La Lettre du Cardiologue - n° 395 - mai 2006
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une diminution de 1 % de l’hématocrite, et de 10 à 15 % par
an pour une diminution de 1 g/dl d’hémoglobine. Cet impact
de l’anémie sur la mortalité existe chez l’homme et chez la
femme (4). L’association entre l’anémie et la mortalité est indé-
pendante de la fonction rénale (4), mais il existe une interac-
tion entre l’anémie et la fonction rénale (p = 0,02), ces deux
paramètres ayant un effet additif sur le pronostic (4). Parmi les
patients insuffisants cardiaques avec une anémie, il semble que
ceux ayant une anémie liée en partie à une hémodilution aient
une tendance à un pronostic vital moins bon que ceux ne pré-
sentant “qu’une” anémie vraie (c’est-à-dire sans hémodilution
ajoutée), l’hémodilution reflétant sans doute l’activation
d’autres systèmes comme l’arginine-vasopressine (17). Bien
que les IEC aient prouvé leur efficacité dans l’insuffisance car-
diaque systolique et puissent favoriser l’apparition d’une ané-
mie, il a été montré que l’anémie restait associée à la morta-
lité chez les patients avec et sans traitement par IEC (18). Enfin,
il semble que l’apparition d’une anémie ait une valeur pro-
nostique plus péjorative que la présence d’une anémie avant
traitement (OR à 2,08 [1,82-2,38] contre 1,44 [1,27-1,64]
respectivement) [18]. De façon similaire, une diminution de
l’hémoglobine au douzième mois de suivi après instauration
du traitement est associée à une augmentation du nombre de
décès ou d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque, indé-
pendamment de l’existence d’une anémie en base (19). Ces
deux dernières études confirment des mécanismes différents
expliquant l’existence d’une anémie en base chez un patient
insuffisant cardiaque et sa majoration par blocage du système
rénine-angiotensine.
ANÉMIE, SIMPLE MARQUEUR
OU FACTEUR D’AGGRAVATION ?
DONNÉES THÉRAPEUTIQUES
À ce stade des connaissances, il est difficile de savoir si l’ané-
mie n’est qu’un marqueur de la sévérité de l’insuffisance car-
diaque ou si elle constitue un facteur aggravant. Ces dernières
années, quelques études d’intervention dont l’objectif était de
mesurer un éventuel bénéfice à corriger une anémie ont été rap-
portées. La première étude est monocentrique, issue d’une
cohorte de 142 patients traités par IEC, carvédilol, anti-aldo-
stérone et diurétiques (5). Après 6 mois de traitement optimal,
26 patients (moyenne d’âge 72 ans, 21 hommes/5 femmes,
18 cardiopathies ischémiques) présentaient encore une classe
fonctionnelle NYHA III ou IV, une FEVG inférieure ou égale
à 35 % et un taux d’hémoglobine inférieur à 120 g/l. La créa-
tininémie moyenne était de 25,9 ± 7,7 mg/l. Ces patients ont
reçu un traitement par EPO par voie sous-cutanée et des injec-
tions intraveineuses de fer de façon régulière pour obtenir un
taux d’hémoglobine supérieur ou égal à 120 g/l, sans autre
modification du traitement. Le suivi moyen a été de 7 mois envi-
ron, durant lesquels sont survenus 3 décès et un recours à l’hé-
modialyse chronique chez trois autres patients. Les patients sur-
vivants présentaient, par rapport à la période précédant
l’instauration de l’EPO et du fer, une amélioration de la classe
NYHA (2,7 versus 3,7 ; p < 0,05), une diminution du nombre
d’hospitalisations par patient (0,2 versus 2,7 ; p < 0,05) et une
amélioration de la FEVG (en moyenne 35,4 % versus 27,7 % ;
p < 0,05) [5]. Cette étude pilote a été suivie par un essai ran-
domisé en ouvert (23). Après 6 mois de traitement optimal, 32
patients gardant une FEVG inférieure à 40 %, une NYHA III
ou IV et un taux d’hémoglobine (après élimination des anémies
secondaires) entre 105 et 115 g/l ont été randomisés pour rece-
voir des injections d’EPO et de fer ou la poursuite du traite-
ment. Cette étude, dont la puissance statistique était limitée, n’a
montré, en plus de l’augmentation du taux d’hémoglobine,
qu’une réduction du nombre de jours d’hospitalisation
(p = 0,039) et une tendance à l’amélioration de la FEVG, les
patients traités passant de 30,8 ± 12,6 % à 36,3 ± 11,9 % et les
patients contrôles de 28,4 ± 7,6 % à 23,0 ± 6,9 % (NS). L’in-
térêt d’un traitement par EPO a également été évalué sur les
capacités d’effort. Vingt-trois patients (57 ± 11 ans) présentant
une insuffisance cardiaque stable depuis au moins 4 semaines
(FEVG = 23 ± 5 %), un hématocrite inférieur à 35 % avec taux
d’EPO bas et une créatininémie inférieure à 25 mg/l ont été ran-
domisés en simple aveugle (ratio 1:2) pour recevoir de l’EPO
en sous-cutané pendant 3 mois (n = 8) ou un placebo (n = 15).
Cette étude a montré que l’ajout d’EPO au traitement conven-
tionnel permettait une amélioration des capacités d’effort éva-
luées par le test de marche de 6 minutes et le pic de VO2
(consommation d’oxygène) [24]. À ce jour, aucune étude de
mortalité n’a été rapportée, mais ces études débutent dans dif-
férents centres.
CONCLUSION
Il est bien établi que, chez un certain nombre de patients, l’évo-
lution de l’insuffisance cardiaque s’accompagne de l’apparition
d’une anémie. Dans le contexte de l’insuffisance cardiaque, l’ané-
mie peut avoir une ou plusieurs étiologies différentes, parfois
intriquées. La prise en charge d’une anémie chez un patient insuf-
fisant cardiaque nécessite donc une enquête étiologique rigou-
reuse et exhaustive. La présence d’une anémie est souvent obser-
vée chez les patients les plus symptomatiques. Il est bien montré
également que la présence d’une anémie est un marqueur de sévé-
rité de l’insuffisance cardiaque et est associée à une augmenta-
tion de la mortalité et des hospitalisations. Même si des éléments
physiopathologiques peuvent expliquer que l’anémie par elle-
même est capable d’aggraver l’évolution de l’insuffisance car-
diaque (surtout lorsqu’elle est d’origine ischémique), il est encore
difficile de savoir si la présence d’une anémie n’est que le reflet
de la gravité de l’insuffisance cardiaque ou si elle participe à l’ag-
gravation du pronostic. Ainsi, même s’il semble démontré qu’un
traitement spécifique par EPO et supplémentation en fer peut
améliorer les symptômes et la capacité d’effort des patients insuf-
fisants cardiaques avec anémie, seul un essai thérapeutique de
grande ampleur permettra de savoir si la correction de l’anémie
apporte un bénéfice en termes de survie chez les patients les plus
gravement atteints. Cette étape est nécessaire avant d’envisager
des traitements spécifiques chez les patients présentant une insuf-
fisance cardiaque avec des valeurs d’hémoglobine à la limite de
la normale. ■
MISE AU POINT