DOULEUR
La Lettre du Rhumatologue - n° 286 - novembre 2002
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intra-articulaire d’un anesthésique local.
Une autre étude réalisée chez 44 patients
présentant une arthrite inflammatoire ou
une arthrose du genou montre une effica-
cité de la morphine intra-articulaire (3 mg)
comparable à celle de la dexaméthasone,
significativement supérieure au placebo
(sérum salé), qui se maintient sur les
6 jours de suivi de l’étude (8).
Morphine et douleurs aiguës
La morphine est de plus en plus utilisée,
en cures courtes, lors du traitement de cer-
taines douleurs aiguës : infarctus du myo-
carde, coliques néphrétiques, douleurs
abdominales, traumatismes, douleurs post-
opératoires. Il paraît maintenant assez clair
que ces prescriptions ne sont pas associées
à un surcroît d’erreurs diagnostiques, que
faisait craindre l’analgésie précoce. En
rhumatologie, certains tableaux hyperal-
giques (tassements vertébraux, névralgies
cervicobrachiales, lomboradiculalgies ...)
peuvent être de bonnes indications à un
traitement antalgique rapidement efficace
par morphiniques.
Dans ces indications, on ne dispose pas
d’études cliniques randomisées. Les obser-
vations cliniques laissent cependant à pen-
ser que la morphine permet une meilleure
prise en charge immédiate de la douleur et
une reprise rapide de la fonction.
Morphine et douleurs chroniques
Biais des études cliniques
Les études concernant l’utilisation de mor-
phine dans les DCNC sont d’interprétation
difficile car elles concernent des popula-
tions très hétérogènes (mécanisme de la
douleur, diagnostics, états thymiques,
comédications...). La plupart de ces études
concernent des petites séries sur des durées
variables. On relève très peu de patients
avec des rhumatismes inflammatoires par
rapport aux nombreux travaux sur les effets
des opioïdes dans les modèles animaux de
douleur inflammatoire.
Études randomisées
Seules deux études contrôlées ont été réa-
lisées :
!La première en 1996 par Moulin (9),
chez 46 patients présentant des douleurs
chroniques principalement ostéoarticu-
laires, réfractaires à plusieurs traitements
(AINS, codéine, antidépresseurs). Les
patients ont reçu soit de la morphine à la
dose de 30 à 120 mg (moyenne 83,5 mg/
jour), soit un placebo actif à effets anti-
cholinergiques, pendant 9 semaines. Il
existe une action antalgique significative
de la morphine dans cette étude, mais sans
amélioration fonctionnelle, ni de la qualité
de vie. Moins d’un tiers des patients a tiré
un bénéfice de la prise de morphine, alors
que le taux de satisfaction est de 70 % dans
la douleur cancéreuse (10). Il n’a pas été
constaté d’effet délétère des morphiniques
sur les fonctions cognitives.
!Une autre étude contrôlée a été réalisée
par Roth (11). Elle concerne 133 patients
arthrosiques, ayant des douleurs depuis au
moins un mois, recevant soit de l’oxyco-
done LP 20 ou 40 mg, soit un placebo pen-
dant deux semaines. Il existe une effica-
cité antalgique de la morphine, mais pas
de différence en termes d’amélioration
fonctionnelle.
Études non contrôlées
–En 1998, Jamison (12),chez 36 lombal-
giques chroniques traités par morphine
40 mg/j, trouve une efficacité antalgique,
mais une fois encore sans bénéfice associé
sur le plan fonctionnel. Aucun comporte-
ment addictif n’a été constaté. Cette étude
comporte un biais de sélection, les patients
ayant été sélectionnés sur des critères psy-
chologiques très stricts.
–Le suivi de cohortes et l’analyse rétro-
spective de dossiers montrent qu’une frac-
tion de patients peut être soulagée de façon
durable et sûre par la morphine. Dans l’étude
de Roth (11), les patients ont été suivis pen-
dant 6 mois (n = 58), 12 mois (n = 41) ou
18 mois (n = 15) ; on observe un maintien de
l’efficacité antalgique sans augmentation des
doses de morphine après la titration initiale.
Morphine et douleurs neuropathiques
Un véritable dogme de “morphinorésis-
tance” existe en matière de douleurs neu-
rogènes, à la suite d’études anciennes, qui
font référence depuis, mais non exemptes
de critiques (13). La réponse aux opioïdes
dans ce cadre est en fait soumise à de larges
variations interindividuelles, avec des
doses souvent plus élevées que dans les
douleurs par excès de nociception. L’effi-
cacité des opioïdes est comparable à celle
de l’amitriptyline dans les douleurs post-
zostériennes (13). La morphine pourrait
être une alternative thérapeutique, avec une
optimisation de son efficacité dans le cadre
d’associations thérapeutiques (antidépres-
seurs, anticonvulsivants).
EFFETS INDÉSIRABLES
Ils sont équivalents à ceux rap-
portés dans la douleur cancéreuse
La plupart sont dépendants de la dose, sur-
tout observés en début de traitement, et
cèdent habituellement au cours des traite-
ments prolongés : nausées-vomissements
(20 à 60 % selon les séries), asthénie, som-
nolence. Ces effets peuvent être plus mar-
qués chez le sujet âgé, et en cas de pres-
cription conjointe de psychotropes.
Seule la constipation, constante, persiste
avec la poursuite du traitement et doit
bénéficier d’une prévention continue, dès
les premières prescriptions. Ces effets
indésirables sont bénins, mais souvent mal
acceptés par le patient, et doivent faire
l’objet d’une information attentive de
la part du praticien pour éviter des arrêts
prématurés de traitement.
Des effets indésirables plus rares sont à
dépister : effets psychodysleptiques (dys-
phorie, agitation, confusion, hallucina-
tions), plus fréquents chez le sujet âgé, pru-
rit, rétention urinaire.
La dépression respiratoire est exceptionnelle
si l’augmentation des doses est progressive
et la posologie adaptée à l’intensité de la
douleur, avec une surveillance accrue chez
le sujet âgé polymédicamenté. Elle ne doit
pas constituer un frein à la prescription.
Existe-t-il un retentissement
cognitif significatif ?
Les troubles cognitifs – sédation/ralentis-
sement, troubles attentionnels, troubles
mnésiques – peuvent représenter un han-
dicap non négligeable dans la vie quoti-
dienne des patients. Des incertitudes per-
sistent sur les effets délétères de traitements
morphiniques au long cours en termes de
performances neuropsychiques. Ainsi, des
auteurs ont montré que certains tests de
performance sont significativement per-
turbés chez les patients sous morphine par
rapport au groupe témoin (14). Ces tests