Cancers bronchopulmonaires d’origine professionnelle Occupational lung cancers D

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Cancers bronchopulmonaires d’origine professionnelle
Occupational lung cancers
● J.C. Pairon1-3, M. Matrat 1, 2, J.P. L’Huillier 1
Résumé : Les cancers bronchopulmonaires (CBP) sont les plus fréquents des cancers professionnels.
Le caractère multifactoriel des CBP et le poids important du tabagisme ne doivent pas faire méconnaître la fréquence de ceux
qui sont liés à des expositions professionnelles antérieures à diverses nuisances, la plus fréquente étant l’amiante.
Le Centre international de recherche sur le cancer a classé de nombreux agents, mélanges d’agents ou situations professionnelles
dans les groupes 1 et 2A cancérogènes certains ou probables chez l’homme, du fait d’un excès de risque identifié de CBP.
Il est important, sur le plan scientifique, de développer des recherches dans le domaine de l’imputabilité pour cette maladie multifactorielle.
Les conséquences médico-sociales sont importantes en cas de reconnaissance d’une maladie professionnelle. La mise en place
du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante est un aspect médico-social récent fondamental pour les CBP liés à l’amiante.
Mots-clés : Cancer bronchopulmonaire - Amiante - Profession - Indemnisation.
Summary: Lung cancer (LC) is the most frequent occupational cancer.
Besides the well-known contribution of tobacco smoking, physicians should be aware that LC may be linked to previous exposure
to several occupational agents, mainly asbestos.
The International Agency for Research on Cancer has classified several agents, mixtures and exposures as being definitely or
probably carcinogenic to humans, because of an excess of LC observed in occupational settings.
It is important to develop research in the field of imputation for this multifactorial disease.
Medico-social consequences are important in the case of recognition as an occupational disease. In France, the recent creation of the Fund for Compensation of Asbestos Victims (“Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante”) is an important
medico-social event for asbestos-related LC.
Keywords: Lung cancer - Asbestos - Occupation - Compensation.
FRÉQUENCE DES CBP PROFESSIONNELS
Le nombre de cas de CBP reconnus comme maladie professionnelle dans le cadre du régime général de la Sécurité sociale a nettement augmenté au cours des dernières années, la majorité
d’entre eux étant liés à des expositions antérieures à l’amiante
(tableau I).
Ces chiffres doivent être rapprochés des évaluations épidémiologiques récentes, en particulier de l’estimation de la fraction des
CBP attribuable aux expositions professionnelles effectuée par
l’Institut de veille sanitaire (1). Chez l’homme, cette fraction varie
de 13 à 29 % selon diverses études internationales européennes
(1). Cela a conduit à une estimation du nombre de décès par CBP
attribuable à une exposition professionnelle de 2 700 à 6 000 cas
1. Service de pneumologie et de pathologie professionnelle, CHI de Créteil.
2. INSERM EMI 03-37, faculté de médecine de Créteil.
3. Institut interuniversitaire de médecine du travail de Paris Île-de-France,
Biomédicale des Saints-Pères, Paris.
La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004
par an chez l’homme en 1999 (1). Parmi ces étiologies professionnelles, le poids de l’amiante est le plus important, et la même publication conclut que l’amiante a été à l’origine de 2 100 à 4 200 cas
des décès sus-cités chez l’homme, selon les fractions attribuables
utilisées. Une estimation à partir de données d’une étude française
conduisait au chiffre de 2 260 cas (1). Lors de l’expertise collective de l’INSERM, une modélisation à partir des relations dose-effet
antérieurement publiées avait conduit à estimer que le nombre de
CBP liés aux expositions antérieures à l’amiante était de
1 200 pour l’année 1996 (2).
REPÉRAGE DU DANGER CANCÉROGÈNE : LA DÉMARCHE
DU CENTRE INTERNATIONAL DE RECHERCHE SUR LE CANCER
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) est un
organisme qui procède régulièrement à l’évaluation critique du pouvoir cancérogène de substances, de mélanges de substances ou de
situations d’exposition. La démarche est une démarche de type
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Tableau I. Nombre de cas de cancer du poumon reconnus en maladie professionnelle dans le cadre du régime général de la Sécurité sociale (statistiques CNAM-TS).
1996
1997
1998
1999
2000
2001
20022
Amiante
Poussières/gaz radioactifs
Chromates
Hydrocarbures aromatiques polycycliques
dérivés du charbon
Dérivés de l’arsenic
Dérivés du nickel
Complication de sidérose
Cobalt + carbure de tungstène
Bischlorométhyléther (BCME)
Autres (nuisances hors tableau de maladie professionnelle,
via le CRRMP1)
156
6
2
4
188
5
1
3
280
5
1
3
438
7
6
5
561
9
8
12
800
12
7
11
853
12
5
10
1
2
1
4
2
2
1
2
3
2
1
1
9
2
-
7
1
4
1
7
2
10
1
1
4
2
2
Total
178
202
294
469
602
850
890
1. CRRMP : Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
2. Décompte provisoire, arrêté au 31 décembre 2003.
Tableau II. Évaluation globale de la cancérogénicité pour l’homme pour un agent, un mélange d’agents ou une situation d’exposition (classification du CIRC).
Indications de cancérogénicité
chez l’homme
Indications de cancérogénicité
chez l’animal
Autres données
Groupe 1 : cancérogène
pour l’homme
suffisantes
(limitées)
–
(suffisantes)
–
(mécanisme connu)
Groupe 2A : probablement
cancérogène pour l’homme
limitées
insuffisantes
(limitées)
suffisantes
suffisantes
–
–
mécanisme analogue chez l’homme et l’animal
–
Groupe 2B : peut-être cancérogène
pour l’homme
limitées
insuffisantes
insuffisantes
insuffisantes
suffisantes
limitées
–
–
existence de données pertinentes
Groupe 3 : non classable par rapport
insuffisantes
au pouvoir cancérogène pour l’homme insuffisantes
insuffisantes
insuffisantes
limitées
suffisantes
–
–
mécanisme chez l’animal, non pertinent chez l’homme
Groupe 4 : probablement
non cancérogène pour l’homme
absence
absence
–
existence de données pertinentes
absence
insuffisantes
Les lignes en italique correspondent aux situations les plus fréquentes conduisant au classement dans un groupe donné. Les lignes entre parenthèses correspondent à des situations exceptionnelles.
“expertise collective” consistant en une évaluation du danger (c’està-dire une évaluation qualitative du pouvoir cancérogène, à distinguer de la démarche de type évaluation de risque : “l’exposition à
la nuisance évaluée est-elle susceptible de modifier l’incidence du
cancer chez l’homme ?”), à partir des informations publiées dans
la littérature, essentiellement sur le plan épidémiologique et sur
le plan expérimental.
L’évaluation conduit à classer l’agent évalué, le mélange d’agents
ou la situation d’exposition dans un groupe en fonction de son
pouvoir cancérogène, conformément à des règles résumées dans
le tableau II. Il importe de souligner que ce classement ne s’assortit d’aucune obligation réglementaire, à la différence des classements qui peuvent être proposés par d’autres organismes, comme
par exemple l’Union européenne.
Cette évaluation est évolutive en fonction des nouvelles publications, et accessible via Internet (http://www.iarc.fr/, ou accès
direct aux monographies : http://193.51.164.11/).
76
CANCER BRONCHOPULMONAIRE : ÉTIOLOGIES
PROFESSIONNELLES – ÉLÉMENTS D’IMPUTABILITÉ
Les étiologies professionnelles des CBP ont fait l’objet de revues
de la littérature récentes (3, 4).
D’une façon générale, un obstacle au repérage rapide d’un CBP
d’origine professionnelle réside dans le fait qu’il n’existe pas
d’éléments de spécificité de ce CBP orientant le clinicien vers
une origine professionnelle : il n’y a pas de spécificité clinique
(topographie, signes cliniques, etc.), ni histologique (l’exception
du bischlorométhyléther et du type histologique “petites cellules”
peut néanmoins être citée), ni pronostique.
Les étiologies professionnelles connues ou suspectées sont schématiquement résumées dans le tableau III, qui indique également les groupes professionnels ou les situations évalués par le
CIRC le cas échéant (lorsque la nuisance mentionnée dans la
colonne de gauche n’a pas fait elle-même l’objet d’une évaluation
La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004
spécifique par le CIRC : cas, par exemple, des hydrocarbures aromatiques polycycliques) et signale l’existence ou non d’un tableau
de maladie professionnelle dans le régime général de la Sécurité
sociale ou le régime agricole.
Amiante
Il ne peut être retenu de type histologique spécifique, ni de topographie spécifique, même si certains auteurs ont évoqué que l’adénocarcinome ou l’atteinte des lobes inférieurs pourraient être plus
fréquents dans les CBP liés à l’amiante (6).
Toutes les variétés d’amiante peuvent induire des CBP, avec
cependant un risque variable selon le type d’exposition (pente de
la relation dose-effet différente en fonction du secteur d’activité :
Tableau III. Liste des étiologies professionnelles des CBP connues ou
suspectées par le CIRC, et tableaux de maladies professionnelles correspondants (5).
Agents/mélanges d’agents/situations
d’exposition (classement CIRC1)
●
●
●
Cancérogènes certains pour le poumon
(groupe 1)
– amiante
– arsenic et composés
– béryllium et composés
– bischlorométhyléther (BCME) chlorométhyl méthyléther (CMME)
– cadmium et composés
– composés du chrome hexavalent
– hydrocarbures aromatiques polycycliques :
brais de houille, goudrons de houille,
huiles de schiste, huiles minérales
non ou peu raffinées, suies
production d’aluminium, gazéification
du charbon, production de coke,
fonderie de fonte et d’acier
– certains composés du nickel
– gaz moutarde
– poussières ou gaz radioactifs (radon,
aérosols de plutonium 239,
certains émetteurs β)
– silice cristalline
Autres cancérogènes potentiels
pour le poumon (groupes 1 ou 2A)
– brouillards d’acides minéraux forts
contenant de l’acide sulfurique
– gaz d’échappement Diesel
– dérivés chlorés du toluène/chlorure
de benzoyle,
– 2,3,7,8 TCDD4
– chlorure de vinyle
– formaldéhyde
– cobalt + carbure de tungstène
Autres
– travaux dans les mines de fer
– profession de peintre (groupe 1)
– industrie de fabrication du verre
(groupe 2A)
n° TRG2
n° TRA3
30/30 bis
20 bis/20 ter
81
47/47 bis
10
-
10 ter
16 bis
35 bis
(dérivés
(dérivés
de la houille) de la houille)
37 ter
6 (inhalation) 20 (inhalation)
25 (si silicose)
-
-
-
70 ter
-
44 bis
(si sidérose)
-
-
1. CIRC : Centre international de recherche sur le cancer.
2. N° TRG : numéro du tableau du régime général de la Sécurité sociale.
3. N° TRA : numéro du tableau du régime agricole de la Sécurité sociale.
4. 2,3,7,8 TCDD : 2,3,7,8 tétrachlorodibenzoparadioxine.
La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004
mines < amiante-ciment < amiante textile). Contrairement à ce
qui a été rapporté pour le mésothéliome, il n’a pas été identifié
d’excès de risque mesurable de CBP dans des situations d’exposition à l’amiante considérée comme faible, telles que chez les femmes
résidant à proximité des mines de chrysotile au Québec (7).
L’évaluation de l’interaction du tabac avec l’exposition à l’amiante
a donné lieu à de multiples travaux. Il est admis qu’il existe une
synergie d’effet multiplicatif amiante x tabac pour le risque de
CBP, les coefficients qui permettent de mesurer l’excès de risque
étant variables d’une étude à l’autre (8-10). Lors de l’expertise
collective de l’INSERM, il a été souligné que, à l’échelon individuel, “la plausibilité d’une association causale avec une exposition professionnelle à l’amiante chez un sujet présentant un CBP
est totalement indépendante de la consommation de tabac de la
personne considérée, et dépend uniquement de la plausibilité des
antécédents d’exposition à l’amiante, de leur intensité, de leur
ancienneté et de leur durée” (2).
Une question actuellement encore controversée concerne le rôle
de la fibrose pulmonaire (asbestose) dans la survenue du CBP lié
aux expositions antérieures à l’amiante ([11], revue de la littérature dans 12). Il est admis que l’existence d’une fibrose pulmonaire,
souvent retenue sur des arguments radiologiques, est associée à
un excès de risque de CBP (13, 14). Cela pourrait s’expliquer par
le fait que l’existence d’une fibrose pulmonaire est un marqueur
de forte exposition. Plusieurs études originales et revues récentes
retiennent qu’un excès de CBP peut être observé en l’absence
d’asbestose dans des populations antérieurement exposées à
l’amiante, même si l’excès de risque est plus important dans le
sous-groupe des patients présentant une asbestose (15-17). À
l’échelon individuel, l’expertise collective de l’INSERM a conclu
que “si l’existence d’une fibrose pulmonaire est un élément qui
accroît la plausibilité d’une exposition plus importante à l’amiante
chez un sujet ayant été professionnellement exposé, l’absence d’un
tel signe ne peut pas être considérée comme un élément qui réduit
sensiblement la plausibilité d’une association causale” (2). Dans
une publication récente (18), il a été suggéré, à partir d’un modèle
de régression logistique, que c’était le caractère évolutif de la
fibrose qui était associé à un excès de risque de survenue de CBP
(l’odds-ratio associé à la progression des petites opacités était de 9,6
[IC95 : 2,5-36,8]).
Compte tenu du caractère multifactoriel du CBP, le recueil
d’arguments étayant l’imputabilité à l’exposition professionnelle
antérieure est important, en particulier pour les sujets qui ne remplissent pas les critères administratifs leur permettant de demander une reconnaissance au titre du tableau 30 bis du régime général de la Sécurité sociale (ou 47 bis du régime agricole), voire dans
la perspective d’une demande de prise en charge auprès du Fonds
d’indemnisation des victimes de l’amiante. Le clinicien portera
une attention particulière aux paramètres suivants :
– Le relevé des emplois successivement occupés, permettant de
retenir une exposition cumulée élevée à l’amiante, avec une chronologie compatible (respect du temps de latence dans le cadre
d’un processus de cancérogenèse). Le questionnaire de repérage
élaboré par la Société de pneumologie de langue française et la
Société française de médecine du travail peut l’aider dans cette
démarche (19).
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– Le résultat d’une analyse biométrologique (quantification des
corps asbestosiques [CA] en microscopie optique) dans un échantillon de liquide de lavage bronchoalvéolaire (LBA) ou de parenchyme pulmonaire chez les sujets bénéficiant d’une intervention.
En effet, une concentration en corps asbestosiques supérieure à
1 CA/ml dans le LBA ou 1 000 CA/g de poumon sec dans un prélèvement biopsique (minimum : 1 cm3) est en faveur d’une exposition antérieure significative à l’amiante, le plus souvent d’origine
professionnelle. Un tel résultat n’est pas requis pour l’obtention d’une
reconnaissance dans le cadre des tableaux de maladie professionnelle, mais s’avère utile lorsque le relevé de carrière indique que la
durée minimale d’exposition requise (dix ans dans le cadre du
TRG 30 bis ou TRA 47 bis) n’est pas atteinte par l’intéressé.
– L’existence d’une fibrose pulmonaire histologique chez les
patients opérés, ou d’anomalies radiologiques compatibles avec
une asbestose, puisqu’il a été indiqué qu’il s’agissait d’un marqueur renforçant l’hypothèse d’une forte exposition antérieure à
l’amiante (2).
L’épidémiologie moléculaire permettra peut-être d’identifier des
mutations d’oncogènes ou de gènes suppresseurs de tumeurs qui
seraient le reflet de l’exposition passée à l’amiante (20-22). Ainsi,
des mutations de K-ras ont été rapportées à une exposition antérieure à l’amiante dans l’adénocarcinome, indépendamment de
l’existence d’une fibrose pulmonaire associée (22). L’utilisation
de tels marqueurs demeure aujourd’hui prématurée en routine (23).
Silice cristalline
La réévaluation du pouvoir cancérogène de la silice cristalline
par le CIRC en 1996 a abouti à sa classification dans le groupe 1
des cancérogènes certains pour l’homme en ce qui concerne les
situations d’exposition au quartz ou à la cristobalite d’origine
professionnelle (24).
Certains auteurs ont ultérieurement contesté l’existence d’une
relation entre l’exposition à la silice et un excès de risque de CBP
en l’absence de silicose (25), voire écarté tout lien causal entre
exposition à la silice ou silicose et excès de risque de CBP (26).
La reproductibilité de l’excès de CBP dans les études épidémiologiques concernant les populations atteintes de silicose est très
en faveur de la relation silicose-CBP, indépendamment du mécanisme de survenue du CBP. Il n’est pas définitivement établi que
la silicose soit une étape nécessaire dans la relation entre exposition à la silice et risque de survenue d’un CBP (27).
Les publications très récentes, postérieures à l’évaluation du groupe
de travail du CIRC, apportent des informations de plus en plus
détaillées sur la prise en compte des facteurs de confusion et/ou
l’existence d’une relation dose-effet. Même si elles ne sont pas
toutes positives, elles n’apportent globalement pas d’arguments
susceptibles de remettre en cause les conclusions du groupe de
travail du CIRC, conclusions corroborées par une méta-analyse
récente (28).
Sur le plan expérimental, la silice cristalline est un cancérogène
certain chez le rat, un excès de tumeurs épithéliales ayant été
observé après inhalation de quartz.
Depuis mars 2003, le CBP est inscrit au tableau n° 25 des maladies professionnelles du régime général de la Sécurité sociale.
Les patients ayant eu une exposition professionnelle antérieure
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à la silice cristalline durant au moins cinq ans peuvent être pris en
charge, sous réserve que leur CBP soit associé à des signes radiologiques ou à des lésions de nature silicotique (en particulier histologiques). En revanche, le CBP n’est pas réparé s’il complique
une pneumoconiose du mineur de charbon.
Poussières de cobalt, carbure de tungstène
Dans une étude cas-témoins effectuée dans une cohorte française
d’ouvriers de l’industrie des métaux durs, il a été rapporté une
relation dose-effet avec l’exposition cumulée aux poussières de
cobalt et de carbure de tungstène, l’excès de CBP persistant après
ajustement sur le tabac (OR = 1,93 [IC95 : 1,03-3,62]) (29). Une
évaluation précise des expositions dans l’une des usines a permis
de confirmer cet excès de CBP non attribuable au tabac (30).
La réévaluation récente par le CIRC du pouvoir cancérogène des
poussières de cobalt-carbure de tungstène a abouti à un classement de ces poussières dans le groupe 2A (cancérogène probable
chez l’homme) (31).
Une mise au point sur la modification récente du tableau de maladie professionnelle concernant les affections liées au cobalt a été
publiée dans La Lettre du Pneumologue (32). Le tableau 70 ter
du régime général de la Sécurité sociale permet désormais la réparation du CBP chez les ouvriers ayant été exposés à l’inhalation
de poussières de cobalt et de carbure de tungstène dans la fabrication des carbures métalliques avant frittage.
Émissions de moteurs Diesel
Les émissions de moteurs Diesel sont actuellement classées dans
le groupe 2A du CIRC. L’excès de risque de CBP rapporté au cours
d’une méta-analyse récente est de 1,33 (IC95 : 1,21-1,46) (33).
Une étude cas-témoins effectuée en Allemagne, portant sur des
effectifs élevés (3 500 cas, 3 500 témoins), a confirmé ces résultats : l’odds-ratio associé à l’exposition aux émissions de moteurs
Diesel est de 1,43, et cet odds-ratio est plus élevé chez les personnes
ayant été exposées aux émissions des tracteurs Diesel durant au
moins 30 ans (OR = 6,81 [IC95 : 1,17-39,51]) (34).
Les émissions de moteurs Diesel ne font actuellement pas l’objet
d’un tableau de maladie professionnelle. De ce fait, une demande
de reconnaissance en maladie professionnelle ne peut être envisagée, dans le cadre du régime général ou agricole de la Sécurité
sociale, qu’après passage devant un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour affection
“hors tableau”. Il est de ce fait recommandé de n’engager dans
une telle démarche que les sujets ayant un tabagisme nul ou très
faible, puisque le CRRMP va devoir établir s’il existe une relation
directe et essentielle entre l’exposition et la survenue de la maladie.
ASPECTS MÉDICO-SOCIAUX RÉCENTS
Les différents agents cancérogènes pour lesquels il existe un tableau
de maladie professionnelle dans le cadre du régime général ou agricole de la Sécurité sociale justifient que la démarche de déclaration
en maladie professionnelle soit proposée au patient, dès lors qu’il
remplit les critères du tableau, indépendamment de l’existence
d’un éventuel tabagisme associé du fait de l’application du principe
de présomption d’origine. Les aspects pratiques de la déclaration
La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004
et des étapes conduisant à une reconnaissance ont fait l’objet de mises
au point récentes auxquelles le lecteur peut se référer (5, 35).
En revanche, les aspects récents concernant les affections liées à
l’amiante justifient un développement spécifique. En effet, la loi
du 23 décembre 2000 a marqué l’orientation vers la réparation
intégrale des préjudices chez les personnes atteintes d’une pathologie due à l’amiante, avec la création du Fonds d’indemnisation
des victimes de l’amiante (FIVA) (36). Le FIVA est un établissement public national sous la tutelle des ministères du Budget et
de la Sécurité sociale (37). Il indemnise plusieurs préjudices :
– des préjudices dits “patrimoniaux” (ou “économiques”), c’està-dire les dépenses dues à la maladie (soins, aménagements, tierce
personne...) restées à la charge de la victime, le préjudice professionnel (perte de revenus présents et à venir) et le préjudice d’incapacité (ou physiologique), représenté par le taux d’incapacité selon
le barème du FIVA (taux IBF) ;
– les préjudices “extrapatrimoniaux” (ou “personnels”) que sont
les souffrances physiques et morales (ou “pretium doloris”), le
préjudice d’agrément (diminution des plaisirs de la vie du fait des
séquelles), le préjudice esthétique (dégradation de l’apparence
physique secondaire à la maladie ou aux traitements), le préjudice sexuel.
En cas de décès d’un patient atteint de CBP secondaire à l’amiante,
ses ayants droit peuvent également demander réparation du fait
du préjudice moral occasionné par son décès s’il est secondaire
à sa maladie.
L’indemnisation versée par le FIVA permet ainsi une meilleure
indemnisation que la reconnaissance en maladie professionnelle
par la Sécurité sociale, puisque cette dernière ne répare, forfaitairement, qu’une partie des préjudices patrimoniaux : les dépenses
dues à la maladie (soins, tierce personne, mais pas les aménagements),
les indemnités journalières en cas d’arrêt de travail (60 % les
28 premiers jours, puis 80 %), une indemnisation de l’incapacité
permanente partielle ou IPP (séquelles), calculée en fonction du
taux de rente comme pour toute maladie dont le taux d’IPP est
supérieur à 10 % (ce qui est bien sûr le cas pour le CBP). Il n’y
a pas d’indemnisation en cas de perte d’emploi, mais protection
de l’emploi. L’indemnisation par la Sécurité sociale ne tient pas
compte des préjudices extrapatrimoniaux. Les ayants droit (le
conjoint et les enfants mineurs) perçoivent une rente dite “rente
de réversion” en cas de décès imputable à la maladie.
Les patients atteints d’un CBP peuvent être indemnisés par le
FIVA dans deux situations principales :
– En cas de reconnaissance de leur CBP en maladie professionnelle due à l’amiante au titre de la législation française (régime
général, fonction publique, mines, etc.). Le patient doit alors fournir le formulaire de demande d’indemnisation (qui peut être obtenu
auprès du FIVA, tour Gallieni 2, 36, avenue du Général-de-Gaulle,
93175 Bagnolet Cedex, tél. : 0800 500 200 ; téléchargement à
partir du site du FIVA : www.fiva.fr) et les documents de reconnaissance de la maladie professionnelle (notification de décision
et taux d’IPP).
– En cas de préjudice résultant directement d’une exposition à
l’amiante sur le territoire de la République française, mais dont
la pathologie n’a pas été reconnue en maladie professionnelle
(par exemple, les artisans, ou en cas d’exposition environneLa Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004
mentale). Le patient doit alors fournir un certificat médical attestant de la pathologie, et tout document de nature à établir la réalité de l’exposition à l’amiante. Le dossier est instruit par la Commission d’examen des circonstances d’exposition à l’amiante. Si
le demandeur a précisé dans le formulaire que le préjudice est
susceptible d’avoir une origine professionnelle et qu’il n’a pas
été reconnu en maladie professionnelle, il doit fournir un certificat médical attestant le lien possible entre l’affection et l’activité
professionnelle afin que le FIVA le transmette à l’organisme de
Sécurité sociale, cette transmission valant déclaration de maladie professionnelle. La proposition d’indemnisation est effectuée
dans les trois mois après l’avis de la CPAM, et en tout cas dans
un délai de neuf mois.
L’indemnisation attribuée par le FIVA est déterminée en partie
par le taux d’IBF, celui-ci pouvant être différent du taux d’IPP
de la Sécurité sociale, établi en fonction du traitement initial administré au patient. Ainsi, les patients qui n’ont pas été opérés bénéficient d’un taux d’IBF de 100 %. Ceux qui ont été opérés ont un
taux d’IBF de 100 % durant les deux premières années, puis, si
le cancer n’est pas évolutif, un taux de 70 % durant les trois années
suivantes et si le cancer n’est toujours pas évolutif, le taux est réévalué en fonction du barème “fonction publique” selon les séquelles
chirurgicales et fonctionnelles reconnues à partir de documents
médicaux fournis par le patient. Les indemnisations déjà versées
(par les tribunaux ou par le régime de protection sociale) sont
soustraites des préjudices patrimoniaux. Le tableau IV présente
le montant de l’indemnisation globale en fonction de l’âge et de
la situation clinique (CBP opéré ou non).
Les ayants droit d’un patient décédé de CBP dû à l’amiante peuvent
bénéficier d’une indemnisation au titre du préjudice moral. Ils fournissent alors les documents concernant la victime (reconnaissance
de la maladie professionnelle ou certificat médical selon la situation), un document justifiant du “lien de parenté”, le certificat de
décès et un certificat médical attestant le lien entre le décès et la
maladie imputable à l’amiante. L’indemnisation versée au titre du
préjudice moral est alors de 22 000 € pour le conjoint, 15 000 € pour
les enfants de moins de 25 ans, 5 à 9 000 € pour les enfants de plus
de 25 ans, 3 000 € pour les petits-enfants.
Le patient, en désaccord avec un rejet de demande peut contester la décision devant la cour d’appel de son domicile dans un
délai de deux mois à partir de la date de l’offre d’indemnisation.
Il en est de même s’il n’a pas reçu de réponse de la part du FIVA
dans un délai de six mois (ce qui signifie rejet implicite).
Tableau IV. Montant indicatif de l’indemnisation versée par le FIVA
en cas de CBP en fonction de l’âge de survenue de ce cancer (en cas
d’indemnisation par un organisme de Sécurité sociale, les sommes
reçues de la part de cet organisme sont soustraites du total proposé
par le FIVA).
45 ans
55 ans
65 ans
75 ans
85 ans
CPB non opéré :
– extrapatrimonial
– rente/an
150 k€
16 k€
127 k€
16 k€
100 k€
16 k€
68 k€
16 k€
37 k€
16 k€
CPB opéré :
– extrapatrimonial
– rente (cumul 5 ans)
39-65 k€ 33-55 k€ 26-43 k€ 18-29 k€ 10-16 k€
60 k€
60 k€
60 k€
60 k€
60 k€
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Si l’offre est acceptée, le règlement est effectué au plus tard dans
les deux mois après réception de l’accord. L’acceptation empêche
l’introduction de toute action en justice.
Si l’état clinique du patient se modifie, son dossier peut être révisé
pour une indemnisation complémentaire, à sa demande. Une offre
est alors présentée dans les mêmes conditions.
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11. Weiss W. Asbestosis: a marker for the increased risk of lung cancer
among workers exposed to asbestos. Chest 1999;115:536-49.
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15. Wilkinson P, Hansell D, Janssens J et al. Is lung cancer associated with
CONCLUSION
Les CBP sont les plus fréquents des cancers professionnels. Le
nombre de cas de CBP reconnus dans le cadre du régime général
de la Sécurité sociale a nettement augmenté au cours de la dernière
décennie, la majorité des cas reconnus étant liés aux expositions
antérieures à l’amiante. Il existe néanmoins de nombreux autres
agents cancérogènes professionnels connus, qu’il convient de
rechercher au cours de l’enquête professionnelle.
Compte tenu des enjeux médico-sociaux pour le patient ou ses ayants
droit, il est essentiel d’effectuer un inventaire des professions antérieurement occupées au cours du bilan initial de tout patient atteint
de CBP. Des outils ont été élaborés dans cette perspective, permettant d’aider le clinicien dans son repérage des expositions significatives à des nuisances cancérogènes d’origine professionnelle
(19). En cas de difficultés, le clinicien peut recourir à des structures spécialisées comme les centres de consultation de pathologie
professionnelle (liste des adresses fournie dans 5).
En complément de la démarche de déclaration en maladie professionnelle (ou en démarche unique pour les personnes non couvertes
pour le risque de maladie professionnelle : cas des professions
indépendantes de façon générale), il convient d’informer son
patient de l’existence du FIVA et des avantages sociaux connexes,
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pour les CBP liés aux expositions antérieures à l’amiante.
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La Lettre du Pneumologue - Volume VII - no 2 - mars-avril 2004
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