HEPATO-GASTRO 6 D 27/08/02 O S 16:58 S Page 321 I E R T H É M A T I Q U E Thérapie génique des maladies métaboliques ● O. Soubrane* e but de la thérapie génique des maladies dites métaboliques est de modifier ou de corriger leur phénotype par l’introduction ou la correction d’un gène manquant ou mutant. La plupart des maladies métaboliques sont liées à l’absence – ou à la synthèse anormale – d’une protéine habituellement produite par le foie. Les conséquences peuvent être hépatiques comme dans la maladie de Wilson, ou systémiques comme dans l’hémophilie. Elles sont le plus souvent congénitales et, dans la mesure où le gène responsable a été cloné et séquencé, il est envisageable de tenter d’introduire le gène normal dans les hépatocytes ou d’autres cellules pour modifier le cours de la maladie. Selon la nature de la maladie à corriger, la transduction d’un faible nombre d’hépatocytes (5 à 10 %) pourrait modifier le phénotype global. Le problème majeur de la thérapie génique des maladies métaboliques est l’efficacité du transfert du gène lui-même. Jusqu’à ce jour, aucune méthode n’a permis un transfert de gène efficace et une expression prolongée du transgène. L tibles en grandes quantités, capables d’intégrer le transgène dans le génome de la cellule hôte, permettant une expression à long terme. De plus, l’une des conditions nécessaires à l’innocuité de la thérapie génique est la sélectivité du transfert du gène qui ne doit intéresser que la seule population cellulaire à corriger. Il est entre autres indispensable d’éviter toute diffusion des vecteurs vers les cellules gonadiques. Trois principales stratégies de thérapie génique sont à distinguer (2). La première, le transfert ex situ, consiste à prélever des cellules du malade (hépatocytes par exemple), à leur transférer un gène in vitro, et à réinjecter ces cellules dans leur site d’origine. La deuxième méthode, le transfert in situ, consiste à injecter les vecteurs directement dans le tissu ou l’organe à modifier génétiquement. Pour le foie, il peut s’agir d’une injection dans la veine porte, l’artère hépatique ou les voies biliaires intra- LES AFFECTIONS CANDIDATES Les maladies métaboliques candidates à ce type de traitement sont nombreuses et le tableau I en montre quelques exemples. Leur définition initiale correspondait aux déficits enzymatiques essentiellement hépatiques. Elles répondent aujourd’hui à l’ensemble des maladies génétiques par déficit monogénique (1). Toutefois, nombreuses d’entre elles correspondent à une pathologie hépatique même si leur expression peut être systémique ou associée à l’atteinte de plusieurs organes. Certaines entraînent une pathologie hépatique propre comme la maladie de Wilson ou le déficit en α1-antitrypsine, tandis que pour d’autres comme le syndrome de Crigler-Najjar ou l’hypercholestérolémie familiale, le foie est macroscopiquement et histologiquement normal. LES MÉTHODES DE THÉRAPIE GÉNIQUE Idéalement, la thérapie génique des maladies métaboliques doit utiliser des vecteurs devant répondre à certains critères. Ainsi ces vecteurs doivent être non immunogènes, non toxiques, produc- Tableau I. Exemples de maladies métaboliques candidates à la thérapie génique. Maladies métaboliques avec foie normal Syndrome de Crigler-Najjar de type I Hypercholestérolémie familiale de type IIa Phénylcétonurie Déficit en OCT Maladies métaboliques avec foie pathologique Maladie de Wilson Tyrosinémie Mucoviscidose Déficit en α1-antitrypsine Maladies métaboliques à conséquences systémiques Hémophilies Oxalose de type I Porphyrie aiguë intermittente Déficit en antithrombine III Déficit en protéine C * Service de chirurgie, hôpital Cochin, Paris. La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000 321 HEPATO-GASTRO 6 D 27/08/02 O 16:58 S S Page 322 I E hépatiques. La troisième méthode, dite in vivo, consiste à injecter les vecteurs dans la circulation systémique. Cette méthode n’est concevable qu’avec des vecteurs ayant un tropisme sélectif pour une population cellulaire donnée. R T É M A T I Q U E Tableau II. Principaux vecteurs classiques de transfert de gènes. Vecteur Avantages Rétrovirus VECTEURS CLASSIQUES Adénovirus Actuellement, les vecteurs les plus utilisés sont de nature virale. En effet, les virus possèdent les capacités génétiques d’infecter des cellules hôtes. Toutefois, les défenses immuLiposomes nitaires naturellement acquises au long de l’évolution chez l’homme font obstacle au transfert de gène par des vecteurs viraux. Les principaux vecteurs classiques de transfert de gène sont représentés dans le tableau II. Les vecteurs viraux utilisés sont dits défectifs car leurs gènes naturels ont été éliminés les rendant incapables de réplication. ● Les rétrovirus sont dérivés du virus de la leucémie murine de Moloney (3, 4). Ils contiennent un génome sous forme d’ARN qui est converti en ADN dans la cellule infectée. Ces vecteurs ne peuvent transporter qu’un insert de petite taille (7 kb) et ne peuvent être produits qu’à des titres relativement faibles (108). Ils permettent l’intégration du transgène dans le génome cellulaire permettant une expression durable et transmissible. Toutefois, ils ne peuvent transfecter les cellules habituellement quiescentes comme les hépatocytes, les cellules musculaires ou les neurones, et il s’agit de leur principal inconvénient. Il est donc nécessaire d’induire la mitose des cellules cibles, par exemple par culture des cellules in vitro. En ce qui concerne le foie, il est facile d’induire expérimentalement une régénération, par exemple par une hépatectomie partielle ou par l’injection d’un produit hépatotoxique. Injectés dans un foie en régénération, les rétrovirus peuvent transfecter plus de 50 % des hépatocytes (5). Enfin l’intégration du transgène se faisant de manière complètement aléatoire, il existe un risque théorique de mutagenèse insertionnelle, même si ce phènomène n’a jamais été observé chez l’animal. ● Les caractéristiques de l’adénovirus sont très différentes : il s’agit de virus à ADN qui peuvent véhiculer un transgène de grande taille (jusqu’à 35 kb), être produits à des titres élevés (1012) de façon industrielle (2, 3). Leur efficacité est excellente tant in vitro qu’in vivo puisqu’après injection systémique d’adénovirus, quasiment tous les hépatocytes sont transfectés. En revanche, le transgène reste épisomal, c’est-à-dire dans le compartiment extrachromosomique du noyau, ce qui rend transitoire son expression (10 à 40 jours). Les adénovirus contiennent une douzaine de gènes dont le gène E1 est essentiel à la réplication virale. La soustraction de ce gène E1 rend les adénovirus incapables de réplication et permet d’insérer à sa place un gène thérapeutique ainsi qu’un élément promoteur. L’inconvénient majeur de ce vecteur est sa toxicité cellulaire qui n’a pu être complètement éliminée, ainsi que le déclenchement d’une réaction immunitaire humorale qui rend les réinjections inefficaces. 322 H Inconvénients – Intégration à l’ADN chromosomique – Sécurité d’emploi : pas de réaction immune – Expression prolongée – Intégration aléatoire – Nécessite la division de la cellule hôte – Titres faibles – Titres très élevés – Transferts dans les cellules quiescentes – Toxicité – Réponse immune – Expression transitoire – Exposition préalable – Vecteur non viral : sécurité biologique – Pas de reconnaissance immunitaire – Efficacité très faible – Expression transitoire – Pas de ciblage tissulaire Les liposomes cationiques ont des avantages théoriques notables : non toxiques, ayant une sécurité biologique, ils peuvent transporter des gènes de très grande taille. De plus, les complexes ADN-lipides sont faciles à préparer industriellement. Du fait de l’absence de composante protéique, ces vecteurs sont moins immunogènes. Si les complexes ADN-liposomes cationiques sont efficaces in vitro, ils ne peuvent transfecter des cellules après injection systémique. De plus, l’expression du transgène est très transitoire. Leur utilisation future est donc conditionnée par des progrès dans le ciblage du transfert de gène et l’efficacité d’expression du transgène (6). ● NOUVEAUX VECTEURS Compte tenu de la faible efficacité des vecteurs classiques et de leurs risques potentiels, de nouveaux vecteurs ont fait l’objet de recherches actives. D’autres virus ont ainsi été identifiés comme candidats à leur utilisation en thérapie génique. ● AAV : les virus associés à l’adénovirus ou AAV sont des par- ticules à ADN, non pathogènes, incapables de réplication en l’absence d’un autre virus comme l’adénovirus. Ils peuvent infecter de nombreux types cellulaires comme les hépatocytes, les neurones, les cellules musculaires, et incorporent leur ADN dans le chromosome 19 chez l’homme. Leur principal inconvénient est la petite taille de l’insert qu’ils peuvent contenir. Leur production à grande échelle n’est pas encore standardisée. Des résultats prometteurs ont été obtenus dans le traitement de souris et chiens hémophiles chez lesquels on parvient à la correction du trouble hémorragique après transfert du gène du facteur IX dans le foie par un AAV (7). Plus récemment, une étude clinique a permis de démontrer l’innocuité du transfert du gène du facteur IX dans le muscle par AAV, chez des patients hémophiles (8). L’efficacité sur le syndrome hémorragique reste encore à confirmer. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000 HEPATO-GASTRO 6 27/08/02 16:58 Page 323 ● Les lentivirus : dérivés du virus de l’immuno-déficience humaine et appartenant à la famille des rétrovirus, les lentivirus sont susceptibles d’infecter les cellules en division ainsi que certaines cellules quiescentes comme les neurones, les cellules hématopoïétiques ou les cellules rétiniennes. En revanche, elles infectent dans des proportions très modestes les hépatocytes et les cellules musculaires quiescents (9). Ces vecteurs permettent une expression prolongée du transgène de plus de 6 mois chez le rongeur. Ils ne semblent pas induire de réaction immune spécifique. La taille de l’insert est assez faible (7 kb) et leur production ne peut encore se faire à grande échelle. Le transfert des gènes des facteurs VIII et IX humains par des lentivirus a permis d’obtenir, chez la souris, des taux efficaces de facteurs VIII et IX circulants (10). LES ESSAIS CLINIQUES ET LEURS ASPECTS ÉTHIQUES À ce jour, plus de 400 essais cliniques de thérapie génique (dont 300 aux États-Unis) ont été réalisés ou sont en cours de déroulement (source : National Institute of Health-NIH). Ils concernent plus de 3 200 malades. Cinquante protocoles incluant environ 300 malades concernent les maladies génétiques par déficit monogénique. Jusqu’à une période très récente, aucun résultat significatif n’a été obtenu depuis le premier protocole qui a débuté en 1990. La plupart des essais cliniques portent sur des maladies de pronostic grave comme le cancer ou le sida. Concernant les maladies métaboliques, en particulier celles pour lesquelles existent des traitements efficaces, les essais cliniques ont été beaucoup moins nombreux. Malgré l’absence de résultat démontrant son efficacité potentielle, le concept de thérapie génique restait l’objet d’espoirs thérapeutiques, surtout dans la mesure où ses dangers paraissaient minimes, jusqu’à la survenue d’un accident mortel. En effet, à la fin de l’année 1999, le décès d’un jeune américain de 18 ans était rapporté et faisait l’objet d’un débat dans la presse spécialisée (11, 12), mais aussi au sein du grand public (13). Ce jeune homme était atteint d’un déficit peu sévère en ornithine transcarbamylase (OTC) et était inclus dans un essai de phase I à l’université de Philadelphie. Au sein de cette équipe dirigée par James Wilson, une dizaine de protocoles de thérapie génique étaient en cours. Le but de cet essai de phase I-II était d’étudier le transfert du gène de l’OTC par des vecteurs adénoviraux injectés à titres croissants dans l’artère hépatique. Le jeune homme – 19e patient inclus dans l’essai – avait reçu le titre viral le plus élevé (6 1011 par kilo) et est décédé très rapidement de syndrome inflammatoire systémique et de détresse respiratoire de l’adulte. Outre la polémique scientifique et publique déclenchée par cet accident, une enquête sénatoriale a montré que les effets indésirables de ces essais de thérapie génique étaient rarement rapportés à la commission ad hoc du NIH et que des conflits d’intérêt financiers étaient présents au sein des équipes de recherche clinique. Des garanties éthiques et de sécurité ont ainsi été réclamées par les politiques, les scientifiques et les associations de malades (14). CONCLUSION Les résultats cliniques de la thérapie génique sont attendus depuis 10 ans. Un optimisme prudent renaît depuis les récents résultats obtenus dans les déficits immunitaires sévères. En ce qui concerne les maladies métaboliques, les essais thérapeutiques ont été peu nombreux dans la mesure où des alternatives thérapeutiques (régimes, médicaments, greffe...) existent. Cette réserve était d’autant plus justifiée par la crainte de la toxicité des vecteurs viraux employés, récemment démontrée par le décès d’un jeune patient aux États-Unis. Néanmoins de nouveaux vecteurs, viraux ou non, sont actuellement étudiés et, à nouveau, font de la thérapie génique un espoir thérapeutique. ■ Mots clés. Thérapie génique – Foie – Virus. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Chowdhury JR. Prospects of liver cell transplantation and liver-directed gene therapy. Semin Liver Dis 1999 ; 19 : 1-6. 2. Anderson F. Human gene therapy. Nature 1998 ; 392 : 25-8. 3. Verma IM, Somia N. Gene therapy – promises, problems and prospects. Nature 1997 ; 389 : 239-42. 4. Kalpana GV. Retroviral vectors for liver-directed gene therapy. Semin Liver Dis 1999 ; 19 : 27-37. 5. De Godoy JL, Malafosse R, Fabre M et al. In vivo hepatic retroviral gene transfer through the rat biliary tract. Hum Gene Ther 1999 ; 10 : 249-57. 6. Kay M, Liu D, Hoogerbrugge PM. Gene therapy. Proc Natl Acad Sci USA 1997 ; 94 : 12744-6. 7. Snyder RO, Miao C, Meuse L et al. Correction of hemophilia B in canine and murine models using recombinant adeno-associated viral vectors. Nat Med 1999 ; 5 : 64-70. 8. Kay MA, Manno CS, Ragni MV et al. Evidence for gene transfer and expression of factor IX in hemophilia B patients treated with an AAV vector. Nat Genet 2000 ; 24 : 257-61. 9. Miyoshi H, Takahashi M, Gage FH, Verma IM. Stable and efficient gene transfer into the retina using an HIV-based lentiviral vector. Proc Natl Acad Sci USA 1997 ; 94 : 10319-23. 10. Park F, Ohashi K, Kay MA. Therapeutic levels of human factor VIII and IX using HIV-1-based lentiviral vectors in mouse liver. Blood 2000 ; 96 : 1173-6. 11. Wadman M. NIH under fire over gene-therapy trials... Nature 2000 ; 403 : 237. 12. Hollon T. Gene therapy investigations proliferate. Nature Med 2000 ; 6 : 235. 13. Weiss R, Nelson D. Teen dies undergoing gene therapy. Washington Post, 29 septembre 1999. 14. Friedmann T. Principles for human gene therapy studies. Science 2000; 287 : 2163-5. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000 323 HEPATO-GASTRO 6 D 27/08/02 O S 16:58 S Page 324 I E R T H É M A T I Q U E Thérapie génique des déficits immunitaires héréditaires L a thérapie génique offre des perspectives larges d’application à peu près à tous les secteurs de la médecine. Cependant, les difficultés de mise au point sont à la hauteur des espérances… Il faut en effet obtenir l’expression du bon gène dans le bon tissu au bon moment, que cette expression ne soit ni trop importante (toxicité possible), ni insuffisante. Il faut essayer de limiter les éventuelles réponses immunitaires contre le vecteur ou le produit du transgène… Bref, les obstacles sont nombreux et beaucoup d’entre eux sont bien loin d’avoir été franchis. De multiples compétences sont nécessaires pour la mise au point de thérapie génique, en génétique, biologie moléculaire, virologie et son dérivé la vectorologie, en chimie, en immunologie et, bien sûr, en médecine. Ce caractère pluridisciplinaire, en soi passionnant, est aussi un élément d’explication du fait que les succès sont longs à venir. Beaucoup d’équipes ont sans doute sousestimé l’ampleur de la tâche et la nécessité de rassembler les compétences nécessaires. Néanmoins, des progrès notables, et parfois relativement inaperçus, ont été obtenus au cours de ces dernières années, par exemple dans le domaine du transfert de gènes dans les cellules souches hématopoïétiques. On peut citer successivement au début des années 1980 la mise au point de vecteurs rétroviraux d’origine murine susceptibles de transduire des cellules souches hématopoïétiques murines ; la démonstration au début des années 90 de cette efficacité in vivo ; la démonstration que ces mêmes vecteurs pouvaient efficacement transduire des précurseurs hématopoïétiques humains (mais pas des cellules souches hématopoïétiques) ; l’amélioration notable des vecteurs (production de titres plus élevés, pseudotypage à l’aide d’enveloppes virales) ; amélioration significative des conditions de culture permettant l’infection des précurseurs hématopoïétiques (utilisation de cytokines, de fragments de fribronectine) ; plus récemment, mise au point de vecteurs lentiviraux permettant l’infection de cellules souches hématopoïétiques humaines dont cependant l’utilisation en clinique ne peut encore être 324 envisagée pour l’instant ; enfin premier résultat chez la souris à l’aide de tels vecteurs lentiviraux permettant l’expression restreinte à une lignée cellulaire donnée (globules rouges, de la bêtaglobine). Ce tour de force représente une étape significative vers la mise en point d’une thérapie génique de la bêtathalassémie. En tirant profit d’une série de progrès énumérés ci-dessus, nous avons élaboré une thérapie génique d’une maladie héréditaire rare qui est le déficit immunitaire combiné sévère lié à l’X. Il s’agit d’une maladie caractérisée par un défaut complet de développement des lymphocytes T et NK, conséquence de mutation d’un gène qui code pour la protéine Boc, qui est un élément des récepteurs des cytokines interleukines 2, 4, 7, 9 et 15. Une série d’éléments nous ont permis de considérer cette maladie comme un modèle idéal pour la thérapie génique. En effet, l’expression de la protéine Boc permet l’induction de signaux de survie et de prolifération cellulaire des précurseurs lymphoïdes susceptibles de conférer un avantage sélectif extrêmement puissant aux cellules transduites, même si celles-ci ne sont pas nombreuses. Cette notion associée à la durée de vie extrêmement longue des lymphocytes T laisse supposer qu’un transfert du gène Boc ex vivo dans les précurseurs hématopoïétiques de tels patients est susceptible de corriger le déficit immunitaire pour un certain nombre d’années. Fondé sur cette hypothèse et sur une série de travaux précliniques effectués in vitro et in vivo dans un modèle murin, nous avons entrepris un tel essai clinique en 1999. Cinq patients ont ainsi été traités. Le principe du traitement consiste au prélèvement de moelle osseuse, sélection des précurseurs hématopoïétiques exprimant le marqueur CD34, et en leur infection ex vivo à l’aide d’un vecteur retroviral défectif contenant le cDNA de gc placé sous le contrôle transcriptionnel du LTR viral. Les cellules sont transduites ex vivo en présence de combinaison de cytokines IL3, thrombopoïétine, SCF et FLT3-L dans des poches plastiques recouvertes d’un fragment de fibronectine. Cette méthode a permis d’observer chez quatre patients une correction complète du déficit immunitaire : génération d’un nombre normal de lymphocytes T avec un répertoire diversifié, génération in vivo de réponses immunes spécifiques d’antigènes T et B. Le recul aujourd’hui est de 18 mois pour le premier patient traité (deux patients aujourd’hui ont dépassé un an). L’effet observé jusqu’ici est stable. Ces résultats valident l’hypothèse d’un avantage sélectif conféré aux cellules transduites. Naturellement, ces résultats induisent une série de questions : quelle sera la durée de l’effet ? Cela dépend de la nature des cellules transduites les plus précoces dans le schéma de différenciation hématopoïétique. Il est impossible de répondre à cette question aujourd’hui, tout au plus, peut-on mentionner le fait que, pour les patients les plus âgés, il semble qu’une thymopoïèse se poursuive, donc qu’il existe toujours des précurseurs de lymphocytes, dans la mesure où ces patients ont un thymus largement visible et que la majorité des lymphocytes T circulant sont de phénotype naïf. Bien sûr, une surveillance régulière des patients sera le seul moyen de répondre précisément à cette question. La seconde et importante question est de savoir à quelle autre maladie peut-on envisager d’appliquer cette méthode thérapeutique. Il nous semble que pour les pathologies héréditaires du système immunitaire, dans lesquelles un avantage sélectif peut également être conféré, cette méthode pourrait être efficace. Il en est ainsi de certaines autres formes de déficits immunitaires combinés sévères ou de déficit partiel de développement des lymphocytes T, ainsi que peut-être du syndrome de Wiskott-Aldrich. Les progrès en vectorologie, et notamment l’avènement des lentivirus, s’il est démontré qu’ils puissent être utilisés sans danger, permettraient d’élargir considérablement l’application de la thérapie génique aux maladies sanguines, qu’il s’agisse des maladies héréditaires ou de maladies acquises. Alain Fischer, Inserm U429 , Hôpital Necker-enfants malades, Paris. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 6 - vol. III - novembre-décembre 2000