Insuffisance cardiaque et anémie M Heart failure and anemia

MISE AU POINT
M
algré les progrès thérapeutiques réalisés au cours
des vingt dernières années, l’insuffisance car-
diaque demeure fréquente et est encore associée
à une mortalité et à une morbidité importantes (1). Depuis plu-
sieurs années, la présence d’une anémie chez les patients atteints
d’insuffisance cardiaque a été rapportée. Après avoir rappelé
quelques données d’épidémiologie de l’anémie chez les patients
insuffisants cardiaques, nous verrons quels en sont les étiologies
principales, l’impact pronostique éventuel et les pistes théra-
peutiques.
ÉPIDÉMIOLOGIE DE L’ANÉMIE
DANS L’INSUFFISANCE CARDIAQUE
L’anémie est définie par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) par une concentration d’hémoglobine inférieure à à
130 g/l de sang chez l’homme adulte et à 120 g/l de sang chez la
femme (lorsqu’elle n’est pas ménopausée) [2]. De nombreux tra-
vaux ont étudié la prévalence de l’anémie dans l’insuffisance car-
diaque et ont rapporté une grande hétérogénéité des résultats, en
fonction de la définition utilisée et des populations étudiées (3).
Ainsi, la prévalence de l’anémie peut aller de 4 %, pour une ané-
mie définie par un hématocrite inférieur à 35 % dans la popula-
tion issue des essais thérapeutiques SOLVD (prévention et trai-
tement) avec fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG)
inférieure ou égale à 35 % (4), à 56 % pour une anémie définie
par un taux d’hémoglobine (Hb) inférieur à 12 g/dl chez 142 pa-
tients adressés à un service spécialisé (dit “tertiaire”) dans la prise
en charge de l’insuffisance cardiaque (dont 41 % présentaient
une insuffisance rénale chronique) [5].
La définition de l’anémie a un impact considérable sur sa préva-
lence, puisque, dans une même population, la prévalence de l’ané-
mie va de 4 % pour un hématocrite inférieur à 35 % à 22 % pour
un hématocrite inférieur ou égal à 39 % (4) et de 18 % pour un
taux d’Hb inférieur à 110 g/l à 33 % pour un taux d’Hb inférieur
à 120 g/l chez les 9 971 patients de la population de l’EuroHeart
Failure Survey (figure 1) [6]. Enfin, la prévalence dépend éga-
lement de la sévérité de l’insuffisance cardiaque, comme nous le
verrons plus loin.
La Lettre du Cardiologue - n° 395 - mai 2006
25
Insuffisance cardiaque et anémie
Heart failure and anemia
N. Lamblin*, P. de Groote**
* Service de cardiologie C, hôpital cardiologique, CHRU de Lille, INSERM
U744, Institut Pasteur, Lille.
** Service de cardiologie C, hôpital cardiologique, CHRU de Lille.
Mots-clés : Anémie - Insuffisance cardiaque - Pronostic -
Traitement.
Keywords: Anemia - Heart failure - Prognosis - Treatment.
18
33
4,3
22
35
(%)
30
25
20
15
10
5
0
Hb < 11 g/dl Hb < 12 g/dl Hc < 35 g/dl
SOLVD
Hc 39 g/dl
EuroHeart Failure Survey
Figure 1. Importance de la définition de l’anémie sur la prévalence chez
des patients avec insuffisance cardiaque (d’après [6]).
DONNÉES PHYSIOPATHOLOGIQUES
Rappels sur l’érythropoïèse
(figure 2)
La synthèse physiologique de globules rouges, ou érythropoïèse,
a pour objectif de compenser l’hémolyse physiologique (en
moyenne, 1/120ede la masse érythrocytaire chaque jour). C’est
donc un processus très actif qui produit chaque semaine 2,5.106
La Lettre du Cardiologue - n° 395 - mai 2006
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globules rouges, soit 60 à 80 g/l d’hémoglobine. En outre, cette
production est capable d’un grand degré d’adaptation puisque,
en fonction des besoins, elle peut encore être multipliée par sept
ou huit. Chez l’adulte sain, le site quasi exclusif de l’érythro-
poïèse est la moelle osseuse. La stimulation de l’érythropoïèse
est essentiellement sous la dépendance de l’érythropoïétine
(EPO), qui est synthétisée au niveau des reins par les fibroblastes
péritubulaires du cortex rénal. Les globules rouges proviennent
du passage dans la circulation des réticulocytes qui sont issus de
la prolifération et de la différenciation de cellules précurseurs
(figure 2). L’EPO intervient à trois niveaux dans la synthèse des
globules rouges : la prolifération des progéniteurs érythroïdes
(CFU-E), leur différenciation en proérythroblastes, de la multi-
plication des proérythroblastes et leur différenciation en réticu-
locytes. Ces étapes de prolifération et de multiplication cellu-
laires nécessitent par ailleurs une réplication d’ADN, nécessitant
de la vitamine B12 et de l’acide folique. Enfin, la production de
globules rouges demande en parallèle une synthèse d’hémoglo-
bine, qui est également sous le contrôle de l’EPO et qui néces-
site du fer (figure 2).
Insuffisance cardiaque et physiopathologie
de l’érythropoïétine
L’EPO est sécrétée par les fibroblastes péritubulaires du cortex
rénal. Cette sécrétion est stimulée par la baisse de la tension en
oxygène de ce tissu. Cette tension dépend de la quantité d’oxy-
gène apportée par le sang, et donc du débit sanguin rénal. Elle
dépend également d’une manière importante de la capacité d’uti-
lisation de l’oxygène par le rein, c’est-à-dire de sa capacité d’ex-
traction. Il a été montré que cette capacité d’extraction était elle-
même dépendante de la réabsorption de sodium par le tube
contourné proximal (7). Dans l’insuffisance cardiaque, on
observe une diminution du débit sanguin rénal et une activation
de la réabsorption sodique par le tubule contourné proximal liée
à l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone. Ainsi,
l’insuffisance cardiaque entraîne une augmentation de la pro-
duction et de la sécrétion d’EPO (8-10). Il a été montré que cette
augmentation de la production d’EPO était proportionnelle à la
sévérité de l’insuffisance cardiaque (9, 10). Plus récemment, il a
été montré qu’un taux plasmatique élevé d’EPO était associé à
une augmentation de la mortalité (11). Dans cette étude, les
auteurs ont comparé la relation entre taux d’EPO et taux d’hé-
moglobine dans le sang entre les patients insuffisants cardiaques
et des sujets témoins sains. Alors que, chez les sujets sains, il
existe une bonne corrélation entre taux d’EPO et d’Hb (r2= 0,44,
p = 0,007), cette relation est extrêmement perturbée chez les
sujets insuffisants cardiaques (r2= 0,08, p = 0,02) (11). Cette
observation suggère qu’il existe, chez les patients insuffisants
cardiaques, une possible “résistance à l’EPO” de la moelle
osseuse. Cette résistance pourrait participer au développement
d’une anémie alors même que l’EPO est surexprimée. Cette
“résistance à l’EPO” dans l’insuffisance cardiaque avait déjà été
observée dans des travaux expérimentaux et, dans ces travaux,
elle était liée à l’activation de cytokines inflammatoires (en par-
ticulier le TNFα) qui auraient des propriétés inhibitrices sur la
prolifération et la différenciation des cellules progénitrices de la
moelle osseuse (12).
ÉTIOLOGIES DE L’ANÉMIE CHEZ LE PATIENT
INSUFFISANT CARDIAQUE
En raison de l’âge des patients avec une insuffisance cardiaque,
des comorbidités parfois associées et des traitements souvent uti-
lisés (aspirine et/ou anticoagulants oraux), la présence d’une ané-
mie nécessite une enquête rigoureuse à la recherche de causes ou
facteurs pouvant expliquer ou participer à l’anémie.
Causes carentielles
Différentes carences sont parfois observées chez les patients avec
insuffisance cardiaque. Ainsi, dans une cohorte de patients insuf-
fisants cardiaques et présentant une anémie, une enquête étiolo-
gique systématique a observé des carences martiales, en vitamine
B12 ou en folates (13). Dans un autre travail, les prévalences
observées chez des patients avec une insuffisance cardiaque sys-
tolique et une anémie étaient respectivement de 14 %, 7 % et 7 %
pour les carence en fer (ferritine basse), en vitamine B12 et en
folates (14). Ces carences sont présentes chez 29 % (dont 21 %
de carences en fer) des 2 051 patients avec anémie d’une vaste
cohorte canadienne d’insuffisants cardiaques (n = 12 065) [15].
Insuffisance rénale
L’insuffisance rénale chronique (IRC) est une cause classique
d’anémie par diminution des capacités rénales de sécrétion
d’EPO. Au cours de l’évolution de l’insuffisance cardiaque, le
développement d’une IRC est possible (prévalence de l’IRC défi-
nie par une clairance de créatinine inférieure à 60 ml/mn, de 21 %
dans SOLVD prévention et de 36 % dans SOLVD traitement)
[16]. L’IRC peut être liée à l’insuffisance cardiaque elle-même
et/ou aux comorbidités parfois communes aux deux pathologies
(hypertension artérielle et diabète). L’IRC est également souvent
favorisée par les thérapeutiques. Il existe une bonne corrélation
entre l’altération de la fonction rénale et la présence d’une ané-
MISE AU POINT
Figure 2. Rappel de l’érythropoïèse (synthèse des globules rouges à par-
tir des cellules souches hématopoïétiques médullaires). L’érythropoïétine
(EPO) intervient dans la stimulation de la prolifération () de certains
progéniteurs et dans la différenciation du progéniteur érythroïde en pro-
érythroblastes. L’EPO intervient aussi dans la stimulation de la produc-
tion d’hémoglobine.
La Lettre du Cardiologue - n° 395 - mai 2006
27
MISE AU POINT
mie chez les patients avec insuffisance cardiaque (3, 14, 15).
Cependant, l’IRC n’explique pas toutes les anémies, puisqu’une
IRC n’est présente “que” chez environ 40 % des patients insuf-
fisants cardiaques avec une anémie (13).
Anémie et hémodilution
L’insuffisance cardiaque peut être responsable chez un certain
nombre de patients d’une hémodilution, par stimulation des sys-
tèmes de réabsorption hydrosodée. Cela est surtout vrai chez les
patients décompensés, chez qui il faudra attendre la disparition
des signes de rétention pour affirmer le diagnostic d’anémie. Cela
explique également qu’il faut être prudent dans l’interprétation
de l’hématocrite, qui est plus sensible à l’hémodilution que ne
l’est le taux d’hémoglobine. En cas de doute sur une “fausse ané-
mie” par hémodilution, il est possible de confirmer le diagnos-
tic par une mesure isotopique du volume globulaire total. Cette
mesure est rarement réalisée en pratique, mais pourrait être utile
en cas de doute, surtout avant de poursuivre les investigations,
voire de commencer un traitement spécifique. Ainsi, une hémo-
dilution a été observée chez 17 patients (46 %) et une anémie
“vraie” chez seulement 20 patients parmi 37 patients insuffisants
cardiaques présentant une anémie (définie dans cette étude par
l’hématocrite) [17].
Anémie et angiotensine II
Depuis longtemps, il est admis que les inhibiteurs de l’enzyme
de conversion de l’angiotensine (IEC) diminuent la production
d’EPO par les reins (8). De façon similaire, il a été montré récem-
ment, à partir des données des essais SOLVD, que l’introduction
d’un IEC chez un patient insuffisant cardiaque pouvait entraîner
une diminution de l’hématocrite (chez 55,6 % des patients trai-
tés par IEC, contre 44,2 % pour les patients randomisés dans le
groupe placebo ; p < 0,0001) [18]. Cette diminution du taux d’hé-
moglobine par les IEC serait bien liée à des effets médiés par
l’angiotensine II, puisque des résultats similaires ont été obser-
vés avec un traitement par antagoniste des récepteurs à l’angio-
tensine II (19). Ainsi, si l’on considère que, dans les stades ini-
tiaux de l’insuffisance cardiaque, il existe une augmentation de
la sécrétion d’EPO, en partie via l’activation du système rénine-
angiotensine, mais qu’il existe parallèlement une résistance de
la moelle osseuse à l’EPO, on comprend que l’introduction d’un
traitement par IEC ou antagoniste des récepteurs puisse entraî-
ner une anémie. Enfin, il a été rapporté récemment qu’il existait,
chez les patients insuffisants cardiaques avec anémie, une aug-
mentation des taux circulants d’un inhibiteur de l’hématopoïèse
(le N-acétyl-séryl-aspartyl-lysyl-proline ou Ac-SDKP). Cet inhi-
biteur est une molécule quasi exclusivement dégradée par l’en-
zyme de conversion de l’angiotensine. Les IEC entraînent donc
une augmentation des taux de cet inhibiteur de l’hématopoïèse,
et il a été montré que ces taux circulants étaient inversement cor-
rélés à la prolifération des progéniteurs érythroïdes (20).
Autres causes
Chez un patient insuffisant cardiaque avec anémie, il faudra aussi
savoir évoquer une hémolyse (surtout lorsque l’insuffisance car-
diaque survient sur une cardiopathie valvulaire ou chez un patient
avec une prothèse valvulaire dont l’hémolyse est parfois le seul
signe de dysfonctionnement), un syndrome inflammatoire chro-
nique, une hypothyroïdie (surtout chez les patients traités au long
court par amiodarone), voire une cause médullaire.
VALEUR PRONOSTIQUE DE L’ANÉMIE
Anémie et symptômes
Il existe une association forte entre l’existence d’une anémie et
les symptômes de l’insuffisance cardiaque. En 2000, Silverberg
et al. évoquent cette association, avec une prévalence de l’ané-
mie de 9 % chez les sujets en stade I de la New York Heart Asso-
ciation (NYHA), et de 19 %, 53 % et 79 % pour les stades
NYHA II, III et IV respectivement (figure 3) [5]. Cette associa-
tion peut refléter soit l’augmentation de la prévalence de l’ané-
mie en fonction de la gravité de l’insuffisance cardiaque, soit
l’aggravation des symptômes lorsqu’il existe une IRC et/ou une
anémie associée. La présence d’une anémie est également cor-
rélée aux capacités d’effort. Ainsi, Kalra et al. montraient une
corrélation assez moyenne mais significative entre le pic de VO2
et le taux d’hémoglobine lorsque celui-ci est inférieur à 130 g/l
(r = 0,41, p = 0,014) (21). Les capacités d’effort constituent,
comme le stade NYHA, un marqueur pronostique intermédiaire
de l’insuffisance cardiaque.
Anémie et mortalité
De nombreux auteurs ont étudié l’association entre l’existence
d’une anémie et la survie des patients insuffisants cardiaques
(3). Ces études portent sur des populations très différentes en
fonction du mode de recrutement des patients (registres mono-
centriques, données des compagnies d’assurance maladie,
essais thérapeutiques), de leurs effectifs, des définitions utili-
sées pour l’insuffisance cardiaque et l’anémie, et enfin de la
gravité de l’état des patients. Malgré ces différences, les résul-
tats sont concordants, puisque toutes ces études (sauf une [22])
retrouvent une mortalité accrue chez les patients insuffisants
cardiaques présentant une anémie (3). En moyenne, il existe
une augmentation du risque de décès de 2 à 3 % par an pour
Anémie : Hb < 12 g/dl
IRC : créatinine 15 g/dl
9,1
19,2
90
%
80
70
60
50
40
30
20
10
0
52,6
79,1
NYHA I NYHA II NYHA III NYHA IV
Figure 3. Prévalence de l’anémie définie par un taux d’hémoglobine
inférieur à 12 g/dl et de l’insuffisance rénale chronique en fonction de la
classe fonctionnelle NYHA (d’après [5]).
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une diminution de 1 % de l’hématocrite, et de 10 à 15 % par
an pour une diminution de 1 g/dl d’hémoglobine. Cet impact
de l’anémie sur la mortalité existe chez l’homme et chez la
femme (4). L’association entre l’anémie et la mortalité est indé-
pendante de la fonction rénale (4), mais il existe une interac-
tion entre l’anémie et la fonction rénale (p = 0,02), ces deux
paramètres ayant un effet additif sur le pronostic (4). Parmi les
patients insuffisants cardiaques avec une anémie, il semble que
ceux ayant une anémie liée en partie à une hémodilution aient
une tendance à un pronostic vital moins bon que ceux ne pré-
sentant “qu’une” anémie vraie (c’est-à-dire sans hémodilution
ajoutée), l’hémodilution reflétant sans doute l’activation
d’autres systèmes comme l’arginine-vasopressine (17). Bien
que les IEC aient prouvé leur efficacité dans l’insuffisance car-
diaque systolique et puissent favoriser l’apparition d’une ané-
mie, il a été montré que l’anémie restait associée à la morta-
lité chez les patients avec et sans traitement par IEC (18). Enfin,
il semble que l’apparition d’une anémie ait une valeur pro-
nostique plus péjorative que la présence d’une anémie avant
traitement (OR à 2,08 [1,82-2,38] contre 1,44 [1,27-1,64]
respectivement) [18]. De façon similaire, une diminution de
l’hémoglobine au douzième mois de suivi après instauration
du traitement est associée à une augmentation du nombre de
décès ou d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque, indé-
pendamment de l’existence d’une anémie en base (19). Ces
deux dernières études confirment des mécanismes différents
expliquant l’existence d’une anémie en base chez un patient
insuffisant cardiaque et sa majoration par blocage du système
rénine-angiotensine.
ANÉMIE, SIMPLE MARQUEUR
OU FACTEUR D’AGGRAVATION ?
DONNÉES THÉRAPEUTIQUES
À ce stade des connaissances, il est difficile de savoir si l’ané-
mie n’est qu’un marqueur de la sévérité de l’insuffisance car-
diaque ou si elle constitue un facteur aggravant. Ces dernières
années, quelques études d’intervention dont l’objectif était de
mesurer un éventuel bénéfice à corriger une anémie ont été rap-
portées. La première étude est monocentrique, issue d’une
cohorte de 142 patients traités par IEC, carvédilol, anti-aldo-
stérone et diurétiques (5). Après 6 mois de traitement optimal,
26 patients (moyenne d’âge 72 ans, 21 hommes/5 femmes,
18 cardiopathies ischémiques) présentaient encore une classe
fonctionnelle NYHA III ou IV, une FEVG inférieure ou égale
à 35 % et un taux d’hémoglobine inférieur à 120 g/l. La créa-
tininémie moyenne était de 25,9 ± 7,7 mg/l. Ces patients ont
reçu un traitement par EPO par voie sous-cutanée et des injec-
tions intraveineuses de fer de façon régulière pour obtenir un
taux d’hémoglobine supérieur ou égal à 120 g/l, sans autre
modification du traitement. Le suivi moyen a été de 7 mois envi-
ron, durant lesquels sont survenus 3 décès et un recours à l’hé-
modialyse chronique chez trois autres patients. Les patients sur-
vivants présentaient, par rapport à la période précédant
l’instauration de l’EPO et du fer, une amélioration de la classe
NYHA (2,7 versus 3,7 ; p < 0,05), une diminution du nombre
d’hospitalisations par patient (0,2 versus 2,7 ; p < 0,05) et une
amélioration de la FEVG (en moyenne 35,4 % versus 27,7 % ;
p < 0,05) [5]. Cette étude pilote a été suivie par un essai ran-
domisé en ouvert (23). Après 6 mois de traitement optimal, 32
patients gardant une FEVG inférieure à 40 %, une NYHA III
ou IV et un taux d’hémoglobine (après élimination des anémies
secondaires) entre 105 et 115 g/l ont été randomisés pour rece-
voir des injections d’EPO et de fer ou la poursuite du traite-
ment. Cette étude, dont la puissance statistique était limitée, n’a
montré, en plus de l’augmentation du taux d’hémoglobine,
qu’une réduction du nombre de jours d’hospitalisation
(p = 0,039) et une tendance à l’amélioration de la FEVG, les
patients traités passant de 30,8 ± 12,6 % à 36,3 ± 11,9 % et les
patients contrôles de 28,4 ± 7,6 % à 23,0 ± 6,9 % (NS). L’in-
térêt d’un traitement par EPO a également été évalué sur les
capacités d’effort. Vingt-trois patients (57 ± 11 ans) présentant
une insuffisance cardiaque stable depuis au moins 4 semaines
(FEVG = 23 ± 5 %), un hématocrite inférieur à 35 % avec taux
d’EPO bas et une créatininémie inférieure à 25 mg/l ont été ran-
domisés en simple aveugle (ratio 1:2) pour recevoir de l’EPO
en sous-cutané pendant 3 mois (n = 8) ou un placebo (n = 15).
Cette étude a montré que l’ajout d’EPO au traitement conven-
tionnel permettait une amélioration des capacités d’effort éva-
luées par le test de marche de 6 minutes et le pic de VO2
(consommation d’oxygène) [24]. À ce jour, aucune étude de
mortalité n’a été rapportée, mais ces études débutent dans dif-
férents centres.
CONCLUSION
Il est bien établi que, chez un certain nombre de patients, l’évo-
lution de l’insuffisance cardiaque s’accompagne de l’apparition
d’une anémie. Dans le contexte de l’insuffisance cardiaque, l’ané-
mie peut avoir une ou plusieurs étiologies différentes, parfois
intriquées. La prise en charge d’une anémie chez un patient insuf-
fisant cardiaque nécessite donc une enquête étiologique rigou-
reuse et exhaustive. La présence d’une anémie est souvent obser-
vée chez les patients les plus symptomatiques. Il est bien montré
également que la présence d’une anémie est un marqueur de sévé-
rité de l’insuffisance cardiaque et est associée à une augmenta-
tion de la mortalité et des hospitalisations. Même si des éléments
physiopathologiques peuvent expliquer que l’anémie par elle-
même est capable d’aggraver l’évolution de l’insuffisance car-
diaque (surtout lorsqu’elle est d’origine ischémique), il est encore
difficile de savoir si la présence d’une anémie n’est que le reflet
de la gravité de l’insuffisance cardiaque ou si elle participe à l’ag-
gravation du pronostic. Ainsi, même s’il semble démontré qu’un
traitement spécifique par EPO et supplémentation en fer peut
améliorer les symptômes et la capacité d’effort des patients insuf-
fisants cardiaques avec anémie, seul un essai thérapeutique de
grande ampleur permettra de savoir si la correction de l’anémie
apporte un bénéfice en termes de survie chez les patients les plus
gravement atteints. Cette étape est nécessaire avant d’envisager
des traitements spécifiques chez les patients présentant une insuf-
fisance cardiaque avec des valeurs d’hémoglobine à la limite de
la normale.
MISE AU POINT
La Lettre du Cardiologue - n° 395 - mai 2006
29
MISE AU POINT
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Ce numéro est routé aux abonnés avec Les Correspondances en risque cardiovasculaire n° 2, volume IV, avril-mai-juin 2006 (36 pages).
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