être un peu plus problématique encore. Comme l’ont souligné
Demière et al., cités par E. Ferragut (3), la douleur iatrogène
d’origine chirurgicale est d’autant plus grave que, souvent, on
ne peut plus rien pour ces patientes. Il vaut toujours mieux voir
ces patientes avant la chirurgie qu’après. Dans la iatrogénie, il
y a aussi des paroles malheureuses qui enlèvent tout espoir à la
patiente : “ça fait trop longtemps que vous avez mal”, dit-on à
une patiente, “pour que l’on puisse faire quelque chose pour
vous”. Dans un cas comme celui-ci, non seulement on ne se
sert pas de l’effet placebo, mais l’on majore nettement l’effet
nocebo.
De nombreuses publications traitant d’algologie font référence
à l’utilisation de tests psychologiques et médicaux pour tenter
d’évaluer les composantes psychogènes et organiques du
symptôme douleur. Précisons d’emblée, avec F. Lorin (6), que
le test, quel qu’il soit, ne saurait se substituer à l’évaluation cli-
nique et au colloque singulier de la relation médecin-malade.
À côté de ces tests psychologiques, il en est deux qui ont une
visée diagnostique et thérapeutique : ce sont les tests médica-
menteux, ou “traitements d’épreuve”, avec la prescription
d’antalgiques périphériques ou centraux, d’anticomitiaux,
d’anxiolytiques, d’antidépresseurs... Mais de nombreux biais
existent du fait même de l’effet placebo... En conclusion,
aucun test d’organicité n’est totalement fiable.
LES DIFFICULTÉS DU MÉDECIN
Certains confrères n’auront qu’un activisme technique,
d’autres s’abstiendront de toute thérapeutique, voire rejetteront
la patiente en considérant qu’il ne s’agit “que” de douleurs
psychogènes. Soulignons que pour la malade, la douleur psy-
chogène est un non-sens (5), elle n’existe pas. Elle a mal dans
son corps, donc elle vient consulter un médecin pour qu’il
l’aide à vaincre cette douleur. Si la douleur est qualifiée de
psychogène, la patiente le vit comme une “non-validation”,
une non-acceptation de sa plainte, d’autant que ce diagnostic
est souvent accompagné d’un renvoi (plutôt que d’un envoi)
chez le psychiatre ou le psychothérapeute. Si une femme n’a
pas de lésion organique et qu’elle manifeste son mal-être par
des douleurs physiques, c’est sur ce terrain qu’il sera plus
facile de l’accompagner. Et si elle a des lésions organiques,
cela ne signifie pas qu’il ne puisse pas y avoir une implication
psychologique de cette douleur dans son histoire. Souvent, la
femme s’accroche de manière “vitale” à son symptôme. Il lui
sert en fait de “carte d’identité” et elle supporte très mal que
l’on soit autre chose qu’un technicien. Elle réclame que l’on
reconnaisse qu’elle souffre de son corps. Certaines femmes
consultent un médecin pour déposer leur corps dans le cabinet
médical afin qu’il le répare, comme si elles-mêmes n’étaient
pas concernées. Chez ces femmes, il y a comme une distance
entre leur corps, objet de la consultation, et elles-mêmes, sujets
consultants. Elles semblent tout attendre du savoir et du pou-
voir qu’elles prêtent pour un temps au médecin. Et s’il y a un
“échec”, cela les rend d’autant plus agressives qu’elles ne se
sentent pas en cause dans ce qui leur arrive. Comme l’a fait
remarquer E. Ferragut (3), à la différence des douleurs aiguës,
la différenciation entre une étiologie organique et une étiologie
psychogène n’est plus opérationnelle avec la chronicisation.
Pour F. Bourreau aussi (2), “la fonction protectrice admise
pour la douleur aiguë, par exemple, devient moins évidente au
stade chronique”. On peut penser en même temps que les
répercussions psychologiques d’une douleur d’étiologie orga-
nique et les douleurs d’étiologie psychogène (même s’il existe
une épine irritative locale) ne peuvent être confondues : les
mécanismes psychopathologiques sont différents. Pour E. Fer-
ragut comme pour nous, il faudra pour chaque patiente déco-
der le sens du message et le lien spécifique en relation à la psy-
chopathologie sous-jacente. Elle propose alors de différencier,
parmi les syndromes douloureux chroniques (SDC), les SDC à
composantes organiques dominantes et les SDC à composantes
psychiques dominantes. Dans le cas de la composante orga-
nique dominante, “il faudra savoir évaluer où se situe la
demande et ne pas répondre systématiquement par une pres-
cription d’antalgiques sous prétexte que la maladie causale est
organique”. Si la douleur organique est correctement évaluée
et traitée, la dimension psychologique qui l’accompagne
(anxiété, dépression...) peut être mieux entendue, et la patiente
peut être calmée parfois avec des doses médicamenteuses
diminuées. Dans le SDC à composantes psychiques domi-
nantes, ce n’est plus la douleur qui est au devant de la scène,
mais la façon dont la patiente en parle et nous la présente.
E. Ferragut distingue deux types de population de patientes
(3) : celles ayant des douleurs “centrifuges” (la douleur est
destinée à autrui, à l’environnement, à la famille...) et celles
ayant des douleurs centripètes, qui sont surtout une “façon
d’être au monde dans une dynamique de repli narcissique”. La
douleur vient ici atténuer la souffrance indiscible d’un manque
à être, et aide à survivre.
Pour C. Merceron (7), la douleur chronique protège d’une
décompensation plus grave. Pour P. Guex (4), la douleur peut
avoir un rôle d’étayage existentiel et sert à médiatiser la rela-
tion aux autres. La douleur aurait ici un rôle anti-souffrance
(3). D’autres auteurs, comme D. Anzieu (1), soulignent que
s’infliger soi-même une enveloppe réelle de souffrance est une
tentative de restituer la fonction de peau contenante non exer-
cée par la mère ou l’entourage : “je souffre donc je suis”.
Précisons, avec E. Ferragut, que, bien que le rôle du médecin
et de tout soignant soit de soulager la douleur, il ne faut pas
perdre de vue que la douleur chronique assure parfois une
fonction de défense ayant une réelle valeur protectrice pour le
sujet. Il faut donc être prudent et ne pas chercher à la faire dis-
paraître à n’importe quel prix. Et revoyons les bénéfices
secondaires classifiés par cet auteur (3) :
– obtenir des gratifications informulables (vis-à-vis de la
dépendance affective) ;
– donner une excuse honorable à des manques et à des
demandes inacceptables consciemment ;
– s’aménager un espace vital hors de l’envahissement de
l’autre ;
– lâcher le masque social sans faillir ;
– permettre un évitement (le handicap soustrait le sujet à cer-
taines situations qu’il ne peut pas assumer).
Il existe aussi des traits communs :
– une demande d’attention jamais satisfaite ;
– une immaturité et une dépendance excessive vis-à-vis de
GYNÉCOLOGIE ET SOCIÉTÉ
13
La Lettre du Gynécologue - n° 255 - octobre 2000
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