Enquête à l’hôpital Rothschild - Direction des soins Les lits à hauteur variable La réflexion d’un patient a interpellé la direction des soins sur l’utilisation des lits à l’hôpital. Une enquête a été menée. Les résultats témoignent de l’importance des valeurs et des interprétations des soignants dans la stratégie mise en place dans le domaine du soin. L es troubles décrits par ce patient étaient des vertiges, et cette situation de mal-être a sensibilisé tout le service qui a mené cette étude. Qui sont les principaux bénéficiaires du lit et quelle place occupe-t-il dans la prestation globale des soins en termes de qualité et de priorité ? Quel impact le lit a-t-il sur la qualité des soins et quelle est la marge de manœuvre pour les patients ? Pourquoi le lit n’est-il pas un “partenaire” de soins privilégié ? Fait-il partie de l’arsenal thérapeutique ? Autant de questions qui ont motivé l’enquête. Celle-ci a concerné l’ensemble des services de l’hôpital, hormis la gériatrie (à cause du trop grand nombre de personnes désorientées). La population interrogée était l’ensemble des patients de l’hôpital à un moment X de leur hospitalisation, et l’outil utilisé était les 197 questionnaires distribués. Les résultats Certes, l’enquête comporte certaines insatisfactions parmi lesquelles : “seulement” 53,29 % de réponses exploitables, l’exclusion de la population de gériatrie, l’inégalité du nombre de patients selon les services, la mauvaise maîtrise de la langue française, le manque d’intérêt et d’implication des patients, etc. Cependant, la motivation et l’implication du cadre infirmier de nuit ont été déterminantes. De même, la mobilisation des infirmiers et infirmières de nuit, la participation et l’implication d’un certains nombre de patients, la réalisation de ce projet et l’élaboration de perspectives, la publication d’un article au niveau local et dans une revue professionnelle, l’articulation de l’enquête et du Projet de soins de l’hôpital Roth- 14 schild, l’opportunité d’une telle enquête dans un contexte de restructuration et de démarche qualité ont été autant de points forts de cette initiative. Interprétation des résultats Trente-deux personnes sont des hommes et 72 sont des femmes. L’âge moyen est de 39 ans, biaisé par l’absence des patients de gériatrie, par le peu de participants en rééducation neurologique (souvent jeunes), par le nombre important de patients du service de gastroentérologie (moyenne d’âge peu élevée). Le service est identifié mais la cause de l’hospitalisation ne l’est pas dans sa grande majorité : hépato-gastro-entérologie (40 patients), gynécologie-obstétrique (20), rééducation orthopédique (14), rééducation neurologique (6), chirurgie plastique et réparatrice (17), médecine infectieuse (7). On note un taux de participation important des patients qui ont une altération de l’image corporelle et sont très sensibles à l’amélioration de leur bien-être et de leur confort. L’utilisation du lit comme “partenaire” dans l’amélioration de leur état de santé apparaît comme une évidence (repos, confort, douceur, sécurité). On peut souligner l’investissement des soignants dans la réfection d’un lit et le change des draps, mais on relève également le manque de préoccupation quant aux avantages d’un lit à hauteur variable. Deux tiers des personnes interrogées pèsent plus de 60 kg, ce qui représente un poids élevé si la personne ne peut se mouvoir seule, et un tiers des personnes interrogées mesurent entre 1,45 m et 1,60 m, pour lesquelles le lit doit absolument être redescendu à son niveau Professions Santé Infirmier Infirmière - No 37 - mai 2002 le plus bas pour leur permettre de se lever sans risque de chute. La question traitant de l’ancienneté de l’hospitalisation a donné lieu à des confusions, elle n’a donc pas été prise en compte dans l’interprétation des résultats. Un cinquième des personnes interrogées présentent un ou plusieurs handicaps au moment de son hospitalisation. Presque les trois quarts des personnes interrogées présentent un état douloureux ; parmi elles, la moitié désignent la mauvaise position du lit comme étant à l’origine de leurs douleurs. Ce résultat est significatif et permet de situer l’impact que le positionnement du lit à hauteur variable peut avoir dans la qualité du soin. Lit et douleur Quatre-vingt onze pour cent des personnes interrogées ont le choix de la hauteur de leur lit. Nous nous interrogeons sur les 9 % qui ne bénéficient pas de ce choix : leur état de santé ne le leur permettant pas toujours, les soignants décident d’emblée pour eux et ne pensent pas toujours à les questionner. Et lorsque les patients demandent aux soignants de modifier le positionnement de leur lit, 89,42 % obtiennent satisfaction. Pourtant, 96,15 % des patients interrogés estiment que la bonne position du lit a un impact bénéfique sur leur confort ; 50 % estiment que la bonne position du lit a un impact sur leur guérison, 25 % ont été confrontés au moins une fois pendant leur hospitalisation à un lit positionné trop haut, les empêchant ainsi de se lever. Ces personnes se trouvent donc dans une situation potentiellement dangereuse et nous attirons donc l’attention sur la non-performance de cette prestation de soins pour les 25 % de personnes concernées. L’utilisation de la télécommande du lit, dont l’impact est minimisé par le soignant, n’est pas satisfaisante dans le sens où le patient n’est pas Impact sur la qualité des soins vu par le patient Parmi les personnes interrogées, 50 % ont rencontré des difficultés pour se lever seules de leur lit ; 35 % des difficultés liées à la douleur ; 30 % à l’état de fatigue ; 10 % à la présence de vertiges ; 10 % à la peur ; 10 % à la position trop élevée du lit ; 8 % au manque d’autorisation médicale ; 5 % à la position demi-assise trop accentuée ; 1 % à la position trop basse du lit. Deux personnes interrogées déclarent avoir fait une chute (sans gravité) en se levant d’un lit positionné trop haut. suffisamment informé (78, 84 % bénéficient d’une information relative). Pourtant, 81,73 % des personnes qui utilisent la télécommande du lit qualifient son maniement de “simple”. Certains patients n’osent pas demander d’informations complémentaires relatives au fonctionnement de la télécommande dans le souci de ne pas déranger ou dans la crainte de ne pas comprendre une fois de plus les explications données. En matière d’information, quelle qu’elle soit, les soignants doivent se donner les moyens de vérifier que le message est bien compris. Par ailleurs, compte tenu de ses priorités lors de son admission à l’hôpital, le patient accorde une importance relative à l’utilisation de la télécommande du lit à hauteur variable, qui ne viendra que dans un second temps. Dans la hiérarchisation des prestations par le patient, 49 % classent le bon positionnement du lit en troisième position, après la qualité des soins et celle de l’accueil. Dix personnes interrogées placent le bon positionnement du lit en première position. Une prestation des soins Il ressort donc que la qualité des soins ne peut se concevoir sans veiller à un positionnement de lit adapté aux besoins du patient. De même, il est à rappeler qu’un nombre important de patients ont rendu responsable le mauvais positionnement du lit dans la survenue de douleurs et 90 % des personnes interrogées estiment que le bon positionnement du lit fait partie intégrante du soin. En résumé, pour ce troisième pôle d’intervention concernant l’impact du lit à hauteur variable sur la qualité des soins, les patients sont persuadés de l’intérêt d’une bonne utilisation du lit et l’intègrent pleinement dans une prestation de soins. A noter qu’un grand nombre de personnes interrogées profitent de l’opportunité de l’enquête pour manifester leur insatisfaction concernant les housses plastiques des oreillers et la trop faible épaisseur des matelas, mais aussi concernant des thèmes hors sujet. Perspectives d’avenir Il est urgent de faire table rase de tous nos a priori qui conduisent à la catégorisation des individus et à l’uniformisation des soins, ce qui va à l’encontre de la prise en charge holiste, et surtout à l’opposé de notre éthique professionnelle. C’est Cinq axes pour s’interroger Au terme de notre étude, cinq grandes tendances semblent se dessiner : • les patients intègrent le bon positionnement du lit à hauteur variable dans la prestation globale du soin ; • le positionnement inadapté d’un lit à hauteur variable représente des risques pour le patient, voire des dangers ; • le mauvais positionnement du lit à hauteur variable est à l’origine de douleurs chez un grand nombre de patients dont la prise en charge est pourtant prioritaire ; • la moitié des personnes interrogées rencontrent des difficultés pour se lever seules de leur lit à hauteur variable, incorrectement positionné, principalement en raison de leur état de fatigue, de la peur ou des vertiges occasionnés ; • des patients, potentiellement capables, n’interviennent pas dans le choix du positionnement de leur lit à hauteur variable. peut-être là le préalable à un véritable dialogue avec le patient, susceptible, à terme, de favoriser des changements négociés. Il appartient donc aux soignants de prendre conscience de la nécessité de mieux connaître leur cadre de référence et celui du patient. La douleur doit être prévenue et/ou combattue, le lit ne devant en aucun cas être assimilé à “un objet de torture” mais à un partenaire de soins privilégié. Éviter les dangers pour le patient représente ici une priorité, de même que l’amélioration du confort. La part consacrée à la démarche qualité au sein de notre établissement n’est-elle pas déjà le reflet d’un tel enjeu ? Par conséquent, le positionnement du lit semblerait être une donnée significative dans le mode de prise en charge de la personne soignée et il serait opportun de lui faire une place dans le dossier de soins. Au terme de ce travail, il apparaît qu’on ne peut plus soigner une personne sans tenir compte du sens qu’elle donne au “programme thérapeutique” mis en place. Les résultats de cette étude permettront à chacun de s’arrêter quelques instants sur ses pratiques professionnelles et sur le rôle que le patient peut avoir à jouer tout au long de son hospitalisation. C’est pourquoi la deuxième phase de ce travail consistera à mener une réflexion avec les soignants autour des cinq grandes tendances semblant émerger dans ce domaine, dans le seul et unique but d’optimiser la prestation globale de soins. Il appartient donc à l’ensemble des professionnels de l’hôpital de gérer de concert l’exigence posée par les soins et le choix des patients afin de concilier égalité des soins et personnalisation des soins. Michel Ducoutumany Directeur du service de soins, hôpital Rothschild (AP-HP) Pierrette Jallon Cadre infirmier de nuit Murielle Nauche Cadre supérieur infirmier, expert en soins Professions Santé Infirmier Infirmière - No 37 - mai 2002 15