Quoi de neuf dans l’expertise neuropsychologique ? ● ● C. Thomas-Antérion*, B. Laurent* L e diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer (MA) repose sur l’analyse de la plainte, l’examen clinique et le bilan neuropsychologique. Il est considéré comme fiable, lorsqu’il est porté par des équipes entraînées, dans plus de 90 % des cas. Cette fiabilité reste supérieure à celle de l’imagerie centrée sur la mesure de l’atrophie temporale interne et sur les données biologiques du liquide céphalo-rachidien (LCR) avec la mesure couplée de l’amyloïde et de tau. Cette fiabilité neuropsychologique suppose un certain nombre de règles d’examen et de choisir des tests sans recourir à une batterie standard pour tous. L’identification de troubles de la mémoire épisodique (1) est clairement au cœur du bilan de l’Alzheimer prédémentiel (MAPD), concept plus utile que celui de mild cognitive impairment (MCI), que l’on doit réserver aux formes d’évolution incertaine (2). Le diagnostic de formes focalisées de la maladie sera toujours présent à l’esprit du clinicien, plus habitué au trouble de mémoire qu’au déficit visuel du Benson ou à l’anarthrie progressive. Récemment, les études prospectives, épidémiologiques, neuropsychologiques ou d’imagerie (3) nous ont appris que la MA se développe une dizaine d’années au moins avant sa révélation clinique, confirmant la progression neuropathologique bien connue des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires. Ces données conduisent à affiner l’expertise clinique et neuropsychologique pour repérer les sujets en train de développer la maladie ou à risque de la développer, puisque ces sujets ont, avant la perte fonctionnelle définie par le DMS-IV et les critères du NINCDS-ADRDA (4), un infléchissement cognitif progressif que traduit la banale plainte de mémoire. À ces stadeslà, les diagnostics différentiels peuvent s’avérer difficiles avec les manifestations du vieillissement physiologique, les troubles psychiques (anxiété, dépression, troubles obsessionnels, etc.), les pathologies médicales (apnées du sommeil, insuffisance respiratoire ou cardiaque, etc.) ou les troubles iatrogéniques (en particulier avec des médications anticholinergiques). Le concept de MCI, très médiatisé (5, 6), même s’il n’est qu’un remake de celui de trouble bénin de l’âge, AAMI ou ARCD désormais supplantés, répond à cette incertitude évolutive avec la nécessité d’un suivi régulier et l’espoir d’un traitement efficace. Si la chose est facile pour les troubles psychiatriques, la iatrogénie, les pathologies métaboliques ou le risque vasculaire, le début de la dégénérescence reste encore inaccessible, même * Unité de neuropsychologie, CM2R, CHU de Bellevue, Saint-Étienne. La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007 si l’Alzheimer prédémentiel (MCI amnésique) est la cible de plusieurs essais “antidégénératifs”. Trois types de tableaux de MCI ont été récemment identifiés afin de mieux cibler les sujets à risque : le MCI amnésique, le SDI (single domain impairment) et le MDI (multiple domain impairment) [7]. Seul le premier cas est clairement prodromal de l’Alzheimer, avec une plainte et un déficit qui concernent exclusivement la mémoire ; dans le second cas, ils concernent une autre fonction cognitive que la mémoire (langage ou fonctions exécutives ou praxies, etc.) et il est plus simple de parler de déficit progressif du langage, des praxies ou des fonctions frontales… Dans le dernier cas, plusieurs domaines sont légèrement altérés, avec ou non une atteinte mnésique, et le risque d’évolution démentielle est élevé, particulièrement s’il y a des troubles mnésiques. Il est ainsi utile d’essayer d’avoir à l’esprit une corrélation anatomique d’autant que plusieurs travaux récents en TEP ou avec l’analyse en voxelbased morphometry (VBM) ont montré sa fiabilité : une amnésie de type hippocampique correspond à un début temporal interne très suspect de MA ; une amnésie d’évocation avec quelques perturbations exécutives témoigne plutôt d’une souffrance frontale vasculaire, dégénérative ou psychiatrique. L’ensemble des sujets MCI ont un risque élevé de développer une MA, estimé globalement à 12 % par an, contre 2 % dans la population générale de même âge, mais ce dans un délai variable, avec la possibilité que les cas de certains sujets s’améliorent, voire que ceux-ci guérissent et que certains ne développent jamais de MA, pour rester des MCI, sinon stabilisés, du moins jamais évolutifs. La meilleure compréhension de ces stades précoces peut parfois sembler relever d’une obsession diagnostique peu éthique, surtout si les sujets se plaignent peu ou pas et que leurs activités quotidiennes sont peu ou pas modifiées, y compris au prix de quelques compensations. Elle reste indispensable si l’on veut mener des études épidémiologiques, biologiques, génétiques et d’imagerie en constituant des groupes relativement homogènes pour des thérapeutiques futures. Cette étape doit être conduite avec prudence et éthique, en se gardant bien de réaliser des consultations de dépistage chez des sujets qui ne se plaignent pas. La neuropsychologie de la MA peut poursuivre des buts différents : le diagnostic des formes débutantes reste le principal. L’aide au choix de techniques rééducatives (ou adaptatives) et la meilleure compréhension des troubles alors expliqués à la famille sont un deuxième enjeu. Le troisième relève plus du champ de la recherche, mais s’est avéré très fécond dans certaines formes focales comme la démence sémantique : il s’agit, par l’étude Démences-Neuropsychologie D émences-Neuropsychologie 141 Démences-Neuropsychologie D émences-Neuropsychologie longitudinale de la perte d’une fonction, d’en comprendre la hiérarchie et les liens avec les fonctions conservées. Beaucoup de travaux récents se centrent ainsi sur la plasticité cognitive, qui joue un rôle majeur et précoce dans la MA pendant toute une période “d’utilisation des réserves”, comme l’ont montré différents travaux d’imagerie fonctionnelle. ANALYSE DE LA PLAINTE COGNITIVE La plainte mnésique est un symptôme subjectif chez un sujet qui confond volontiers mémoire et autres fonctions cognitives. Elle est corrélée à l’âge et au niveau d’étude, parfois au sexe (8). Mais, surtout, elle est fréquemment liée à des facteurs psychologiques ou d’environnement (isolement social, retraite, rupture sentimentale ou de vie relationnelle). Son recueil et son analyse ont donc un intérêt majeur, vrai travail de clinicien et non pas simple remplissage d’une échelle d’autoévaluation. La plupart des questionnaires ont été développés dans d’autres cadres que celui de la démence, comme celui de McNair (9) pour l’évaluation de patients déprimés avant et après traitement, et sont peu sensibles et spécifiques dans la MA. Un questionnaire comme celui de Schmand et al. (10), ciblé sur les difficultés propres à la maladie, est beaucoup plus informatif, à l’exception des questions portant sur l’attention, peu discriminantes, car très sensibles à la psychiatrie, au stress ou à la dépression : difficulté à faire plusieurs choses à la fois (double tâche), oubli lorsque l’on est dérangé (sensibilité à l’interférence), tendance à réaliser une activité routinière (inhibition), etc. De très nombreux travaux de la littérature soulignent que les premières difficultés de la MA concernent la mémoire et le comportement. Les patients ont des difficultés à encoder et à récupérer les souvenirs, ce qui se manifeste par des difficultés d’enregistrement des faits récents ; les patients font répéter, répètent souvent ou oublient totalement qu’un événement a eu lieu. Ils ont, en parallèle, un repli sur euxmêmes, avec diminution, aménagement ou arrêt des activités antérieures. Nous avons développé un questionnaire ciblé sur la recherche clinique des difficultés premières de la maladie (QPC) [tableau I] qui s’intéresse non seulement à la mémoire, mais aussi à deux plaintes cognitives très fréquentes au début de la maladie : l’orientation spatiale et le manque du mot (anomie) [11]. CHOIX DES TESTS NEUROPSYCHOLOGIQUES Toute évaluation neuropsychologique doit être globale et utiliser des tests mesurant les capacités de raisonnement, la mémoire, le langage, le calcul, les capacités visuo-perceptives et spatiales, les praxies et les fonctions exécutives, même si l’essentiel du bilan, et ce d’autant plus que l’on se situe aux prémices de la maladie, concerne l’évaluation de la mémoire. En outre, comme le rappelle Manning (12), le neuropsychologue doit vérifier, avant 142 Tableau I. Le questionnaire de plainte cognitive (QPC). Ces six derniers mois (cette condition doit être reprise à chaque question) : A : Avez-vous ressenti un changement de votre mémoire ? B : Pensez-vous que votre mémoire fonctionne moins bien maintenant que celle de sujets de votre âge ? si oui : 1. Avez-vous eu l’impression d’enregistrer moins bien les événements et/ou entendu plus souvent vos proches dire : “Je te l’ai déjà dit” ? 2. Avez-vous oublié un rendez-vous important ? 3. Avez-vous perdu vos affaires plus souvent ou plus longtemps que d’habitude ? 4. Avez-vous ressenti des difficultés plus grandes à vous orienter et/ou eu l’impression de ne pas connaître un endroit où vos proches vous ont dit que vous étiez déjà venu ? 5. Avez-vous déjà oublié complètement un événement, y compris lorsque vos proches vous l’ont raconté et/ou lorsque vous avez pu revoir des photos de celui-ci ? 6. Avez-vous ressenti l’impression de chercher les mots en parlant (sauf les noms propres) et d’être obligé de chercher d’autres mots, de vous arrêter de parler ou de dire plus souvent que d’habitude “truc” ou “machin” ? 7. Avez-vous réduit certaines activités (ou demandé de l’aide à un proche) de peur de vous tromper dans des activités personnelles (papiers administratifs, factures, déclaration d’impôt, etc.) ou associatives ? 8. Avez-vous observé une modification de votre caractère, avec un repli sur vous-même, une réduction des contacts avec les autres ou même le sentiment d’avoir moins d’intérêt pour les choses ou moins d’initiative ? Interprétation : un score supérieur à 3 ou une réponse oui à la question 5, ou deux réponses oui aux questions 4 ,7 et 8 doivent inciter à rencontrer l’entourage pour confirmer le score et/ou à orienter le sujet vers une consultation de mémoire. tout examen, trois prérequis : l’absence de trouble confusionnel, le fait que le sujet perçoit les consignes (isolement sensoriel) et qu’il fait preuve d’une motivation suffisante. Cette dimension globale favorise les échelles composites de type MMS, Mattis, voire CDR, avec les épreuves qui y sont liées. Les deux principaux critères qui dirigent le choix des tests sont leur spécificité (capacité à différencier les patients atteints de MA de sujets normaux et de sujets atteints d’autres démences) et sensibilité (permettre un diagnostic précoce). Les tests doivent être faciles, simples et rapides, et disposer de normes suffisantes permettant une stratification en fonction de l’âge et du niveau socioculturel. L’idéal est de disposer de formes parallèles lorsque l’on mène des études pharmacologiques. Le bilan associe des approches qualitatives ou quantitatives. Les approches qualitatives sont en lien avec les régions anatomiques concernées par la maladie et l’élaboration de “profil cognitif standard” (13). Tout cela explique la nécessité pour le neuropsychologue d’avoir une gamme de tests adaptés à chaque situation, même si, au départ, des échelles globales permettent de situer la part quantitative du déficit : une estimation globale et un recueil de plainte devrait précéder chaque bilan neuropsychologique qui ne doit jamais être un examen complémentaire stéréotypé prescrit par un médecin souvent peu féru de neuropsychologie. La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007 PRINCIPAUX TESTS ÉVALUANT LA MÉMOIRE ÉPISODIQUE Les tests de mémoire issus de la psychométrie classique, comme les mots ou la figure de Rey, sont peu utilisés ou le sont pour évaluer d’autres composants que la mémoire, comme l’étude de la planification à partir de la réalisation de la figure de Rey. Il faut souligner l’hétérogénéité extraordinaire des outils utilisés au niveau international : listes de mots (indicés ou non), récit, reconnaissance de stimuli verbaux et visuels, etc. L’évaluation relativement simple de la mémoire épisodique en consultation repose le plus souvent sur le test des 5 mots (14). Le sujet lit une liste de 5 mots (musée, limonade, sauterelle, passoire, camion), puis désigne le mot qui correspond à l’indice catégoriel qui lui est fourni (la boisson, le bâtiment, l’ustensile de cuisine, le véhicule, l’insecte). La liste retournée, le sujet procède à un rappel immédiat (libre et indicé) qui, s’il n’est pas maximum (score de 5), conduit l’examinateur à remontrer au sujet les mots oubliés. Après une épreuve attentionnelle intercurrente, le patient procède à un rappel différé (libre et indicé). Le résultat est la somme des deux rappels. La performance des patients atteints de la maladie d’Alzheimer se caractérise par un rappel libre diminué et une aide partielle de l’indiçage responsable d’un score total inférieur à 10, avec une sensibilité de 63 %, une spécificité de 91 % et une valeur prédictive positive de 11,3. Récemment, Cowppli-Bony et al. (15) ont proposé de pondérer la cotation en accordant 2 points à chaque item identifié en rappel libre. Le score total est alors de 20 et, avec un seuil inférieur à 17, la sensibilité est augmentée à 75,3 %, la spécificité à 92,8 % et la valeur prédictive positive à 16 %. L’épreuve du RL/RI-16 items selon la procédure de Grober et Buschke reste peu utilisée en dehors de la France, malgré plusieurs mérites : contrôle de l’encodage, facilitation du rappel par l’indiçage ou la reconnaissance, normes en fonction du niveau culturel, sensibilité et spécificité testées dans l’étude préAL, qui en a confirmé la valeur diagnostique au sein d’une population hétérogène de malades ayant des troubles légers de mémoire et suivie pendant 3 ans. Ce test permet de mettre en évidence un déficit de mémoire à long terme de type “hippocampique”, reflet de l’atteinte lésionnelle de la maladie débutante. Il existe deux formes parallèles et des normes publiées récemment (16). Le test consiste à mémoriser, puis à rappeler une liste de 16 mots. Ceux-ci sont présentés quatre par quatre en contrôlant l’encodage par un indice sémantique (le vêtement : le gilet ; la fleur : la jonquille, etc.) et le rappel immédiat est noté. Ensuite, les sujets fournissent les mots retenus dans un rappel libre et les mots manquants dans un rappel indicé (quel était le vêtement ?) lors de trois essais consécutifs, puis dans un rappel différé (libre et indicé) après une interférence de 20 minutes. Le test dispose également d’une épreuve de reconnaissance et permet la mesure d’éventuelles intrusions. Des seuils mnésiques ont pu être proposés grace à l’étude préAL, permettant de détecter, au sein d’une population MCI, La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007 un patient qui évoluera vers une démence de type Alzheimer dans les 3 ans. Les seuils optimaux pour le diagnostic sont : • rappel libre ≤ 17/48 ; • rappel total ≤ 40 ; • sensibilité à l’indiçage ≤ 71 %. À 3 ans, la probabilité de développer une démence de type Alzheimer est de 90 % pour les sujets MCI répondant aux deux critères du rappel libre et du rappel indicé et de 5,6 % pour ceux qui ne répondent pas à ces deux critères. De plus, la démence de type Alzheimer se développe dans les 24 premiers mois chez 80 % de ces malades. Ainsi, les sensibilité et spécificité du RL/RI-16 items sont élevées pour les 3 paramètres du test les plus utilisés (tableau II). Tableau II. Sensibilité et spécificité des scores du RL/RI 16 items pour la survenue d’une MA à 2 ans. Sensibilité Spécificité Rappel libre total 91,8 % 76,4 % Rappel total 79,7 % 89,9 % Sensibilité à l’indiçage 78 % 84,9 % Démences-Neuropsychologie D émences-Neuropsychologie L’épreuve RI-48 items a pour objectif principal de contourner l’inconvénient majeur du RL/RI-16 items, qui est l’effet plafond, en particulier chez les sujets de niveaux socioculturels élevés. Le RI-48 consiste à apprendre une liste de 48 mots répartis en 16 catégories différentes, selon la même procédure que le test précédent. Après une tâche de 20 secondes, le sujet fournit les mots uniquement sur présentation de l’indice (avec cette fois rappel de 4 mots par indice). Des normes sont disponibles (17). Le RL-RI/16 items peut être proposé en contrôlant l’effet remember/know (R/K) selon la procédure dite de Gardiner. Certains auteurs, comme ceux du groupe de Caen, ont ainsi modifié qualitativement la procédure en séparant le remember, qui suppose un rappel précis de la situation d’encodage (autonoétique pour Tulving), de la reconnaissance, qui peut se faire de façon plus automatique, voire en choix forcé sans “revivre” la situation d’apprentissage. Le patient a pour consigne de mémoriser 16 mots en réalisant un “traitement sémantique profond” : il doit produire une phrase avec chaque mot. Pour vérifier que cet encodage a bien eu lieu, l’examinateur fait faire au patient un rappel indicé immédiat tous les deux mots, en lui fournissant la catégorie sémantique appropriée. En cas d’échec, un second traitement ainsi qu’un rappel indicé sont effectués, jusqu’à ce que le patient rappelle correctement tous les items. La récupération est ensuite évaluée par un rappel libre et une reconnaissance (mot cible présenté parmi 3 “distracteurs”). Ce test fournit trois scores : rappel indicé immédiat, rappel libre et reconnaissance. Lors de la reconnaissance, le sujet doit préciser pour chaque mot reconnu s’il suppose (guess), s’il sait (know) ou s’il se souvient (remember) avoir mémorisé ce mot. Le DMS 48 est un test de mémoire de reconnaissance visuelle (18) qui consiste en un apprentissage incident d’une série de 48 images. Après un délai de 3 minutes, puis d’une heure, l’examinateur 143 Démences-Neuropsychologie D émences-Neuropsychologie montre au sujet des paires d’images constituées d’une des images préalablement vues accompagnée d’un distracteur, et ce dans trois conditions. Dans la “condition unique”, la cible est une image concrète et est présentée avec un distracteur sans rapport sémantique ni lexical (par exemple : la cible “extincteur” est présentée avec l’item “chat”). Dans la “condition appariée”, la cible est une image concrète et est présentée avec un distracteur similaire en termes de forme, de couleur et de nom (par exemple : la cible “fauteuil vert n° 1” est présentée avec l’item “fauteuil vert n° 2”). Dans la “condition abstraite”, la cible est une image abstraite et est présentée avec un distracteur qui est également une image abstraite. Le score maximal dans chaque rappel est de 48 (soit de 100 % de bonnes réponses). Le grand intérêt de ce test, outre qu’il est facile à réaliser puisqu’il n’implique aucun feedback négatif pour le patient, est d’évaluer une mémoire précocement altérée dans la MA. En effet, dès que survient une atteinte du cortex périrhinal dans la MA, l’épreuve de DMS chute, et le cutt-off est simple puisque les témoins sont au-dessus de 98 % de réussite. De plus, une corrélation anatomofonctionnelle faite par le groupe marseillais a montré en VBM une corrélation entre cortex entorhinal et périrhinal et résultats au DMS, alors que la corrélation n’existe pas avec l’atrophie hippocampique plus tardive dans les stades de Braak et Braak. FONCTIONS EXÉCUTIVES Ces dernières années, les données de la littérature ont montré une atteinte importante et précoce de la mémoire de travail dans la MA. L’atteinte des processus attentionnels apparaît également tôt dans la maladie. La difficulté est représentée par la grande sensibilité de ces épreuves, souvent pesantes à réaliser, à de nombreux facteurs, en particulier au stress, aux médicaments ou au manque de sommeil. Par ailleurs, les profils d’atteinte ne sont pas homogènes, ce qui ne permet pas de recommander une épreuve plus qu’une autre, d’autant que l’on dispose de peu d’outils utilisables en pratique clinique, de peu de normes en population générale, et d’encore moins de données dans les différentes pathologies démentielles. Il s’agit là d’un important enjeu de recherche pour les années à venir (19). Si l’atteinte des fonctions exécutives est fréquemment rapportée dans la MA, il est difficile de savoir si ces troubles peuvent révéler la pathologie, et surtout si certains processus sont altérés de façon plus précoce, voire de façon plus spécifique. S’il est recommandé de réaliser au moins la BREF (20), aucune épreuve à ce jour ne s’impose à titre diagnostique (21). Les épreuves répertoriées par le GREFEX (Groupe de réflexion sur les fonctions cognitives) évaluent les trois processus fondamentaux du modèle de Miyaké : la capacité d’inhibition des réponses automatiques ou non pertinentes, la mise à jour et le contrôle des informations en mémoire de travail et la flexibilité mentale. Cette batterie est constituée de sept épreuves cognitives administrées dans l’ordre suivant : test de Stroop, test modifié des six éléments, Trail Making Test, test de Brixton, double tâche modifiée de Baddeley et le Modified Wisconsin Card Sorting Test. Par ailleurs, 144 ces épreuves sont pour la plupart chronométrées, et le temps de réalisation du TMT B ou celui du test de code de la WAIS pourraient être, pour certains auteurs, de bons prédicteurs de MA future (22). MÉMOIRE SÉMANTIQUE Les patients atteints de MA, en plus du déficit d’apprentissage d’informations nouvelles et de la récupération de souvenirs épisodiques, ont très tôt des difficultés à récupérer des connaissances sémantiques. Ce déficit s’aggrave avec la maladie et s’exprime d’abord par un trouble de dénomination des objets et des personnes. Il ne semble pas s’agir seulement d’un problème d’accès au stock, mais bien d’une dégradation de celui-ci, avec une perte précoce des connaissances ayant trait aux personnes (23). Le choix des tests est moins consensuel que celui des épreuves de mémoire épisodique. Les difficultés sémantiques très précoces s’observent le plus souvent dans des épreuves de fluence catégorielle et de dénomination. L’atteinte de la dénomination est alors la traduction conjointe de plusieurs déficits intriqués : problèmes perceptifs, manque du mot aphasique, déficit d’accès aux connaissances sémantiques nécessaires à la dénomination ou dégradation de ces connaissances. Un groupe d’experts du GRECO a proposé récemment une batterie sémantique BECS-GRECO qui privilégie la dénomination et les tâches d’appariement sémantique. Les épreuves les plus classiques demeurent les épreuves de dénomination (DO80 ou DO100), les définitions de mots concrets ou les fluences catégorielles. BATTERIES D’ÉVALUATION DES ÉVÉNEMENTS PUBLICS ET DES PERSONNES CÉLÈBRES : INTÉRÊT DANS LE DIAGNOSTIC DU MCI ET DE LA MA Récemment, des auteurs ont rapporté la perte précoce des souvenirs biographiques sémantiques dès les premiers stades de MAPD (24) ; plusieurs travaux confirment également la perte des connaissances concernant les personnes célèbres (25) et la perte du souvenir des événements publics (26, 27). Nous avons ainsi développé une batterie d’événements publics (EVE 30) et une batterie de célébrités (TOP 30) et montré que les performances des patients atteints de MA et de ceux atteints de MCI se distinguaient de celles de témoins appariés dans toutes les épreuves, avec un effondrement d’emblée de la dénomination des célébrités et des questions contextuelles portant sur les événements (28, 29). La batterie EVE 30 est constituée de 30 événements survenus de 1920 à nos jours. Les sujets doivent les évoquer, les reconnaître en choix multiple, répondre à deux questions contextuelles et les situer dans le temps. Pour les événements contemporains, on recherche également le maintien d’un souvenir flash (c’est-à-dire le souvenir du contexte personnel et émotionnel lorsqu’on a appris l’événement). La batterie TOP 30 est constituée de 30 personnalités, célèbres entre 1920 et la période La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007 actuelle. Les sujets doivent évoquer leur profession (puis la reconnaître), évoquer leur nom (puis le reconnaître), répondre à deux questions de détails et les situer dans leur période de gloire. Concernant la batterie EVE 30, le profil des 10 sujets atteints de MA, des 10 autres atteints de MCI et des 10 témoins est identique. Les patients atteints de MA à un stade léger de la maladie ont des difficultés pour rappeler les faits de l’actualité, et leurs performances en évocation sont effondrées (29 %, versus 75 % pour les témoins), et pour les questions (24 % versus 72 %). Ils sont plus performants dans les épreuves de reconnaissance (74 % versus 96 %) que de rappel. Ils situent mal les événements dans le temps, en les considérant comme plus anciens qu’ils ne le sont (42 % versus 76 %). Notre étude semble montrer une perte très précoce dès le stade de MCI des souvenirs des faits publics, avec une connaissance parcellaire de ceux-ci mise en évidence en évocation (49 %), les sujets pouvant rappeler les faits publics, mais de façon imprécise, et ayant des difficultés majeures pour répondre aux questions de détails (33 %), au point d’avoir des performances ne permettant déjà plus de les distinguer des patients atteints de MA. Ils reconnaissent (83 %) et datent moins bien que les témoins (57 %). Cette perte peut traduire des difficultés à recruter l’ensemble des régions d’intérêt concernées par la mémoire événementielle. Les souvenirs flashs sont effondrés dès le MCI. Concernant la batterie TOP 30, le profil des 10 sujets atteints de MA, des 10 autres atteints de MCI et des 10 témoins est identique. Tous sont meilleurs pour les tâches de reconnaissance (que ce soit pour le nom ou la profession) mais les trois groupes se distinguent significativement. Les fausses reconnaissances sont plus nombreuses pour les patients atteints de MCI et ceux de MA (13 % et 48 %). Tous les sujets sont significativement meilleurs pour évoquer la profession que pour rappeler le nom à partir de la présentation d’un visage. Les témoins évoquent la profession dans 91 % des cas, les patients atteints de MCI dans 72 % des cas et ceux atteints de MA dans 53 % des cas. Les témoins dénomment 79 % des visages, les patients atteints de MCI, 51 % et les patients atteints de MA, 32 %. Les différences observées entre les deux derniers groupes sont seulement significatives pour les questions : 81 % pour les témoins, 59 % pour les patients atteints de MCI et 32 % pour les patients atteints de MA. Les témoins situent mieux les personnes dans le temps (88 %) que les patients atteints de MCI (68 %) et les patients atteints de MA (55 %). Des formes de batteries courtes (EVE 10 et TOP 10) permettant d’explorer les événements et les personnes célèbres pourraient contribuer à généraliser ce type d’évaluation. Nous préconisons également d’utiliser seul l’événement du 11-Septembre, pour lequel les patients échouent précocement, particulièrement pour les questions et la génération d’un souvenir flash (30). CONCLUSION Pour conclure, trois enjeux nous semblent émerger pour l’amélioration des pratiques. Premièrement, il convient de mieux définir la place des neuropsychologues dans le bilan, La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007 en particulier au stade précoce de la MA, dans les formes focalisées ou dans des situations de diagnostics difficiles, afin de favoriser des bilans très spécialisés avec des tests améliorés constamment. Sur le plan pragmatique, c’est clairement dans le domaine de la mémoire épisodique que les recherches sont le plus utiles. Deuxièmement, il est urgent de former les médecins spécialistes à la pratique des tests, certes simples, mais qui ne se limitent pas au MMS. Après une période utile pédagogiquement, où l’on a fourni aux médecins quelques outils stéréotypés et “minute” pour le dépistage, il convient d’apprendre le décryptage de la plainte et la clinique de tableaux comme la MAPD, les formes focales (démence sémantique, Benson, aphasie progressive, etc.). Les travaux récents ont fait état de la progression considérable de l’imagerie et des données biologiques dans le diagnostic de l’affection. Nul doute qu’un test biologique fiable et précoce ferait passer au second plan les progrès de la neuropsychologie dans le domaine du diagnostic. Toutefois, malgré les avancées de la génétique et de la biologie moléculaire, et même si un test diagnostique existe dans quelques années, il n’enlèvera rien à la nécessité de la neuropsychologie. L’expertise de la cognition d’un malade atteint de MA restera fondamentale pour entreprendre une rééducation, pour chercher des suppléances ou prendre des décisions pragmatiques, comme par exemple la sauvegarde de justice ou l’institutionnalisation. L’expertise pharmacologique, en particulier pour les médicaments symptomatiques, reposera toujours sur la neuropsychologie : le domaine en est à ses balbutiements, puisque les autorisations ont toujours été accordées sur des améliorations d’échelles globales très sommaires comme le MMS ou l’ADAS. Il y a donc tout un champ d’études potentielles pour améliorer l’effet thérapeutique de secteurs cognitifs déficitaires, pour autant que l’on puisse leur attribuer un déficit neurochimique particulier. La rééducation neuropsychologique ne concerne actuellement pas la MA, pour plusieurs raisons : le manque de neuropsychologues en est une, qui disparaît progressivement. L’obstacle est surtout intellectuel et lié à un manque de motivation dans le contexte d’une maladie qui survient tardivement et évolue de façon inéluctable. Ce fatalisme mérite d’être combattu, car il est prouvé que la rééducation peut modifier la plasticité neuronale et qu’elle diffère probablement l’évolution si elle survient suffisamment tôt. L’enjeu, fût-il seulement palliatif, est important. Il s’agit d’abord de donner une aide réclamée avec insistance par des familles actuellement à l’écart des explications élémentaires sur les perturbations des fonctions supérieures. Il s’agit aussi de décaler l’évolution de la maladie de quelques mois ou années, ce qui a un impact socio-économique considérable en termes d’institutionnalisation pour une population âgée à faible espérance de vie. Il faudra probablement s’interroger, dans les années à venir, sur la rééducation à proposer, à quel sujet, face à quel déficit, dans quel contexte (individuel ou groupal) et par quel thérapeute... Enfin, gageons que cette approche prendra tout son sens en synergie avec l’utilisation de thérapeutiques pharmacologiques efficaces. ■ Démences-Neuropsychologie D émences-Neuropsychologie 145 Démences-Neuropsychologie D émences-Neuropsychologie RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Tulving E. Episodic and semantic distinction. In: The organization of memory. Tulving E, Donaldson W (eds). New York : Academic Press, 1972. 2. Dubois B. Prodromal Alzheimer’s disease: a more useful concept than mild cognitive impairment? Current Opinion in Neurology 2000;13:367-9. 3. Amieva H, Jacqmin G, Orgogozo JM et al. The 9-year cognitive decline before dementia of the Alzheimer type: a prospective population-based study. Brain 2005;128:1093-101. 4. McKhann G, Drachman D, Folstein M et al. Clinical diagnosis of Alzheimer’s disease: report of the NINCDS-ADRDA Work Group under the auspices of the Department of Health and Human Services Task Force on Alzheimer’s disease. Neurology 1984;34:939-44. 5. 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