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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 8, octobre 2004
Vie pro f e s s i o n n e l l e
Entretien avec le Dr Isabelle Moley-Massol*,
auteur de “L’annonce de la maladie, une parole qui engage”**
Propos recueillis par Florence Arnold-Richez***
Le malade montre la voie
Il n’est pas un soignant qui n’ait un
jour été confronté à cette épreuve
relationnelle des plus délicates, celle
de l’annonce d’une maladie grave,
invalidante... Profondément déstabi-
lisante pour le malade, sidéré, l’an-
nonce perturbe aussi celui qui doit
la faire. Et parfois, faute de savoir-
faire ou de “savoir-être”, c’est l’an-
nonce elle-même qui détru i t celui ou
celle qui la reçoit au moment où elle
est faite. Ou même,longtemps après. Dans l’après-coup. Bien sûr,
il est difficile de dresser la liste de tous les effets délétères pos-
sibles d’une annonce, maladroite, brutale, mal formulée, et de pro-
poser un vade-mecum du meilleur comportement face à une telle
situation. Isabelle Moley-Massol, médecin qui pratique la psycho-
logie médicale et la psycho-oncologie clinique,récuse d’emblée la
pertinence de recettes ou de “fiches-protocoles” de la meilleure
annonce, mais elle connaît les formules, les mots, les démarches à
éviter. Elle propose dans cet ouvrage, à la fois pratique et très
humain, des pistes, des attitudes, des cheminements de communi-
cation qui permettent au malade d’aborder cette nouvelle vie bou-
leversée, mais non dénuée de la possibilité de reconstruire autour
de la maladie ou du handicap. Et avec eux.
Son ouvrage comprend deux parties : la première est consacrée à
l’appréhension des principes fondamentaux de l’annonce d’une
mauvaise nouvelle,et la seconde envisage la spécificité de cette
annonce en fonction des diverses spécialités médicales : les can-
c e rs , les psych o s e s , les maladies rhumat i s m a l e s , c a r d i a q u e s ,
digestives, sexuellement transmissibles, le VIH, les hépatites, les
“mauvaises nouvelles” périnatales… Un ouvrage de référence à
lire absolument !
Existe-t-il une bonne façon d’annoncer une mauvaise
nouvelle ?
Isabelle Moley-Massol :
Non, il n’y a pas une façon idéale, ni
même “bonne” d’annoncer une mauvaise nouvelle, et nul ne
peut faire l’économie de la souffrance éprouvée par le sujet
au moment de l’annonce d’une maladie, d’un handicap, d’un
traitement lourd ou d’une intervention chirurgicale... En
revanche, l’attitude du médecin, du soignant, joue un rôle
considérable à ce moment si sensible de l’information sur le
diagnostic ou le traitement, et certaines règles fondamentales
sont à connaître.
Un seul mot-clé : l’empathie
Quelles sont-elles ? Pouvez-vous nous en donner
des exemples ?
I M M :
Le médecin doit entendre la souffrance du malade et en
accuser réception. Il doit éviter de camper sur ses certitudes, ses
a priori, ses propres représentations de soignant. Nous ne pou-
vons pas anticiper la réaction du patient, car elle dépend de son
histoire, de sa personnalité, des événements de vie qu’il est en
train de trave r s e r. Il n’existe pas d’annonce anodine, et son
impact dépend de la subjectivité de la personne qui la reçoit.
Dans le cas d’un cancer, par exemple, le traumatisme psychique
pour le malade ne se situe pas forcément à la place attendue par
le médecin. La représentation de la maladie, de l’organe atteint,
la peur des traitements envisagés et de leurs conséquences, la
p e r te des cheveux notamment, peuvent bouleverser le malade
plus profondément encore que la sévérité de la maladie et les
données “objectives” s’y référant. Il existe alors un risque de
décalage entre l’appréciation que le médecin a de la maladie et
celle qu’en a le malade, décalage qui nuit considérablement à la
relation médicale et à la communication entre ces partenaires de
soins. La position du médecin la plus appropriée est celle de
l ’ e m p a t h i e
, ce qui signifie une grande qualité d’écoute, sans
jugement ni projection de ses propres croyances et certitudes, et
un ajustement de son discours sur celui du malade. “Le malade
montre la voie”, a dit Georg e s B a t a i l l e .
Toute annonce d’une mauvaise nouvelle – je préfère le terme
d’“information”, car il s’agit d’un processus continu, jamais
fini, jamais figé, à reprendre et à réajuster sans cesse –
engendre, comme nous l’avons vu, un traumatisme psychique
plus ou moins sévère, en fonction de chaque personne et de
la résonance qu’elle produit dans l’histoire du patient.
Dans de nombreuses pathologies, on constate une distorsion
entre la perception de la sévérité de l’affection que le méde-
cin peut avoir et celle que le patient en a. Un diabète, une
hypertension artérielle ne représentent pas a priori des dia-
gnostics difficiles pour le médecin, alors qu’ils peuvent être
reçus avec une grande angoisse par le malade, en fonction de
la représentation qu’il s’en fait ou de sa connaissance subjective
de la maladie. Un tel diagnostic bouleverse sa vie et remet en
cause la vision qu’il a de son existence, de son rapport au
** Collection Le Pratique. Puteaux : éditions DaTeBe, 2004,
244 pages.
*** Journaliste médicale.