Syndrome de dysrégulation de la dopamine M Dopamine dysregulation syndrome

MISE AU POINT
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005
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DÉFINITION ET ÉPIDÉMIOLOGIE
La maladie de Parkinson est caractérisée par la présence de corps
de Lewy et de neurites associée à une perte cellulaire des neu-
rones dopaminergiques prédominant sur la portion ventrolatérale
de la pars compacta de la substance noire. Le traitement de sub-
stitution dopaminergique (TSD) [agonistes dopaminergiques ou
lévodopa] permet d’obtenir une amélioration clinique initiale
souvent supérieure à 70%, en particulier chez le sujet jeune. Plus
tard, dans l’évolution, apparaissent les complications motrices,
fluctuations motrices essentiellement à type d’akinésie de fin de
dose et de dyskinésies de pic de dose, mais aussi fluctuations
non motrices parfois encore plus gênantes pour le malade. Dans
le domaine des complications non motrices, des troubles du compor
-
tement d’allure pyschiatrique sont fréquents : hallucinations,
confusion, délire. Plus récemment, l’équipe de Lees à Londres
(1) a rapporté un tableau d’addiction aux agents dopaminergiques
avec automédication abusive à l’origine d’un surdosage respon-
sable de troubles moteurs (dyskinésies) et comportementaux. Ce
syndrome a été initialement appelé “perte de l’homéostasie hédo-
nique”, d’après le modèle proposé par Koob et Le Moal en 1997
(2) comme théorie de l’addiction aux drogues dures. Ce syn-
drome est lié à un dysfonctionnement du système de récompense
aboutissant à une utilisation compulsive de drogue. Le système
dopaminergique mésolimbique est fortement impliqué sur le plan
neurobiologique.
Le concept a été reformulé pour le patient parkinsonien, chez qui
la prise de médicaments à doses croissantes est rendue indispen-
sable du fait de l’aggravation inexorable des symptômes, sous le
terme de “syndrome de dysrégulation de la dopamine” [SDD]
(3). Ce terme sous-entend que la prise de traitement est compul-
sive et inappropriée, allant bien au-delà de l’amélioration néces-
saire des troubles moteurs.
La prévalence du SDD semble être comprise entre 3 et 5% de la
population des parkinsoniens, mais avec une prédominance très
nette chez l’homme jeune présentant des antécédents de troubles
de l’humeur ou d’alcoolisme. Sa survenue semble être favorisée
par la prise d’agonistes à fortes doses (4), alors que l’automédi-
cation concerne surtout les formes d’action rapide comme la
lévodopa dispersible ou l’apomorphine injectable, qui procurent
au sujet des “pics” d’euphorie. Cette automédication abusive
* Service de neurologie, hôpital de La Timone, Marseille.
Syndrome de dysrégulation de la dopamine
Dopamine dysregulation syndrome
J.P. Azulay*
Présent chez 5 % des parkinsoniens.
Complication induite par le traitement de substitution en
dopamine.
Prise addictive de traitement non adaptée à l’état moteur.
Terrain : homme jeune.
Signes d’alerte : doses rapidement croissantes de traite-
ment, dose totale > 2 g/j.
Dyskinésies majeures.
Comportement hypomaniaque et idées de persécution.
Réduction des doses d’agonistes.
Éviter un traitement symptomatique d’action rapide.
Mots-clés : Dopamine - Addiction - Maladie de Parkinson.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
Dopamine dysregulation syndrome is a neuropsychiatric
disorder recently described in Parkinson’s disease, which is
characterized by self-medication and addiction to dopami-
nergic drugs. The patients have generally a previous history
of mood disorders, and are treated by high dosage of dopa-
mine agonists. The syndrome typically develops in male
patients with early onset Parkinson’s disease. These patients
take increasing quantities of their treatment, despite increa-
singly severe drug induced dyskinesias, and develop hypo-
mania or manic psychosis. There is impairment of social and
occupational functioning and some very characteristic fea-
tures such as punding, pathological gambling or drug hoar-
ding. Tolerance develops to mood elevating effects of drugs
and a negative affective withdrawal state occurs if the drugs
are withdrawn or doses decreased.
Keywords: Dopamine - Addiction - Parkinson’s disease.
SUMMARY
SUMMARY
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005 183
aboutit rapidement, dans l’évolution de la maladie, à des doses
journalières très importantes dépassant 2 g d’équivalent-dopa par
jour et allant parfois jusqu’à 4 g. Les tentatives de réduction des
doses proposées par le neurologue aboutissent le plus souvent à
des échecs ; lorsqu’elles sont effectuées sous contrôle à l’hôpital,
elles peuvent produire des syndromes de sevrage avec dysphorie,
anxiété et apathie.
SYNDROME CLINIQUE
(tableau)
L’automédication abusive provoque des dyskinésies de pic de
dose importantes, état dans lequel le patient se sent véritablement
en phase on. Sur le plan comportemental, un état hypomaniaque
non spécifique avec hyperthymie, hyperactivité, irritabilité, sen-
timent de toute puissance et prises de risque inappropriées
(conduite automobile, par exemple) s’installe progressivement.
Des idées paranoïaques sont fréquentes, avec méfiance et accu-
sation à l’égard de la famille, du conjoint ou de l’équipe de soins
si le patient est hospitalisé. D’autres éléments psychocomporte-
mentaux propres au syndrome de perte d’homéostasie hédonique
sont associés :
Comportement moteur stéréotypé,classiquement décrit chez
les consommateurs de cocaïne ou d’amphétamines. Il s’agit d’ac-
tivités motrices complexes répétitives (manipulation ou empile-
ment d’objets, par exemple), sans but, qui ne procurent aucune
satisfaction particulière au sujet, mais dont l’arrêt imposé lui est
très désagréable.
Activités de déambulation,en relation avec l’akathisie ou des
phénomènes d’impatience. Le sujet ressent de façon impérieuse
le besoin de marcher, parfois sur de longues distances et sans but,
déambulations au cours lesquelles il perd la notion du temps
écoulé et des distances parcourues.
Troubles des conduites sexuelles.Il s’agit en partie seulement
d’une hypersexualité, rapportée fréquemment avec la prise de
TSD, mais qui peut déboucher ici sur un véritable harcèlement
de la partenaire, harcèlement à l’origine de conflits conjugaux. À
côté de cet excès de libido, de nouvelles pratiques sexuelles appa-
raissent, allant parfois jusqu’au délit : recours compulsif à la por-
nographie ou à la prostitution, travestissement ou exhibition-
nisme.
Achats et tendance au jeu pathologiques. Plus encore que des
achats compulsifs, observés classiquement dans les accès
maniaques, on constate chez le parkinsonien une tendance au jeu
qui semble beaucoup plus fréquente, et qui mérite d’être évaluée
systématiquement. Il peut s’agir de jeux au casino, mais égale-
ment de jeux de grattage répétés frénétiquement, pouvant causer
de grosses pertes d’argent et rendre précaire la situation financière
du patient.
Troubles des conduites alimentaires.Là encore, le trouble
décrit par Giovannoni et al. (1) et qui consiste en une tendance
anorexique avec perte de poids est classiquement associé aux états
maniaques. S’y ajoute fréquemment ici des compulsions alimen-
taires, en particulier tournées vers les aliments sucrés. Des prises
compulsives d’alcool sont possibles, quoique peu fréquentes.
Stockage de médicaments. Différentes stratégies permettent
aux patients de stocker des médicaments : ordonnances préten-
dument égarées, visites auprès de différents généralistes pour
renouveler les ordonnances, faux épisodes de blocages pour avoir
des injections supplémentaires d’apomorphine. Comme dans les
autres addictions, le patient cache et nie ces prises de médica-
ments hors prescription.
Troubles des conduites sociales. La possibilité tout à fait
légale d’obtention de l’objet de l’addiction maintient ces patients
en dehors des circuits clandestins de recherche et de fourniture
de drogues illicites, lesquelles ne semblent pas, par ailleurs, être
consommées en excès.
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES
Il est nécessaire d’adapter au syndrome de dysrégulation de la
dopamine les critères habituels utilisés dans les autres addictions.
Il s’agit ici de reconsidérer les définitions des principaux critères
d’addiction : consommation pathologique, retentissement de
l’addiction sur les activités socioprofessionnelles, manifestations
d’accoutumance et/ou de sevrage.
Consommation pathologique de TSD.Le sevrage étant
impossible, on ne peut considérer ici que le caractère inapproprié
et excessif des prises de TSD, à l’origine de dyskinésies invali-
dantes et de troubles du comportement. Le seuil de 2 000 mg/j de
lévodopa ou d’équivalent-dopa doit être considéré comme sus-
pect et faire rechercher les éléments du syndrome.
Impact psychosocial.La maladie de Parkinson a le plus sou-
vent déjà eu des conséquences sur l’insertion sociale et profes-
sionnelle des malades. Néanmoins, ce que l’on observe ici est
inhabituel, et souvent clastique : ruptures et divorces, endette-
ment, poursuites judiciaires relatives à des manifestations
d’agressivité ou de déviance sexuelle.
Accoutumance.Il s’agit d’une question fréquemment posée
par les patients, auxquels il est difficile d’expliquer que l’aug-
mentation inexorable des doses de traitement est due à l’aggra-
vation de la maladie et ne traduit pas en soi une accoutumance.
Homme jeune. Antécédents d’alcoolisme ou d’autres addictions.
Maladie de Parkinson dopasensible.
Augmentation rapide de la dose totale de TSD et du nombre de prises (> 2 g/j ++).
Dyskinésies majeures et bien tolérées, fluctuations non motrices psychiatriques.
État hypomaniaque.
Idées paranoïaques.
Comportements moteurs stéréotypés, déambulation.
Jeux d’argent.
Modifications de la libido, recours à la pornographie, consultation de sites Internet ++.
Compulsions de sucres, perte de poids récente.
Problèmes conjugaux, problèmes relationnels, conflits avec violence verbale ou physique,
difficultés professionnelles, conflits avec la hiérarchie.
Tableau. Syndrome de dysrégulation de la dopamine :
éléments du diagnostic.
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005
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MISE AU POINT
En revanche, on pourrait dans le SDD identifier le phénomène
d’accoutumance au fait que l’évaluation faite par le neurologue
et celle faite par le patient divergent : état jugé off par le patient
alors que l’examen neurologique réalisé au même moment
montre très peu de signes, et très bonne tolérance aux dyskiné-
sies de pic de dose de la part du malade alors que celles-ci sont
jugées cliniquement importantes par l’examinateur, lequel pré-
conise alors, contre l’avis du patient, de réduire les doses de TSD.
Sevrage.L’interprétation des signes de manque est là encore
rendue difficile par les manifestations motrices, mais on peut
retenir l’importance chez ces patients des signes fluctuants non
moteurs, surtout dans la sous-classe des fluctuations psychiques
avec anxiété et parfois véritables attaques de panique, dépression
transitoire, irritabilité. Ces symptômes de manque sont anticipés
par le patient, qui a tendance à avancer ses prises par rapport aux
heures fixées, et à stocker les produits, le plus souvent en
cachette, afin d’en avoir toujours à sa disposition.
PHYSIOPATHOLOGIE
L’existence de lésions des voies mésolimbiques et mésocorticales
dans la maladie de Parkinson peut influencer le potentiel addictif du
TSD. Le circuit de la récompense, qui comprend le système lim-
bique, serait atteint dans la maladie de Parkinson. La dénervation
dopaminergique progressive et la perte des capacités de stockage pré-
synaptique augmentent le caractère pulsatile du TSD sur les struc-
tures limbiques (1). Une hypersensibilité des récepteurs dopaminer-
giques de cette région peut être un facteur d’émergence du SDD.
DÉPISTAGE ET PRISE EN CHARGE DU SYNDROME
DE DYSRÉGULATION DE LA DOPAMINE
Le tableau complet de SDD est très évocateur, mais la démarche
de dépistage doit être initiée précocement, et l’interrogatoire
dirigé et systématique, en particulier dans le cas d’un homme
jeune (mais pas exclusivement) chez qui l’augmentation des
doses surprend et qui ne présente pas d’élément remettant en
cause le diagnostic de forme idiopathique de maladie de Parkin-
son. Les questions doivent concerner les principaux éléments du
syndrome et doivent, si possible, être également posées au
conjoint, car le patient aura spontanément tendance à nier ou à
cacher la plupart des signes, en particulier l’automédication. Il
est nécessaire, d’un point de vue thérapeutique, de réduire les
doses d’agonistes dopaminergiques, de stopper les prescriptions
de formes d’action rapide (apomorphine au stylo, lévodopa dis-
persible) ainsi que la possibilité de bolus supplémentaires sur les
pompes à apomorphine en continu. Le délire paranoïaque peut
nécessiter la prescription de clozapine – seul neuroleptique qui
n’aggrave pas l’état moteur –, la diminution des doses de TSD,
la prescription d’un antidépresseur en cas de troubles de l’hu-
meur mais celui-ci sera sans effet sur l’addiction. En cas de
diminution importante des doses de TSD, une hospitalisation est
le plus souvent nécessaire, un risque suicidaire étant possible. Il
est par ailleurs utile, chez ces patients, de rapprocher les visites
chez le neurologue et de faire des ordonnances sur des périodes
plus courtes et non renouvelables. Une prise en charge en psycho
-
thérapie est utile en complément. La gestion de la maladie est
souvent problématique, entre le surdosage et l’intolérance aux
épisodes off. La chirurgie de stimulation des noyaux sous-thala-
miques est très discutée dans cette indication : contre-indiquée
pour certains (5),elle peut toutefois permettre un sevrage en TSD
bien toléré sur les plans moteur et comportemental (6).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1.
Giovannoni G, O’Sullivan JD, Turner K, Manson AJ, Lees AJL. Hedonistic
homeostatic dysregulation in patients with Parkinson’s disease on dopamine
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Romana Pezzella F, Colosimo C, Vanacore N et al. Prevalence and clinical fea-
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Houeto JL, Mesnage V, Mallet L et al. Behavioural disorders, Parkinson’s disease
and subthalamic stimulation. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2002;6:701-7.
6.
Witjas T, Baunez C, Henry JM et al. Addiction in Parkinson’s disease: impact
of subthalamic nucleus deep brain stimulation. Mov Disord 2005 (in press).
1. Parmi les facteurs suivants, lesquels doivent faire
rechercher les éléments du syndrome de dysrégula-
tion de la dopamine ?
a. un début précoce de la maladie de Parkinson
b. une consommation de fortes doses d’agonistes dopaminer-
giques
c. des antécédents familiaux de la maladie
d. une forme tremblante de maladie de Parkinson
2. Quels médicaments sont contre-indiqués dans ce
syndrome ?
a. les antidépresseurs
b. la rispéridone
c. une formulation dispersible de lévodopa
d. une perfusion continue sous-cutanée d’apomorphine
AUTO-ÉVALUATION
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