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Quoi de neuf dans l’expertise neuropsychologique ?
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C. Thomas-Antérion*, B. Laurent*
L
e diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer (MA)
repose sur l’analyse de la plainte, l’examen clinique et le
bilan neuropsychologique. Il est considéré comme fiable,
lorsqu’il est porté par des équipes entraînées, dans plus de 90 %
des cas. Cette fiabilité reste supérieure à celle de l’imagerie
centrée sur la mesure de l’atrophie temporale interne et sur
les données biologiques du liquide céphalo-rachidien (LCR)
avec la mesure couplée de l’amyloïde et de tau. Cette fiabilité
neuropsychologique suppose un certain nombre de règles
d’examen et de choisir des tests sans recourir à une batterie
standard pour tous. L’identification de troubles de la mémoire
épisodique (1) est clairement au cœur du bilan de l’Alzheimer
prédémentiel (MAPD), concept plus utile que celui de mild
cognitive impairment (MCI), que l’on doit réserver aux formes
d’évolution incertaine (2). Le diagnostic de formes focalisées
de la maladie sera toujours présent à l’esprit du clinicien, plus
habitué au trouble de mémoire qu’au déficit visuel du Benson
ou à l’anarthrie progressive.
Récemment, les études prospectives, épidémiologiques, neuropsychologiques ou d’imagerie (3) nous ont appris que la MA se
développe une dizaine d’années au moins avant sa révélation
clinique, confirmant la progression neuropathologique bien
connue des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires. Ces données conduisent à affiner l’expertise clinique et
neuropsychologique pour repérer les sujets en train de développer la maladie ou à risque de la développer, puisque ces sujets
ont, avant la perte fonctionnelle définie par le DMS-IV et les
critères du NINCDS-ADRDA (4), un infléchissement cognitif
progressif que traduit la banale plainte de mémoire. À ces stadeslà, les diagnostics différentiels peuvent s’avérer difficiles avec
les manifestations du vieillissement physiologique, les troubles
psychiques (anxiété, dépression, troubles obsessionnels, etc.),
les pathologies médicales (apnées du sommeil, insuffisance
respiratoire ou cardiaque, etc.) ou les troubles iatrogéniques
(en particulier avec des médications anticholinergiques). Le
concept de MCI, très médiatisé (5, 6), même s’il n’est qu’un
remake de celui de trouble bénin de l’âge, AAMI ou ARCD
désormais supplantés, répond à cette incertitude évolutive avec
la nécessité d’un suivi régulier et l’espoir d’un traitement efficace. Si la chose est facile pour les troubles psychiatriques, la
iatrogénie, les pathologies métaboliques ou le risque vasculaire,
le début de la dégénérescence reste encore inaccessible, même
* Unité de neuropsychologie, CM2R, CHU de Bellevue, Saint-Étienne.
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007
si l’Alzheimer prédémentiel (MCI amnésique) est la cible de
plusieurs essais “antidégénératifs”. Trois types de tableaux de
MCI ont été récemment identifiés afin de mieux cibler les sujets
à risque : le MCI amnésique, le SDI (single domain impairment)
et le MDI (multiple domain impairment) [7]. Seul le premier
cas est clairement prodromal de l’Alzheimer, avec une plainte
et un déficit qui concernent exclusivement la mémoire ; dans
le second cas, ils concernent une autre fonction cognitive que
la mémoire (langage ou fonctions exécutives ou praxies, etc.)
et il est plus simple de parler de déficit progressif du langage,
des praxies ou des fonctions frontales… Dans le dernier cas,
plusieurs domaines sont légèrement altérés, avec ou non une
atteinte mnésique, et le risque d’évolution démentielle est élevé,
particulièrement s’il y a des troubles mnésiques. Il est ainsi utile
d’essayer d’avoir à l’esprit une corrélation anatomique d’autant
que plusieurs travaux récents en TEP ou avec l’analyse en voxelbased morphometry (VBM) ont montré sa fiabilité : une amnésie
de type hippocampique correspond à un début temporal interne
très suspect de MA ; une amnésie d’évocation avec quelques
perturbations exécutives témoigne plutôt d’une souffrance frontale vasculaire, dégénérative ou psychiatrique. L’ensemble des
sujets MCI ont un risque élevé de développer une MA, estimé
globalement à 12 % par an, contre 2 % dans la population générale
de même âge, mais ce dans un délai variable, avec la possibilité
que les cas de certains sujets s’améliorent, voire que ceux-ci
guérissent et que certains ne développent jamais de MA, pour
rester des MCI, sinon stabilisés, du moins jamais évolutifs.
La meilleure compréhension de ces stades précoces peut parfois
sembler relever d’une obsession diagnostique peu éthique,
surtout si les sujets se plaignent peu ou pas et que leurs activités quotidiennes sont peu ou pas modifiées, y compris au
prix de quelques compensations. Elle reste indispensable si l’on
veut mener des études épidémiologiques, biologiques, génétiques et d’imagerie en constituant des groupes relativement
homogènes pour des thérapeutiques futures. Cette étape doit
être conduite avec prudence et éthique, en se gardant bien de
réaliser des consultations de dépistage chez des sujets qui ne
se plaignent pas.
La neuropsychologie de la MA peut poursuivre des buts différents : le diagnostic des formes débutantes reste le principal.
L’aide au choix de techniques rééducatives (ou adaptatives) et la
meilleure compréhension des troubles alors expliqués à la famille
sont un deuxième enjeu. Le troisième relève plus du champ de
la recherche, mais s’est avéré très fécond dans certaines formes
focales comme la démence sémantique : il s’agit, par l’étude
Démences-Neuropsychologie
D émences-Neuropsychologie
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Démences-Neuropsychologie
D émences-Neuropsychologie
longitudinale de la perte d’une fonction, d’en comprendre la
hiérarchie et les liens avec les fonctions conservées. Beaucoup
de travaux récents se centrent ainsi sur la plasticité cognitive,
qui joue un rôle majeur et précoce dans la MA pendant toute
une période “d’utilisation des réserves”, comme l’ont montré
différents travaux d’imagerie fonctionnelle.
ANALYSE DE LA PLAINTE COGNITIVE
La plainte mnésique est un symptôme subjectif chez un sujet
qui confond volontiers mémoire et autres fonctions cognitives.
Elle est corrélée à l’âge et au niveau d’étude, parfois au sexe (8).
Mais, surtout, elle est fréquemment liée à des facteurs psychologiques ou d’environnement (isolement social, retraite,
rupture sentimentale ou de vie relationnelle). Son recueil
et son analyse ont donc un intérêt majeur, vrai travail de
clinicien et non pas simple remplissage d’une échelle d’autoévaluation. La plupart des questionnaires ont été développés
dans d’autres cadres que celui de la démence, comme celui de
McNair (9) pour l’évaluation de patients déprimés avant et
après traitement, et sont peu sensibles et spécifiques dans la
MA. Un questionnaire comme celui de Schmand et al. (10),
ciblé sur les difficultés propres à la maladie, est beaucoup plus
informatif, à l’exception des questions portant sur l’attention,
peu discriminantes, car très sensibles à la psychiatrie, au stress
ou à la dépression : difficulté à faire plusieurs choses à la fois
(double tâche), oubli lorsque l’on est dérangé (sensibilité à
l’interférence), tendance à réaliser une activité routinière
(inhibition), etc.
De très nombreux travaux de la littérature soulignent que
les premières difficultés de la MA concernent la mémoire et
le comportement. Les patients ont des difficultés à encoder
et à récupérer les souvenirs, ce qui se manifeste par des
difficultés d’enregistrement des faits récents ; les patients
font répéter, répètent souvent ou oublient totalement qu’un
événement a eu lieu. Ils ont, en parallèle, un repli sur euxmêmes, avec diminution, aménagement ou arrêt des activités
antérieures. Nous avons développé un questionnaire ciblé sur
la recherche clinique des difficultés premières de la maladie
(QPC) [tableau I] qui s’intéresse non seulement à la mémoire,
mais aussi à deux plaintes cognitives très fréquentes au début
de la maladie : l’orientation spatiale et le manque du mot
(anomie) [11].
CHOIX DES TESTS NEUROPSYCHOLOGIQUES
Toute évaluation neuropsychologique doit être globale et utiliser
des tests mesurant les capacités de raisonnement, la mémoire,
le langage, le calcul, les capacités visuo-perceptives et spatiales,
les praxies et les fonctions exécutives, même si l’essentiel du
bilan, et ce d’autant plus que l’on se situe aux prémices de la
maladie, concerne l’évaluation de la mémoire. En outre, comme
le rappelle Manning (12), le neuropsychologue doit vérifier, avant
142
Tableau I. Le questionnaire de plainte cognitive (QPC).
Ces six derniers mois (cette condition doit être reprise à chaque question) :
A : Avez-vous ressenti un changement de votre mémoire ?
B : Pensez-vous que votre mémoire fonctionne moins bien maintenant que celle
de sujets de votre âge ? si oui :
1. Avez-vous eu l’impression d’enregistrer moins bien les événements et/ou
entendu plus souvent vos proches dire : “Je te l’ai déjà dit” ?
2. Avez-vous oublié un rendez-vous important ?
3. Avez-vous perdu vos affaires plus souvent ou plus longtemps
que d’habitude ?
4. Avez-vous ressenti des difficultés plus grandes à vous orienter et/ou
eu l’impression de ne pas connaître un endroit où vos proches vous ont dit
que vous étiez déjà venu ?
5. Avez-vous déjà oublié complètement un événement, y compris lorsque
vos proches vous l’ont raconté et/ou lorsque vous avez pu revoir
des photos de celui-ci ?
6. Avez-vous ressenti l’impression de chercher les mots en parlant (sauf
les noms propres) et d’être obligé de chercher d’autres mots, de vous arrêter
de parler ou de dire plus souvent que d’habitude “truc” ou “machin” ?
7. Avez-vous réduit certaines activités (ou demandé de l’aide à un proche)
de peur de vous tromper dans des activités personnelles (papiers
administratifs, factures, déclaration d’impôt, etc.) ou associatives ?
8. Avez-vous observé une modification de votre caractère, avec un repli sur
vous-même, une réduction des contacts avec les autres ou même
le sentiment d’avoir moins d’intérêt pour les choses ou moins d’initiative ?
Interprétation : un score supérieur à 3 ou une réponse oui à la question 5, ou deux
réponses oui aux questions 4 ,7 et 8 doivent inciter à rencontrer l’entourage pour
confirmer le score et/ou à orienter le sujet vers une consultation de mémoire.
tout examen, trois prérequis : l’absence de trouble confusionnel,
le fait que le sujet perçoit les consignes (isolement sensoriel) et
qu’il fait preuve d’une motivation suffisante.
Cette dimension globale favorise les échelles composites de
type MMS, Mattis, voire CDR, avec les épreuves qui y sont
liées. Les deux principaux critères qui dirigent le choix des
tests sont leur spécificité (capacité à différencier les patients
atteints de MA de sujets normaux et de sujets atteints d’autres
démences) et sensibilité (permettre un diagnostic précoce).
Les tests doivent être faciles, simples et rapides, et disposer de
normes suffisantes permettant une stratification en fonction
de l’âge et du niveau socioculturel. L’idéal est de disposer de
formes parallèles lorsque l’on mène des études pharmacologiques. Le bilan associe des approches qualitatives ou quantitatives. Les approches qualitatives sont en lien avec les régions
anatomiques concernées par la maladie et l’élaboration de
“profil cognitif standard” (13). Tout cela explique la nécessité
pour le neuropsychologue d’avoir une gamme de tests adaptés
à chaque situation, même si, au départ, des échelles globales
permettent de situer la part quantitative du déficit : une estimation globale et un recueil de plainte devrait précéder chaque
bilan neuropsychologique qui ne doit jamais être un examen
complémentaire stéréotypé prescrit par un médecin souvent
peu féru de neuropsychologie.
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007
PRINCIPAUX TESTS ÉVALUANT LA MÉMOIRE
ÉPISODIQUE
Les tests de mémoire issus de la psychométrie classique,
comme les mots ou la figure de Rey, sont peu utilisés ou
le sont pour évaluer d’autres composants que la mémoire,
comme l’étude de la planification à partir de la réalisation
de la figure de Rey. Il faut souligner l’hétérogénéité extraordinaire des outils utilisés au niveau international : listes
de mots (indicés ou non), récit, reconnaissance de stimuli
verbaux et visuels, etc.
L’évaluation relativement simple de la mémoire épisodique
en consultation repose le plus souvent sur le test des 5 mots
(14). Le sujet lit une liste de 5 mots (musée, limonade, sauterelle, passoire, camion), puis désigne le mot qui correspond
à l’indice catégoriel qui lui est fourni (la boisson, le bâtiment,
l’ustensile de cuisine, le véhicule, l’insecte). La liste retournée,
le sujet procède à un rappel immédiat (libre et indicé) qui,
s’il n’est pas maximum (score de 5), conduit l’examinateur
à remontrer au sujet les mots oubliés. Après une épreuve
attentionnelle intercurrente, le patient procède à un rappel
différé (libre et indicé). Le résultat est la somme des deux
rappels. La performance des patients atteints de la maladie
d’Alzheimer se caractérise par un rappel libre diminué et
une aide partielle de l’indiçage responsable d’un score total
inférieur à 10, avec une sensibilité de 63 %, une spécificité de
91 % et une valeur prédictive positive de 11,3. Récemment,
Cowppli-Bony et al. (15) ont proposé de pondérer la cotation
en accordant 2 points à chaque item identifié en rappel libre.
Le score total est alors de 20 et, avec un seuil inférieur à 17,
la sensibilité est augmentée à 75,3 %, la spécificité à 92,8 % et
la valeur prédictive positive à 16 %.
L’épreuve du RL/RI-16 items selon la procédure de Grober
et Buschke reste peu utilisée en dehors de la France, malgré
plusieurs mérites : contrôle de l’encodage, facilitation du rappel
par l’indiçage ou la reconnaissance, normes en fonction du
niveau culturel, sensibilité et spécificité testées dans l’étude
préAL, qui en a confirmé la valeur diagnostique au sein d’une
population hétérogène de malades ayant des troubles légers de
mémoire et suivie pendant 3 ans. Ce test permet de mettre en
évidence un déficit de mémoire à long terme de type “hippocampique”, reflet de l’atteinte lésionnelle de la maladie débutante. Il existe deux formes parallèles et des normes publiées
récemment (16). Le test consiste à mémoriser, puis à rappeler
une liste de 16 mots. Ceux-ci sont présentés quatre par quatre
en contrôlant l’encodage par un indice sémantique (le vêtement : le gilet ; la fleur : la jonquille, etc.) et le rappel immédiat
est noté. Ensuite, les sujets fournissent les mots retenus dans
un rappel libre et les mots manquants dans un rappel indicé
(quel était le vêtement ?) lors de trois essais consécutifs, puis
dans un rappel différé (libre et indicé) après une interférence
de 20 minutes. Le test dispose également d’une épreuve de
reconnaissance et permet la mesure d’éventuelles intrusions.
Des seuils mnésiques ont pu être proposés grace à l’étude
préAL, permettant de détecter, au sein d’une population MCI,
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007
un patient qui évoluera vers une démence de type Alzheimer
dans les 3 ans. Les seuils optimaux pour le diagnostic sont :
• rappel libre ≤ 17/48 ;
• rappel total ≤ 40 ;
• sensibilité à l’indiçage ≤ 71 %.
À 3 ans, la probabilité de développer une démence de type
Alzheimer est de 90 % pour les sujets MCI répondant aux deux
critères du rappel libre et du rappel indicé et de 5,6 % pour ceux
qui ne répondent pas à ces deux critères. De plus, la démence
de type Alzheimer se développe dans les 24 premiers mois
chez 80 % de ces malades. Ainsi, les sensibilité et spécificité du
RL/RI-16 items sont élevées pour les 3 paramètres du test les
plus utilisés (tableau II).
Tableau II. Sensibilité et spécificité des scores du RL/RI 16 items pour
la survenue d’une MA à 2 ans.
Sensibilité
Spécificité
Rappel libre total
91,8 %
76,4 %
Rappel total
79,7 %
89,9 %
Sensibilité à l’indiçage
78 %
84,9 %
Démences-Neuropsychologie
D émences-Neuropsychologie
L’épreuve RI-48 items a pour objectif principal de contourner
l’inconvénient majeur du RL/RI-16 items, qui est l’effet plafond,
en particulier chez les sujets de niveaux socioculturels élevés.
Le RI-48 consiste à apprendre une liste de 48 mots répartis en
16 catégories différentes, selon la même procédure que le test
précédent. Après une tâche de 20 secondes, le sujet fournit
les mots uniquement sur présentation de l’indice (avec cette
fois rappel de 4 mots par indice). Des normes sont disponibles (17).
Le RL-RI/16 items peut être proposé en contrôlant l’effet
remember/know (R/K) selon la procédure dite de Gardiner.
Certains auteurs, comme ceux du groupe de Caen, ont ainsi
modifié qualitativement la procédure en séparant le remember,
qui suppose un rappel précis de la situation d’encodage (autonoétique pour Tulving), de la reconnaissance, qui peut se faire
de façon plus automatique, voire en choix forcé sans “revivre”
la situation d’apprentissage. Le patient a pour consigne de
mémoriser 16 mots en réalisant un “traitement sémantique
profond” : il doit produire une phrase avec chaque mot. Pour
vérifier que cet encodage a bien eu lieu, l’examinateur fait faire
au patient un rappel indicé immédiat tous les deux mots, en lui
fournissant la catégorie sémantique appropriée. En cas d’échec,
un second traitement ainsi qu’un rappel indicé sont effectués,
jusqu’à ce que le patient rappelle correctement tous les items.
La récupération est ensuite évaluée par un rappel libre et une
reconnaissance (mot cible présenté parmi 3 “distracteurs”). Ce
test fournit trois scores : rappel indicé immédiat, rappel libre et
reconnaissance. Lors de la reconnaissance, le sujet doit préciser
pour chaque mot reconnu s’il suppose (guess), s’il sait (know) ou
s’il se souvient (remember) avoir mémorisé ce mot.
Le DMS 48 est un test de mémoire de reconnaissance visuelle (18)
qui consiste en un apprentissage incident d’une série de 48 images.
Après un délai de 3 minutes, puis d’une heure, l’examinateur
143
Démences-Neuropsychologie
D émences-Neuropsychologie
montre au sujet des paires d’images constituées d’une des images
préalablement vues accompagnée d’un distracteur, et ce dans trois
conditions. Dans la “condition unique”, la cible est une image
concrète et est présentée avec un distracteur sans rapport sémantique ni lexical (par exemple : la cible “extincteur” est présentée
avec l’item “chat”). Dans la “condition appariée”, la cible est une
image concrète et est présentée avec un distracteur similaire en
termes de forme, de couleur et de nom (par exemple : la cible
“fauteuil vert n° 1” est présentée avec l’item “fauteuil vert n° 2”).
Dans la “condition abstraite”, la cible est une image abstraite et
est présentée avec un distracteur qui est également une image
abstraite. Le score maximal dans chaque rappel est de 48 (soit de
100 % de bonnes réponses). Le grand intérêt de ce test, outre qu’il
est facile à réaliser puisqu’il n’implique aucun feedback négatif
pour le patient, est d’évaluer une mémoire précocement altérée
dans la MA. En effet, dès que survient une atteinte du cortex
périrhinal dans la MA, l’épreuve de DMS chute, et le cutt-off est
simple puisque les témoins sont au-dessus de 98 % de réussite. De
plus, une corrélation anatomofonctionnelle faite par le groupe
marseillais a montré en VBM une corrélation entre cortex entorhinal et périrhinal et résultats au DMS, alors que la corrélation
n’existe pas avec l’atrophie hippocampique plus tardive dans les
stades de Braak et Braak.
FONCTIONS EXÉCUTIVES
Ces dernières années, les données de la littérature ont montré
une atteinte importante et précoce de la mémoire de travail dans
la MA. L’atteinte des processus attentionnels apparaît également
tôt dans la maladie. La difficulté est représentée par la grande
sensibilité de ces épreuves, souvent pesantes à réaliser, à de
nombreux facteurs, en particulier au stress, aux médicaments
ou au manque de sommeil. Par ailleurs, les profils d’atteinte ne
sont pas homogènes, ce qui ne permet pas de recommander
une épreuve plus qu’une autre, d’autant que l’on dispose de
peu d’outils utilisables en pratique clinique, de peu de normes
en population générale, et d’encore moins de données dans les
différentes pathologies démentielles. Il s’agit là d’un important
enjeu de recherche pour les années à venir (19). Si l’atteinte
des fonctions exécutives est fréquemment rapportée dans la
MA, il est difficile de savoir si ces troubles peuvent révéler la
pathologie, et surtout si certains processus sont altérés de façon
plus précoce, voire de façon plus spécifique. S’il est recommandé
de réaliser au moins la BREF (20), aucune épreuve à ce jour ne
s’impose à titre diagnostique (21). Les épreuves répertoriées
par le GREFEX (Groupe de réflexion sur les fonctions cognitives) évaluent les trois processus fondamentaux du modèle de
Miyaké : la capacité d’inhibition des réponses automatiques ou
non pertinentes, la mise à jour et le contrôle des informations
en mémoire de travail et la flexibilité mentale. Cette batterie
est constituée de sept épreuves cognitives administrées dans
l’ordre suivant : test de Stroop, test modifié des six éléments,
Trail Making Test, test de Brixton, double tâche modifiée de
Baddeley et le Modified Wisconsin Card Sorting Test. Par ailleurs,
144
ces épreuves sont pour la plupart chronométrées, et le temps
de réalisation du TMT B ou celui du test de code de la WAIS
pourraient être, pour certains auteurs, de bons prédicteurs de
MA future (22).
MÉMOIRE SÉMANTIQUE
Les patients atteints de MA, en plus du déficit d’apprentissage
d’informations nouvelles et de la récupération de souvenirs
épisodiques, ont très tôt des difficultés à récupérer des connaissances sémantiques. Ce déficit s’aggrave avec la maladie et s’exprime d’abord par un trouble de dénomination des objets et des
personnes. Il ne semble pas s’agir seulement d’un problème d’accès
au stock, mais bien d’une dégradation de celui-ci, avec une perte
précoce des connaissances ayant trait aux personnes (23). Le choix
des tests est moins consensuel que celui des épreuves de mémoire
épisodique. Les difficultés sémantiques très précoces s’observent
le plus souvent dans des épreuves de fluence catégorielle et de
dénomination. L’atteinte de la dénomination est alors la traduction
conjointe de plusieurs déficits intriqués : problèmes perceptifs,
manque du mot aphasique, déficit d’accès aux connaissances
sémantiques nécessaires à la dénomination ou dégradation de
ces connaissances. Un groupe d’experts du GRECO a proposé
récemment une batterie sémantique BECS-GRECO qui privilégie
la dénomination et les tâches d’appariement sémantique.
Les épreuves les plus classiques demeurent les épreuves de dénomination (DO80 ou DO100), les définitions de mots concrets
ou les fluences catégorielles.
BATTERIES D’ÉVALUATION DES ÉVÉNEMENTS
PUBLICS ET DES PERSONNES CÉLÈBRES : INTÉRÊT
DANS LE DIAGNOSTIC DU MCI ET DE LA MA
Récemment, des auteurs ont rapporté la perte précoce des
souvenirs biographiques sémantiques dès les premiers stades
de MAPD (24) ; plusieurs travaux confirment également la perte
des connaissances concernant les personnes célèbres (25) et la
perte du souvenir des événements publics (26, 27).
Nous avons ainsi développé une batterie d’événements publics
(EVE 30) et une batterie de célébrités (TOP 30) et montré que les
performances des patients atteints de MA et de ceux atteints de
MCI se distinguaient de celles de témoins appariés dans toutes
les épreuves, avec un effondrement d’emblée de la dénomination
des célébrités et des questions contextuelles portant sur les
événements (28, 29).
La batterie EVE 30 est constituée de 30 événements survenus de
1920 à nos jours. Les sujets doivent les évoquer, les reconnaître
en choix multiple, répondre à deux questions contextuelles
et les situer dans le temps. Pour les événements contemporains, on recherche également le maintien d’un souvenir flash
(c’est-à-dire le souvenir du contexte personnel et émotionnel
lorsqu’on a appris l’événement). La batterie TOP 30 est constituée de 30 personnalités, célèbres entre 1920 et la période
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007
actuelle. Les sujets doivent évoquer leur profession (puis la
reconnaître), évoquer leur nom (puis le reconnaître), répondre
à deux questions de détails et les situer dans leur période de
gloire. Concernant la batterie EVE 30, le profil des 10 sujets
atteints de MA, des 10 autres atteints de MCI et des 10 témoins
est identique. Les patients atteints de MA à un stade léger de la
maladie ont des difficultés pour rappeler les faits de l’actualité,
et leurs performances en évocation sont effondrées (29 %, versus
75 % pour les témoins), et pour les questions (24 % versus 72 %).
Ils sont plus performants dans les épreuves de reconnaissance
(74 % versus 96 %) que de rappel. Ils situent mal les événements
dans le temps, en les considérant comme plus anciens qu’ils
ne le sont (42 % versus 76 %). Notre étude semble montrer une
perte très précoce dès le stade de MCI des souvenirs des faits
publics, avec une connaissance parcellaire de ceux-ci mise en
évidence en évocation (49 %), les sujets pouvant rappeler les
faits publics, mais de façon imprécise, et ayant des difficultés
majeures pour répondre aux questions de détails (33 %), au
point d’avoir des performances ne permettant déjà plus de les
distinguer des patients atteints de MA. Ils reconnaissent (83 %)
et datent moins bien que les témoins (57 %). Cette perte peut
traduire des difficultés à recruter l’ensemble des régions d’intérêt
concernées par la mémoire événementielle. Les souvenirs flashs
sont effondrés dès le MCI. Concernant la batterie TOP 30, le
profil des 10 sujets atteints de MA, des 10 autres atteints de MCI
et des 10 témoins est identique. Tous sont meilleurs pour les
tâches de reconnaissance (que ce soit pour le nom ou la profession) mais les trois groupes se distinguent significativement.
Les fausses reconnaissances sont plus nombreuses pour les
patients atteints de MCI et ceux de MA (13 % et 48 %). Tous les
sujets sont significativement meilleurs pour évoquer la profession que pour rappeler le nom à partir de la présentation d’un
visage. Les témoins évoquent la profession dans 91 % des cas,
les patients atteints de MCI dans 72 % des cas et ceux atteints
de MA dans 53 % des cas. Les témoins dénomment 79 % des
visages, les patients atteints de MCI, 51 % et les patients atteints
de MA, 32 %. Les différences observées entre les deux derniers
groupes sont seulement significatives pour les questions : 81 %
pour les témoins, 59 % pour les patients atteints de MCI et 32 %
pour les patients atteints de MA. Les témoins situent mieux les
personnes dans le temps (88 %) que les patients atteints de MCI
(68 %) et les patients atteints de MA (55 %).
Des formes de batteries courtes (EVE 10 et TOP 10) permettant
d’explorer les événements et les personnes célèbres pourraient
contribuer à généraliser ce type d’évaluation. Nous préconisons
également d’utiliser seul l’événement du 11-Septembre, pour
lequel les patients échouent précocement, particulièrement pour
les questions et la génération d’un souvenir flash (30).
CONCLUSION
Pour conclure, trois enjeux nous semblent émerger pour
l’amélioration des pratiques. Premièrement, il convient de
mieux définir la place des neuropsychologues dans le bilan,
La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007
en particulier au stade précoce de la MA, dans les formes
focalisées ou dans des situations de diagnostics difficiles, afin
de favoriser des bilans très spécialisés avec des tests améliorés
constamment. Sur le plan pragmatique, c’est clairement dans le
domaine de la mémoire épisodique que les recherches sont le
plus utiles. Deuxièmement, il est urgent de former les médecins
spécialistes à la pratique des tests, certes simples, mais qui ne
se limitent pas au MMS. Après une période utile pédagogiquement, où l’on a fourni aux médecins quelques outils stéréotypés et “minute” pour le dépistage, il convient d’apprendre
le décryptage de la plainte et la clinique de tableaux comme
la MAPD, les formes focales (démence sémantique, Benson,
aphasie progressive, etc.).
Les travaux récents ont fait état de la progression considérable
de l’imagerie et des données biologiques dans le diagnostic de
l’affection. Nul doute qu’un test biologique fiable et précoce
ferait passer au second plan les progrès de la neuropsychologie
dans le domaine du diagnostic. Toutefois, malgré les avancées
de la génétique et de la biologie moléculaire, et même si un
test diagnostique existe dans quelques années, il n’enlèvera
rien à la nécessité de la neuropsychologie. L’expertise de la
cognition d’un malade atteint de MA restera fondamentale pour
entreprendre une rééducation, pour chercher des suppléances
ou prendre des décisions pragmatiques, comme par exemple
la sauvegarde de justice ou l’institutionnalisation. L’expertise
pharmacologique, en particulier pour les médicaments symptomatiques, reposera toujours sur la neuropsychologie : le
domaine en est à ses balbutiements, puisque les autorisations
ont toujours été accordées sur des améliorations d’échelles
globales très sommaires comme le MMS ou l’ADAS. Il y a
donc tout un champ d’études potentielles pour améliorer
l’effet thérapeutique de secteurs cognitifs déficitaires, pour
autant que l’on puisse leur attribuer un déficit neurochimique
particulier.
La rééducation neuropsychologique ne concerne actuellement
pas la MA, pour plusieurs raisons : le manque de neuropsychologues en est une, qui disparaît progressivement. L’obstacle est
surtout intellectuel et lié à un manque de motivation dans le
contexte d’une maladie qui survient tardivement et évolue de
façon inéluctable. Ce fatalisme mérite d’être combattu, car il est
prouvé que la rééducation peut modifier la plasticité neuronale
et qu’elle diffère probablement l’évolution si elle survient suffisamment tôt. L’enjeu, fût-il seulement palliatif, est important.
Il s’agit d’abord de donner une aide réclamée avec insistance
par des familles actuellement à l’écart des explications élémentaires sur les perturbations des fonctions supérieures. Il s’agit
aussi de décaler l’évolution de la maladie de quelques mois ou
années, ce qui a un impact socio-économique considérable en
termes d’institutionnalisation pour une population âgée à faible
espérance de vie. Il faudra probablement s’interroger, dans les
années à venir, sur la rééducation à proposer, à quel sujet, face
à quel déficit, dans quel contexte (individuel ou groupal) et par
quel thérapeute... Enfin, gageons que cette approche prendra
tout son sens en synergie avec l’utilisation de thérapeutiques
pharmacologiques efficaces.
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Démences-Neuropsychologie
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Démences-Neuropsychologie
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La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007
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