie de l’hôpital
neurologique de Lyon. Consulter
un psychiatre peut être utile, car
une dépression ou certains troubles
anxieux ne sont pas toujours évi-
dents à identifier. »
Par ailleurs, la France compte
une centaine de laboratoires du
sommeil établis en milieu hospi-
talier. A travers des polysomno-
graphies, ils permettent d’étu-
dier le sommeil des patients, et
de diagnostiquer des syndromes
d’apnées du sommeil. Parmi ces
laboratoires, une trentaine sont
affiliés à la Société française de
recherche sur le sommeil. «C’est
lorsqu’il existe des difficultés respi-
ratoires nocturnes, telles qu’un ron-
flement, que la consultation d’un la-
boratoire du sommeil est utile,
conclut le Dr Bastuji. Quand il
n’existe aucun signe associé à l’in-
somnie, on ne fera appel à un centre
du sommeil que si la prise en charge
et le traitement avec votre médecin
échouent. »
Marc Blin
(1) Petites manies et grandes tendances,
de Maurice Ohayon, La recherche, hors-
série n° 3 (intitulé Le sommeil et le rêve),
avril 2000.
(2) “Cauchemars liés aux médicaments”,
Prescrire n° 205, avril 2000, p. 278.
7
Ne pas oublier
les bilans thyroïdiens
«Il ne faut pas oublier de cher-
cher les causes organiques cu-
rables, notamment par un bi-
lan thyroïdien, dit le Dr Patrick
Lemoine. Nous en prescrivons
lorsque les symptômes ne ré-
pondent pas rapidement au
traitement antidépresseur, ou
quand les signes évoquent une
hyperthyroïdie ou une hypo-
thyroïdie.» Un dosage de la
thyrotropine ou TSH (thyroid
stimulating hormone) est effec-
tué. «En effet, l’hypothyroïdie,
comme la maladie d’Hashi-
moto, s’accompagnent souvent
de dépression et d’insomnie-
hypersomnie, dit-il. Ainsi, nous
accueillons dans le service des
personnes dépressives se plai-
gnant de leur sommeil. Elles
souffrent d’insomnie la nuit et
présentent des somnolences
dans la journée. Un bilan thy-
roïdien nous confirme parfois
qu’il s’agit, à l’origine, d’une
hypothyroïdie. »
M.B.
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