Un homme de 36 ans, informaticien,
est adressé en 2000 pour des crampes
devenues invalidantes apparues à l’âge
de 18 ans. Il n’a aucun antécédent
familial ni personnel. L’interrogatoire
ne relève pas d’exposition aux
toxiques ni de prise médicamenteuse.
Ce patient sportif pratiquant régulière-
ment le football et la course à pied se
plaint, depuis 1998, de la diffusion des
crampes – antérieurement constatées
uniquement aux membres inférieurs,
aux membres supérieurs – au thorax et
à la mâchoire. Les crampes sont très
douloureuses, quotidiennes, s’aggra-
vent au moindre effort et à l’exposi-
tion au froid.
L’ e xamen clinique de ce patient, en
bonne condition physique et en très
bon état général, ne révèle aucun défi-
cit moteur. Les réflexes ostéotendi-
neux et idiomusculaires sont présents
et symétriques. Les réflexes cutanéo-
plantaires sont en flexion. La sensibi-
lité superficielle est normale, mais
il existe une hypopallesthésie aux
membres inférieurs. Quelques fascicu-
lations sur les pectoraux et les massé-
ters sont observées. L’examen des
nerfs crâniens est par ailleurs normal.
Les examens biologiques usuels sont
normaux. L’ionogramme sanguin, la
calcémie et le dosage des hormones
thyroïdiennes, des folates, de la vita-
mine B12, B1 et B6 sont normaux. Le
dosage des CPK est à 350 U/l (nor-
male inférieure à 190).
L’électromyogramme (EMG) montre
des amplitudes de potentiel moteur et
vitesses de conduction motrices nor-
males. Les vitesses de conduction sen-
sitives sont discrètement réduites et
les amplitudes sensitives significative-
ment abaissées aux quatre membres
(tableau). L’enregistrement électro-
myographique des muscles pédieux,
jambiers antérieurs, extenseurs com-
muns des orteils, des interosseux et
courts abducteurs du pouce ne montre
aucune activité anormale de repos. À
l’effort, le tracé est interprété comme
normal.
Cette neuropathie sensitive conduit à
la réalisation d’examens biologiques
complémentaires, notamment à la
recherche d’une maladie de système
telle qu’une maladie de Gougerot-
Sjögren. Les anticorps antinucléaires,
anti-SSA et SSB sont négatifs. La
recherche d’un syndrome sec buccal et
ophtalmologique se révèle également
négative. La radiographie de thorax
est normale. La biopsie de glandes
salivaires accessoires est normale. Le
dosage de la cryoglobulinémie et les
sérologies virales (VIH, hépatite B et
C) sont négatifs. Enfin, l’analyse du
liquide céphalorachidien est normale
et la recherche d’anticorps antineuro-
naux est négative. Une biopsie neuro-
musculaire révèle une atrophie neuro-
gène des fibres musculaires et une
perte modérée des fibres myélinisées
de grand calibre. Il n’existe aucun
infiltrat inflammatoire, ni de sur-
charge amyloïde.
On conclut à une neuropathie sensitive
dont l’étiologie semble indéterminée
au stade actuel des examens. Un trai-
tement par Tégrétol®à la dose de
600 mg/jour est proposé qui permet,
dans un premier temps, de diminuer
l’intensité et la fréquence des
crampes. Six mois plus tard, le patient
signale une aggravation des crampes
et l’apparition d’un tremblement d’at-
titude invalidant. L’examen général est
normal. Cependant, les fasciculations
sont plus nombreuses et les crampes
déclenchées par le moindre mouve-
ment. On propose la réalisation d’un
nouvel électromyogramme, compre-
nant un examen en détection des
muscles proximaux, qui sont le siège
de fasciculations.
La conduction motrice est parfaite-
ment normale et comparable à celle de
1999. En revanche, les amplitudes
sensitives sont réduites aux quatre
membres, et ce de façon comparable à
l’examen de 1999. L’examen en détec-
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Act. Méd. Int. - Neurologie (4) n° 1, janvier-février 2003
Cas clinique
T. Stojkovic
Une curieuse neuropathie
sensitive : de l’intérêt de l’exploration
électromyographique complète
T Stojkovic*
* Tanya Stojkovic est neurologue,
spécialisée dans la neurophysiologie
clinique, les explorations fonctionnelles
et les pathologies musculaires.
Elle exerce en tant que praticien
hospitalier avec activité partagée dans
le service de neurologie du Pr Vermersch
au CHU de Lille et dans le service de
médecine du Dr Brion au CH de
Tourcoing. Elle participe à divers
groupes de travail sur les maladies
neuromusculaires, à des projets de
recherche (dernier en date : “Syndromes
myasthénique congénitaux”) et à l’éla-
boration de protocoles thérapeutiques.
Tanya Stojkovic est également impliquée
dans différentes activités pédagogiques,
d’enseignement, de formation et de
direction de mémoires pour la faculté de
médecine de Lille II et le CHRU de Lille.
Cas clinique
Tableau. Mesure des vitesses de conduction et des amplitudes sensitives.
Nerfs
Médian droit
Médian gauche
Saphène externe droit
Saphène externe gauche
Amplitude (µV)
8
9
2,8
2
Vitesse (m/s)
49
48
40
39