HÉMATOLOGIE
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La Lettre du Cancérologue - volume VIII - n° 6 - décembre 1999
orcément arbitraire, certainement incomplet, le choix
proposé ici des publications ou des communications
les plus marquantes en hématologie au cours de
l’année écoulée laisse sur une double impression : celle d’une
relative stagnation, surtout thérapeutique, dans des domaines
majeurs comme celui du myélome ou des lymphomes ; celle
aussi, plus encourageante pour le siècle à venir, d’un foisonne-
ment de pistes nouvelles à explorer, notamment dans la leucé-
mie myéloïde chronique et dans la greffe allogénique.
L’épreuve du temps fera le tri entre les voies sans issue et les
voies royales…
LEUCÉMIE MYÉLOÏDE CHRONIQUE (LMC) :
UN INHIBITEUR MOULÉ SUR LA TYROSINE KINASE
La LMC, affection rare mais exemplaire à plus d’un titre de
l’hématologie moderne, a été cette année un sujet vedette. Au
premier rang des espoirs thérapeutiques se situe l’inhibiteur de
la tyrosine kinase abl dont les premiers résultats très promet-
teurs ont été présentés notamment lors du symposium interna-
tional organisé à Biarritz (1). En s’appuyant sur la structure
spatiale de la tyrosine kinase, les chimistes ont “dessiné” et
construit délibérément un inhibiteur spécifique, premier repré-
sentant des inhibiteurs de la transduction du signal (STI), qui
pourrait bien révolutionner la thérapeutique anticancéreuse en
général.
En phase I, le STI 571 a été testé chez 48 patients en phase
chronique, réfractaires à l’interféron. Le traitement a été admi-
nistré per os, en une prise quotidienne, à des doses variant de
25 à 400 mg/j. La dose maximale tolérée n’a pas encore été
atteinte.
Bien que l’essai n’ait pas été conçu pour définir l’efficacité, il
a été observé un nombre significatif de réponses hématolo-
giques et cytogénétiques. Au-dessus de 300 mg/j, 3 patients
sur 9 ont eu une réponse cytogénétique partielle ou majeure.
Le délai de réponse hématologique est seulement de 10 à 20
jours, celui de réponse complète d’un mois environ.
Plus étonnants encore sont les résultats préliminaires rapportés
chez 15 patients en transformation aiguë. Dans les transforma-
tions myéloïdes, une diminution de 50 à 60 % de la blastose a
été observée, sans réponse complète. Dans les transformations
lymphoïdes, des réponses complètes cliniques et hématolo-
giques ont été observées à la dose de 400 mg/j. Une réponse
complète durable a également été obtenue dans un cas de leu-
cémie aiguë lymphoblastique Ph1+.
Serpent de mer de la LMC, l’homoharringtonine (HHT) refait
surface en association à l’interféron (2). Alcaloïde végétal
extrait (une fois n’est pas coutume) d’un arbre chinois, l’HHT
en perfusion continue a montré une certaine activité dans les
essais de phase I, avec un taux de réponse cytogénétique de
31 % chez des patients en phase chronique tardive et le plus
souvent résistants à l’interféron. L’étude du MDACC de Hous-
ton porte sur 90 patients en phase chronique précoce. Ils ont
reçu 6 cures de HHT en perfusion continue de 14 puis de
7 jours par mois, via un cathéter veineux central et une pompe
portable, puis l’IFNαà dose habituelle. Le taux de réponse
hématologique complète après HHT est de 92 % et celui de
réponse cytogénétique de 60 % (majeure : 27 %). Par compa-
raison historique, le résultat thérapeutique est supérieur à celui
de 6 mois d’IFN seul. De plus, la dose d’IFN nécessaire au
maintien de la réponse était plus faible après HHT. D’autres
schémas, notamment concomitants ou associés à la cytarabine,
sont en cours d’évaluation.
L’existence d’une protéine de fusion totalement spécifique du
clone et l’efficacité remarquable des transfusions de lympho-
cytes du donneur en cas de rechute de la LMC après allogreffe
justifient pleinement les tentatives de manipulation de l’immu-
nité spécifique dans cette affection. Jusqu’à présent, des lym-
phocytes T cytotoxiques spécifiques avaient pu être dévelop-
pés seulement vis-à-vis de la forme b3a2 de la p210, beaucoup
moins fréquente que la forme b2a2. Un groupe belgo-néerlan-
dais annonce être parvenu à susciter in vitro des lymphocytes
T spécifiques du peptide b2a2, dotés d’une activité cytotoxique
avec restriction HLA-DR2a vis-à-vis de cellules de LMC auto-
logues. Sachant que les progéniteurs leucémiques précoces
sont à la fois DR+ et porteurs de la translocation spécifique, on
conçoit l’intérêt thérapeutique potentiel de ces manipulations.
Sujet d’actualité, la LMC a par ailleurs fait l’objet cette année
de deux remarquables revues générales du New England Jour-
nal of Medicine (4, 5).
CLADRIBINE ET HISTIOCYTOSE LANGERHANSIENNE
Les résultats de la chimiothérapie conventionnelle dans les
formes graves d’histiocytose langerhansienne sont peu satisfai-
sants. La 2-chlorodésoxyadénosine (2-CdA ou cladribine),
analogue des bases puriques, possède une cytotoxicité impor-
tante in vitro pour la lignée monocyto-macrophagique. Cette
propriété, associée à des observations anecdotiques antérieures
encourageantes, a justifié un essai thérapeutique dans 13 cas
d’histiocytose langerhansienne de l’adulte (6). La maladie évo-
* Hôpital de Montfermeil (95).
Actualités en hématologie en 1999
M. Lenoble*
F
luait depuis 6 à 252 mois (médiane 99 mois) et tous les
patients sauf deux avaient reçu au préalable une chimiothéra-
pie et/ou une irradiation. La cladribine a été administrée en
cures mensuelles à la dose de 0,14 mg/kg/j pendant 5 jours,
pour 6 mois au maximum.
Sept des 12 patients évaluables ont eu une réponse complète et
deux autres une réponse partielle, soit un taux global de
réponse de 75 %. Ces réponses ont été durables. Comme on
pouvait s’y attendre, la toxicité prédominante a été hématolo-
gique. Selon la formule consacrée, d’autres études s’imposent,
y compris dans diverses affections impliquant la lignée mono-
cyto-macrophagique.
TOPOTÉCAN ET CYTARABINE DANS LES SYNDROMES
MYÉLODYSPLASIQUES
Du nouveau dans le traitement des anémies réfractaires ! Le
fait est suffisamment inhabituel pour que l’on signale dans
cette rétrospective le travail réalisé par l’équipe du MD Ander-
son Cancer Center (7). Il s’agit, comme toujours dans ce
centre, d’une série non randomisée. Elle comporte 59 patients
atteints de syndrome myélodysplasique (SMD) et 27 de leucé-
mie myélomonocytaire chronique (LMMC), âgés de 21 à 80
ans (médiane 64 ans). Selon le score pronostique international
des SMD (IPSS), 12 patients étaient de risque intermédiaire 1,
20 de risque intermédiaire 2 et 20 de risque élevé. Le caryo-
type était défavorable dans la moitié des cas.
Le topotécan a été administré à la dose de 1,25 mg/m2/j en per-
fusion continue de 5 jours et la cytarabine à celle de 1 g/m2/j
en perfusion de 2 heures pendant 5 jours. Tous les patients ont
reçu une prophylaxie antibactérienne, antivirale et antifon-
gique.
Une rémission complète a été obtenue dans 56 % des cas
(61 % pour les SMD, 44 % pour les LMMC). Des réponses
complètes ont été observées même dans les formes cytogéné-
tiques de mauvais pronostic (monosomies 5 ou 7, 71 %), dans
les SMD secondaires (72 %) et dans les AREB-T (47 %). Le
taux de réponses complètes le plus faible est celui des LMMC
avec blastose médullaire supérieure à 5 % (29 %). À l’intérieur
du groupe des SMD, il n’y a pas de différence significative
entre les taux de réponse en fonction des scores IPSS. La durée
médiane de réponse complète a été de 34 semaines (un peu
plus longue dans les SMD que dans les LMMC). La toxicité
du traitement est surtout hématologique : malgré la prophy-
laxie, 63 % des patients ont eu de la fièvre et 49 % une infec-
tion. Six décès d’origine toxique sont signalés (7 %).
MYÉLOME MULTIPLE : RETOUR À LA CASE DÉPART ?
Dans le myélome, les nouveautés thérapeutiques continuent de
faire cruellement défaut, comme en témoignent les résultats de
la vaste méta-analyse publiée cette année par le Myeloma Tria-
lists’ Collaborative Group (8). Cette méta-analyse porte sur
6633 patients inclus dans 27 essais randomisés (dont 20 avec
données individuelles fournies) et compare – une fois de plus –
la polychimiothérapie au schéma trop classique d’Alexanian
associant melphalan et prednisone per os. Ce n’est pas la pre-
mière fois que ce type de méta-analyse est réalisé. L’idée qui
prévalait jusqu’à présent était celle d’un bénéfice significatif
de la polychimiothérapie parentérale dans les formes les plus
graves. Les auteurs se sont attachés ici à parfaire les méthodes
utilisées, en s’appuyant non sur les résultats globaux des
études, mais sur les données individuelles des patients, confor-
mément aux critères de qualité optimale des méta-analyses.
La polychimiothérapie a donné lieu dans l’ensemble à des taux
de réponse plus élevés, mais sans augmentation de la durée de
réponse ni de la survie. Les comparaisons par sous-groupes
réalisées pour tenir compte des différences d’intensité de dose
ou de dose totale n’ont pas montré non plus de bénéfice en
faveur des traitements plus intensifs. Surtout, contrairement à
ce qui avait été dit auparavant, il n’y a pas d’argument, en ce
qui concerne la survie, en faveur de la polychimiothérapie
dans les formes à haut risque. Cette conclusion ne vaut bien
entendu que pour les polychimiothérapies conventionnelles et
non pour les intensifications avec autogreffe, pour lesquelles il
n’existe aucun essai comparatif ayant pris pour référence le
schéma d’Alexanian.
GREFFE ALLOGÉNIQUE :
Y A-T-IL ENCORE UNE PROCÉDURE DE RÉFÉRENCE ?
L’actualité de la greffe allogénique est dominée par la diversi-
fication extrême des procédures, qu’il s’agisse des sources de
cellules souches et de leur manipulation ex vivo, des condi-
tionnements, du degré d’appariement HLA.
De plus en plus de greffes sont réalisées avec des progéniteurs
périphériques mobilisés chez le donneur par un facteur de
croissance hématopoïétique. La greffe des seules cellules
CD34 est également possible, par transposition des techniques
employées pour l’autogreffe (9, 10). La crainte d’un accroisse-
ment du risque de réaction du greffon contre l’hôte suscitée
par la proportion importante de cellules CD3 dans les greffons
périphériques non manipulés, par rapport aux greffons médul-
laires, semble démentie par les premiers résultats cliniques. Il
se pourrait même que ces greffons puissent être à l’origine
d’un effet greffon contre leucémie plus marqué et d’un taux de
rechute plus faible. C’est en tout cas ce que suggère, dans le
cas de la LMC, le travail d’une équipe allemande (11), compa-
rant les résultats cytogénétiques et moléculaires chez 29
patients ayant reçu un greffon de cellules circulantes et 62
ayant reçu un greffon médullaire. L’appariement HLA était
comparable dans les deux groupes. L’incidence des rechutes
moléculaires a été de 7 % dans le premier groupe contre 32 %
dans le second (p < 0,009). Avec une durée de suivi identique
chez les survivants des deux groupes (médiane 28 mois), 10
cas de rechute cytogénétique et 4 cas de rechute hématolo-
gique ont été observés après greffe médullaire, contre aucune
rechute après greffe périphérique. L’analyse multifactorielle
fait ressortir la nature du greffon comme seul facteur pronos-
tique significatif du risque de rechute (p < 0,02). Connaissant
la sensibilité particulière de la LMC à l’effet greffon contre
leucémie, il serait prématuré d’extrapoler ce résultat à d’autres
hémopathies. En revanche, les conclusions des études portant
sur l’allogreffe médullaire dans d’autres hémopathies pour-
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raient bien ne pas s’appliquer aux greffes périphériques. Fau-
dra-t-il reprendre toutes les études randomisées de la chimio-
thérapie contre l’allogreffe ?
Dans la greffe de donneur non apparenté, une étude a comparé
chez 108 patients la greffe de cellules périphériques (non mani-
pulées dans 45 cas, cellules CD34 seules dans 18 cas) à la
greffe de moelle (45 cas) (10). Une prise de greffe a été consta-
tée pour tous les greffons médullaires, contre 95 % des greffons
périphériques et 78 % (14/18) des greffons CD34 (p < 0,01).
Cette différence est à rapprocher du risque accru de non-prise
après greffe déplétée en cellules T. En revanche, la greffe de
cellules circulantes était associée à une récupération plus rapide
des neutrophiles et des plaquettes. L’incidence de la réaction
aiguë du greffon contre l’hôte ne diffère pas de façon significa-
tive entre les trois groupes, mais les effectifs sont faibles. Néan-
moins, il existait un avantage très significatif en faveur des
greffons CD34 en termes de maladie chronique du greffon
contre l’hôte : sa probabilité atteignait 85 % après greffe de
moelle, 59 % après greffe de cellules périphériques, 0 % après
greffe de cellules CD34+ (p < 0,01). Les taux de survie et de
survie sans rechute étaient similaires. La sécurité chez le don-
neur des mobilisations de cellules souches n’est pas encore
entièrement démontrée, faute d’un recul suffisant. L’absence
d’hospitalisation et d’anesthésie générale est un avantage indis-
cutable. Les douleurs osseuses sont généralement facilement
contrôlées et la thrombopénie n’est qu’exceptionnellement pro-
fonde. Cependant, une complication grave a été observée, sous
la forme d’une rupture spontanée de la rate, en rapport avec
l’hématopoïèse extramédullaire. Un cas d’accident vasculaire
cérébral et un cas d’infarctus du myocarde dans les suites du
don ont également été rapportés dans cette série, mais leur
imputabilité est incertaine. Ces risques non nuls ne devraient
pas empêcher la greffe de cellules périphériques, comme en
situation autologue, de prendre rapidement le pas sur la greffe
de moelle chez les donneurs non apparentés.
La modulation de la réaction du greffon contre l’hôte (RGCH),
complication majeure de l’allogreffe, fait l’objet d’actives
recherches, qui font appel à des manipulations immunolo-
giques sophistiquées. La déplétion T globale n’étant pas
dénuée d’inconvénients, l’équipe de Boston a cherché à susci-
ter une anergie T ciblée vis-à-vis des antigènes du receveur,
préservant le reste du répertoire T (12). Celle-ci peut être obte-
nue en bloquant l’interaction de la molécule costimulatrice B7
présente à la surface des cellules présentatrices de l’antigène
avec la molécule CD28 des cellules T. Pour ce faire, les lym-
phocytes de 12 receveurs de moelle osseuse haplo-identique, à
très haut risque de RGCH, ont été recueillis avant le condition-
nement, irradiés, et cocultivés in vitro avec la moelle osseuse
de leur donneur en présence d’un inhibiteur de la costimulation
B7/CD28 (le contre-récepteur B7 soluble CTLA-4-Ig, d’affi-
nité très forte pour B7). Cette moelle manipulée a été transfu-
sée au receveur dans les conditions habituelles. Les receveurs,
d’âge médian 10 ans, étaient traités dans 11 cas pour une
affection hématopoïétique maligne (leucémie ou lymphome) et
dans un cas pour une amégacaryocytose congénitale.
L’étude immunologique in vitro confirme l’existence d’une
anergie T spécifique des antigènes du receveur. Sur 11 patients
évaluables, trois ont développé une probable réaction aiguë du
greffon contre l’hôte, limitée au tube digestif, sévère (hémorra-
gique) dans un seul cas, soit une incidence faible compte tenu
de l’haplo-incompatibilité HLA. Fait important, les patients se
sont révélés capables de développer une réaction immunitaire
efficace vis-à-vis d’infections virales acquises ou réactivées.
Sur 8 patients considérés comme à haut risque compte tenu de
l’affection sous-jacente, deux sont vivants et en bon état géné-
ral. Trois des quatre patients à risque faible sont vivants, en
rémission complète, sans traitement immunosuppresseur et
sans RGCH chronique. C’est le cas notamment de l’enfant
greffé pour une amégacaryocytose congénitale. Ces résultats
prometteurs sont encore préliminaires. D’autres preuves de la
capacité de reconstitution immunitaire du greffon manipulé
doivent encore être apportées.
La manipulation immunologique peut aussi porter sur le rece-
veur lui-même : en diminuant l’intensité du conditionnement,
on préserve une partie de son immunité de façon à diminuer le
risque de RGCH. Ce concept de “mini-greffe” a été développé
par plusieurs équipes, notamment avec la fludarabine, mais
sans aboutir constamment à un chimérisme stable. Dans The
Lancet, ce sont encore les Bostoniens qui rapportent, grâce à
un conditionnement non myéloablatif en situation d’incompa-
tibilité HLA, la création d’un chimérisme hématopoïétique et
immunologique stable avec persistance d’un effet greffon
contre lymphome (13).
L’étude porte sur cinq patients atteints d’un lymphome non
hodgkinien évolué et chimiorésistant. Les donneurs étaient
haplo-identiques avec au moins un locus identique sur l’haplo-
type incompatible. Le conditionnement a comporté le cyclo-
phosphamide à la dose de 50 mg/kg/j de J6 à J3, une irradia-
tion thymique (0,7 Gy) à J1 (en l’absence d’irradiation
médiastinale antérieure) et du sérum antithymocytaire à des
doses légèrement variables d’un patient à l’autre, avec notam-
ment majoration des doses administrées après la greffe chez le
dernier des cinq patients. Le traitement immunosuppresseur
après greffe consistait en ciclosporine seule.
Une RGCH de grade II ou III s’est développée chez tous les
patients. Un sujet est décédé à J12 d’hémorragie pulmonaire,
un autre à J117 d’aspergillose pulmonaire, sans signes de pro-
gression. Un seul patient est décédé de progression du lym-
phome. Les deux autres sont en rémission complète ou quasi
complète, dont une rémission complète à J460 chez un patient
en progression tumorale mesurable après trois lignes de chi-
miothérapie et une irradiation. La prise de greffe est documen-
tée chez les quatre patients évaluables. L’établissement d’un
chimérisme est attesté par la présence dans le sang périphé-
rique de cellules du donneur, à raison de 41 à 96 % pour les
lymphocytes, 8 à 93 % pour les monocytes, 2 à 100 % pour les
granuleux. Bien que le nombre de patients soit très faible, cette
étude apporte la preuve d’un effet greffon contre lymphome
significatif malgré un conditionnement non myéloablatif du
receveur. L’impact de ce type de conditionnement sur l’inci-
dence et la sévérité des RGCH dans les greffes incompatibles
reste à établir.
HÉMATOLOGIE
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Faible nombre de patients et insuffisance du recul ne sont pas
des reproches encourus par le travail dont G. Socié, de l’hôpi-
tal Saint-Louis, est le primosignataire au nom du Groupe de
travail sur les effets tardifs de la greffe mis en place par le
Registre international des greffes de moelle (IBMTR) (14).
L’analyse porte, en effet, sur le nombre impressionnant de
6691 patients inscrits dans ce registre : il s’agit de sujets gref-
fés entre janvier 1980 et décembre 1993 pour une leucémie
aiguë, une LMC ou une aplasie médullaire et survivants à long
terme (absence de rechute au moins deux ans après la greffe).
La durée médiane de suivi atteint 80 mois. Dans cette cohorte
sélectionnée de greffés, la probabilité de survivre cinq années
supplémentaires était de 89 %. Dans l’ensemble du groupe, un
patient sur quatre avait, deux ans après la greffe, des signes de
maladie chronique du greffon contre l’hôte. Dans les leucé-
mies, la probabilité de rechute après deux ans de rémission
complète atteint 11 % à cinq ans. Globalement, la probabilité
de second cancer est de 2 % sept ans après la greffe. La
rechute est la principale cause de mort après deux ans dans le
groupe des leucémies, la maladie du greffon contre l’hôte dans
celui des aplasies.
À cinq ans, le risque relatif de mortalité par rapport à la popu-
lation générale est de 10,2 dans les LA myéloblastiques, de
25,9 dans les LA lymphoblastiques, de 11,2 dans les LMC.
Dans les aplasies, il est de 3,9 à 6 ans, mais l’intervalle de
confiance recouvre la valeur 1, soit une augmentation non
significative. Dans les autres indications, l’excès significatif de
mortalité persiste tout au long de la période de suivi. Bien que
la survie à deux ans en rémission soit un facteur de bon pro-
nostic ultérieur et représente une forte probabilité de guérison,
le suivi après allogreffe doit être maintenu de façon très pro-
longée, notamment chez les sujets greffés pour leucémie.
MALADIE DE HODGKIN
En l’absence de réponse définitive à la lancinante question des
intensifications dans les lymphomes, hodgkiniens ou non, le
choix de cette rétrospective se portera sur l’illustration de
l’aspect le plus moderne, et non le moins passionnant, de
l’hématologie, à savoir l’élucidation des mécanismes des
maladies au cœur même du génome. Il a été beaucoup question
cette année de la cellule de Reed-Sternberg, longtemps restée,
par sa rareté dans les prélèvements, une énigme biologique
(15, 16). Deux observations anecdotiques apportent une nou-
velle preuve irréfutable de la nature B, centrogerminale, de la
prolifération hodgkinienne (17). Il s’agit de deux patients
atteints simultanément ou successivement d’un lymphome non
hodgkinien et d’une maladie de Hodgkin. Dans un cas, le dia-
gnostic de lymphome folliculaire et celui de maladie de
Hodgkin ont été portés sur le même ganglion. L’analyse du
réarrangement des gènes V des immunoglobulines montre que
les deux lymphomes appartiennent au même clone. De plus, la
présence de mutations somatiques communes de ces gènes
montre que la cellule mère provient du centre germinal du fol-
licule lymphoïde, qui a l’apanage de ces mutations. D’autres
mutations somatiques n’étant pas partagées par les deux lym-
phomes, il est vraisemblable que des événements transfor-
mants distincts sont survenus en aval de la formation du clone
initial. Un travail (de) chinois confirme ces données par l’ana-
lyse des réarrangements des gènes des immunoglobulines dans
des cellules de Sternberg isolées par microprélèvement (18).
Plus profondément encore au cœur de la cellule de Sternberg,
des auteurs américains ont séquencé pas moins de 27 518
séquences d’ADN complémentaires correspondant à des gènes
exprimés par ces cellules, parvenant à identifier 2 666 gènes
différents (19). En les comparant à 10 000 séquences expri-
mées par des cellules B et des cellules dendritiques, ils
concluent que la cellule de Sternberg dérive d’une lignée B
inhabituelle, dont la contrepartie normale reste à identifier. De
façon plus générale, l’identification de gènes spécifiquement
exprimés dans les cellules malignes est une voie de recherche
dont les retombées thérapeutiques potentielles commencent
seulement à être entrevues.
RÉVOLUTION DANS LE CONCEPT DE CELLULES SOUCHES
HÉMATOPOIÉTIQUES
L’interdisciplinarité est à l’ordre du jour… C’est un pont entre
la neurologie et l’hématologie que vient de jeter la dévouverte
récemment publiée par Bjornson et coll. (20), découverte dont
l’importance est saluée par M.A.S. Moore dans un éditorial du
New England Journal of Medicine. Selon ce travail, il existe-
rait un précurseur commun “neuro-hématopoïétique” pouvant
se différencier, selon les conditions de culture, en cellules ner-
veuses ou en cellules hématopoïétiques. L’expérience a
consisté à prélever dans le tissu cérébral de souris des cellules
souches neurales capables de donner lieu in vitro à plusieurs
générations de cellules dérivées d’un même clone. En modi-
fiant les conditions de culture, ces clones étaient amenés à se
différencier en neurones, en oligodendrocytes et en astrocytes.
Transplantées chez la souris irradiée à dose sublétale et
dûment dotées de marqueurs génétiques d’identification, ces
cellules neurales ont conduit à l’émergence chez le receveur,
après plusieurs mois, de cellules hématopoïétiques de toutes
les lignées, y compris les lymphocytes T et B. Inversement,
des cellules médullaires marquées génétiquement et injectées
dans le cerveau de souris se sont révélées capables de se diffé-
rencier en cellules microgliales, en astrocytes fibreux de sub-
stance blanche sous-corticale et en astrocytes protoplasmiques
néocorticaux.
Si ces résultats ne sont pas un artefact – la confirmation en est
attendue –, ils ouvrent d’immenses perspectives, aussi bien
pour le traitement de nombreuses affections neurologiques
qu’en transplantation de cellules souches et en thérapie
génique.
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