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de cas, la tentative de suicide mérite
l’appellation de “suicide raté”. Cela est
particulièrement vrai chez les sujets plus
âgés, parmi lesquels les tentatives de
suicide deviennent rares, alors que les
gestes suicidaires sont bien plus souvent
réussis. Troisièmement, les indicateurs
sanitaires retrouvant une association entre
suicide et, d’une part, dépression avérée
et, d’autre part, tentative de suicide sont
trop nombreux, pour que ne soit pas
répété à quel point dépression et tentative
de suicide constituent les deux facteurs
de risque principaux associés au suicide.
La technique de “l’autopsie psycholo-
gique” a été fréquemment utilisée pour
déterminer, chez des sujets morts par
suicide dans la population générale, s’il
existait ou non un trouble psychiatrique ( 2 ) .
Toutes les études ayant eu recours à cette
méthode confi r ment qu’une gr a n d e
majorité (soit 50 à 90 %) des sujets
m o r ts par suicide souffraient d’une
dépression avérée. Les méthodes pros-
pectives fournissent les mêmes données
selon une logique inverse, en soulignant
le risque élevé de suicide chez les
patients déprimés. Cela montre à quel
point le clinicien se doit de rechercher
avec le plus grand soin des éléments
dépressifs chez tout patient ayant récem-
ment tenté de se suicider. Le diagnostic
de dépression repose alors sur la sémio-
logie habituelle, avec les réserves rela-
tives, d’une part, à l’âge du sujet, le
diagnostic étant toujours moins typique
chez les adolescents et chez les sujets
âgés, et, d’autre part, aux va r i a t i o n s
symptomatiques inhérentes au contexte
du geste lui-même.
Les symptômes anxieux tiennent une
place particulière dans le déterminisme
des tentatives de suicide. Ils peuvent être
associés aux éléments dépressifs dans le
cadre d’une dépression anxieuse, forme
clinique de moins bon pronostic sur le
plan de l’adaptation psychosociale
et de la réponse au traitement. Indépen-
damment de la dépression, l’existence
de symptômes anxieux sévères a été à
plusieurs reprises considérée comme un
facteur de risque immédiat de tentative
de suicide, par le biais d’une exacerba-
tion de l’impulsivité du sujet.
Prendre le risque de traiter
Une fois le diagnostic de dépression
é t a b li, les questions de la mise sous
traitement antidépresseur, puis du choix
du produit se posent.
La littérature suggère le rôle possible de
c e r tains antidépresseurs dans la surve n u e
de cas de suicide, sans que la nature
de ce lien soit clairement établie (4).
Il pourrait s’expliquer par la classique
l evée d’inhibition psychomotrice qui
précède l’amélioration thymique. Un eff e t
“ s u i c i d ogène” propre à certains produits à
même été évoqué, notamment concern a n t
l ’ a m i t r i p t y l i n e ( 5 ) . L’étude prospective
menée par Rouillon et al. (6) auprès de
plus de 1 000 patients déprimés est dans
ce sens particulièrement troublante. Deux
groupes recevaient de la maprotiline
(respectivement à 75 et 37,5 mg/jour) ;
ils étaient comparés, en termes de surve n u e
de suicides et de tentatives de suicide,
à un groupe r e c evant un placebo. Il
existait un nombre signifi c a t ive m e n t
plus élevé de tentatives de suicide, dans
les groupes traités, avec une tendance à
un excès de suicides (chiffres non-signi-
ficatifs). Ces résultats ont toutefois été
relativisés à la lumière de possibles biais
méthodologiques ; les gestes suicidaires
de patients déprimés sous placebo seraient
plus rares que dans le cadre d’études
naturalistiques s’intéressant aux déprimés
non traités, et moins dépistés que chez
les patients sous antidépresseurs.
Ces données sont fragiles et peu répli-
quées : elles ne doivent pas occulter le
risque principal, qui est et demeure de
ne pas traiter efficacement un patient
déprimé et suicidaire. À l’appui de ce
fait existent trois ordres d’arguments. Le
premier révèle que le nombre de décès
pour un million de prescriptions d’anti-
dépresseurs donne un rapport bénéfice/
risque largement en faveur du traite-
ment médicamenteux ( 4 ). Le deuxième
a rgu ment repose sur des données épidé-
m i o l ogiq ues récentes qui s’attachent à
mettre en lien l’évolution du taux de
suicide avec l’apparition des inhibiteurs
sélectifs de la recapture de la sérotonine
(SSRI) au début des années 1990. L’ac-
croissement de la prévalence de la pres-
cription de ces produits en Suède entre
1991 et 1996 (de 1 à 3,6 %) fait écho à une
diminution de 19 % du taux de suicide
dans le même temps, certains fa c t e u r s
confondants, tels que l’alcoolisme ou
l e chômage, étant contrôlés ( 7 ). L e s
r é s u l t a t s d’études h o n gro ises vont dans
l e même sens en retrouvant une décrois-
sance de plus de 30 % du taux de
suicide entre 1984 et 1997, alors que
les conditions sociales et l’alcoolisme
é v oluaient de façon défavo r a ble dans le
même temps ( 8 ). Même si ces données
ne peuvent être interprétées comme
une relation de causalité entre une plus
l a rge utilisation des antidépresseurs et
la diminution du taux de suicide, ils
sont en faveur de l’effet bénéfique du
meilleur accès au traitement des sujets
suicidants. Le troisième argument est
relatif aux données des autopsies
p s y c h o l o giques des sujets déprimés
décédés par suicide, qui révèlent que
moins d’un tiers d’entre eux receva i e n t
un traitement antidépresseur adapté
et bien dosé au moment de leur passage
à l’acte ( 4 ) .
Le choix du produit est guidé par les
critères habituels (tolérance et effi c a c i t é
antérieures), auxquels s’ajoute le critère
de toxicité en cas d’absorption massive .
En effet, au cours des tentatives de
suicide médicamenteuses, le patient
ingère dans la grande majorité des cas
le premier médicament qu’il trouve ,
généralement celui qui lui a été
prescrit. À ce titre, les antidépresseurs
t r i cycl iques doivent être évités dans ce
type de situation, particulièrement en
prescription ambulatoire, en raison de
leur toxicité élevée lors de surdosages.
Mise au point