É D I T O R I A L Thrombolyse, stroke unit et soins de suite ● F. Woimant* D urant ces vingt dernières années, la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral (AVC) s’est profondément modifiée. En novembre 1995, les experts de l’OMS et de l’European Stroke Council présentaient comme objectif prioritaire du traitement des AVC la possibilité pour tout patient présentant un AVC d’être admis dans une unité d’urgences neuro-vasculaires (1). En février 2000, la Société Française Neuro-Vasculaire publie dans ce numéro (lire p. 55) des recommandations concernant le traitement thrombolytique dans l’accident ischémique cérébral, traitement devant être administré dans les 3 premières heures d’apparition des symptômes (2). En 1995, l’étude américaine du National Institute of Neurological Disorders and Stroke (NINDS) a montré l’efficacité du traitement fibrinolytique par le rt-PA administré très précocement (moins de 3 heures), par voie intraveineuse, dans les accidents ischémiques cérébraux non compliqués de troubles de la vigilance (3). À 3 mois, 50 % des patients ayant reçu le traitement fibrinolytique étaient indépendants (selon les scores de Barthel), contre 38 % dans le groupe placebo, et ce sans excès de la mortalité (moins 4 % dans le groupe traité par rt-PA). De plus, l’étude PROACT récemment publiée montre l’efficacité de la pro-urokinase injectée par voie intra-artérielle au contact du caillot dans les 6 premières heures suivant l’apparition des symptômes ; 40 % des patients traités ont guéri ou gardé des séquelles minimes, contre 25 % des patients ne recevant pas le traitement (4). Le traitement fibrinolytique constitue une avancée thérapeutique majeure dans le traitement de l’AVC. Mais il ne faut pas oublier que la tolérance de ce traitement est médiocre avec, dans l’essai du NINDS, 6 % d’hémorragies intracrâniennes, contre 0,6 % dans le groupe placebo. De plus, ces études ont été réalisées chez des patients hautement sélectionnés : dans celle du NINDS, 624 patients ont été traités parmi 17 324 sélectionnés (la moitié seulement des non-inclusions étaient en rapport avec le délai de prise en charge), dans l’étude PROACT, 12 323 patients ont été screenés, 2 095 jugés éligibles cliniquement, 475 angiographiés et 180 randomisés… * Service de neurologie, hôpital Lariboisière, Paris. 6 Les patients justifiant d'un traitement fibrinolytique doivent donc être rigoureusement sélectionnés. La décision thérapeutique nécessite un avis expérimenté et ce, dans des délais très courts ; de plus, les patients traités doivent faire l’objet d’une surveillance attentive durant le traitement et les heures qui suivent. L’utilisation de ces traitements doit donc être limitée aux unités spécialisées en pathologie neurovasculaire. Il paraît également important, dans un premier temps, de colliger dans une étude nationale toutes les données concernant les patients fibrinolysés selon les recommandations de la Société française neuro-vasculaire afin de s’assurer que les résultats obtenus au cours des essais cliniques effectués aux États-Unis peuvent être reproduits en France en pratique quotidienne. Lire les recommandations de la SFNV pour l’utilisation des traitements thrombolytiques par voie intraveineuse Mais, le traitement des AVC dans les 3 heures est-il réalisable en France, en 2000 ? Une enquête récemment effectuée auprès de 345 services d’urgences français montre que 50 % des AVC dirigés vers un centre hospitalier franchissent le seuil des urgences dans les trois premières heures suivant l’apparition des symptômes ; mais cette étude montre également que 11 % des AVC en France et 25 % en Île-de-France sont ensuite transférés vers une autre structure hospitalière. Certes, il faut continuer à informer et à sensibiliser la population, les médecins généralistes et les urgentistes à la nécessité d’une prise en charge extrêmement rapide des AVC, mais surtout il importe de créer rapidement des unités d’urgences neurovasculaires. Ces unités ont fait la preuve de leur efficacité pour le traitement de tous les AVC, ce quelle que soit leur gravité et quels que soient le sexe et l’âge du patient. Elles permettent de diminuer, en dehors de tout traitement fibrinolytique, de 20 % le nombre de décès à 3 et à 12 mois, sans pour autant augmenter le nombre de sujets gravement handicapés (5). De plus, ces unités améliorent le pronostic jugé sur l’augmentation du nombre de patients indépendants (sans séquelle ou avec séquelles minimes) regagnant leur domicile, sur la récupération fonctionnelle plus rapide et sur la durée du séjour hospitalier raccourcie de 2 à 3 jours. Ce bénéfice vital et fonctionnel se maintient jusqu’à 5 ans après l’AVC (6). L’effet favorable de ces unités est dû à la prise en charge spécialisée et standardisée des patients permettant des La Lettre du Neurologue - n° 1 - vol. IV - février 2000 diagnostics plus précis et plus précoces, des investigations plus appropriées et une meilleure prévention des complications. L’efficacité de ces unités d’urgences neurovasculaires a été démontrée dans les années quatre-vingt, alors qu’il n’existait pas encore de traitement spécifique de l’ischémie cérébrale. Il faut maintenant ajouter à l’effet bénéfique de la structure celui apporté par les traitements fibrinolytiques. En France, en 1999, seulement 4 % des AVC ont pu accéder à une telle unité. En effet, pour 130 000 AVC survenant chaque année, on ne dénombre que 84 lits spécialement dévolus à leur prise en charge. Ces unités sont également indispensables pour former les neurologues à la pathologie neurovasculaire. Elles sont un lieu privilégié pour poursuivre la recherche et pour progresser encore dans le traitement de ces patients : essais thérapeutiques avec de nouveaux antithrombotiques ou des associations neuroprotecteurs-thrombolytiques et évaluation de l’imagerie par résonance magnétique à la phase aiguë de l’AVC. Si le scanner reste le premier examen radiologique à effectuer pour différencier l’ischémie de l’hémorragie, l’IRM de diffusion est le seul examen actuellement capable de montrer l’étendue de la souffrance ischémique une heure après l’occlusion. L’IRM de diffusion couplée à l’IRM de perfusion, qui montre la zone hypoperfusée, permettra probablement dans les mois à venir de mieux sélectionner les patients devant être traités par fibrinolytiques. La différence entre les deux zones (perfusion moins diffusion) représente la zone de tissu cérébral à risque, potentiellement sauvable par reperfusion de l’artère dans les toutes premières heures (7). Parallèlement à la création d’unités neurovasculaires spécialisées permettant de diminuer la mortalité et le handicap des sujets atteints d’AVC, et donc le coût de cette pathologie, il faut structurer la filière de traitement des AVC. C’est une trajectoire des soins qu’il faut organiser en préhospitalier et en intrahospitalier. Pour cela, il est indispensable d’augmenter les capacités d’accueil dans les services de rééducation et dans les structures de soins de suite, voire de créer des équipes mobiles pour la prise en charge des séquelles d’AVC à domicile, sans oublier la formation continue des médecins traitants qui ont un rôle primordial dans l’AVC, qu’il s’agisse de prévention primaire (tabac, HTA, diabète, cholestérol, etc.) ou après l’AVC. Outre le contrôle des facteurs de risque, ils assurent le suivi du traitement antithrombotique et demandent les bilans neurovasculaires et/ou cardiaques réguliers. Ils sont en première ligne pour aider le patient à vivre avec son handicap, pour organiser la rééducation motrice et orthophonique, les éventuels soins à domicile et pour dépister les dépressions si fréquentes. La Lettre du Neurologue - n° 1 - vol. IV - février 2000 La création d’unités d’urgences neurovasculaires permettant le traitement de tout AVC et l’administration, si justifiée, de fibrinolytique sont des urgences. Les séquelles des infarctus cérébraux avec leurs conséquences physiques, neuropsychologiques, familiales ou professionnelles sont trop souvent dramatiques pour le patient et son entourage pour que ne soit pas envisagé chez tous les patients présentant un infarctus cérébral un traitement thrombolytique, même si celui-ci n’est finalement administré qu’à une minorité de patients. Les neurologues, en collaboration avec les neuroradiologues, les neurochirurgiens, les chirurgiens vasculaires, les urgentistes, les médecins rééducateurs et les gériatres, conscients du véritable problème de santé publique que posent les AVC, se sont organisés depuis quelques années pour améliorer la prise en charge de cette pathologie, en créant la Société française neuro-vasculaire, en mettant en place un diplôme interuniversitaire de pathologie neurovasculaire et en individualisant au sein des services de neurologie des lits spécialement dévolus à la prise en charge des AVC. Il faut maintenant une volonté politique pour parvenir à la création d’unités d’urgences neurovasculaires dans les établissements adéquats et à l’augmentation des capacités d’accueil des AVC dans les services de soins de suite. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Pan European consensus meeting on stroke management. J Intern Med 1996 ; 240 : 173-80. 2. Société française neuro-vasculaire. Recommandations pour l’utilisation du traitement thrombolytique intraveineux dans l’accident ischémique cérébral. La Lettre du Neurologue 2000 ; 4 : in press. 3. The National Institute of Neurological Disorders and Stroke rt-PA Stroke Study Group. Tissue plasminogen activator for acute ischemic stroke. N Engl J Med 1995 ; 333 : 1581-7. 4. Furlan A., Higashida R., Wechsler L. et coll. for the PROACT Investigators. Intra-arterial prourokinase for acute ischemic stroke. The PROACT II study : a randomized controlled trial. JAMA 1999 ; 282 : 2003-11. 5. Langhorne P., William B.O., Gilchrist W., Howie K. Do stroke units save life ? Lancet 1993 ; 342 : 395-8. 6. Indredavik B., Slordahl S.A., Bakke F. et coll. Stroke units treatments. Long term effects. Stroke 1997 ; 28 : 1861-6. 7. Barber P.A., Darby D.G., Desmond P.M. et coll. Prediction of stroke outcome with echoplanar perfusion and diffusion weighted MRI. Neurology 1998 ; 51 : 418-26. 7