L
a thérapie génique offre des perspectives
larges d’application à peu près à tous les sec-
teurs de la médecine. Cependant, les diffi-
cultés de mise au point sont à la hauteur des
espérances… Il faut en effet obtenir l’expres-
sion du bon gène dans le bon tissu au bon
moment, que cette expression ne soit ni trop
importante (toxicité possible), ni insuffi-
sante. Il faut essayer de limiter les éventuelles
réponses immunitaires contre le vecteur ou
le produit du transgène… Bref, les obstacles
sont nombreux et beaucoup d’entre eux sont
bien loin d’avoir été franchis.
De multiples compétences sont nécessaires
pour la mise au point de thérapie génique,
en génétique, biologie moléculaire, virolo-
gie et son dérivé la vectorologie, en chimie,
en immunologie et, bien sûr, en médecine.
Ce caractère pluridisciplinaire, en soi pas-
sionnant, est aussi un élément d’explication
du fait que les succès sont longs à venir.
Beaucoup d’équipes ont sans doute sous-
estimé l’ampleur de la tâche et la nécessité
de rassembler les compétences nécessaires.
Néanmoins, des progrès notables, et parfois
relativement inaperçus, ont été obtenus au
cours de ces dernières années, par exemple
dans le domaine du transfert de gènes dans
les cellules souches hématopoïétiques. On
peut citer successivement au début des
années 1980 la mise au point de vecteurs
rétroviraux d’origine murine susceptibles de
transduire des cellules souches hémato-
poïétiques murines ; la démonstration au
début des années 90 de cette efficacité in
vivo ; la démonstration que ces mêmes vec-
teurs pouvaient efficacement transduire des
précurseurs hématopoïétiques humains
(mais pas des cellules souches hématopoïé-
tiques) ; l’amélioration notable des vecteurs
(production de titres plus élevés, pseudo-
typage à l’aide d’enveloppes virales) ; amé-
lioration significative des conditions de cul-
ture permettant l’infection des précurseurs
hématopoïétiques (utilisation de cytokines,
de fragments de fribronectine) ; plus récem-
ment, mise au point de vecteurs lentiviraux
permettant l’infection de cellules souches
hématopoïétiques humaines dont cependant
l’utilisation en clinique ne peut encore être
envisagée pour l’instant ; enfin premier
résultat chez la souris à l’aide de tels vec-
teurs lentiviraux permettant l’expression
restreinte à une lignée cellulaire donnée
(globules rouges, de la bêtaglobine). Ce tour
de force représente une étape significative
vers la mise en point d’une thérapie génique
de la bêtathalassémie.
En tirant profit d’une série de progrès énu-
mérés ci-dessus, nous avons élaboré une
thérapie génique d’une maladie héréditaire
rare qui est le déficit immunitaire combiné
sévère lié à l’X. Il s’agit d’une maladie
caractérisée par un défaut complet de déve-
loppement des lymphocytes T et NK, consé-
quence de mutation d’un gène qui code pour
la protéine Boc, qui est un élément des
récepteurs des cytokines interleukines 2, 4,
7, 9 et 15. Une série d’éléments nous ont
permis de considérer cette maladie comme
un modèle idéal pour la thérapie génique.
En effet, l’expression de la protéine Boc per-
met l’induction de signaux de survie et de
prolifération cellulaire des précurseurs lym-
phoïdes susceptibles de conférer un avan-
tage sélectif extrêmement puissant aux cel-
lules transduites, même si celles-ci ne sont
pas nombreuses. Cette notion associée à la
durée de vie extrêmement longue des lym-
phocytes T laisse supposer qu’un transfert
du gène Boc ex vivo dans les précurseurs
hématopoïétiques de tels patients est sus-
ceptible de corriger le déficit immunitaire
pour un certain nombre d’années. Fondé sur
cette hypothèse et sur une série de travaux
précliniques effectués in vitro et in vivo
dans un modèle murin, nous avons entrepris
un tel essai clinique en 1999. Cinq patients
ont ainsi été traités. Le principe du traite-
ment consiste au prélèvement de moelle
osseuse, sélection des précurseurs hémato-
poïétiques exprimant le marqueur CD34, et
en leur infection ex vivo à l’aide d’un vec-
teur retroviral défectif contenant le cDNA
de gc placé sous le contrôle transcription-
nel du LTR viral. Les cellules sont trans-
duites ex vivo en présence de combinaison
de cytokines IL3, thrombopoïétine, SCF et
FLT3-L dans des poches plastiques recou-
vertes d’un fragment de fibronectine. Cette
méthode a permis d’observer chez quatre
patients une correction complète du déficit
immunitaire : génération d’un nombre nor-
mal de lymphocytes T avec un répertoire
diversifié, génération in vivo de réponses
immunes spécifiques d’antigènes T et B. Le
recul aujourd’hui est de 18 mois pour le pre-
mier patient traité (deux patients
aujourd’hui ont dépassé un an). L’effet
observé jusqu’ici est stable. Ces résultats
valident l’hypothèse d’un avantage sélectif
conféré aux cellules transduites.
Naturellement, ces résultats induisent une
série de questions : quelle sera la durée de
l’effet ? Cela dépend de la nature des cel-
lules transduites les plus précoces dans le
schéma de différenciation hématopoïétique.
Il est impossible de répondre à cette ques-
tion aujourd’hui, tout au plus, peut-on men-
tionner le fait que, pour les patients les plus
âgés, il semble qu’une thymopoïèse se pour-
suive, donc qu’il existe toujours des précur-
seurs de lymphocytes, dans la mesure où ces
patients ont un thymus largement visible et
que la majorité des lymphocytes T circulant
sont de phénotype naïf. Bien sûr, une sur-
veillance régulière des patients sera le seul
moyen de répondre précisément à cette ques-
tion. La seconde et importante question est
de savoir à quelle autre maladie peut-on
envisager d’appliquer cette méthode théra-
peutique. Il nous semble que pour les patho-
logies héréditaires du système immunitaire,
dans lesquelles un avantage sélectif peut éga-
lement être conféré, cette méthode pourrait
être efficace. Il en est ainsi de certaines autres
formes de déficits immunitaires combinés
sévères ou de déficit partiel de développe-
ment des lymphocytes T, ainsi que peut-être
du syndrome de Wiskott-Aldrich. Les pro-
grès en vectorologie, et notamment l’avène-
ment des lentivirus, s’il est démontré qu’ils
puissent être utilisés sans danger, permet-
traient d’élargir considérablement l’applica-
tion de la thérapie génique aux maladies san-
guines, qu’il s’agisse des maladies
héréditaires ou de maladies acquises.
Alain Fischer,
Inserm U429 ,
Hôpital Necker-enfants malades, Paris.
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La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no6 - vol. III - novembre-décembre 2000
DOSSIER THÉMATIQUE
Thérapie génique des déficits immunitaires héréditaires