Démences-Neuropsychologie
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007
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Démences-Neuropsychologie
actuelle. Les sujets doivent évoquer leur profession (puis la
reconnaître), évoquer leur nom (puis le reconnaître), répondre
à deux questions de détails et les situer dans leur période de
gloire. Concernant la batterie EVE 30, le profi l des 10 sujets
atteints de MA, des 10 autres atteints de MCI et des 10 témoins
est identique. Les patients atteints de MA à un stade léger de la
maladie ont des diffi cultés pour rappeler les faits de l’actualité,
et leurs performances en évocation sont eff ondrées (29 %, versus
75 % pour les témoins), et pour les questions (24 % versus 72 %).
Ils sont plus performants dans les épreuves de reconnaissance
(74 % versus 96 %) que de rappel. Ils situent mal les événements
dans le temps, en les considérant comme plus anciens qu’ils
ne le sont (42 % versus 76 %). Notre étude semble montrer une
perte très précoce dès le stade de MCI des souvenirs des faits
publics, avec une connaissance parcellaire de ceux-ci mise en
évidence en évocation (49 %), les sujets pouvant rappeler les
faits publics, mais de façon imprécise, et ayant des diffi cultés
majeures pour répondre aux questions de détails (33 %), au
point d’avoir des performances ne permettant déjà plus de les
distinguer des patients atteints de MA. Ils reconnaissent (83 %)
et datent moins bien que les témoins (57 %). Cette perte peut
traduire des diffi cultés à recruter l’ensemble des régions d’intérêt
concernées par la mémoire événementielle. Les souvenirs fl ashs
sont eff ondrés dès le MCI. Concernant la batterie TOP 30, le
profi l des 10 sujets atteints de MA, des 10 autres atteints de MCI
et des 10 témoins est identique. Tous sont meilleurs pour les
tâches de reconnaissance (que ce soit pour le nom ou la profes-
sion) mais les trois groupes se distinguent signifi cativement.
Les fausses reconnaissances sont plus nombreuses pour les
patients atteints de MCI et ceux de MA (13 % et 48 %). Tous les
sujets sont signifi cativement meilleurs pour évoquer la profes-
sion que pour rappeler le nom à partir de la présentation d’un
visage. Les témoins évoquent la profession dans 91 % des cas,
les patients atteints de MCI dans 72 % des cas et ceux atteints
de MA dans 53 % des cas. Les témoins dénomment 79 % des
visages, les patients atteints de MCI, 51 % et les patients atteints
de MA, 32 %. Les diff érences observées entre les deux derniers
groupes sont seulement signifi catives pour les questions : 81 %
pour les témoins, 59 % pour les patients atteints de MCI et 32 %
pour les patients atteints de MA. Les témoins situent mieux les
personnes dans le temps (88 %) que les patients atteints de MCI
(68 %) et les patients atteints de MA (55 %).
Des formes de batteries courtes (EVE 10 et TOP 10) permettant
d’explorer les événements et les personnes célèbres pourraient
contribuer à généraliser ce type d’évaluation. Nous préconisons
également d’utiliser seul l’événement du 11-Septembre, pour
lequel les patients échouent précocement, particulièrement pour
les questions et la génération d’un souvenir fl ash (30).
CONCLUSION
Pour conclure, trois enjeux nous semblent émerger pour
l’amélioration des pratiques. Premièrement, il convient de
mieux défi nir la place des neuropsychologues dans le bilan,
en particulier au stade précoce de la MA, dans les formes
focalisées ou dans des situations de diagnostics diffi ciles, afi n
de favoriser des bilans très spécialisés avec des tests améliorés
constamment. Sur le plan pragmatique, c’est clairement dans le
domaine de la mémoire épisodique que les recherches sont le
plus utiles. Deuxièmement, il est urgent de former les médecins
spécialistes à la pratique des tests, certes simples, mais qui ne
se limitent pas au MMS. Après une période utile pédagogique-
ment, où l’on a fourni aux médecins quelques outils stéréo-
typés et “minute” pour le dépistage, il convient d’apprendre
le décryptage de la plainte et la clinique de tableaux comme
la MAPD, les formes focales (démence sémantique, Benson,
aphasie progressive, etc.).
Les travaux récents ont fait état de la progression considérable
de l’imagerie et des données biologiques dans le diagnostic de
l’aff ection. Nul doute qu’un test biologique fi able et précoce
ferait passer au second plan les progrès de la neuropsychologie
dans le domaine du diagnostic. Toutefois, malgré les avancées
de la génétique et de la biologie moléculaire, et même si un
test diagnostique existe dans quelques années, il n’enlèvera
rien à la nécessité de la neuropsychologie. L’expertise de la
cognition d’un malade atteint de MA restera fondamentale pour
entreprendre une rééducation, pour chercher des suppléances
ou prendre des décisions pragmatiques, comme par exemple
la sauvegarde de justice ou l’institutionnalisation. L’expertise
pharmacologique, en particulier pour les médicaments symp-
tomatiques, reposera toujours sur la neuropsychologie : le
domaine en est à ses balbutiements, puisque les autorisations
ont toujours été accordées sur des améliorations d’échelles
globales très sommaires comme le MMS ou l’ADAS. Il y a
donc tout un champ d’études potentielles pour améliorer
l’eff et thérapeutique de secteurs cognitifs défi citaires, pour
autant que l’on puisse leur attribuer un défi cit neurochimique
particulier.
La rééducation neuropsychologique ne concerne actuellement
pas la MA, pour plusieurs raisons : le manque de neuropsycho-
logues en est une, qui disparaît progressivement. L’obstacle est
surtout intellectuel et lié à un manque de motivation dans le
contexte d’une maladie qui survient tardivement et évolue de
façon inéluctable. Ce fatalisme mérite d’être combattu, car il est
prouvé que la rééducation peut modifi er la plasticité neuronale
et qu’elle diff ère probablement l’évolution si elle survient suffi -
samment tôt. L’enjeu, fût-il seulement palliatif, est important.
Il s’agit d’abord de donner une aide réclamée avec insistance
par des familles actuellement à l’écart des explications élémen-
taires sur les perturbations des fonctions supérieures. Il s’agit
aussi de décaler l’évolution de la maladie de quelques mois ou
années, ce qui a un impact socio-économique considérable en
termes d’institutionnalisation pour une population âgée à faible
espérance de vie. Il faudra probablement s’interroger, dans les
années à venir, sur la rééducation à proposer, à quel sujet, face
à quel défi cit, dans quel contexte (individuel ou groupal) et par
quel thérapeute... Enfi n, gageons que cette approche prendra
tout son sens en synergie avec l’utilisation de thérapeutiques
pharmacologiques effi caces. ■