La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005 183
aboutit rapidement, dans l’évolution de la maladie, à des doses
journalières très importantes dépassant 2 g d’équivalent-dopa par
jour et allant parfois jusqu’à 4 g. Les tentatives de réduction des
doses proposées par le neurologue aboutissent le plus souvent à
des échecs ; lorsqu’elles sont effectuées sous contrôle à l’hôpital,
elles peuvent produire des syndromes de sevrage avec dysphorie,
anxiété et apathie.
SYNDROME CLINIQUE
(tableau)
L’automédication abusive provoque des dyskinésies de pic de
dose importantes, état dans lequel le patient se sent véritablement
en phase on. Sur le plan comportemental, un état hypomaniaque
non spécifique avec hyperthymie, hyperactivité, irritabilité, sen-
timent de toute puissance et prises de risque inappropriées
(conduite automobile, par exemple) s’installe progressivement.
Des idées paranoïaques sont fréquentes, avec méfiance et accu-
sation à l’égard de la famille, du conjoint ou de l’équipe de soins
si le patient est hospitalisé. D’autres éléments psychocomporte-
mentaux propres au syndrome de perte d’homéostasie hédonique
sont associés :
✓Comportement moteur stéréotypé,classiquement décrit chez
les consommateurs de cocaïne ou d’amphétamines. Il s’agit d’ac-
tivités motrices complexes répétitives (manipulation ou empile-
ment d’objets, par exemple), sans but, qui ne procurent aucune
satisfaction particulière au sujet, mais dont l’arrêt imposé lui est
très désagréable.
✓Activités de déambulation,en relation avec l’akathisie ou des
phénomènes d’impatience. Le sujet ressent de façon impérieuse
le besoin de marcher, parfois sur de longues distances et sans but,
déambulations au cours lesquelles il perd la notion du temps
écoulé et des distances parcourues.
✓Troubles des conduites sexuelles.Il s’agit en partie seulement
d’une hypersexualité, rapportée fréquemment avec la prise de
TSD, mais qui peut déboucher ici sur un véritable harcèlement
de la partenaire, harcèlement à l’origine de conflits conjugaux. À
côté de cet excès de libido, de nouvelles pratiques sexuelles appa-
raissent, allant parfois jusqu’au délit : recours compulsif à la por-
nographie ou à la prostitution, travestissement ou exhibition-
nisme.
✓Achats et tendance au jeu pathologiques. Plus encore que des
achats compulsifs, observés classiquement dans les accès
maniaques, on constate chez le parkinsonien une tendance au jeu
qui semble beaucoup plus fréquente, et qui mérite d’être évaluée
systématiquement. Il peut s’agir de jeux au casino, mais égale-
ment de jeux de grattage répétés frénétiquement, pouvant causer
de grosses pertes d’argent et rendre précaire la situation financière
du patient.
✓Troubles des conduites alimentaires.Là encore, le trouble
décrit par Giovannoni et al. (1) et qui consiste en une tendance
anorexique avec perte de poids est classiquement associé aux états
maniaques. S’y ajoute fréquemment ici des compulsions alimen-
taires, en particulier tournées vers les aliments sucrés. Des prises
compulsives d’alcool sont possibles, quoique peu fréquentes.
✓Stockage de médicaments. Différentes stratégies permettent
aux patients de stocker des médicaments : ordonnances préten-
dument égarées, visites auprès de différents généralistes pour
renouveler les ordonnances, faux épisodes de blocages pour avoir
des injections supplémentaires d’apomorphine. Comme dans les
autres addictions, le patient cache et nie ces prises de médica-
ments hors prescription.
✓Troubles des conduites sociales. La possibilité tout à fait
légale d’obtention de l’objet de l’addiction maintient ces patients
en dehors des circuits clandestins de recherche et de fourniture
de drogues illicites, lesquelles ne semblent pas, par ailleurs, être
consommées en excès.
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
Il est nécessaire d’adapter au syndrome de dysrégulation de la
dopamine les critères habituels utilisés dans les autres addictions.
Il s’agit ici de reconsidérer les définitions des principaux critères
d’addiction : consommation pathologique, retentissement de
l’addiction sur les activités socioprofessionnelles, manifestations
d’accoutumance et/ou de sevrage.
✓Consommation pathologique de TSD.Le sevrage étant
impossible, on ne peut considérer ici que le caractère inapproprié
et excessif des prises de TSD, à l’origine de dyskinésies invali-
dantes et de troubles du comportement. Le seuil de 2 000 mg/j de
lévodopa ou d’équivalent-dopa doit être considéré comme sus-
pect et faire rechercher les éléments du syndrome.
✓Impact psychosocial.La maladie de Parkinson a le plus sou-
vent déjà eu des conséquences sur l’insertion sociale et profes-
sionnelle des malades. Néanmoins, ce que l’on observe ici est
inhabituel, et souvent clastique : ruptures et divorces, endette-
ment, poursuites judiciaires relatives à des manifestations
d’agressivité ou de déviance sexuelle.
✓Accoutumance.Il s’agit d’une question fréquemment posée
par les patients, auxquels il est difficile d’expliquer que l’aug-
mentation inexorable des doses de traitement est due à l’aggra-
vation de la maladie et ne traduit pas en soi une accoutumance.
✓Homme jeune. Antécédents d’alcoolisme ou d’autres addictions.
✓Maladie de Parkinson dopasensible.
✓Augmentation rapide de la dose totale de TSD et du nombre de prises (> 2 g/j ++).
✓Dyskinésies majeures et bien tolérées, fluctuations non motrices psychiatriques.
✓État hypomaniaque.
✓Idées paranoïaques.
✓Comportements moteurs stéréotypés, déambulation.
✓Jeux d’argent.
✓Modifications de la libido, recours à la pornographie, consultation de sites Internet ++.
✓Compulsions de sucres, perte de poids récente.
✓Problèmes conjugaux, problèmes relationnels, conflits avec violence verbale ou physique,
difficultés professionnelles, conflits avec la hiérarchie.
Tableau. Syndrome de dysrégulation de la dopamine :
éléments du diagnostic.