La Lettre du Cardiologue - n° 316 - septembre 1999
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ne session a été consacrée au bilan étiologique, et tout par-
ticulièrement rythmologique, de l’accident ischémique
cérébral cardioembolique. Quatre-vingt pour cent des accidents
vasculaires cérébraux (AVC) sont de nature ischémique. Les causes
vasculaires sont l’athérome chez le sujet âgé et la dissection chez
le jeune ; l’embolie d’origine cardiaque a essentiellement un point
de départ auriculaire gauche, et la fibrillation auriculaire est le fac-
teur essentiel de la stase, de la thrombose et de l’embolie.
STRATÉGIE DES EXAMENS À VISÉE ÉTIOLOGIQUE
La stratégie des examens étiologiques est progressive selon les
circonstances, et on distingue diverses situations :
Il existe une cause évidente (fibrillation auriculaire, athérome
carotidien significatif, ces deux éléments étant parfois associés
chez le sujet âgé).
Une cause cardiaque significative est trouvée par un bilan plus
poussé : cardiopathie emboligène identifiée, thrombus intracavi-
taire, fibrillation auriculaire documentée ; une réserve est faite
pour la fibrillation auriculaire précoce, qui peut être consécutive
à l’AVC.
Les facteurs de risque généraux biologiques concernent la coa-
gulation, les anticorps anti-cardiolipides, l’hypercholestéromie,
la prise de toxiques ou de stupéfiants.
Des facteurs de risque cardiaques, morphologiques ou fonc-
tionnels ont été plus récemment isolés par l’échographie trans-
œsophagienne (état préthrombotique, athérome aortique, altéra-
tion de la fonction de l’auricule gauche, anomalies du septum
interauriculaire) ou par une exploration électrophysiologique, qui
met en évidence la vulnérabilité auriculaire latente (1, 2).
J. Bogousslavsky a présenté les résultats du registre de Lau-
sanne, qui note qu’un quart des AVC ischémiques sont d’origine
cardiaque à un âge moyen de 65 ans ; les antécédents les plus
notables sont un accident ischémique transitoire (22 %) et une
hypercholestérolémie (19 %). Une cardiopathie est présente dans
moins d’un cas sur deux ; la fibrillation auriculaire (FA) existe
dans 30 à 40% des cas au monitoring ou dans les antécédents.
LE BILAN ÉCHOCARDIOGRAPHIQUE
A. Cohen a montré l’apport de l’échocardiographie transœso-
phagienne (ETO) au diagnostic étiologique des embolies céré-
brales. Toutefois, à terme, 30 à 40 % des accidents ischémiques
cérébraux (AIC) restent de cause indéterminée (3). Le lien de cau-
salité est parfois difficile à expliquer entre l’embolie et les ano-
malies trouvées. La mise en évidence d’un foramen ovale per-
méable (FOP) ou d’un anévrysme du septum interauriculaire
(ASIA) est fréquente dans les AVC sans cause décelable ; l’em-
bolie paradoxale a été très surestimée. La fibrillation auriculaire
a une place de choix dans l’explication physiopathologique.
J.P. Lesbrea précisé la signification du contraste spontané et son
association avec la FA, distinguant, selon la dynamique de l’au-
ricule, les FA atones à plus haut risque que les FA toniques.
J.L. Mas a exposé la question des anomalies du septum interau-
riculaire, FOP et ASIA. Ils sont significativement plus fréquents
en cas d’accident ischémique cérébral que chez les sujets témoins,
mais le risque de récidive est faible et la conduite à tenir en pré-
vention secondaire controversée. La relation des FOP et des ASIA
avec les AVC sans cause est statistique et augmente avec la taille,
le shunt et l’association des deux, mais la causalité reste incer-
taine, et la spécificité est faible. L’étude française “FOP-ASIA”,
dont les inclusions se sont terminées fin 1998, précisera la signi-
fication de ces anomalies ; l’étude ancillaire ISAV (Ischemic
Stroke Atrial Vulnerability) précisera les relations entre les FOP-
ASIA et la vulnérabilité auriculaire latente.
LE BILAN RYTHMOLOGIQUE
Le bilan rythmologique concerne essentiellement des patients
n’ayant pas de cause évidente, ni de FA documentée. Il s’agit sou-
vent d’un accident ischémique cérébral de cause inconnue. Le
bilan cherche le plus souvent une FA paroxystique emboligène
soit patente (techniques habituelles : ECG, holter), soit latente
(exploration électrophysiologique).
Cœur et cerveau
L
e congrès “Cœur et cerveau II”, qui s’est tenu à Toulouse il y a plusieurs mois déjà, a été
l’occasion
d’actualiser nos connaissances dans ce domaine très évolutif de la cardiologie. La
fréquence croissante
des accidents ischémiques cérébraux mérite qu’une attention particulière
soit portée à cet aspect de la cardiologie, à la fois pour mieux comprendre la physiopathologie
de ces accidents et pour mieux les prévenir.
La recherche de la vulnérabilité auriculaire
après un accident ischémique cérébral inexpliqué
U
DOSSIER
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Les explorations
P. Attuela présenté l’état actuel du concept de vulnérabilite auri-
culaire latente et a discuté la signification morphologique des
troubles du rythme induits. Le débat a porté, avec P. Coumel, sur
la valeur des renseignements apportés et sur leur utilité dans la
pratique pour influencer la prévention secondaire.
La recherche de la vulnérabilité auriculaire latente se fait par la
stimulation auriculaire programmée. Le but est de rechercher
un état de l’oreillette compris entre la normalité et l’hyperexci-
tabilité patente. Il s’agit d’identifier un groupe de patients à haut
risque de tachycardie auriculaire paroxystique non encore docu-
mentée qui permet de penser que ces patients ont été en mesure
de faire un trouble du rythme auriculaire suffisamment prolongé
pour constituer une embolie.
On peut ainsi mettre en évidence :
Des anomalies des périodes réfractaires auriculaires, qui
sont anormalement courtes (inférieures à 210 ms) et
inadaptées à l’accélération de la fréquence car-
diaque, sachant que, chez le sujet normal, les
périodes réfractaires diminuent lorsque le
cycle cardiaque diminue. Cet état a été
trouvé également à l’échelon de la cel-
lule auriculaire humaine par J.Y. Le
Heuzey (4).
Des anomalies de la conduction
intra-auriculaire,le plus souvent dis-
crètes et mises en évidence par la tech-
nique de l’extrastimulus : la réponse
auriculaire notée A2 après l’extra-stimu-
lus noté S2.
Le rapport de ces deux valeurs, période réfrac-
taire et auriculogramme A2, permet de calculer l’indice
global noté “index de vulnérabilité latente” (IVL),
reflet indirect du raccourcissement de la longueur d’onde, signa-
lée par les fondamentalistes comme l’élément arythmogène essen-
tiel. Un IVL inférieur à 2,5 est très anormal.
L’induction d’un trouble du rythme de plus d’une minute par
la technique de l’extrastimulus est jugée significative.
Cette notion de substrat arythmogène est donc très hétérogène,
et P. Attuel a signalé qu’elle mesurait plusieurs paramètres
comme des troubles de propagation, des périodes réfractaires
inadaptées, une capacité à pérenniser les troubles du rythme. Les
divers concepts de foyer, vaguelette, obstacle, anisotropie, réen-
trée et remodelage sont complémentaires (5).
P. Coumel a soulevé le problème de l’interrogatoire et des pal-
pitations. Il convient d’admettre qu’une arythmie paroxystique
emboligène peut être asymptomatique ; dans notre série, nous
avons pu mettre en évidence des symptômes chez des patients
inductibles et, dans les deux tiers des cas, le patient validait a pos-
teriori un symptôme qu’il n’avait pas cru utile de signaler.
La discussion a porté également sur le moment et les conditions
de l’exploration électrophysiologique et le rôle du système ner-
veux autonome sur le substrat ; les conditions de l’examen ne
sont pas les mêmes que celles qui ont précédé l’embolie céré-
brale ; cela n’enlève cependant pas de valeur à une exploration
positive à un instant donné.
Les résultats
Les résultats des diverses équipes sont superposables (P. Attuel,
J.M. Quatre, équipes de Nancy et de Toulouse) (6) :
–54% de patients sont inductibles,
–50% ont des périodes réfractaires courtes ou inadaptées à la
fréquence,
–70% ont des anomalies de la conduction loco-régionale,
–50% ont un IVL inférieur à 2,5.
Si nous regroupons l’ensemble des critères majeurs de vulnéra-
bilité auriculaire latente, l’exploration électrophysiologique auri-
culaire est pathologique dans 78 % des cas.
Il existe des arguments pour penser que la découverte de ce sub-
strat arythmogène a une signification :
Une comparaison avec un groupe témoin de sujets
jeunes, réalisée par Quatre, montre une diffé-
rence significative des paramètres de vulné-
rabilité (7).
Le fait d’induire est peut-être un cri-
tère de positivité trop sensible, mais il
est corrélé aux périodes réfractaires
courtes, et souvent associé à des ano-
malies de conduction.
La connaissance du phénomène de
remodelage électrophysiologique
consécutif à une fibrillation auriculaire
paroxystique montre qu’un phénomène rare peut
créer les conditions d’un trouble du rythme suffisam-
ment prolongé pour être emboligène (5).
Les travaux de M. Haissaguerre montrent que la gâchette est
très souvent auriculaire gauche, ce qui n’est pas incompatible
avec l’intervention d’un substrat préexistant.
Le suivi de la cohorte de l’étude FOP-ASIA sera précieux pour
connaître l’évolution spontanée du trouble du rythme supposé par
la recherche de la vulnérabilité auriculaire latente.
P. Attuel a étudié l’aspect des ondes de fibrillation auriculaire en
endocavitaire. Il existe des différences selon que la fibrillation
auriculaire est ancienne, paroxystique ou latente ; les cycles sont
plus courts dans les formes les plus anciennes à oreillette dilatée,
laissant penser à un remodelage électrophysiologique et anato-
mique qui va dans le sens d’un raccourcissement des périodes
réfractaires et du cycle de la fibrillation.
Les relations entre la vulnérabilité auriculaire latente et la
présence d’un FOP ont été examinées par A. Cohen, qui cite l’ex-
périence des équipes de Nancy et de Toulouse : la vulnérabilité
auriculaire latente est plus fréquemment retrouvée s’il existe un
FOP. L’une des hypothèses est l’existence d’obstacles anato-
miques supplémentaires augmentant l’hétérogénéité d’activation
des oreillettes et favorisant la mise en route et la pérennisation
du trouble du rythme. Cette hypothèse, associée au caractère
exceptionnel de l’embolie paradoxale prouvée, incite à être très
prudent dans les indications d’oblitération du foramen ovale per-
méable.
CŒUR ET CERVEAU
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TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX POUR LA PRÉVENTION
DES ACCIDENTS ISCHÉMIQUES CÉRÉBRAUX
J.Y. Le Heuzey a fait le point sur l’indication des traitements
antiarythmiques (8). Dans la fibrillation auriculaire permanente,
dans la mesure où un traitement anticoagulant est donné, il est
intéressant de connaître le bénéfice réel de la réduction et du main-
tien en rythme sinusal : c’est l’objet de l’étude AFFIRM, qui
étudie le devenir de deux groupes de patients sous traitement anti-
coagulant, l’un avec réduction et maintien en rythme sinusal,
l’autre avec simple contrôle de la réponse ventriculaire en fibril-
lation (9).
Les facteurs de récidive sous traitement après induction sont l’âge,
l’ancienneté de la FA, le nombre de récidives, une pathologie
mitrale, une oreillette gauche dilatée, un trouble de l’automatisme
associé, une difficulté à prescrire des antiarythmiques.
L’opportunité de donner des antiarythmiques en présence d’une
vulnérabilité auriculaire latente est moins certaine ; ils peuvent
cependant avoir un effet préventif sur les récidives et le remode-
lage.
P. Lechata abordé le problème de l’indication des antivitamines
K (AVK). Il y a un effet certain en prévention primaire dans la
FA permanente et paroxystique, avec un risque diminué des deux
tiers. D’une façon générale, l’effet du traitement est d’autant plus
important que le risque est grand, mais l’effet relatif du traite-
ment est identique quel que soit le niveau de risque ; l’aspirine a
de l’intérêt chez les patients à très faible risque ou si le risque
hémorragique est augmenté (grand âge, difficulté à équilibrer les
AVK, hypertension artérielle systolique). En prévention secon-
daire, la tendance est conservée ; l’attitude est plus difficile à
déterminer en cas de vulnérabilité auriculaire latente et en l’ab-
sence de cardiopathie chez le sujet jeune : l’étude FOP-ASIA
fournira le taux de récidive sous aspirine.
CONCLUSION
Au total, la recherche de la vulnérabilité auriculaire latente après
un AVC ischémique inexpliqué est riche d’enseignement ; elle a
essentiellement été proposée chez les sujets jeunes victimes d’une
embolie sans cause. Elle est d’autant plus rentable qu’il existe un
FOP.
Il n’est pas complètement admis que la constatation d’une vul-
nérabilité modifie l’attitude thérapeutique en prévention secon-
daire ; il est par contre possible d’admettre la spécificité de ce
groupe de patients et la reproductibilité si l’on considère de façon
globale les divers critères de vulnérabilité.
M. Delay*, E. Somody*, J.F. Albucher**, G. Casteignau*,
N. Prouteau*, Ph. Cantié*, F. Chollet**,
*Service de cardiologie, ** Service de neurologie,
hôpital de Purpan, Toulouse
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