22 La Lettre du Cancérologue - Suppl. Les Actualités au vol. XIV - n° 1 - mars 2005
non conjugué (anticorps “froid”), pour lesquels des réponses
durables peuvent être obtenues par radio-immunothérapie.
Dans ce contexte, l’originalité de l’article qui vient d’être publié
est surtout de porter sur le traitement de première ligne. L’an-
ticorps anti-CD20 couplé à l’iode 131, qui porte aux États-Unis
le nom de Bexxar®, n’avait en effet été utilisé jusqu’à présent
qu’à des stades plus avancés de la maladie. En France, nous ne
disposons pas de Bexxar®, mais de Zevalin®, qui est un anti-
corps anti-CD20 marqué non pas par l’iode 131, mais par l’yt-
trium 90, isotope qui a l’avantage de délivrer un rayonnement
de demi-vie et de rayon d’action plus faibles. En France Zeva-
lin® dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans
les lymphomes de faible grade, essentiellement les lymphomes
folliculaires, en rechute ou réfractaires au rituximab. On ne peut
s’empêcher d’être stupéfait qu’un essai comme celui de
Kaminski ait pu être approuvé et réalisé dès à présent en trai-
tement de première intention. Il s’agit bien, en effet, de radio-
immunothérapie, donc de radiations ionisantes, chez des
patients dont l’espérance de vie spontanée peut être très
longue. Les effets secondaires à long terme ne sont pas connus,
notamment en termes de myélodysplasies ou de néoplasies thy-
roïdiennes, car le recul médian de cinq ans n’est pas suffisant
pour conclure. Actuellement et en particulier en France, en
dépit des résultats de cette étude, le traitement de première
ligne des lymphomes étendus de faible grade reste la chimio-
thérapie, habituellement associée à un anticorps anti-CD20
froid. Une fois ces réserves faites, on doit admettre que les
résultats sont impressionnants – non pas tant le taux global de
réponse de 95 % et le taux de réponse complète clinique de
70 % que le taux de réponse complète moléculaire : parmi les
répondeurs complets évaluables par PCR, le taux d’indétectabi-
lité de la translocation BCL-2 est de 70 %. De façon également
surprenante, le taux annuel de progression est allé décroissant,
de 15 % la première année à moins de 5 % après la troisième, ce
qui est très inhabituel. De plus, ces résultats trouvent une tra-
duction en termes de survie, particulièrement favorable pour
les sujets qui entrent en rémission complète. Globalement, à
cinq ans, le taux de survie sans progression est de 59 % et
le taux de survie de 89 %.
Cette étude est-elle susceptible de modifier la stratégie
thérapeutique des LF ?
Pour commencer par une boutade, je dirais qu’il va nous falloir
avant tout modifier nos diapositives… À la liste des traite-
ments de première intention possibles des LF, qui comportait,
comme je l’ai dit, le “w and w”, la chimiothérapie, la polychi-
miothérapie, l’immunothérapie par l’interféron ou par les anticorps
monoclonaux, l’intensification lourde avec autogreffe, etc.,
il faut maintenant ajouter les thérapeutiques ciblées radioac-
tives, qui, jusqu’à présent, ne figuraient qu’à un stade plus
avancé de la maladie. Faut-il inclure pour autant cette théra-
peutique dans nos choix en pratique ? On peut s’attendre à
quelques réticences, liées en particulier à la dose d’irradiation :
75 cGy d’irradiation interne, ce n’est tout de même pas com-
plètement négligeable. Face à ces risques potentiels, il faut
mettre en balance les bénéfices attendus en termes de survie
chez les répondeurs complets, qui semblent se situer nettement
au-dessus de ceux des traitements conventionnels. Le confort
du patient et la qualité de vie doivent aussi être pris en consi-
dération. Le patient à qui l’on explique en substance : “Je peux
vous proposer un traitement réalisable en une semaine, qui
vous donnera plus d’une chance sur deux de n’avoir plus besoin
d’un quelconque autre traitement avant cinq ans” peut être
tenté, on le comprend, de préférer cette option à des cures
répétées de chimiothérapie, même ambulatoire.
En cas de nouvelle progression (hautement probable, quel qu’en
soit le délai), la question de savoir s’il sera possible d’adminis-
trer une nouvelle dose de Bexxar® reste sans réponse. Les doses
cumulées d’irradiation peuvent devenir problématiques. La per-
sistance de l’efficacité n’est pas non plus garantie. Les auteurs
de l’article signalent, en effet, la production d’anticorps anti-
protéines murines chez un assez grand nombre de patients, ce
qui n’est pas un problème en soi après une seule administration
de l’anticorps, mais peut le devenir si l’on envisage une seconde
injection.
Quelle est la portée de ces résultats pour la prise en charge,
aujourd’hui, des LF en France ?
Il n’existe en France, à ma connaissance, aucun essai en cours
ou envisagé de schéma comparable à celui que nous venons
d’évoquer. Bexxar® n’est disponible qu’aux États-Unis. Il faut
savoir que les règles de radioprotection sont plus strictes dans
notre pays, de sorte que les patients traités devraient rester
hospitalisés plus longtemps pour éviter la diffusion de rayon-
nements ionisants dans leur entourage. L’équipement hospita-
lier nécessaire est lourd. Les conditions d’utilisation sont dif-
férentes pour Zevalin®, développé par Schering, qui dispose de
l’autorisation de mise sur le marché en France dans les LF évo-
lués, mais pas en première ligne. L’yttrium 90 a une demi-vie
radioactive plus courte que l’iode 131, ce qui rend son utilisa-
tion plus facile par rapport aux règles de radioprotection en
usage dans notre pays. Il y a d’autres différences : l’iode 131
émet des rayonnements bêta et gamma, l’yttrium 90 unique-
ment des rayonnements bêta, la distance d’action de l’yttrium
est plus petite, etc. Il n’est pas possible, compte tenu des dif-
férences qui séparent les deux composés, d’extrapoler à Zeva-
lin® les résultats obtenus avec Bexxar®. Cependant, les résultats
observés dans les lymphomes de bas grade évolués sont assez
comparables. Ce qu’il faut retenir, je crois, c’est l’intérêt du
concept de radio-immunothérapie dans les lymphomes de faible
grade, tumeurs à la fois disséminées et très radiosensibles. Ce
concept paraît appelé à prendre une place importante dans nos
stratégies thérapeutiques, même si cette place ne se situe pas
encore en première ligne.
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