3 questions à... Le 131 I-tositumomab en traitement de première intention dans les lymphomes folliculaires Entretien avec N.C. Gorin (Hôpital Saint-Antoine, Paris) > Réalisé par M. Lenoble La gamme des choix thérapeutiques de première intention dans les lymphomes folliculaires est particulièrement large, allant de l’abstention à la chimiothérapie intensive suivie d’autogreffe. Bien que les lymphomes folliculaires soient très radiosensibles, l’irradiation externe n’est pas appli- cable dans les formes étendues, qui sont les plus fréquentes. L’équipe de M.S. Kaminski, à l’université du Michigan, qui travaille depuis plus de dix ans sur le concept de radioimmunothérapie à l’iode 131 dans les lymphomes, vient de publier les résultats d’une étude dont l’originalité est Pouvez-vous rappeler brièvement l’historique du traitement des lymphomes folliculaires et résumer les principaux résultats de l’essai clinique présenté dans The New England Journal of Medicine par M.S. Kaminski et al. ? Le lymphome folliculaire (LF) est une affection fréquente – 4 000 à 5 000 cas annuels en France – et dont l’incidence augmente dans le monde entier. Selon la classification qui est longtemps restée en usage, le LF appartient, sur le plan anatomopathologique, aux lymphomes de faible grade de malignité. Il s’oppose ainsi aux lymphomes d’histologie agressive. Très sensibles à la polychimiothérapie, ce sont les lymphomes agressifs qui ont bénéficié de l’essentiel des progrès accomplis au cours des dernières décennies. Le taux de guérison avoisine ainsi 50 % d’emblée et s’est encore amélioré dans les formes les plus graves grâce à l’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Par contraste, les lymphomes de faible grade, qui passent pour être de bon pronostic en raison de leur évolution lente, n’en sont pas moins incurables, et leur pronostic s’est peu modifié avec les traitements disponibles. La médiane de survie se situe toujours entre 8 et 10 ans, de sorte que, après 14 ou 15 ans d’évolution, seuls 20 % environ des malades demeurent en vie. Bien que le LF soit une affection plus fréquente chez les sujets d’un certain âge, il peut toucher l’adulte jeune et être responsable, malgré son évolution lente, de décès dans le jeune âge. Il reste difficile de définir le protocole thérapeutique optimal de première intention face aux LF. L’une des attitudes pré- d’appliquer la radio-immunothérapie en première ligne. N.C. Gorin commente pour nous la conception et les résultats de cette étude, qui porte sur 76 patients atteints de lymphome folliculaire de stade étendu. » Kaminski MS et al. N Engl J Med 2005;352:441-9. conisées naguère, et encore possible dans certains cas, consistait à attendre et à surveiller. Mais le “watch and wait”, très difficile à accepter par la plupart des patients a très justement été rebaptisé “watch and worry”. Une attitude plus agressive est aujourd’hui la règle. De nombreuses équipes, y compris la nôtre, sont allées jusqu’à proposer aux patients les plus jeunes des intensifications lourdes suivies d’une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques pour allonger la survie sans maladie, diminuer le risque de rechutes tardives voire très tardives (une particularité des LF) et entraîner des guérisons définitives. Nous avons ainsi de fait amélioré la médiane de survie sans cependant atteindre un plateau conséquent, le schéma thérapeutique “idéal” des LF reste à définir. Avant d’aborder la publication récente de Kaminski, il importe de souligner le progrès important qu’a représenté l’avènement des anticorps monoclonaux anti-CD20, essentiellement le rituximab. Celui-ci est désormais utilisé à toutes les étapes de la maladie : avec la chimiothérapie de première intention, intégré au conditionnement des greffes, et comme traitement d’entretien après l’induction ou après la greffe. Pour augmenter encore l’efficacité de l’anticorps est née l’idée séduisante de le conjuguer à un élément radioactif. En effet, l’anticorps seul ne suffit pas à atteindre en profondeur et à détruire toutes les cellules tumorales. En couplant l’anticorps à un élément radioactif, on augmente la cytotoxicité en réalisant une irradiation locale ciblée qui endommage moins les tissus sains. Ce point a été démontré par les études cliniques, y compris chez des patients résistants au rituximab La Lettre du Cancérologue - Suppl. Les Actualités au vol. XIV - n° 1 - mars 2005 21 3 questions à... non conjugué (anticorps “froid”), pour lesquels des réponses durables peuvent être obtenues par radio-immunothérapie. Dans ce contexte, l’originalité de l’article qui vient d’être publié est surtout de porter sur le traitement de première ligne. L’anticorps anti-CD20 couplé à l’iode 131, qui porte aux États-Unis le nom de Bexxar®, n’avait en effet été utilisé jusqu’à présent qu’à des stades plus avancés de la maladie. En France, nous ne disposons pas de Bexxar®, mais de Zevalin®, qui est un anticorps anti-CD20 marqué non pas par l’iode 131, mais par l’yttrium 90, isotope qui a l’avantage de délivrer un rayonnement de demi-vie et de rayon d’action plus faibles. En France Zevalin® dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans les lymphomes de faible grade, essentiellement les lymphomes folliculaires, en rechute ou réfractaires au rituximab. On ne peut s’empêcher d’être stupéfait qu’un essai comme celui de Kaminski ait pu être approuvé et réalisé dès à présent en traitement de première intention. Il s’agit bien, en effet, de radioimmunothérapie, donc de radiations ionisantes, chez des patients dont l’espérance de vie spontanée peut être très longue. Les effets secondaires à long terme ne sont pas connus, notamment en termes de myélodysplasies ou de néoplasies thyroïdiennes, car le recul médian de cinq ans n’est pas suffisant pour conclure. Actuellement et en particulier en France, en dépit des résultats de cette étude, le traitement de première ligne des lymphomes étendus de faible grade reste la chimiothérapie, habituellement associée à un anticorps anti-CD20 froid. Une fois ces réserves faites, on doit admettre que les résultats sont impressionnants – non pas tant le taux global de réponse de 95 % et le taux de réponse complète clinique de 70 % que le taux de réponse complète moléculaire : parmi les répondeurs complets évaluables par PCR, le taux d’indétectabilité de la translocation BCL-2 est de 70 %. De façon également surprenante, le taux annuel de progression est allé décroissant, de 15 % la première année à moins de 5 % après la troisième, ce qui est très inhabituel. De plus, ces résultats trouvent une traduction en termes de survie, particulièrement favorable pour les sujets qui entrent en rémission complète. Globalement, à cinq ans, le taux de survie sans progression est de 59 % et le taux de survie de 89 %. Cette étude est-elle susceptible de modifier la stratégie thérapeutique des LF ? Pour commencer par une boutade, je dirais qu’il va nous falloir avant tout modifier nos diapositives… À la liste des traitements de première intention possibles des LF, qui comportait, comme je l’ai dit, le “w and w”, la chimiothérapie, la polychimiothérapie, l’immunothérapie par l’interféron ou par les anticorps monoclonaux, l’intensification lourde avec autogreffe, etc., il faut maintenant ajouter les thérapeutiques ciblées radioactives, qui, jusqu’à présent, ne figuraient qu’à un stade plus avancé de la maladie. Faut-il inclure pour autant cette thérapeutique dans nos choix en pratique ? On peut s’attendre à 22 quelques réticences, liées en particulier à la dose d’irradiation : 75 cGy d’irradiation interne, ce n’est tout de même pas complètement négligeable. Face à ces risques potentiels, il faut mettre en balance les bénéfices attendus en termes de survie chez les répondeurs complets, qui semblent se situer nettement au-dessus de ceux des traitements conventionnels. Le confort du patient et la qualité de vie doivent aussi être pris en considération. Le patient à qui l’on explique en substance : “Je peux vous proposer un traitement réalisable en une semaine, qui vous donnera plus d’une chance sur deux de n’avoir plus besoin d’un quelconque autre traitement avant cinq ans” peut être tenté, on le comprend, de préférer cette option à des cures répétées de chimiothérapie, même ambulatoire. En cas de nouvelle progression (hautement probable, quel qu’en soit le délai), la question de savoir s’il sera possible d’administrer une nouvelle dose de Bexxar® reste sans réponse. Les doses cumulées d’irradiation peuvent devenir problématiques. La persistance de l’efficacité n’est pas non plus garantie. Les auteurs de l’article signalent, en effet, la production d’anticorps antiprotéines murines chez un assez grand nombre de patients, ce qui n’est pas un problème en soi après une seule administration de l’anticorps, mais peut le devenir si l’on envisage une seconde injection. Quelle est la portée de ces résultats pour la prise en charge, aujourd’hui, des LF en France ? Il n’existe en France, à ma connaissance, aucun essai en cours ou envisagé de schéma comparable à celui que nous venons d’évoquer. Bexxar® n’est disponible qu’aux États-Unis. Il faut savoir que les règles de radioprotection sont plus strictes dans notre pays, de sorte que les patients traités devraient rester hospitalisés plus longtemps pour éviter la diffusion de rayonnements ionisants dans leur entourage. L’équipement hospitalier nécessaire est lourd. Les conditions d’utilisation sont différentes pour Zevalin®, développé par Schering, qui dispose de l’autorisation de mise sur le marché en France dans les LF évolués, mais pas en première ligne. L’yttrium 90 a une demi-vie radioactive plus courte que l’iode 131, ce qui rend son utilisation plus facile par rapport aux règles de radioprotection en usage dans notre pays. Il y a d’autres différences : l’iode 131 émet des rayonnements bêta et gamma, l’yttrium 90 uniquement des rayonnements bêta, la distance d’action de l’yttrium est plus petite, etc. Il n’est pas possible, compte tenu des différences qui séparent les deux composés, d’extrapoler à Zevalin® les résultats obtenus avec Bexxar®. Cependant, les résultats observés dans les lymphomes de bas grade évolués sont assez comparables. Ce qu’il faut retenir, je crois, c’est l’intérêt du concept de radio-immunothérapie dans les lymphomes de faible grade, tumeurs à la fois disséminées et très radiosensibles. Ce concept paraît appelé à prendre une place importante dans nos stratégies thérapeutiques, même si cette place ne se situe pas ■ encore en première ligne. La Lettre du Cancérologue - Suppl. Les Actualités au vol. XIV - n° 1 - mars 2005