L Quand la prostate devient neuroendocrine

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Quand la prostate devient
neuroendocrine
P. Camparo*
L
es carcinomes neuroendocrines constituent des
formes histologiques agressives de cancers de la
prostate. Le cas présenté ici illustre les particularités cliniques de ces formes anatomopathologiques
rares.
Observation
M. C., âgé en 2007 de 73 ans, est suivi pour un adénocarcinome prostatique présentant un score de Gleason
de 5 + 4. Dans ses antécédents, on note essentiellement
une dyslipidémie et une cardiopathie ischémique avec
pontage coronarien. L’adénocarcinome prostatique a été
découvert 4 ans plus tôt devant un taux de PSA de 40.
Le traitement initial a associé divers traitements antiandrogéniques qui ont permis d’abaisser et de maintenir
le taux de PSA à 0,1 ng/ml.
Le patient consulte en avril 2007 pour des douleurs
pelviennes associées à des symptômes de type rétentionnel. Le toucher rectal montre une prostate dont
le volume est estimé à 300 g. Le taux de PSA reste
faible. Le scanner objective plusieurs lésions lytiques.
Sur les copeaux de résection endoscopique qui sont
alors réalisés, l’analyse histologique met en évidence
une population de cellules de petite taille au noyau
hyperchromatique, au cytoplasme réduit, basophile
(figures 1 et 2). L’analyse immunohistochimique montre
une expression membranaire forte et spécifique de
synaptophysine et de CD56 (figure 3). Le dosage
sérique de l’énolase neurospécifique (NSE [NeuronSpecific Enolase]) confirme la présence d’un contingent
neuroendocrine. Une chimiothérapie de type étoposide + carboplatine est entreprise.
Un an plus tard (en mars 2008), un nouveau scanner
montre une récidive pelvienne majeure avec augmentation du nombre de métastases osseuses, notamment au
niveau de l’aile iliaque droite, responsables de douleurs
invalidantes du membre inférieur droit.
Une chute survenue 2 mois plus tard, ayant entraîné
une fracture du toit du cotyle, sera responsable d’une
hospitalisation en urgence au cours de laquelle sera
mise en évidence une insuffisance rénale (créatinine à 240 mmol/l) d’aggravation rapide (créatinine
à 500 mmol/l le lendemain). Le patient décèdera le
surlendemain de son admission.
Figure 1. Contingent neuroendocrine : nappes de petites cellules
(HES, × 50).
Figure 2. Contingent neuroendocrine : cellules au rapport nucléocytoplasmique élevé et au noyau à chromatique délavée (HES, × 200).
Figure 3. Contingent neuroendocrine exprimant le CD56 (membranaire) [× 400].
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* Service d’anatomopathologie, hôpital Foch,
Suresnes.
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Références
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Les cellules neuroendocrines prostatiques dérivent de
précurseurs communs aux cellules basales et sécrétrices. Certaines conditions microenvironnementales,
comme une déplétion androgénique ou une irradiation,
sont capables d’induire une transdifférenciation des
cellules basales ou sécrétantes en cellules neuroendocrines. Cette population neuroendocrine peut alors se
manifester sous la forme d’éléments isolés au sein d’un
adénocarcinome prostatique ou, plus rarement, sous
la forme de tumeurs neuroendocrines, semblables à
celles habituellement observées dans le tube digestif
ou les poumons (1, 2).
La présence d’éléments neuroendocrines isolés au
cours d’un traitement antiandrogène semble faciliter la progression tumorale des cellules exocrines.
Les cellules neuroendocrines n’expriment pas le PSA
et ne possèdent pas de récepteurs aux androgènes.
Elles ne sont donc pas affectées par les thérapies antiandrogéniques. En revanche, elles se caractérisent par
une activité sécrétoire (chromogranines A, B, C, NSE
et synaptophysine) que l’on peut mettre en évidence
par immunohistochimie (anticorps antichromogranine, antisynaptophysine, anti-NSE [anti-Neuron
Specific Enolase] ou anti-CD56) ou par dosage sérique
(chromogranine A). Ces cellules neuroendocrines
produisent des peptides, des hormones et des facteurs
de croissance capables de stimuler la croissance des
cellules à leur voisinage (chromogranine A, PTHrp
[ParaThyroid Hormone-related protein], bombésine),
inhiber l’apoptose (survivine) et stimuler la néo-angiogenèse (VEGF). La différenciation neuroendocrine est
un phénomène dynamique. Elle augmente au cours
du traitement antiandrogénique ainsi que durant la
phase hormonorésistante de la maladie prostatique
où des taux sériques élevés de chromogranine A (ou
un immunomarquage positif à la chromogranine supérieur à 1 %) sont fréquemment observés et corrélés au
pronostic de la maladie prostatique (3-5).
Une série récente rapporte 95 cas de patients
présentant un cancer de la prostate avec un contingent neuroendocrine majoritaire ou exclusif (6). Le
diagnostic de tumeur neuroendocrine a pu être
posé sur biopsies (55 cas : 58 %), résections transuréthrales (27 cas : 28 %), prostatectomies radicales
(4 cas : 4 %) ou biopsies de localisation métastatique
(9 cas : 10 %). L’âge des patients était en moyenne de
69 ans (44 à 92 ans). Bien que le taux de PSA ait pu
être élevé chez certains patients, il était le plus souvent
faible (moyenne : 4,0 ng/ml, extrêmes : 0,2-1 893 ng/
ml). Chez les patients pour lesquels des informations
cliniques étaient disponibles, on notait des antécédents d’adénocarcinome prostatique dans seulement
42 % des cas. Le diagnostic de carcinome neuroendocrine était posé en moyenne 25 mois après celui
d’adénocarcinome prostatique (extrêmes : 1-300 mois).
Les formes pures de carcinomes neuroendocrines à
petites cellules étaient majoritaires (57 % des cas).
Dans les formes à prédominance neuroendocrine
(plus de 80 % de cellules neuroendocrines) le grade
de l’adénocarcinome prostatique était supérieur ou
égal à 8 dans 85 % des cas.
Dans cette série, 88 % des cas étaient positifs pour au
moins 1 des marqueurs neuroendocrines classiques
(chromogranine, synaptophysine ou CD56), et 52,3 %
étaient positifs pour le TTF1 (Thyroïd Transcription
Factor 1). Quelques cellules neuroendocrines exprimaient le PSA, le P501S ou le PSAM (prostate-specific
membrane antigen) dans respectivement 19 %, 28 %
et 25 % des cas.
Les taux sériques de chromogranine A sont généralement augmentés dans ces tumeurs et corrélés aux
marquages tissulaires (7), mais d’autres méthodes
ont été proposées pour améliorer la recherche de
la présence de contingents neuroendocrines, en
particulier dans le suivi évolutif d’adénocarcinomes
classiques (8).
Dans le cas de tumeurs neuroendocrines pures ou
majoritairement neuroendocrines, comme chez notre
patient, les manifestations cliniques sont peu spécifiques. Elles ne s’associent pas, ou de façon inhabituelle,
à l’inverse de ce qui peut être observé dans des localisations digestives ou bronchiques, à des syndromes
paranéoplasiques associés à une sécrétion hormonale
aberrante (2). L’évolution vers les localisations métastatiques osseuses ou viscérales est rapide (9).
L’hormonorésistance impose la mise en route d’un
traitement chimiothérapique spécifique (cisplatine
ou étoposide). Aucun traitement n’a cependant fait
preuve de son efficacité, et le pronostic reste sévère.
Dans une série de 30 patients présentant une tumeur
neuroendocrine de la prostate, seuls 5 (17 %) ont
présenté, après un traitement par radio- et chimiothérapie (cisplatine), une rémission complète qui n’a
pas dépassé en moyenne 21 mois (6-54). Tous les autres
patients sont décédés rapidement, entre 17 mois (9) et
42 mois (1, 10). Dans cette dernière étude, les auteurs
concluent à l’inefficacité des protocoles thérapeutiques
actuellement proposés.
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Correspondances en Onco-Urologie - Vol. II - no 4 - octobre-novembre-décembre 2011
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