Les exemples
Les exemples existants de ces régulateurs allostériques déve-
loppés en tant qu’outils thérapeutiques sont, pour certains, déjà
anciens, mais en nombre limité. Au niveau des récepteurs aux
neurotransmetteurs ou hormones, les exemples les plus
connus, impliquant les récepteurs canaux, occupent une place
de choix. Le récepteur nicotinique cholinergique, en particu-
lier, a été et est toujours le prototype de référence pour des
études fondamentales ; la présence des multiples sites allosté-
riques (sites pour les anesthésiques locaux, le Ca++,ATP,
substance P, physostigmine, stéroïdes, cholestérol et d’autres
composés encore) a été décrite. La galantamine constitue un
des développements pharmacologiques les plus prometteurs
des ligands allostériques du récepteur nicotinique.
Les récepteurs GABAAconstituent l’exemple le plus frappant
de l’application fructueuse de l’allostérie aux médicaments. En
effet, ces récepteurs canaux sont la cible de divers régulateurs
allostériques, dont au moins deux sont d’une importance
extrême : les benzodiazépines d’une part, et les barbituriques
d’autre part. Chacun connaît la révolution thérapeutique déclen-
chée par ces produits ; les benzodiazépines, en particulier, ont pu
démontrer de la façon la plus éclatante l’efficacité des régula-
teurs allostériques. Cependant, les aspects négatifs dans l’utili-
sation de ces molécules (tolérance, dépendance et réduction de
fonctions cognitives) ont mis en évidence l’importance de la défi-
nition des cibles visées. Les études actuelles de biologie molé-
culaire distinguent les sous-types de récepteurs GABA en fonc-
tion de leur composition en sous-unités protéiques et étudient
leur rôle fonctionnel respectif ; elles permettront vraisemblable-
ment de développer des molécules anxiolytiques interagissant
plus spécifiquement avec les récepteurs pertinents et, en consé-
quence, ces produits devraient être dépourvus de nombreux effets
indésirables des benzodiazépines de première génération.
Ces succès pharmacologiques sont encourageants pour le déve-
loppement d’outils thérapeutiques allostériques dans le cas
d’autres récepteurs canaux tels que les canaux calciques, les
récepteurs NMDA et AMPA, le récepteur de la glycine et celui
5-HT3 de la sérotonine.
Les modulateurs allostériques des GPCR
(récepteurs couplés aux protéines G)
Ils devraient constituer dans un futur proche une voie innovante
particulièrement fructueuse dans la recherche de nouveaux
outils thérapeutiques efficaces. La classe des récepteurs GPCR
représente, en effet, près de 200 récepteurs identifiés dont le
gène a été caractérisé. Il est important de rappeler que 40 % des
médicaments actuels ont pour cible un GPCR. C’est dire l’im-
portance physiopathologique et pharmacologique de ces récep-
teurs et cependant, si l’on note que l’on ne connaît pour l’ins-
tant qu’une minorité d’entre eux (il devrait, selon l’analyse du
génome humain, en exister plus d’un millier !), l’importance
de ces cibles pharmacologiques devrait être encore plus mar-
quée dans le futur. L’immense majorité des produits médica-
menteux qui interagissent avec les GPCR sont des agonistes ou
antagonistes classiques compétitifs avec leurs qualités, mais
aussi leurs défauts liés à leur mécanisme d’action.
Les GPCR peuvent-ils donner lieu au développement
de régulateurs allostériques ?
La réponse est là encore clairement positive. Toutefois, il est
curieux de constater que le développement de modulateurs
allostériques médicamenteux est resté très limité jusqu’à main-
tenant. La première cause est en effet que la complexité de ces
récepteurs n’a pas facilité la mise en évidence de leur nature
allostérique. Les premiers modèles proposés pour rendre
compte du comportement biochimique de ces récepteurs fai-
saient appel à l’existence de deux états conformationnels de la
protéine réceptrice (état couplé et non couplé à la protéine G)
(2) ;ensuite, les nouveaux résultats expérimentaux obtenus ont
contraint d’étendre ce modèle à celui prévoyant l’existence des
conformations active et inactive du récepteur en l’absence de
ligand (3). Ce modèle confortait l’hypothèse de la nature allo-
stérique de la protéine réceptrice. Il a fallu ensuite prendre en
compte la mise en œuvre d’états multiples du récepteur qui per-
mettaient son couplage à diverses protéines G (4) ; le modèle
résultant traduisait la pléiotropie de tels récepteurs qui pou-
vaient ainsi conduire à activer des voies de signalisation dis-
tinctes selon qu’ils se couplaient à telle ou telle protéine effec-
trice. Enfin, plus récemment encore, la notion de dimérisation
de ces récepteurs formant des homo- ou des hétérodimères
(en se combinant à d’autres GPCR) a accru la complexité
des mécanismes allostériques affectant cette classe de
récepteurs (5).
La caractérisation de ces mécanismes a permis de mieux com-
prendre la capacité des GPCR à intervenir de façon efficace
et nuancée dans les interactions neuronales, en particulier dans
les régulations fines mises en jeu dans les réponses de l’indi-
vidu à des stimuli, dans les phénomènes d'adaptation, de
mémoire et d'apprentissage neuronaux, bref, dans tous les élé-
ments qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement phy-
siologique, mais aussi dans les dysfonctionnements patholo-
giques centraux et périphériques, notamment en psychiatrie.
Un progrès très sensible dans la connaissance et l’intérêt fonc-
tionnel du rôle régulateur des modulateurs allostériques des
GPCR a été lié à la mise en évidence du premier modulateur
allostérique endogène de l’un de ces récepteurs. Il s’agit d’un
tétrapeptide (5-HT-moduline) présent dans le cerveau et
reconnaissant très spécifiquement le récepteur 5-HT1B. Le
mécanisme moléculaire d’interaction ainsi que le rôle fonc-
tionnel de ce régulateur allostérique ont été établis (6). Il
constitue un prototype exemplaire pour toute une famille
potentielle de modulateurs de GPCR impliqués dans diverses
activités fonctionnelles du cerveau, notamment celles qui
mettent en jeu les systèmes aminergiques. D’autres modula-
teurs endogènes ont été proposés depuis cette découverte ini-
tiale : oléamide pour les récepteurs 5-HT7 (7), progestérone
pour le récepteur ocytocine (8). Le caractère endogène de ces
modulateurs allostériques et le fait qu’il ait été démontré, pour
certains d’entre eux, qu’ils sont libérés par des systèmes
neuronaux et qu’ils ont un effet fonctionnel marqué chez
l’animal in vivo sont en faveur de leur implication en tant
qu’acteurs cruciaux dans le fonctionnement physiopatholo-
gique de l’individu.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n
os
4-5 - juillet-octobre 2002
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PHARMACOLOGIE